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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 10, 23 mai 2024, n° 23/05573

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/05573

23 mai 2024

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 10

ARRET DU 23 MAI 2024

(n°246, 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/05573 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHK7L

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Février 2023 -Juge de l'exécution d'Evry RG n° 22/02613

APPELANT

Monsieur [C] [R]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représenté par Me Violaine PAPI de la SEP DUPAIGNE-PAPI, avocat au barreau d'ESSONNE

INTIMEE

S.A.R.L. CABOT SECURITISATION (EUROPE) LIMITED

Elisant domicile au siège de son mandataire, la SAS CABOT FINANCIAL

[Adresse 2]

[Localité 3]-IRLANDE

Représentée par Me Olivier HASCOET de la SELARL HKH AVOCATS, avocat au barreau d'ESSONNE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 04 Avril 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Bénédicte PRUVOST, Présidente de chambre

Madame Catherine LEFORT, Conseillère

Madame Valérie DISTINGUIN, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Catherine Lefort, conseiller dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : M. Grégoire GROSPELLIER

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Bénédicte PRUVOST, Présidente de chambre et par Grégoire GROSPELLIER, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par jugement réputé contradictoire en date du 3 novembre 2011, le tribunal d'instance de Longjumeau a condamné M. [C] [R] à payer à la SA BNP Paribas Personal Finance (anciennement Cetelem) la somme de 11.790,39 euros, avec intérêts au taux contractuel de 6,60% l'an sur la somme de 9.341 euros à compter de la signification du jugement.

Cette décision a été signifiée le 12 janvier 2012 à M. [R] selon procès-verbal de recherches infructueuses en application de l'article 659 du code de procédure civile.

La BNP Paribas Personal Finance a cédé sa créance à la société Cabot Securitisation Europe Limited le 9 décembre 2019.

Suivant procès-verbal du 5 avril 2022, la société Cabot Securitisation Europe Limited a fait pratiquer une saisie-attribution entre les mains du Crédit Industriel et Commercial (CIC) sur les comptes de M. [R], pour avoir paiement de la somme totale de 16.684,68 euros, en exécution du jugement du 3 novembre 2011. La saisie, qui s'est avérée fructueuse à hauteur de 1.010,09 euros, a été dénoncée à M. [R] par acte d'huissier en date du 13 avril 2022 contenant également signification de la cession de créance.

Par acte d'huissier du 29 avril 2022, M. [C] [R] a fait assigner la société Cabot Securitisation Europe Limited devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Evry, aux fins notamment de voir déclarer caduc le jugement du 3 novembre 2011, annuler la saisie-attribution et constater la prescription du jugement du 3 novembre 2011.

Par jugement en date du 28 février 2023, le juge de l'exécution a :

- ordonné le cantonnement de la saisie-attribution du 5 avril 2022 à la somme de 11.790,39 euros en principal et en a ordonné la mainlevée pour le surplus,

- dit qu'il appartiendra à l'huissier instrumentaire de recalculer les intérêts échus dans la limite de deux ans, les frais de procédure, le coût de l'acte et le droit proportionnel compte tenu de ce cantonnement,

- condamné la société Cabot Securitisation Europe Limited au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

- débouté M. [R] su surplus de ses demandes.

Pour statuer ainsi, le juge a retenu que la cession de créance ayant valablement été signifiée à M. [R] avec la dénonciation de la saisie-attribution, elle lui était opposable ; que l'absence de diligences de recouvrement pendant près de dix ans, mais pendant une durée moindre que la prescription décennale du titre, ne pouvait être considérée comme abusive dès lors que M. [R] ne démontrait pas que ce recouvrement lui avait porté préjudice financièrement, puisqu'il ne justifiait pas de sa situation financière, de sorte qu'il ne pouvait être considéré que l'exécution du titre exécutoire avait altéré son comportement économique ; que le recouvrement des arriérés échus avant la date de la demande et encore exigible à celle arrêtée par jugement était soumis au délai de prescription applicable en raison de la nature de la créance, de sorte qu'en application de l'article L.218-2 du code de la consommation, les intérêts étaient soumis à la prescription biennale.

Par déclaration du 21 mars 2023, M. [R] a fait appel de ce jugement.

Par conclusions du 27 avril 2023, M. [C] [R] demande à la cour d'appel de :

- infirmer partiellement le jugement déféré en :

constatant l'absence de signification préalable de la cession de créances,

constatant les pratiques déloyales de l'intimée,

En conséquence,

- annuler la saisie-attribution du 5 avril 2022,

A titre subsidiaire, au cas où la saisie ne serait pas annulée,

- condamner la société Cabot Securitisation Europe Limited à lui payer la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts,

En tout état de cause,

- condamner la société Cabot Securitisation Europe Limited au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Il fait valoir que selon un arrêt du 9 décembre 2021, la cour de cassation a déduit des articles 1690 du code civil et L.211-2 du code des procédures civiles d'exécution que le cessionnaire de la créance, cause de la saisie, dont la cession n'est opposable au débiteur que par la signification qui lui en est faite, ne peut pratiquer une saisie-attribution qu'après avoir signifié cette cession de créance au débiteur saisi ; et qu'en l'espèce, la signification de la cession de créance a été faite le même jour que la dénonciation de la saisie-attribution du 13 avril 2022, de sorte qu'à la date de la saisie-attribution du 5 avril 2022, la cession de créance ne lui avait pas été signifiée. Il en conclut que la saisie-attribution est nulle.

Il ajoute qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et de celle de la cour d'appel que la relation juridique entre une société de recouvrement et le débiteur défaillant d'un crédit à la consommation dont la dette a été cédée relève du champ d'application de la directive européenne du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales ; qu'au vu de sa situation financière, il doit être considéré comme un consommateur moyen au sens de la directive, de sorte que l'exécution du titre exécutoire près de dix ans après la signification de celui-ci et une requête en saisie des rémunérations du 23 août 2012 non suivie d'effet a altéré ou peut altérer son comportement économique. Il en déduit que la saisie-attribution doit être annulée.

A titre subsidiaire, sur sa demande de dommages-intérêts, il soutient que le fait de lui faire croire que les intérêts se prescrivent sur cinq ans peut s'apparenter à une pratique commerciale déloyale en ce qu'elle dissimule une information substantielle sur l'état du droit positif sur la prescription des intérêts, et que cette demande n'est pas fondée sur l'irrégularité de la saisie mais sur l'usage de pratiques déloyales qui constitue une faute délictuelle.

Par conclusions en date du 24 mai 2023, la société Cabot Securitisation Europe Limited demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution et de sa demande de dommages-intérêts,

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur le cantonnement de la saisie-attribution du 5 avril 2022 à la somme de 11.790,39 euros en principal, avec recalcul par le commissaire de justice des intérêts échus dans la limite de deux ans,

- infirmer le jugement pour le surplus, notamment l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,

- débouter M. [R] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel,

- condamner M. [R] au paiement de la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle fait valoir que l'article 1690 du code civil n'impose aucun délai pour procéder à la signification de la cession de créance, laquelle peut résulter des conclusions du cessionnaire dès lors que l'acte de cession est versé au débat ; que l'arrêt de la Cour de cassation du 19 septembre 2021 n'est plus d'actualité puisqu'il est remis en cause par un arrêt du 1er juin 2022 ; que la cession a été notifiée à M. [R] en cours d'instance devant le juge de l'exécution d'Evry, par conclusions du 6 décembre 2022 ; que le fait que la saisie-attribution soit antérieure ne remet pas en cause sa validité dès lors que le créancier était titulaire effectif des droits ; qu'elle a donc bien qualité à agir en recouvrement de la créance à l'encontre de M. [R].

Elle s'oppose également aux demandes d'annulation de la saisie et de dommages-intérêts fondées sur les pratiques commerciales déloyales. Elle rappelle à cet égard que le recouvrement d'une créance impayée ne constitue pas en soi un abus, que les créances sont portables de sorte que le débiteur ne peut espérer un effacement de sa dette au motif qu'il n'a rien payé pendant des années, et qu'un acte d'exécution n'est pas nul au seul motif qu'il est erroné sur le calcul des intérêts. Elle fait valoir que M. [R] n'a strictement rien réglé pendant une dizaine d'années, de sorte que même si l'on substitue la prescription biennale à la prescription quinquennale des intérêts, il reste néanmoins débiteur et que le fait de réclamer le paiement de cette créance, non contestée et non prescrite, ne saurait constituer une pratique commerciale déloyale.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité de la saisie-attribution

Aux termes de l'article L.211-1 du code des procédures civiles d'exécution, tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent.

Il résulte de l'article L.211-2 du même code que la saisie-attribution a pour effet d'attribuer immédiatement la créance saisie au profit du créancier saisissant.

L'article 1324 alinéa 1er du code civil dispose que la cession [de créance] n'est opposable au débiteur, s'il n'y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s'il en a pris acte. Cette notification peut être faite par tous moyens.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que le cessionnaire de la créance, cause de la saisie, dont la cession n'est opposable au débiteur que par la signification qui lui en est faite, ne peut pratiquer une saisie-attribution, qu'après avoir signifié cette cession de créance au débiteur saisi (2e Civ., 9 septembre 2021, n°220-13.834). Ainsi, la notification de la cession de créance ne peut avoir lieu en même temps que la dénonciation de la saisie-attribution, qui est postérieure à l'acte de saisie.

Si la société Cabot Securitisation Europe Limited soutient à raison que l'article 1324 du code civil ne prescrit aucune condition de délai ni de forme pour la notification de la cession de créance, il n'en reste pas moins que pour répondre aux conditions des articles L.211-1 et L.211-2 du code des procédures civiles d'exécution, cette notification doit être préalable à l'acte de saisie afin que la cession de créance soit opposable au débiteur au moment de la saisie.

En outre, contrairement à ce qu'elle soutient, l'arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 2022 qu'elle invoque ne remet pas en cause la position de la Cour, exprimée dans son arrêt du 9 septembre 2021, dès lors qu'en admettant la possibilité de remettre, lors d'« une » audience devant le juge de l'exécution, des conclusions comprenant copie de l'acte de cession de créance, la Cour vise une audience antérieure à l'acte de saisie contesté et non l'audience de contestation de la mesure en cours. Ainsi, la portée de cet arrêt du 1er juin 2022 est limitée à la forme de la notification (qui peut être valablement faite par conclusions), mais ne remet pas en cause la règle selon laquelle la notification doit être préalable à l'acte de saisie.

En l'espèce, il est constant que la cession de créance au profit de la société Cabot Securitisation Europe Limited en date du 9 décembre 2019 a été signifiée à M. [R], débiteur cédé, par acte d'huissier du 13 avril 2022 portant également dénonciation de la saisie-attribution du 5 avril 2022, soit postérieurement à l'acte de saisie. Ainsi, au moment où la saisie-attribution a été pratiquée, la cession de créance n'était pas opposable au débiteur, de sorte que le créancier ne remplissait pas les conditions des articles L.211-1 et L.211-2 du code des procédures civiles d'exécution.

C'est donc à bon droit que M. [R] demande d'annulation de la saisie-attribution. Il convient donc d'annuler le jugement en toutes ses dispositions et d'annuler la saisie.

Sur les demandes accessoires

La société Cabot Securitisation Europe Limited, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement de la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [R].

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 28 février 2023 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Evry,

Statuant à nouveau,

ANNULE la saisie-attribution pratiquée le 5 avril 2022, entre les mains du CIC, par la société Cabot Securitisation Europe Limited au préjudice de M. [C] [R],

CONDAMNE la société Cabot Securitisation Europe Limited à payer à M. [C] [R] la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Cabot Securitisation Europe Limited aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le greffier, Le président,