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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 13 juin 2024, n° 22/05012

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fehr Technologies Ile de France (SAS)

Défendeur :

Engie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Meurant

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, Mme Muller

Avocats :

Me Dupuis, Me Boeuf, Me Dontot, Me Carbonnier

T. com. Nanterre, 6e ch., du 15 juin 202…

15 juin 2022

Exposé du litige

EXPOSÉ DES FAITS

La SAS Fehr Technologies Ile-de-France, ci-après dénommée la société Fehr, est un fabricant d'éléments en béton préfabriqués assurant notamment la fourniture de prémurs et prédalles.

Le 23 mars 2015, la société Fehr a conclu avec la société de droit espagnol Construcciones Vincente Perez, ci-après dénommée la société Copersa, un contrat intitulé 'contrat de sous-traitance' portant sur la fourniture d'éléments en béton préfabriqués dans le cadre de la réalisation d'un chantier pour le compte de la société GDF Suez, aux droits de laquelle vient la société Engie.

En l'absence de règlement de ses factures, la société Fehr a fait assigner la société Copersa devant le tribunal de commerce de Paris statuant en référé afin d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 193.258,01 € au titre des factures impayées.

Par ordonnance de référé du 18 décembre 2015, le tribunal de commerce de Paris a fait droit à la demande.

Parallèlement, la société Fehr a fait procéder à une saisie-conservatoire convertie en saisie-attribution à l'encontre de la société Engie.

La société Copersa a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire. La société Fehr a déclaré, à titre chirographaire, sa créance d'un montant de 192.258,01 €, qui demeure impayée.

Par lettre recommandée avec accusé réception du 4 septembre 2015, la société Fehr a mis en demeure la société Engie de lui régler la somme de 193.258,01 € en vain.

Par acte d'huissier du 11 août 2016, la société Fehr a fait assigner la société Engie devant le tribunal de commerce de Nanterre.

Par jugement du 15 juin 2022, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- Débouté la SAS Fehr Technologies Ile-de-France de toutes ses demandes formées à l'encontre de la SA Engie ;

- Débouté la SA Engie de toutes ses demandes reconventionnelles ;

- Condamné la SAS Fehr Technologies Ile-de-France à payer à la SA Engie la somme de 8.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du jugement ;

- Condamné la SAS Fehr Technolgies Ile-de-France aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 27 juillet 2022, la société Fehr a interjeté appel de ce jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 13 avril 2023, la société Fehr demande à la cour de :

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre le 15 juin 2022 en ce qu'il a :

- Débouté la SAS Fehr Technologies Ile-de-France de toutes ses demandes formées à l'encontre de la SA Engie ;

- Condamné la SAS Fehr Technologies Ile-de-France à payer à la SA Engie la somme de 8.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance ;

Et statuant à nouveau,

- Condamner la SA Engie, à payer à la société Fehr Technologies Ile-de-France la somme de 193.258,01 € augmentée à titre de dommages-intérêts complémentaires des intérêts de retard calculés au taux Refi de la Banque Centrale Européenne majoré de 10 points à compter de l'échéance de chaque facture impayée ;

- Condamner la SA Engie, à payer à la société Fehr Technologies Ile-de-France la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice de gestion et du trouble de trésorerie subi du fait de l'impayé, augmentée des intérêts aux taux légaux successifs à compter de la décision à intervenir ;

- Condamner la SA Engie aux entiers frais et dépens de la procédure, ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 8.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant sur appel incident,

- Déclarer la société Engie mal fondée en son appel incident ;

- L'en débouter, ainsi que de l'intégralité de ses fins, moyens et conclusions ;

- La condamner en tous les frais et dépens de son appel incident.

Par dernières conclusions notifiées le 19 janvier 2023, la société Engie demande à la cour de:

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a rejeté les prétentions et réclamations de la société Fehr Technologies Ile-de-France ;

- Infirmer ledit jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Engie ;

Ce faisant,

- Prononcer que la société Fehr Technologies Ile-de-France est un fournisseur et n'est aucunement un sous-traitant, qu'elle a d'ailleurs été refusée comme sous-traitant et qu'elle n'a pas contesté ce refus sachant que son activité est en l'espèce celle d'un fournisseur et se considérant comme tel ;

- Prononcer que, outre qu'il n'y a eu aucun agrément des conditions de paiement, les factures présentées par la société Fehr Technologies Ile-de-France pour un montant total de 193.258,01€ TTC sont sans rapport avec le 'contrat de sous-traitance' du 23 mars 2015 ;

- Rejeter l'ensemble des prétentions et réclamations de la société Fehr Technologies Ile-de-France et l'en débouter ;

- Prononcer que la société Fehr Technologies Ile-de-France est responsable notamment de retards dans la livraison de ses fournitures ;

- Prononcer que la société Fehr Technologies Ile-de-France a obtenu par des manoeuvres dolosives le règlement par Engie de fournitures pour un montant indu ;

- Condamner en conséquence la société Fehr Technologies Ile-de-France à verser à la société Engie, avec exécution provisoire, la somme de 13.248,52 € en réparation du préjudice subi du fait de ces manoeuvres dolosives ;

- Condamner la société Fehr Technologies Ile-de-France au paiement à la société Engie de la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Oriane Dontot, JRF & Associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 décembre 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.

Motivation

MOTIFS

La société Fehr soutient être sous-traitant de la société Engie, dès lors que le contrat qu'elle a conclu avec la société Copersa est intitulé " contrat de sous-traitance " et qu'elle y est désignée en qualité de sous-traitant. Elle ajoute que les murs précoffrés et les prédalles sont fabriqués sur mesure pour les besoins du chantier et qu'il s'agit donc d'un travail spécifiquement conçu et réalisé pour l'opération de construction.

La société Fehr fonde son action en paiement sur la loi du 31 décembre 1975, faisant grief à la société Engie de ne pas avoir mis la société Copersa en demeure de respecter les obligations en matière de sous-traitance et d'agrément du sous-traitant, alors qu'elle avait connaissance de son intervention.

Subsidiairement, la société Fehr fonde son action sur la responsabilité délictuelle de la société Engie.

L'appelante reproche à l'intimée :

- d'avoir payé la société Copersa alors qu'elle avait connaissance à la fois de son existence en qualité de sous-traitante et du fait que ses factures étaient impayées et cela depuis le 4 septembre 2015, date d'une mise en demeure par lettre recommandée AR qu'elle lui avait adressée ;

- de lui avoir fait croire dans un courrier du 28 septembre 2015, puis dans un courriel du 7 octobre 2015, qu'elle pourrait être payée, dans la mesure où elle indiquait avoir mis en demeure la société Copersa de lui régler l'intégralité de ses factures impayées et qu'elle ferait tout ce qu'il faudrait pour améliorer la situation, alors qu'elle a ensuite réglé de manière inconsidérée la société Copersa, en sachant que les factures de la société Fehr n'étaient pas payées et qu'elle revendiquait la qualité de sous-traitant et non de simple fournisseur.

A titre subsidiaire, la société Fehr réclame la réparation de son préjudice sur le fondement de la théorie de l'enrichissement sans cause.

Sur l'appel incident, la société Fehr s'oppose à la demande, soutenant que la société Engie ne justifie ni du principe de sa prétention, ni du montant dont elle entend obtenir restitution, dès lors qu'elle ne produit pas le marché passé avec la société Copersa et qu'elle a accepté de commander les prédalles en cause moyennant le prix forfaitaire de 20.000 € HT.

La société Engie répond que la société Fehr n'est pas un sous-traitant mais un fournisseur de la société Copersa. L'intimée expose avoir refusé à la société Fehr la qualité de sous-traitant par courrier du 28 septembre 2015 et souligne que la société Fehr l'a reconnu dans des courriels des 1er et 8 octobre 2015. La société Engie indique que les factures démontrent que les éléments en béton préfabriqués vendus sont des éléments standard, n'ayant nécessité aucune technique de fabrication spécifique ou travail de conception particulier, ce que confirment l'offre de prix et les conditions générales de vente. Elle relève que les factures présentées par la société Fehr pour un montant total de 193.258,01 € sont sans rapport avec le contrat de sous-traitance allégué du 23 mars 2015, d'un montant de 90.000 €, alors que l'avenant n°1, d'un montant de de 237.000 €, n'est pas signé par la société Copersa et est daté du 17 juillet 2015, soit postérieurement aux factures présentées par la société Fehr. La société Engie considère que la société Fehr est responsable du retard de livraison, que son comportement fautif, à l'origine du retard d'exécution du chantier, lui a été préjudiciable.

La société Engie explique qu'en raison du retard, elle a été contrainte, afin d'obtenir la livraison des prédalles que la société Fehr refusait de livrer, de procéder directement à l'achat desdites prédalles auprès d'elle pour un montant fixé forfaitairement à la somme de 20.000 € HT, alors que le prix de ces mêmes fournitures avait été fixé avec la société Copersa à la somme de 6.751,48 € HT. La société Engie considère que c'est par des manoeuvres dolosives que la société Fehr a obtenu un règlement de ces fournitures pour un montant injustifié. Elle demande donc à être indemnisée à hauteur, a minima, de la différence de prix, soit un montant de 13.248,52 € HT.

Sur les demandes en paiement de la société Fehr

L'article 1er de la loi du 31 décembre 1975 définit la sous-traitance comme : " L'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant tout ou partie de l'exécution du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage ".

Le contrat de sous-traitance est un contrat de louage d'ouvrage, tandis que le contrat de fourniture de matériaux est un contrat de vente.

Il résulte du contrat conclu entre la société Copersa et la société Fehr le 23 mars 2015 que cette dernière a été chargée des " études " et de la " fabrication et livraison d'éléments en béton préfabriqués " et qu'elle est désignée dans la convention en qualité de sous-traitante. L'appelante communique également un formulaire de délégation de paiement du sous-traitant établi par la société GDF Suez, aux droits de laquelle vient la société Engie, la qualifiant de sous-traitante. Néanmoins, il appartient au juge, en application de l'article 12 du code de procédure civile, sans s'arrêter à sa lettre, de restituer au contrat son exacte qualification en considération des prestations effectivement réalisées par le cocontractant. Par ailleurs, la cour constate que le formulaire de délégation de paiement n'a été signé ni par la société GDF Suez, ni par la société Fehr.

La qualité de sous-traitant n'est pas subordonnée à l'intervention de l'entreprise sur le chantier, ni à sa participation au montage des éléments qu'elle a fabriqués, mais à la spécificité du travail confié.

Il n'y a pas vente mais contrat d'entreprise et donc sous-traitance dès lors que le professionnel est chargé de réaliser un travail spécifique en vertu d'indications particulières, ce qui exclut toute possibilité de production en série.

Revêt ainsi la qualité de vendeur celui qui fournit des produits qui ont nécessité pour leur fabrication la prise en charge de critères particuliers, mais dont l'adaptation réalisée pour chaque commande en fonction de mesures précises n'implique pas pour autant une technique de fabrication spécifique à cette commande, rendant impossible la substitution d'un produit équivalent et n'étant pas incompatible avec une production en série normalisée.

En l'espèce, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a écarté la qualité de sous-traitant. En effet, il ressort des différents plans communiqués par la société Fehr que les éléments de béton précoffrés, murs et dalles, destinés au chantier de la société GDF Suez ont effectivement été fabriqués sur mesure et qu'ils devaient être assemblés selon un calepinage précis. Cependant, la simple adaptation à la mesure n'est pas considérée comme une individualisation suffisante. L'adaptation réalisée en fonction de mesures précises n'implique pas une commande spéciale, celle-ci n'existant qu'à partir du moment où une technique de fabrication spécifique doit être mise en oeuvre. Or, la société Fehr, malgré le volume important de pièces produites, que les premiers juges ont manifestement analysées au regard de la motivation développée aux termes du jugement déféré, ne justifie pas en quoi les murs et dalles en béton précoffrés requéraient une fabrication spécifique, un travail particulier, hors des standards communs des produits ordinairement proposés par l'entreprise, ne permettant pas la substitution d'un produit équivalent. L'offre de prix établie par la société Fehr le 8 octobre 2015 et le contrat qu'elle a conclu avec la société Copersa ne mentionnent aucune prescription particulière puisque ces document n'évoquent que des " prédalles standard ", ainsi que les " Etudes ", la " fabrication et livraison d'éléments en béton préfabriqués ". Au regard des plans communiqués, les études portent uniquement sur l'adaptation des éléments en béton à assembler à l'ouvrage entrepris et la société Fehr précise aux termes de ses écritures avoir travaillé à partir de plans fournis par la société Copersa, ce que conforte le courriel du 18 mars 2015 qu'elle communique en pièce n°128 et par lequel l'assistante du bureau d'études de la société Fehr réclame à la société Copersa les plans de coffrage, de ferraillage et les plans électriques, en précisant : " nous attirons votre attention sur le fait que les plans BPE doivent être complets et définitifs ". Comme l'a relevé le tribunal, les courriels versés aux débats établissent que ce sont la société Copersa, son représentant en France, la société Atout Pic, et le bureau d'études OCD qui ont fourni à la société Fehr toutes les informations techniques nécessaires à la fabrication des prémurs et prédalles, s'agissant notamment des dimensions ou encore de l'emplacement des réservations à réaliser (cf notamment les emails des 25, 31 mars et 1er juin 2015 en pièces n°104, 111, 112 et 130 de l'appelante). Si les multiples courriels produits par la société Fehr démontrent l'existence de nombreux échanges techniques entre elle, la société Copersa et la société Atout Pic, leur lecture permet de constater qu'ils s'inscrivent dans le cadre de l'adaptation des éléments en béton préfabriqués aux contraintes du chantier, qui a lui-même manifestement connu des évolutions, et de la pose des éléments, de nombreux points discutés étant évoqués dans le catalogue de présentation du " précoffré " proposé par la société Fehr. Il doit être souligné que le courriel du 15 mars 2015 établit que la société Copersa n'avait jamais eu recours à la technique de construction par des éléments en béton préfabriqués et qu'elle comptait sur l'assistance de la société Fehr, expliquant ainsi la densité des échanges. Il n'est pas établi que les discussions techniques ressortant des courriels versés aux débats excèdent ceux induits par l'adaptation des éléments préfabriqués et leur pose dans le cadre d'un chantier manifestement important et aucun élément probant ne permet de démontrer que les éléments en béton précoffrés figurant sur les plans communiqués ne correspondent pas, par leur spécificité, aux produits et options habituellement proposés par l'entreprise à ses clients, nonobstant l'adaptation nécessaire et inhérente à la commande en cause, ni qu'il aurait été impossible de les utiliser dans le cadre d'un autre chantier.

Il doit être rappelé qu'il y a contrat d'entreprise lorsque l'objet est réalisé pour les besoins spécifiques du donneur d'ordre et contrat de vente lorsque les caractéristiques sont déterminées à l'avance par le fabricant. Or, il ressort du catalogue de présentation du " précoffré " proposé par la société Fehr que les caractéristiques du produit sont précisément définies par cette dernière: il est constitué de deux parois minces en béton armé reliées et maintenues espacées par des raidisseurs métalliques et remplies de béton coulé. Le catalogue détaille les dimensions minimales et maximales des plaques en longueur et épaisseur. Il ressort de la pièce n°10 communiquée par l'intimée que les caractéristiques de fabrication des prédalles intègrent déjà le risque sismique invoqué par l'appelante. La société Engie produit également en pièce n°11 un document intitulé " Prémur précoffré intégral ", qui détaille également la composition ainsi que le poids et les dimensions minimales et maximales du mur préfabriqué. La société Fehr n'établit pas avoir réalisé, ni facturé, un travail de conception particulier résultant de la prise en considération de données incompatibles avec la production habituelle automatisée qu'elle met en oeuvre. D'ailleurs, dans un courriel du 1er juin 2015 (pièce n°112 de l'appelante), la société Fehr signale à la société Atout Pic être dans l'impossibilité d'adapter le projet conçu par la société OCD à son produit standard : " Votre bureau d'études prévoit un enrobage de 5 cm sur les voiles (') impossible à réaliser sur des murs de 20 cm car nous n'aurons plus assez d'épaisseur pour la partie coulée en place" et propose de recourir à un mur plus épais c'est-à-dire à un autre produit. Si l'appelante se prévaut de photographies montrant des ouvriers en action de travail, visiblement affairés à fixer des armatures métalliques sur des plaques, la cour relève que ces clichés sont les mêmes que ceux figurant dans le document de présentation de " La fabrication des précoffrés chez Fehr Technologies " produit en pièce n°100 par l'appelante. Il s'agit donc de la technique de fabrication habituelle des murs et dalles précoffrés au sein de l'entreprise et la société Fehr n'établit pas avoir dû adapter son outil de production. Sur ce point, l'appelante ne peut sérieusement soutenir que ses produits sont fabriqués manuellement, alors qu'il ressort d'un article de la revue " travail & sécurité " du mois d'octobre 2017, que " les lignes de son usine de [Localité 4] (') ont connu diverses modifications ces dernières années ' ", lui permettant de produire 1.100 m² de murs précoffrés par jour, ce qui est considérable. Au surplus, le représentant de la société Fehr interviewé revendique dans cet article " une manière industrielle de travailler ", précisant " les produits que nous développons vont donc dans ce sens ". La société Engie souligne à juste titre que l'offre de prix établie par la société Fehr le 8 octobre 2015 stipule que : " Notre fabrication industrielle ne permet pas de garantir l'uniformité de teinte des panneaux " (souligné par la cour). La pose manuelle de certains éléments des murs procède uniquement de l'adaptation du produit aux mesures de l'ouvrage.

La société Fehr affirme sans en justifier que les murs et dalles précoffrés fournis dans le cadre de l'opération de travaux de la société GDF Suez ne pouvaient être détenus en stock. S'il est indéniable que les éléments en béton préfabriqués peuvent être de dimensions et de poids très variables, puisque proposés sur mesure, cette circonstance ne fait néanmoins pas obstacle à ce qu'ils puissent être produits en série puis stockés, étant rappelé que l'entreprise a défini des dimensions minimales et maximales des produits proposés.

La cour souligne que l'arrêt rendu par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation le 28 février 2018 ne s'est nullement prononcé sur la qualité de sous-traitant du fabricant de prédalles et n'a donc opéré aucun revirement de jurisprudence comme prétendu par l'appelante, dès lors que cette qualité n'était pas contestée dans le cadre du pourvoi, dont les moyens se rapportaient tous à la seule question de savoir si la présence du sous-traitant sur le chantier est une condition de la mise en jeu de la responsabilité du maître de l'ouvrage qui n'a pas satisfait à l'obligation de mettre en demeure l'entrepreneur principal prescrite par l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.

Le fait que la société Fehr soit assurée, au titre de sa responsabilité civile décennale, pour une activité de sous-traitant est sans effet sur le litige, dont la solution dépend exclusivement des prestations effectivement exécutées par l'appelante dans le cadre du chantier en cause.

En outre, il ressort de l'attestation d'assurance de responsabilité civile produite par l'appelante en pièce n°101 que cette dernière est assurée pour les " travaux de bâtiment que vous exécutez ou donnez en sous-traitance ". La société Fehr n'est donc pas assurée en tant que sous-traitante. La société Engie souligne à raison qu'en tant que fabricant d'une partie d'ouvrage, la société Fehr est tenue de souscrire à une assurance de responsabilité décennale au regard des dispositions de l'article 1792-4 du code civil. La certification CE dont se prévaut la société Fehr ne permet pas davantage d'établir l'existence d'un contrat d'entreprise, puisqu'elle ne révèle pas une conception ou une technique de fabrication spécifique dans le cadre du contrat litigieux rendant impossible toute substitution de produit et ne permettant pas de l'utiliser sur un autre chantier. De même, si la société Engie a contracté directement avec la société Fehr pour commander les 191 m² de prédalles qui n'avaient pas été livrées du fait du défaut de paiement des factures de cette dernière par la société Copersa, cet élément est insuffisant à caractériser l'impossibilité de substitution du produit commandé. En effet, dès lors que la société Fehr avait fabriqué les prédalles sur mesure pour le chantier et que seule la livraison était bloquée, il était d'évidence plus rationnel et plus rapide pour la société Engie, dans l'intérêt d'une bonne gestion du chantier et notamment des délais, de passer directement commande auprès de la société Fehr.

Les parties communiquent des rapports d'expertise établis dans un cadre non judiciaire et dont les conclusions sont contradictoires. La cour ne peut en conséquence en tirer le moindre élément probant.

La société Engie relève pertinemment que les factures émises par la société Fehr dans le cadre de l'exécution du contrat mentionnent des " précoffrés standard ", facturés uniquement au m², conformément à l'offre de prix établie par la société Fehr le 8 octobre 2015, qui stipulait que : " la surface prise en compte pour la facturation correspond à celle du plus grand rectangle enveloppant pour chaque mur Précoffré ou prédalle sans décompte des ouvertures ", comme le prévoient les stipulations de l'article 7 des conditions générales de vente annexées aux factures. Aucune conception ou technique particulière de fabrication n'est chiffrée. Les " conditions générales de vente des produits préfabriqués en béton armé " annexées aux factures énoncent que : " Les produits objets de la vente sont plus amplement décrits dans les Avis Techniques en vigueur à la date de signature du présent document " et " sont téléchargeables sur notre site internet (www.fehr-groupe.com). Nous ne faisons en aucun cas oeuvre de conception de l'ouvrage ou d'éléments constituant l'ouvrage que le client entend réaliser. Nous réalisons uniquement une adaptation des plans et calculs de votre bureau d'étude en conformité avec les avis techniques " (souligné par la cour).

Enfin, l'appelante produit en outre en pièces n°36 et 38 un échange intervenu entre elle et la société Engie les 28 septembre et 1er octobre 2015, dont il ressort que le maître de l'ouvrage a attribué à la société Fehr la qualité de fournisseur, ce à quoi cette dernière a répondu qu'elle comprenait le refus de la société Engie de l'agréer en tant que sous-traitant, lui proposant alors de régulariser une délégation de paiement.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Fehr échoue à rapporter la preuve, dans le cadre du chantier entrepris par la société GDF Suez, d'un travail de conception particulier ou d'une technique de fabrication spécifique, excédant la simple adaptation de son produit standardisé à la commande, rendant impossible la substitution d'un produit équivalent et incompatible avec une production en série normalisée. Il s'en déduit que la société Fehr est un vendeur d'éléments sur mesure et n'est pas fondée à revendiquer la qualité de sous-traitant. En conséquence, c'est à bon droit que les premiers juges ont débouté la société Fehr de ses demandes indemnitaires, tant sur le fondement de la loi du 31 décembre 1975, que sur le fondement quasi-délictuel, contre la société Engie.

S'agissant de la théorie de l'enrichissement sans cause, dernier fondement invoqué par la société Fehr, la cour constate qu'il n'est pas démontré que la société Engie n'a pas réglé l'intégralité du marché conclu avec la société Copersa. D'ailleurs, l'appelante reproche au maître de l'ouvrage d'avoir réglé intégralement les factures de la société Copersa alors qu'elle n'ignorait pas que ses propres factures demeuraient impayées. En l'absence de preuve d'un enrichissement de la société Engie au sens de l'article 1303 du code civil, l'action en responsabilité dirigée à son encontre ne peut prospérer. Le jugement est également confirmé sur ce point.

Sur la demande reconventionnelle de la société Engie

C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont débouté la société Engie de sa demande. En effet, les manoeuvres imputables à la société Fehr, dont les factures demeuraient impayées, ne sont pas démontrées. La société Engie qui avait passé commande auprès de la société Copersa ne démontre pas qu'elle ignorait le prix des prédalles litigieuses et qu'elle n'a donc pas pu se rendre compte du triplement de leur prix de vente. En tout état de cause, dans le cadre d'une bonne gestion du chantier, il lui appartenait de vérifier ce point. Le jugement déféré doit donc être confirmé.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Au regard de la solution du litige, le jugement est confirmé des chefs des dépens et des frais irrépétibles.

La société Fehr qui succombe, supportera les dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Oriane Dontot, et sera condamnée à payer à la société Engie la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Condamne la société Fehr Technologies Ile-de-France aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Oriane Dontot ;

Condamne la société Fehr Technologie Ile-de-France à payer à la société Engie la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.