Cass. crim., 19 juin 2024, n° 23-81.965
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
Mme Piazza
Avocat général :
M. Crocq
Avocats :
SCP Sevaux et Mathonnet, SCP Lyon-Caen et Thiriez
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Une information a été ouverte à la suite de la plainte du groupe [3] concernant des détournements commis par Mme [Z] [Y], comptable de plusieurs sociétés du groupe et trésorière du comité d'entreprise de l'une d'elles, dont M. [B] [E] est le compagnon.
3. La société [2], dans laquelle Mme [Y] a travaillé à partir de mai 2011, a également dénoncé des détournements.
4. L'information a établi que le couple avait un train de vie ne correspondant pas à ses revenus, et qu'outre la rénovation complète de leur maison, ils avaient notamment acheté des véhicules haut de gamme et fait de nombreux voyages.
5. Par ordonnance du juge d'instruction du 15 mars 2017, M. [E] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs susvisés et Mme [Y] des chefs de faux et usage, escroquerie et tentative, abus de confiance.
6. Par jugement du 15 février 2018, le tribunal correctionnel a déclaré les prévenus coupables des délits reprochés, condamné M. [E] à dix-huit mois d'emprisonnement dont un an avec sursis et mise à l'épreuve, 5 000 euros d'amende, des confiscations et a prononcé sur les intérêts civils.
7. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel du jugement.
8. Par arrêt du 26 mars 2019, la cour d'appel de Paris a relaxé Mme [Y] du délit de tentative d'escroquerie, confirmé le jugement sur le surplus de la prévention et condamné M. [E] à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, 4 000 euros d'amende, des confiscations et a prononcé sur les intérêts civils.
9. Par arrêt en date du 9 décembre 2020, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par Mme [Y], mais, sur le pourvoi formé par M. [E], a cassé l'arrêt et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et sur les deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens
10. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [E] coupable de recel de bien obtenu à l'aide d'une escroquerie, de recel de bien obtenu à l'aide d'un abus de confiance et de non justification de ressources, alors :
« 1°/ que les infractions de non justification de ressources et de recel sont exclusives l'une de l'autre ; qu'en condamnant, pour les mêmes faits, monsieur [E] à la fois pour non justification de ressources et recel, la cour d'appel a violé les articles 321-1 et 321-6 du code pénal ;
2°/ subsidiairement, que l'interdiction de cumuler les qualifications lors de la déclaration de culpabilité doit être réservée, outre à la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l'une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l'autre, aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et où l'on se trouve dans l'une des trois hypothèses suivantes, dans la première, l'une des qualifications, telles qu'elles résultent des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre, qui seule doit alors être retenue, dans la deuxième, l'une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction, dite générale et, dans la troisième, l'une des qualifications incrimine, par le biais d'une présomption, l'action répréhensible de l'autre ; qu'en condamnant monsieur [E] à la fois pour non justification de ressources et recel lorsque la première infraction incrimine, par le biais d'une présomption, l'action répréhensible de l'autre et que des faits identiques étaient en cause, la cour d'appel a violé le principe ne bis in idem, les articles 4 du septième protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 321-1 et 321-6 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 132-2, 321-1 et 321-6 du code pénal :
12. Selon le deuxième de ces textes, le recel est le fait de dissimuler, détenir, transmettre une chose, sachant qu'elle provient d'un crime ou d'un délit ou d'en bénéficier par tout moyen, en connaissance de cause.
13. Selon le troisième, le délit de non-justification de ressources, créé par la loi 2006-64 du 23 janvier 2006 pour instaurer une présomption de recel lorsque ne peut être établie l'origine frauduleuse de la chose, est le fait de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie ou de ne pas pouvoir justifier de l'origine d'un bien détenu, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes qui, soit se livrent à la commission de crimes ou de délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect, soit sont les victimes de l'une de ces infractions.
14. Faisant application du premier, la Cour de cassation, infléchissant son interprétation antérieure, a jugé qu'un ou des faits identiques ne peuvent donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité concomitantes contre une même personne, outre le cas où la caractérisation des éléments constitutifs d'une infraction exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs d'une autre, lorsque l'on se trouve dans l'une des deux hypothèses suivantes : dans la première, l'une des qualifications, telle qu'elle résulte des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre, qui seule doit alors être retenue ; dans la seconde, l'une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction, dite générale (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n° 21-81.864, publié au Bulletin).
15. Ainsi, se pose la question de savoir si cet infléchissement de jurisprudence autorise la poursuite concomitante des délits de recel et de non-justification de ressources, lorsque les deux délits portent sur les mêmes biens d'origine frauduleuse.
16. La connaissance établie de l'origine frauduleuse des biens excluant l'examen des conditions de la présomption de l'article 321-6 susvisé, conditions nécessaires en l'absence de caractérisation de cette connaissance, ces deux infractions sont exclusives l'une de l'autre lorsqu'elles portent sur les mêmes faits.
17. Cette exclusion étant étrangère au principe ne bis in idem, l'infléchissement de la jurisprudence relative à ce principe est sans incidence sur elle.
18. Il en résulte que les délits de recel et de non-justification de ressources ne peuvent être retenus à l'encontre de la même personne relativement aux mêmes faits.
19. Pour déclarer M. [E] coupable du délit de recel, l'arrêt attaqué énonce que le couple a fait l'acquisition de plusieurs véhicules haut de gamme, d'une maison d'habitation dans laquelle ont été entrepris des travaux de réfection importants, que M. [E] a également profité de spectacles et de voyages dont il ne pouvait ignorer l'impossible financement par les salaires du couple.
20. Ils en déduisent que M. [E] a bénéficié, en parfaite connaissance de cause, du produit des infractions commises par sa compagne.
21. Pour déclarer M. [E] coupable de non-justification de ressources pour avoir été en relations habituelles avec une personne se livrant à des escroqueries, l'arrêt attaqué énonce qu'il n'est pas en mesure de justifier le financement des véhicules, des voyages, des spectacles, de l'acquisition et de la rénovation de l'immeuble, qui n'étaient pas en adéquation avec les revenus du couple.
22. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a déclaré le prévenu coupable des délits de recel et de non-justification de ressources relativement aux mêmes faits, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
23. D'où il suit que la cassation est encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 30 novembre 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.