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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 13 juin 2024, n° 22/03903

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 22/03903

13 juin 2024

N° RG 22/03903 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JHNO

COUR D'APPEL DE ROUEN

CH. CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 13 JUIN 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

2022000879

Tribunal de commerce de Rouen du 14 novembre 2022

APPELANTE :

S.A. BPCE LEASE

[Adresse 4]

[Localité 5]

représentée par Me Philippe FOURDRIN de la SELARL PATRICE LEMIEGRE PHILIPPE FOURDRIN SUNA GUNEY ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN, et assistée par Me Stéphane BONIN de la SCP BONIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Nathan HAGGIAG, avocat au barreau de PARIS, plaidant.

INTIMES :

Monsieur [C] [D]

né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 8] (76000)

[Adresse 2]

[Localité 6]

représenté par Me Clifford AUCKBUR de la SCP AUCKBUR, avocat au barreau de ROUEN

Madame [M] [X]

née le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 8] (76000)

[Adresse 2]

[Localité 6]

représentée par Me Clifford AUCKBUR de la SCP AUCKBUR, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 07 mars 2024 sans opposition des avocats devant Mme MENARD-GOGIBU, conseillère, rapporteur.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme FOUCHER-GROS, présidente

M. URBANO, conseiller

Mme MENARD-GOGIBU, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme RIFFAULT, greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 07 mars 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 18 avril 2024 puis prorogé à ce jour.

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 13 juin 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme FOUCHER-GROS, présidente et par Mme RIFFAULT, greffière.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par acte sous seing privé du 25 mars 2020, la société BPCE Lease a consenti à la société LA & LA un contrat de crédit-bail mobilier portant sur cinq distributeurs automatiques de produits alimentaires et un véhicule utilitaire d'une valeur globale de 133.848,06 euros H.T., soit 160.617,67 euros TTC.

Ces biens ont été livrés à la SAS LA & LA et la société BPCE Lease s'est acquittée de leur prix entre les mains des fournisseurs, la société LA & LA étant tenue de régler 60 échéances mensuelles de loyer, dont le montant a été modifié par avenant du 21 octobre 2020 à effet du 15 janvier 2021.

Par acte sous seing privé du 25 mars 2020, Madame [M] [X] s'est portée caution solidaire de la société LA & LA à concurrence de 160.544,72 euros pour une durée de 72 mois.

Par acte sous seing privé du même jour, Monsieur [F] [D] s'est également porté caution solidaire de la société LA & LA dans les mêmes conditions que Madame [X].

Par jugement du 6 juillet 2021, le tribunal de commerce de Rouen a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l'égard de la SAS LA & LA.

Le 13 juillet 2021, le liquidateur judiciaire de la société a notifié à la société BPCE Lease la résiliation du contrat n°291815.

Le 3 août 2021, la société BPCE Lease a déclaré sa créance au passif de la société LA & LA à hauteur de 113.660,17 euros.

Dans la suite de la vente de quatre des cinq distributeurs, la société BPCE Lease a, le 13 décembre 2021, régularisé une déclaration de créance rectificative pour un montant de 94.500,17 euros.

Par courriers recommandés des 3 et 6 août 2021, la société BPCE Lease a informé Madame [X] et Monsieur [D] de la résiliation contractuelle intervenue et les a mis en demeure d'honorer leurs engagements de cautions.

Par actes d'huissier du 18 février 2022, la société BPCE Lease a assigné Madame [X] et Monsieur [D] devant le tribunal de commerce de Rouen, en sollicitant leur condamnation à honorer leurs engagements de cautions solidaires à hauteur de 94.500,17 euros.

Par jugement du 14 novembre 2022, le tribunal de commerce de Rouen a :

- jugé que l'engagement de caution souscrit le 25 mars 2020 par Madame [M] [X] était manifestement disproportionné à ses biens et revenus,

- jugé que l'engagement de caution souscrit le 25 mars 2020 par Monsieur [F] [D] était manifestement disproportionné ses biens et revenus,

- prononcé la déchéance de l'engagement de caution donné par Monsieur [F] [D] au profit de la société BPCE Lease,

- prononcé la déchéance de l'engagement de caution donné par Madame [M] [X] au profit de la société BPCE Lease,

- débouté la société BPCE Lease de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la société BPCE Lease à payer à Madame [M] [X] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société BPCE Lease à payer à Monsieur [F] [D] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société BPCE Lease aux dépens, dont les frais de greffe liquidés à la somme de 90,98 euros.

La société BPCE Lease a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 6 décembre 2022.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 mars 2024.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 16 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société BPCE Lease qui demande à la cour de :

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Rouen du 11 novembre 2022, en ce qu'il a :

- jugé que l'engagement de caution souscrit le 25 mars 2020 par Madame [M] [X] était manifestement disproportionné à ses biens et revenus,

- jugé que l'engagement de caution souscrit le 25 mars 2020 par Monsieur [F] [D] était manifestement disproportionné à ses biens et revenus,

- prononcé la déchéance du droit de la société BPCE Lease de se prévaloir desdits actes de caution litigieux,

- débouté la société BPCE Lease de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la société BPCE Lease à payer à Madame [X] et à Monsieur [D] 1500 euros chacun, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux dépens,

- le confirmer pour le surplus,

Y ajoutant,

- condamner solidairement Monsieur [F] [D] et Madame [X] à payer à la société BPCE Lease la somme de 95.500,12 euros outre intérêt au taux légal à compter du 3 août 2021,

- débouter Monsieur [F] [D] et Madame [M] [X] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

- condamner solidairement Monsieur [F] [D] et Madame [X] à lui payer la somme complémentaire de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.

Vu les conclusions du 6 octobre 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de Madame [M] [X] et Monsieur [F] [D] qui demandent à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 14 novembre 2022 en ce qu'il a :

- jugé que l'engagement de caution souscrit le 25 mars 2020 par Madame [M] [X] était manifestement disproportionné à ses biens et revenus,

- jugé que l'engagement de caution souscrit le 25 mars 2020 par Monsieur [F] [D] était manifestement disproportionné ses biens et revenus,

- prononcé la déchéance de l'engagement de caution donné par Monsieur [F] [D] au profit de la société BPCE Lease,

- prononcé la déchéance de l'engagement de caution donné par Madame [M] [X] au profit de la société BPCE Lease,

- débouté la société BPCE Lease de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la société BPCE Lease à payer à Madame [M] [X] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société BPCE Lease à payer à Monsieur [F] [D] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société BPCE Lease aux dépens, dont les frais de greffe liquidés à la somme de 90,98 euros,

- débouter la société BPCE Lease de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

Subsidiairement,

- juger que la société BPCE Lease n'a pas respecté l'obligation d'information annuelle des cautions prévue par l'article L313-22 du code monétaire et financier et prononcer en conséquence la déchéance du droit aux intérêts de la société BPCE Lease à compter du 31 mars 2021,

En toute hypothèse,

- condamner la société BPCE Lease à payer à Madame [X] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société BPCE Lease à payer à Monsieur [D] la somme de

4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens de l'instance d'appel.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'opposabilité des engagements de caution :

Sur la disproportion lors de la souscription des engagements de caution le 25 mars 2020

Moyens des parties

La société BPCE Lease soutient que :

* Monsieur [D] et Madame [X] ont déclaré sur l'honneur, en leur qualité de dirigeants fondateurs et cautions averties, la proportionnalité de leur engagement à leurs biens et revenus et ne sauraient s'affranchir des obligations qui en résultent, ce qui dispense la société BPCE Lease d'en vérifier la réalité ;

* ils connaissaient nécessairement les capacités financières de la société qu'ils ont fondée ; les perspectives de développement de l'entreprise doivent être prises en considération ;

* les charges dont ils se prévalent n'ont pas été déclarées à la concluante à une date contemporaine des engagements ;

* en plus du patrimoine immobilier dont ils ont reconnu être propriétaires, ils disposaient également de ressources dont ils n'ont pas justifié en intégralité ;

* Monsieur [D] n'a jamais précisé, ni justifié de l'étendue de son patrimoine financier ; s'il a été en mesure de se voir octroyer des prêts, il détenait nécessairement une épargne ; aucune sûreté n'a été inscrite sur son bien immobilier ;

* Madame [X], qui affirme avoir contracté des prêts, des contrats de location et un cautionnement, a certainement été tenue de justifier disposer d'une épargne suffisante pour y faire face, les établissements financiers n'ayant inscrit aucune sûreté sur le bien immobilier dont elle est copropriétaire ;

* elle n'a versé aucune pièce probante pour justifier de la réalité de son patrimoine financier ;

* lors de son divorce, Monsieur [D] s'est vu attribuer un actif net de 91.826,38 euros qu'il a nécessairement déposée sur un compte bancaire ;

* il ressort des documents sociaux de la société LA & LA, que, le 24 février 2020, Monsieur [D] a versé sur le compte de la société 12.500 euros et a souscrit 25.000 euros de parts sociales dans son capital, soit un investissement total de 37.500 euros ;

* si l'intimé affirme que certains prêts pourraient bénéficier de la garantie d'une société de cautionnement mutuel, il ne prouve pas que cela aurait été son cas.

Madame [X] et Monsieur [D] répliquent que :

* la société BPCE Lease est hors débats quand elle invoque le caractère averti des cautions pour en déduire qu'elles connaissaient nécessairement les capacités financières de la société cautionnée ; elles n'ont pas argué d'un défaut de mise en garde ;

* la société BPCE Lease ne justifie pas avoir sollicité auprès des cautions la remise de fiches de renseignements sur leurs situations patrimoniales ;

* l'appelante ne saurait se retrancher derrière une mention pré-imprimé de l'acte de cautionnement pour échapper aux dispositions protectrices du code de la consommation qui reviendrait à créer au profit du créancier professionnel une présomption irréfragable de proportionnalité des engagements de caution ;

* la perspective de revenus futurs, impossibles à déterminer, ne sauraient être pris en compte pour augmenter artificiellement le patrimoine de la caution ;

* la part de Madame [X] dans le bien immobilier en indivision avec son frère et sa mère est de 55.539,00 euros ; elle a souscrit des crédits et locations à une époque où ses revenus étaient plus élevés ;

* la valeur nette du bien immobilier de Monsieur [D] était au jour de l'engagement de caution d'environ 90.000 euros ; la souscription de parts sociales à concurrence de 25.000 euros a fait l'objet d'un versement à hauteur de 12.500 euros financée par l'indemnité de licenciement perçue de la société SPIE ; les revenus de capitaux mobiliers s'élèvent à la somme de 5 euros ;

* à la suite de son divorce, son acquisition d'un terrain à bâtir a été financée à l'aide d'un prêt de 34.940,24 euros et la construction du bien immobilier a été financée par le biais d'un montant de 90.981,17 euros.

Réponse de la cour

Il résulte de l'article L 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 applicable en la cause, ''Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.''

Ces dispositions s'appliquent à toute caution personne physique qui s'est engagée au profit d'un créancier professionnel. Il importe peu qu'elle soit caution profane ou avertie ni qu'elle ait la qualité de dirigeant social.

Il appartient à la caution de rapporter la preuve du caractère manifestement disproportionné de son engagement au jour de la signature par rapport à ses biens et revenus. Lorsque le créancier professionnel fait établir par celui qui entend s'engager en qualité de caution une fiche de renseignements sur son patrimoine, il appartient à ce dernier de déclarer loyalement ses biens, ses revenus, ses charges et ses dettes. En signant la fiche de renseignements, la caution en approuve le contenu, peu important que la fiche n'ait pas été remplie par la caution. Elle ne pourra pas se prévaloir de l'inexactitude de ses propres déclarations ou de ses omissions. Le créancier professionnel n'a pas à vérifier l'exhaustivité et l'exactitude des informations fournies par la caution dans la fiche de renseignements en l'absence d'anomalies apparentes sauf s'il avait connaissance ou ne pouvait pas ignorer l'existence d'autres charges pesant sur la caution, non déclarées sur la fiche de renseignements.

La proportionnalité de l'engagement de la caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l'opération garantie de sorte que l'appelante ne peut utilement soutenir que doivent être prises en considération dans l'appréciation des biens et revenus des cautions les perspectives de développement de l'entreprise cautionnée.

Les actes de caution solidaire signés par Madame [X] et Monsieur [D] le 25 mars 2020 comportent la mention '' Je déclare sur l'honneur que le présent engagement est proportionné à mes revenus et à mon patrimoine.''

Mais une telle déclaration pré-imprimée qui ne comporte la fourniture d'aucun renseignement détaillant la consistance des revenus et du patrimoine de la caution et de son passif, susceptible de lui être opposé, ne la prive pas du droit d'établir la disproportion manifeste de son engagement au moment où il a été consenti de sorte que Madame [X] et Monsieur [D] peuvent se prévaloir des dettes et engagements antérieurs, bien que non portés à la connaissance du créancier en l'absence de renseignements recueillis par ce dernier à la date de souscription du cautionnement litigieux.

Sur la situation de Madame [X] :

Le 25 mars 2020, elle s'est engagée comme caution de la société LA & LA à hauteur de 160.544,72 euros.

Il ressort de l'avis d'impôt 2021 sur le revenu 2020, que Madame [X] a perçu des revenus de18 867 euros.

Elle produit des offres de location longue durée (LLD) acceptées et des tableaux d'amortissement des crédits Sofinco, Crédit du Nord et la Banque postale qui font ressortir un montant de 1.268,22 euros de loyers mensuels au titre des deux LLD (soit 898,22 euros et 370 euros) et le remboursement des trois crédits pour un montant global mensuel de 1.013,09 euros (soit respectivement de 97,56 euros, 329,17 euros et 586,36 euros).

Madame [X] s'est engagée en mars 2017 auprès du CIC Nord-Ouest en qualité de caution solidaire pour un montant de 24.000 euros ce dont elle justifie par la lettre d'information de la caution du 18 mars 2022.

Il ressort du relevé des formalités publiées du 1er janvier 1971 au 6 octobre 2020 produit par la société BPCE Lease que depuis le 15 mai 2014, Madame [X] est co-propriétaire en indivision avec son frère [Y] [X] d'un bien immobilier situé [Adresse 7] à concurrence de 210/610 èmes en nue-propriété et propriétaire en pleine propriété de 95/610èmes, leur mère étant usufruitière.

Madame [X] produit une estimation de ce bien sur la période de mars /avril 2020 d'un montant de 145 000 euros qui émane de l'agence immobilière Val de Seine.

Elle produit une simulation de la valeur fiscale de la nue-propriété à partir de la valeur du bien de 140 000 qui donne une valeur fiscale de la nue-propriété de 98.000 euros et celle de l'usufruit de 42.000 euros.

Ainsi, au regard de ses parts dans l'indivision, Madame [X] en estime la valeur à 55 539 euros en procédant au calcul suivant :

La valeur en pleine-propriété :

140.000 euros / 610 = 229,50

229,50 x 95 = 21 .802,50 euros

La valeur en nue-propriété :

98.000 euros (valeur en nue-propriété) / 610 = 160,65

160,65 x 210 = 33.736,50 euros.

En procédant à ce même calcul sur la base de 145 000 euros, la part de Madame [X] dans le bien immobilier en indivision s'élève à la somme arrondie de 57 553 euros.

Il est constant entre les parties que le patrimoine immobilier de Madame [X] est constitué de sa part détenue pour partie en nue-propriété et pour partie en pleine-propriété. A défaut pour la société BPCE Lease de contredire utilement l'évaluation des droits de l'intimée issue du calcul ci-dessus, le montant de 57 553 euros sera retenu.

La société BPCE Lease soutient sans plus de précision que Madame [X] ne justifie pas de son patrimoine financier alors qu'elle a fait diligenter une enquête de solvabilité sur la situation de l'intimée confiée à la société ATER qui mentionne pour seul patrimoine de Madame [X] celui qu'elle détient en indivision.

Madame [X] verse aux débats, d'une part, l'acte notarié aux termes duquel, la SCI Blad dont elle est la gérante et porteuse de 25 parts, a cédé le 5 août 2004 le bien immobilier détenu par cette société et, d'autre part, un procès-verbal de carence dressé par l'huissier des Finances Publiques le 28 avril 2021 mentionnant que la SCI Blad a vendu son immeuble le 5 août 2004, qu'elle n'a pas d'autres biens ni de ressources, que la SCI est sans fonction actuellement.

Madame [X] a souscrit 600 actions d'un montant de 100 euros chacune lors de la création de la société LA & LA soit 6000 euros, somme qui a été libérée par l'intimée par un versement de 3 000 euros le 24 février 2020 ainsi que mentionné dans l'acte déposé au greffe du tribunal de commerce de Rouen le 26 février 2020.

Et il résulte de l'avis d'imposition précédemment cité, que Madame [X] n'a perçu aucun revenu de capital mobilier ou de revenu foncier.

Ainsi le 25 mars 2020, Madame [X] disposait d'un revenu mensuel de 1 572 euros, d'un patrimoine immobilier de 57 553 euros, de la somme de 3 000 euros investie dans la société cautionnée sous la forme d'actions. Elle exposait le remboursement de loyers et de crédits soit la somme de 2 299,31 euros par mois et était engagée comme caution à hauteur de 24 000 euros au bénéfice de la banque le CIC de sorte que son engagement de caution d'un montant de 160.544,72 euros au bénéfice de la société BPCE Lease était manifestement disproportionné à ses biens et revenus lors de sa souscription.

Sur la situation de Monsieur [D] :

Le 25 mars 2020, Monsieur [D] s'est engagé comme caution de la société LA & LA à hauteur de 160.544,72 euros.

Il ressort de l'avis d'impôt 2021 sur le revenu 2020, qu'il a perçu un revenu de 15 851 euros, déduction faite de la pension alimentaire versée.

Lors de son divorce le 21 juin 2013, il a perçu une soulte de 91 826,37 euros et il a acquis un terrain à [Localité 6] où il a fait construire une maison d'habitation.

Il ressort des tableaux d'amortissement produits que la charge de remboursement des deux prêts souscrits auprès de la Caisse d'Epargne représente 650,99 euros par mois (344,96 euros + 306,03 euros), le capital restant dû le 25 mars 2020 s'élevant à

103 491,75 euros (86 007,67 euros + 17 484,08 euros).

L'agence immobilière Val de Seine a évalué le bien immobilier entre 190 000 et

195 000 euros sur la période de mars/avril 2020 (estimation faite le 17 août 2022).

Ainsi la valeur nette du patrimoine immobilier de l'intimé lors de son engagement de caution s'élevait à la somme arrondie de 91 508 euros (195 000 - 103 491,75)

Monsieur [D] a souscrit 2 500 actions d'un montant de 100 euros chacune lors de la création de la société LA&LA soit 25 000 euros, somme qui a été libérée par l'intimée par un versement de 12 500 euros le 24 février 2020 ainsi que mentionné dans l'acte déposé au greffe du tribunal de commerce de Rouen le 26 février 2020. Monsieur [D] explique avoir financé ce versement par l'indemnité de licenciement perçue par son employeur, la société Spie et il produit en ce sens le bulletin de salaire du mois de février 2020 mentionnant un montant à ce titre de

19 408,69 euros.

Si la société BPCE Lease fait état d'un patrimoine financier non justifié en ce qu'aucune sûreté n'est inscrite par la caisse d'Epargne sur le bien immobilier pour garantir les prêts consentis, il ressort de l'avis d'imposition 2021 sur le revenu 2020 que Monsieur [D] a perçu des capitaux mobiliers de 5 euros.

Il s'ensuit que lors de son engagement de caution le 25 mars 2020 à hauteur de 160.544,72 euros, Monsieur [D] disposait d'un patrimoine immobilier de

91 508 euros, de capitaux mobiliers de 5 euros, de l'indemnité de licenciement de

19 408,69 euros investie en partie dans la société créée, d'aucun revenu professionnel ayant été licencié le 10 février 2020 alors qu'il devait assumer le remboursement de mensualités de prêts d'un montant de 650,99 euros par mois et le paiement d'une pension alimentaire de 609 euros par mois (montant de 7308 euros indiqué dans l'avis d'imposition précité).

En considération d'un patrimoine de 110 921 euros (91 508 euros + 5 euros +19 408,69 euros) et en l'absence de revenus professionnels, l'engagement de caution souscrit par Monsieur [D] d'un montant de 160.544,72 euros était manifestement disproportionné à ses biens et revenus lors de sa souscription le 25 mars 2020..

Sur la disproportion des engagements lorsque Madame [X] et Monsieur [D] sont appelés le 18 février 2022

Moyens des parties

La société BPCE Lease soutient que :

* appelés dans la limite de 94.500,17 euros, les intimés sont en capacité d'y faire face ; les condamnations sollicitées sont dirigées solidairement à leur encontre de sorte que la charge réelle qui en résulte à l'égard de chaque caution se limite à 47.250,09 euros ;

* la valeur nette du patrimoine immobilier de Monsieur [D] s'établit à 192.660,57 euros, laquelle s'ajoute aux revenus perçus et au patrimoine financier ;

* l'avis de valeur sur lequel Monsieur [D] se fonde de 200.000 et 210.000 euros net vendeur n'est pas contemporain de l'assignation délivrée le 18 février 2022 ; en prenant même l'estimation la plus basse, le patrimoine net s'élèverait à 112.666,57 euros ;

* la surface habitable de sa maison est de 130 m² et en 2022, la vente d'un bien immobilier dans le secteur portant sur une surface habitable de 128 m² et un terrain plus petit a été conclue au prix de 282.000 euros ;

* la valeur vénale du bien immobilier dont Madame [X] est copropriétaire est actuellement évaluée entre 122.000 et 131.000 euros et elle dispose de revenus mensuels de 2.900 euros ;

* les prêts sont arrivés à terme ; Madame [X] ne règle aucune charge locative ;

* en tenant compte du cautionnement de 24.000 euros souscrit en 2017, si tant est qu'il soit toujours en vigueur et mobilisable à hauteur de ce montant, Madame [X] dispose de capacités suffisantes pour face à son cautionnement du 25 mars 2020 litigieux.

Madame [X] et Monsieur [D] répliquent que :

* il résulte de l'évaluation versée aux débats par la société BPCE Lease que la valeur vénale du bien immobilier de l'intimée serait en réalité de 122.000 euros ; son passif est de 62.092,87 euros au total ;

* ses revenus annuels représentent un peu moins d'un tiers de la somme réclamée ;

* le 18 février 2022, le patrimoine net de Monsieur [D] était de 88.870,94 euros et donc insuffisant pour faire face au paiement de 94.500,17 euros ;

* sa condamnation aurait pour effet de le dépouiller de l'intégralité de son patrimoine alors que les dispositions du code de la consommation ont pour but d'éviter que les personnes physiques ne prennent des garanties démesurées ;

* un bien d'une surface habitable comparable à son bien a été vendu le 7 janvier 2022 pour un prix de 209.000 euros sur un terrain d'une surface de 200 m2 supérieure à celle de son terrain ;

* la charge réelle de leurs cautionnements n'est pas de 47.250,09 euros dès lors que chacune des cautions est tenue solidairement pour le montant total réclamé.

Réponse de la cour

Il incombe au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, d'établir qu'au moment où il l'appelle, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation.

Madame [X] et Monsieur [D] s'étant chacun porté caution solidaire de la société LA & LA à concurrence de la somme de 160.544,72 euros, chacune des cautions est tenue pour le montant total réclamé de 94.500,17 euros.

Sur la situation de Madame [X]

Le bien immobilier dont Madame [X] est propriétaire en indivision a été estimé par l'agence immobilière Val de Seine à 140 000 euros sur la période du mois de septembre 2021. La société BPCE Lease produit une estimation de 122 000 euros effectuée par la société Ofaris le 8 décembre 2022.

La valeur de 140 000 euros la plus proche de la date de l'assignation en paiement sera retenue de sorte que le montant de 55 539 euros procédant du calcul effectué par Madame [X], exposé plus haut, sur la base de l'évaluation de 140 000 euros représente la valeur de ses droits dans l'indivision.

Il ressort du rapport d'enquête civile du 5 août 2021 effectuée par la société ATER que Madame [X] perçoit un revenu mensuel de 2 900 euros. Elle restait redevable le 18 février 2022 des mêmes charges que celles exposées lors de la souscription de l'engagement de caution soit 1.268,22 euros de loyers mensuels au titre des deux LLD et le remboursement des trois crédits pour un montant global mensuel de 1.013,09 euros, les tableaux d'amortissement et les contrats de location produits faisant ressortir que lesdits prêts et locations étaient toujours en cours lors de l'assignation en paiement. Elle était engagée à hauteur de 24 000 euros au titre du cautionnement donné en mars 2017 au bénéficie du CIC Nord-Ouest, la lettre d'information de la caution datant du 18 mars 2022.

Ainsi le 18 février 2022 si Madame [X] n'exposait pas de charges de logement, ses revenus couvraient les remboursements lui laissant un disponible de l'ordre de 600 euros par mois. Outre le cautionnement litigieux, elle était endettée à hauteur de 24 000 euros de sorte que son patrimoine immobilier de 55 539 euros ne lui permettait manifestement pas de faire face à la demande en paiement de la société BPCE Lease à hauteur de 94 500,17 euros.

La sanction de la disproportion manifeste d'un engagement de caution a ses biens et revenus n'est pas la déchéance du cautionnement mais son inopposabilité à la caution.

Il s'ensuit que le jugement sera infirmé en ce qu'il a prononcé la déchéance de l'engagement de caution donné par Madame [X] au profit de la société BPCE Lease et ce cautionnement sera déclaré inopposable à Madame [X].

Sur la situation de Monsieur [D] :

Monsieur [D] est propriétaire du bien immobilier situé [Adresse 2]. Il produit la demande de permis de construire et un plan qui mentionnent une surface de 87,66 m2 habitable de sorte que l'estimation effectuée par la société Ofaris le 8 décembre 2022 sur la base d'une surface de 130 m2 habitable non vérifiée en l'absence de plans et d'informations relatives aux surfaces ne peut pas être retenue.

Il ressort de la copie d'écran de la consultation du service public de demande de valeur foncière qu'un bien d'une surface habitable de 86 m2 situé sur un terrain de 913 m2 a été vendue 209 000 euros le 7 janvier 2022 soit à une date proche de la délivrance de l'assignation de sorte que cette valeur de 209 000 euros sera retenue.

Le capital restant dû au titre des deux prêts souscrits s'élevait à la date de délivrance de l'assignation 92 374,71 euros.

Ainsi la valeur nette du patrimoine immobilier de l'intimé lorsqu'il a été appelé s'élevait à la somme arrondie de 116 625 euros.

Quand bien même Monsieur [D] s'est engagé au titre d'un nouveau prêt en octobre 2021 et que le capital restant dû au titre de son prêt était de 8 333,42 euros le 18 février 2022, il disposait encore d'un patrimoine net de 108 292 euros qui lui permettait de faire face à la demande en paiement d'un montant de 94.500,17 euros.

Par conséquent le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a prononcé la déchéance de l'engagement de caution donné par Monsieur [F] [D] au profit de la société BPCE Lease et l'engagement du 25 mars 2020 lui sera déclaré opposable.

Sur la créance de la société BPCE Lease

Sur l'information annuelle de la caution :

Moyens des parties

Monsieur [D] soutient que :

* la société BPCE Lease ne verse aux débats aucune des lettres d'information annuelles qui auraient dû être adressées au plus tard le 31 mars 2021, le 31 mars 2022 et le 31 mars 2023 ; les courriers de mise en demeure de payer ne sont pas conformes aux dispositions du code monétaire et financier ;

* l'appelante doit être déchue de son droit à percevoir des intérêts sur le principal de la créance à compter du 31 mars 2021.

La société BPCE Lease réplique que :

* l'article L313-22 du code monétaire et financier dont les cautions se prévalent n'est pas applicable au cautionnement d'obligations résultant d'un crédit-bail ;

* les cautions ont été informées de la créance garantie par leurs cautionnements par courriers recommandés des 3 et 6 août 2021 et par l'assignation du 18 février 2022 ;

* la sanction de déchéance prévue par l'article L.313-22 du code monétaire et financier ne s'applique pas aux intérêts de retard au taux légal ;

* elle ne sollicite pas de condamnation aux intérêts de retard à un autre taux que le taux légal.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article L.313-22 du code monétaire et financier, ''Les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.

(') Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.''

Ces dispositions ne sont pas applicables à la caution du crédit-preneur qui s'acquitte de loyers puisque le crédit bailleur s'il est un créancier professionnel n'est pas un établissement de crédit ou une société de financement.

Les dispositions applicables à la caution du crédit-preneur qui s'acquitte de loyers sont celles issues de l'article L. 341-6 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 aux termes duquel, '' le créancier professionnel est tenu de faire connaître à la caution personne physique, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation garantie, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, il rappelle la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée. A défaut, la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information.''

La société BPCE Lease ne justifie nullement de l'envoi de lettres d'information à Monsieur [D] dans les conditions prévues par le texte ci-dessus cité. Les mises en demeure de payer la somme de 94 500,17 euros qui lui ont été adressées les 3 et 6 août 2021 puis l'assignation en paiement délivrée le 18 février 2022 ne répondent pas aux exigences de ce texte.

La société BPCE Lease a donc été défaillante dans l'exécution de cette obligation d'information annuelle de la caution.

Monsieur [D] sollicite la déchéance du droit aux intérêts à compter du 31 mars 2021.

La déchéance du droit aux intérêts ne vaut que pour les intérêts au taux conventionnel mais ne prive pas le créancier professionnel des intérêts au taux légal.

La société BPCE Lease expose qu'elle ne réclame que les intérêts au taux légal.

Il résulte du rapprochement du contrat de bail conclu entre la société BPCE Lease et la société LA & LA et de la déclaration de créance d'un montant de 94.500,17 euros que les mensualités sont constituées d'un loyer majoré de la TVA de 20 % et qu'elles ne comprennent pas d'intérêts conventionnels. Il en résulte que la demande de déchéance de l'organisme financier du droit aux intérêts contractuels est sans objet. Monsieur [D] sera condamné au paiement de la somme de 94 500,17 euros outre intérêt au taux légal à compter du 3 août 2021, date de la mise en demeure.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société BPCE Lease à payer à Monsieur [D] la somme de 1500 euros pour ses frais irrépétibles exposés en première instance et mis les dépens à la charge de la société.

Il convient de débouter Monsieur [D] de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de partager les dépens entre la société BPCE Lease et Monsieur [D].

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

- jugé que l'engagement de caution souscrit le 25 mars 2020 par Madame [M] [X] était manifestement disproportionné à ses biens et revenus,

- condamné la société BPCE Lease à payer à Madame [M] [X] la somme de

1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

L'infirme en ses autres dispositions,

Statuant à nouveau,

Déclare inopposable à Mme [X] son engagement de caution du 25 mars 2020,

Déclare opposable à M. [D] son engagement de caution du 25 mars 2020,

Condamne Monsieur [D] à payer à la société BPCE Lease la somme de

94 500,12 euros avec intérêts au taux légal à compter du 3 août 2021,

Condamne Monsieur [D] et la société BPCE Lease à payer par moitié les dépens de première instance dont les frais de greffe liquidés à la somme de 90,98 euros,

Y ajoutant

Condamne Monsieur [D] et la société BPCE Lease à partager par moitié chacun les dépens de l'appel,

Condamne Monsieur [D] à payer à la société BPCE Lease la somme de 2000 euros au titre de ses frais irrépétibles exposés en appel.

Condamne la société BPCE Lease à payer à Madame [X] la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles en cause d'appel.

La greffière, La présidente,