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Décisions

CA Nîmes, 1re ch., 13 juin 2024, n° 23/00022

NÎMES

Arrêt

Autre

CA Nîmes n° 23/00022

13 juin 2024

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 23/00022 -

N° Portalis DBVH-V-B7G-IVJW

AG

TJ D'AVIGNON

03 octobre 2022

[M]

[Y]

C/

[U]

[I]

Grosse délivrée

le 13/06/2024

à Me Michel Disdet

à Me Nadia El Bouroumi

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

1ère chambre

ARRÊT DU 13 JUIN 2024

Décision déférée à la cour : jugement du tribunal judiciaire d'Avignon en date du 03 octobre 2022,

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre,

Mme Delphine Duprat, conseillère,

Mme Audrey Gentilini, conseillère,

GREFFIER :

Mme Nadège Rodrigues, greffière, lors des débats, et Mme Audrey Bachimont, greffière, lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 07 mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 13 juin 2024.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTS :

Mme [V] [M]

née le 6 mai 1970 à [Localité 6] (84)

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Michel Disdet de la Scp Disdet et associés, avocat au barreau d'Avignon

M. [C] [Y]

né le 21 septembre 1952 à [Localité 7] (83)

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représenté par Me Michel Disdet de la Scp Disdet et associés, avocat au barreau d'Avignon

INTIMÉS :

Mme [Z] [U]

née le 5 juillet 1985

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Nadia El Bouroumi de la Selas Praeteom avocats, avocate au barreau d'Avignon

M. [K] [I]

né le 12 septembre 1987

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Nadia El Bouroumi de la Selas Praeteom avocats, avocate au barreau d'Avignon

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre, le 13 juin 2024, par mise à disposition au greffe de la cour

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Selon acte authentique du 11 avril 2019, M. [C] [Y] et Mme [V] [M] ont vendu à Mme [Z] [U] et M. [K] [I] un bien immobilier [Adresse 1] à [Localité 4], moyennant le prix de 180 000 euros.

Après de fortes pluies, les acquéreurs ont constaté la présence d'importantes infiltrations d'eau et ont assigné les vendeurs devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Avignon qui, par ordonnance du 15 février 2021, a ordonné une expertise et désigné Mme [D] pour y procéder.

L'experte a déposé son rapport le 14 septembre 2021, concluant notamment à une insuffisance de la pente de la toiture.

Par acte du 28 octobre 2021, les acquéreurs ont assigné les vendeurs aux fins de voir, sur le fondement des articles 1641 et suivants du code civil, condamner ceux-ci à payer notamment les travaux de remise en état de la toiture devant le tribunal judiciaire d'Avignon, qui par jugement contradictoire du 3 octobre 2022 a condamné Mme [M] et M. [Y] à leur payer les sommes de :

- 16 293,84 euros au titre de la réparation de la toiture,

- 1 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- 1 500 euros au titre des frais irrépétibles,

- 2 000 euros au titre des frais d'expertise,

et aux dépens.

Par déclaration du 28 décembre 2022, M.et Mme [Y] ont interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 16 janvier 2024, la procédure a été clôturée le 23 avril 2024 et l'affaire fixée à l'audience du 07 mai 2024.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS

Par conclusions notifiées le 28 février 2023, M. et Mme [Y] demandent à la cour

- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau

- de débouter Mme [U] et M. [I] de l'ensemble de leurs demandes,

- de les condamner au paiement d'une indemnité de 2 500 euros et aux entiers dépens.

Ils soutiennent que le défaut de pente n'est pas en lui-même un vice caché et que le lien de causalité entre ce défaut et les infiltrations n'est pas établi.

Par conclusions notifiées le 26 septembre 2023, Mme [U] et M. [I] demandent à la cour

- de confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et

- de condamner les appelants à leur payer les sommes de

- 16 297,84 euros en réparation des travaux de toiture

- 3 000 euros de dommages et intérêts

- 2 000 euros en remboursement des frais d'expertise

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils répliquent :

- que les comptes rendus réalisés par les entreprises intervenues suites aux infiltrations et le rapport d'expert démontrent que la pente inadaptée de la toiture est à l'origine de ses infiltrations,

- que ce défaut de pente, antérieur à la vente, constitue un vice caché au sens des article 1641 et suivants du code civil dont les vendeurs avaient connaissance.

Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la garantie des vices cachés

Aux termes de l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Il incombe à l'acquéreur de rapporter la preuve de l'existence d'un vice inhérent à la chose, non apparent au moment de la vente et antérieur à celle-ci, et suffisamment grave pour rendre la chose impropre à son usage.

Aux termes de l'article 1643 du même code le vendeur est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.

En l'espèce, bien que l'acte authentique de vente ne soit pas produit par les parties, il n'est pas contesté qu'il stipule que l'immeuble est vendu sans garantie des vices cachés, exception faite de ceux dont les vendeurs pouvaient avoir connaissance.

Ainsi, les acquéreurs doivent-ils ici prouver, outre que les quatre conditions nécessaires à cette garantie sont réunies, que les vendeurs avaient connaissance des vices invoqués.

Les appelants prétendent qu'il n'est pas démontré que seule la pente de la toiture provoque des infiltrations et que celles-ci ont pour origine l'intervention de l'entreprise Martinez lors de la réfection de la toiture de la maison mitoyenne.

Les intimés soutiennent que les infiltrations d'eau en provenance de la toiture, apparues après de fortes pluies le 31 août 2019, ont pour origine la faible pente de celle-ci, ce que les vendeurs savaient parfaitement ayant eux-mêmes constaté des infiltrations en 2015 et 2017.

En effet, en 2015, l'entreprise Martinez est intervenue sur la toiture de l'immeuble voisin du bien litigieux. A la suite de ces travaux, fin 2015, M. et Mme [Y] ont fait état d'entrées d'eau par le toit, au niveau de la jonction des deux maisons, dans la chambre, et la société Martinez a procédé « à la pose d'une étanchéité type mammouth en mitoyenneté sur les toitures ».

La fuite étant toujours présente au même endroit, M.et Mme [Y] ont fait intervenir la société [J] pour inspecter la toiture.

A la suite d'un visite d'inspection effectuée le 17 janvier 2017 M. [J] a relevé que l'étanchéité avait été réalisée sur un ensemble de tuiles sans aucune prise en compte des limites de chacune des toitures et « supposé » que cette étanchéité retenait l'eau par certains endroits.

Il considèrait qu'une réparation partielle n'était pas concevable, ajoutait que le toit présentait une faible pente de 17% seulement et qu'il était nécessaire de réaliser une étanchéité sur mesure entre les deux toitures.

Il concluait que « la combinaison de la faible pente et la possibilité de poche d'eau sont deux facteurs qui (pouvaient) expliquer » les entrées d'eau.

La société Martinez est intervenue à nouveau sur la couverture en jonction des toitures mitoyennes.

M. et Mme [Y] ont déclaré le 4 mars 2017 un dégât des eaux à leur assureur qui a pris en charge les dommages consécutifs.

Aucun autre dégât des eaux n'a été signalé par la suite jusqu'à la vente du bien et M. [A], ami des appelants, indique dans un courrier en date du 12 décembre 2019 que suite à la deuxième intervention de la société Martinez, M. [Y] ne lui a plus jamais parlé de fuites.

En août 2019, quelques mois après la vente, les acquéreurs ont constaté des infiltrations dans la salle de bains du 2ème étage, puis en octobre 2019, de nouvelles infiltrations au même endroit ainsi que dans les deux chambres du 2ème étage.

En novembre 2019, ils ont fait appel à l'entreprise Anton pour remplacer des tuiles abîmées.

Lors des opérations d'expertise, les vendeurs ont précisé la localisation des infiltrations survenues en 2017, à savoir le placard de la chambre 2 à l'aplomb de la jonction de la toiture.

L'expert a constaté :

- dans le couloir et la chambre 2, « de légères traces de coulures sur les murs côté façade Est »,

- dans la salle de bains, l'apparition d'une fissure dans l'angle du mur sud-ouest,

- que les traces sont sèches au niveau de ces trois espaces,

- dans la chambre 1, « un cloquage de la peinture au niveau de la cueillie mur/plafond angle sud-est et une humidité active » après un épisode pluvieux.

Vendeurs et acquéreurs se sont accordés sur le fait que les coulures et cloquages constatés n'existaient pas au moment de la vente.

En toiture, l'expert a constaté :

- les réparations réalisées par l'entreprise Martinez à la jonction des deux toitures,

- la présence de tuiles neuves à plusieurs endroits, notamment à l'aplomb de la salle de bains,

- la présence de tuiles cassées réparées une première fois à l'aplomb de la chambre 1 et la réapparition d'une fissure à l'emplacement de la réparation,

- la pente de la toiture mesurée à 17%, « bien inférieure aux règles normatives actuelles pour une couverture de ce type ».

Il en a conclu

- que les infiltrations constatées par les acquéreurs dans la chambre 2, le couloir et la salle de bains avaient pour cause « des tuiles cassées aujourd'hui remplacées », que ce défaut n'était pas apparent au jour de la vente et n'était pas connu des vendeurs, la localisation des infiltrations de 2017 n'étant pas la même que celle de 2019.

Il a précisé qu'en l'absence d'humidité constatée dans ces pièces, les travaux réparatoires réalisés après la vente par la société Anton étaient efficaces.

- que les infiltrations constatées dans la chambre 1 ainsi que l'humidité active avaient pour causes la réapparition de fissures sur tuiles déjà réparées ainsi qu'un léger défaut d'emboîtement de tuiles, non apparent au jour de la vente et non connu des vendeurs

L'expert a préconisé le remplacement des tuiles fissurées, la reprise de l'emboitement avec complément d'étanchéité si nécessaire et la surveillance régulière de l'état de la couverture en raison de sa faible pente.

Il résulte de ces éléments que la toiture était affectée, antérieurement à la vente, de vices cachés constitués par le remplacement des tuiles cassées sur lesquelles des fissures sont réapparues, à l'origine des infiltrations et de l'humidité constatées dans le couloir, les deux chambres et la salle de bain du 2ème étage.

Ces vices rendent le bien impropre à sa destination, dès lors que le couvert n'est plus assuré.

Toutefois, il n'est pas démontré que ces vices, qui ne sont d'ailleurs pas invoqués par les acquéreurs au soutien de leur action étaient connus des vendeurs, qui sont donc exonérés de toute garantie à ce titre, conformément aux stipulations contractuelles.

Concernant la pente de la toiture, l'expert a relevé sa non-conformité aux normes actuelles, connue des vendeurs puisque déjà signalée dans le rapport de visite de la société [J] en 2017, non décelable pour un non-professionnel.

Il précise que «ce défaut de pente d'origine peut favoriser des infiltrations aléatoires par effet de succion lors de forts évènements pluvieux», que la toiture nécessite, du fait de ce défaut de pente, une surveillance régulière et que « sans qu'il y ait urgence, il conviendra de programmer la réfection de la couverture déjà ancienne pour éviter tout phénomène d'infiltrations par forts épisodes pluvieux », réfection qui « devra être accompagnée d'une mise en conformité de l'isolation en toiture dans le respect de la réglementation thermique élément par élément ».

Il convient de rappeler que la maison, dont la construction remonte au moins à 1945, n'était pas soumise au DTU 40.21 visé par l'expert.

C'est ainsi à juste titre que les vendeurs soutiennent qu'une pente de toiture non conforme aux normes actuelles ne peut constituer à elle seule un vice caché, et qu'encore faut-il que cette non-conformité rende impropre le bien à l'usage auquel on le destine ou diminue fortement son usage.

En l'occurrence, il ressort de ce qui précède que des infiltrations, apparues après la vente, ont bien été constatées par l'expert, que ce dernier n'a pas imputées au défaut de pente mais à des tuiles cassées réparées et à la réapparition de fissures sur ces tuiles.

Quant aux infiltrations survenues en 2015 et 2017, avant la vente, elles n'ont affecté que le placard de la chambre 2, et sont précisément situées à la jonction des toitures des maisons mitoyennes, soit à l'endroit où est intervenue l'entreprise Martinez.

L'expert a d'ailleurs relevé que cette infiltration était cohérente avec la reprise d'étanchéité effectuée par cette entreprise sur cette jonction, ces infiltrations ayant cessé après la seconde intervention de cette entreprise.

Ainsi, la faiblesse de la pente de la toiture rend certes possible la survenance d'infiltrations aléatoires mais la preuve n'est pas rapportée qu'elle est la cause de celles qui sont d'ores et déjà survenues, que ce soit avant ou après la vente.

Si la preuve d'un vice connu des vendeurs est rapportée, il n'est pas démontré que ce vice rend le bien impropre à son usage et en diminue l'usage, en l'absence de preuve de la survenance d'un quelconque dommage en lien avec lui.

Par conséquent, le jugement sera infirmé et M. [I] et Mme [U] déboutés de l'ensemble de leurs demandes indemnitaires.

Sur les autres demandes

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné M.et Mme [Y] aux dépens et au paiement de la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles et de 2000 euros au titre des frais d'expertise.

M. [I] et Mme [U], qui succombent, devront supporter les dépens de l'entière instance, en ce compris les frais d'expertise.

Ils seront également condamnés à payer aux appelants la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement du 3 octobre 2022 du tribunal judiciaire d'Avignon en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déboute M. [K] [I] et Mme [Z] [U] de l'ensemble de leurs demandes,

Condamne M. [K] [I] et Mme [Z] [U] aux dépens de la procédure, en ce compris les frais d'expertise,

Condamne M. [K] [I] et Mme [Z] [U] à payer à M. [C] [Y] et Mme [V] [M] épouse [Y] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par le présidente et par la greffiere.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,