Cass. com., 19 juin 2024, n° 22-15.851
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Lefeuvre
Avocat général :
M. Lecaroz
Avocats :
SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, SARL Gury & Maitre
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 4 mars 2022), MM. [R] et [H] [Y] ont constitué le groupement agricole d'exploitation en commun [Y] père et fils (GAEC [Y] père et fils).
2. Aux termes de l'article 5 des statuts du groupement, Mme [V], épouse commune en biens de M. [R] [Y], « déclare avoir été avertie de l'intention de son époux de faire apport de biens de communauté ci-dessus désignés, consent à cet apport et reconnaît ne pas avoir la qualité d'associé du GAEC », l'article 33 stipulant qu'elle « ne requiert pas la qualité d'associé. »
3. Suivant procès-verbal de l'assemblée générale du 11 octobre 2012, Mme [V] a été agréée, à sa demande, en qualité d'associée à concurrence de la moitié des parts dépendant de la communauté de biens existant entre elle et son époux.
4. Lors d'une assemblée générale du 29 avril 2014, l'existence du GAEC [Y] père et fils a été prorogée.
5. Lors d'une assemblée générale du 4 mars 2016, les comptes du groupement pour l'exercice clos au 30 juin 2015 ont été approuvés.
6. M. [R] [Y] a assigné le GAEC [Y] père et fils en annulation de ces assemblées.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. Le GAEC [Y] père et fils fait grief à l'arrêt de dire que Mme [V] n'a pas valablement acquis la qualité d'associé du groupement et, en conséquence, de dire nulles et du nul effet les assemblées générales extraordinaires des 11 octobre 2012 et 29 avril 2014, de constater sa dissolution, d'ordonner sa liquidation conformément aux dispositions de l'article 24 des statuts, et de dire nulle et de nul effet l'assemblée générale ordinaire du 4 mars 2016, alors « que le conjoint de l'époux qui a apporté des biens communs à la société peut notifier son intention d'être personnellement associé postérieurement à l'apport ; que la renonciation à cette option ne se présume pas ; qu'en l'espèce, pour dire que Mme [V] n'a pas valablement acquis la qualité d'associé du GAEC [Y] père et fils, la cour d'appel a retenu qu'il résultait des articles 5 et 33 des statuts du GAEC, lesquels stipulent respectivement que Mme [V] "reconnaît ne pas avoir la qualité d'associé du GAEC" et qu'étant intervenue aux statuts, "elle précise qu'elle ne requiert pas la qualité d'associé", que Mme [V] aurait "renoncé, clairement et sans réserves, notamment à la faculté de devenir associé ultérieurement, à revendiquer la qualité d'associé du GAEC au titre de l'apport effectué audit GAEC par son époux […] sans pouvoir revenir ultérieurement sur cette décision" ; qu'en statuant ainsi, quand le fait de ne pas revendiquer la qualité d'associé n'implique nullement la renonciation à se prévaloir à l'avenir de l'option prévue par l'article 1832-2 du code civil, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
9. C'est à bon droit que l'arrêt retient que, bien qu'ils ne fassent pas mention de l'article 1832-2 du code civil, les articles 5 et 33 des statuts du GAEC [Y] père et fils établissent que Mme [V] a renoncé clairement et sans réserves, au moment de la constitution du groupement, à revendiquer, sur le fondement de ce texte, la qualité d'associé au titre des biens communs apportés par son époux et ce, sans pouvoir revenir ultérieurement sur cette décision.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
11. Le GAEC [Y] père et fils fait le même grief à l'arrêt alors « que la renonciation à une option ne fait pas obstacle à son rétablissement lorsque tous les intéressés y consentent ; qu'en l'espèce, à supposer que Mme [V] ait effectivement renoncé à la faculté de revendiquer la qualité d'associé du GAEC au titre de l'apport effectué par son époux, cette faculté a été rétablie avec l'accord de son conjoint, [R] [Y], et des autres associés du GAEC, manifesté par la décision de l'assemblée générale du 11 octobre 2012 ; qu'en jugeant néanmoins cette renonciation irrévocable, nonobstant l'accord contraire de tous les intéressés, la cour d'appel a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
12. Il résulte de ce texte que la renonciation par l'époux à sa qualité d'associé lors de l'apport fait à la société de biens communs par son conjoint ne fait pas obstacle à ce que l'unanimité des associés lui reconnaisse ultérieurement, à sa demande, cette même qualité.
13. Pour dire que Mme [V] n'a pas valablement acquis la qualité d'associé du GAEC [Y] père et fils et que l'assemblée générale du 11 octobre 2012 est nulle et de nul effet sans qu'il soit nécessaire d'examiner les moyens développés par les parties quant à régularité formelle de cette décision, l'arrêt retient qu'à la lecture des articles 5 et 33 des statuts, Mme [V] a renoncé clairement et sans réserves à revendiquer la qualité d'associé du groupement, sans pouvoir revenir ultérieurement sur cette décision.
14. En se déterminant ainsi, sans rechercher si les deux associés du GAEC [Y] père et fils n'avaient pas, postérieurement à cette renonciation, manifesté leur consentement unanime à l'entrée de Mme [V] dans le groupement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce que confirmant le jugement, il dit la demande de M. [R] [Y] recevable, l'arrêt rendu le 4 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai.