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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 18 juin 2024, n° 21/02366

CHAMBÉRY

Autre

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Localité 4 Conseil (SAS)

Défendeur :

Gestion et Service en Immobilier (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pirat

Conseillers :

Mme Reaidy, M. Sauvage

Avocats :

Me Bollonjeon, Me Duclos Thorne Mollet-Vieville, Me Visier Philippe - Ollagnon Delroise & Associés

CA Chambéry n° 21/02366

17 juin 2024

La société Gestion et Service en Immobilier (GSI) a son siège social à [Localité 11] et exerce une activité d'administration de biens immobiliers et de syndic de copropriété, notamment dans les stations de sports d'hiver de Tarentaise. Elle emploie environ 69 salariés, dont huit gestionnaires de copropriété, sous la supervision de deux codirecteurs du service syndic.

Elle a successivement embauché :

- Mme [K] [F] à compter du 4 juillet 2005, exerçant les fonctions de gestionnaire de copropriétés à compter du 1er janvier 2016 ;

- M. [J] [R] à compter du 15 septembre 2005, devenu à compter du 1Er octobre 2016 codirecteur du département syndic de la société ;

- M. [T] [L] à compter du 22 mai 2017 en qualité de gestionnaire de copropriétés.

Le contrat de travail de M. [J] [R] contenait une clause de non-concurrence, lui interdisant d'exercer, soit directement soit indirectement, l'activité d'administration d'immeubles pendant une durée de 24 mois sur les communes de [Localité 11], [Localité 4], [Localité 9], [Localité 6], [Localité 10] et [Localité 7].

M. [J] [R] a quitté l'entreprise le 28 février 2019 dans le cadre d'une rupture conventionnelle, tandis que sa compagne, Mme [F], et M. [L] ont successivement démissionné de leurs fonctions les 1er octobre 2018 et 7 novembre 2018, démissions prenant effet le 31 décembre 2018 et le 7 février 2019.

Le 5 avril 2019, la société [Localité 4] Conseil, ayant une activité de syndic de copropriété, a été créée à [Localité 5] par M. [T] [L] et son épouse, Mme [G] [X], celle-ci étant nommée en qualité de gérante. Mme [F] a rejoint cette société en novembre 2019.

Dès le mois de mai 2019, plusieurs conseils syndicaux de copropriétés auparavant gérées par la société GSI ont annoncé leur volonté de mettre en concurrence leur syndic avec la société [Localité 4] Conseil, nouvellement créée, qui a ensuite obtenu la gérance de plusieurs immeubles au cours de l'été 2019.

Au cours de l'été 2019, un détective privé, mandaté par la société GSI, a constaté la fréquence des rencontres entre MM. [L] et [R], ainsi que la présence régulière de ce dernier dans les locaux de la société [Localité 4] Conseil.

Excipant d'actes de concurrence déloyale qui lui seraient causés par ce nouvel arrivant sur le marché, et qui seraient notamment orchestrés de manière occulte par M. [J] [R], pourtant lié par une clause de non concurrence, la société Gestion et Service en Immobilier a, par requête déposée le 1er octobre 2019, saisi le président du tribunal de commerce de Chambéry, afin d'obtenir la désignation d'un huissier ayant pour mission de recueillir les éléments de nature à établir la réalité et l'étendue des agissements de concurrence déloyale.

Par ordonnance du 3 octobre 2019, le président du tribunal de commerce de Chambéry a désigné la société ALP Juris, huissiers de justice, qui a notamment constaté le 31 octobre 2019 que :

- M. [J] [R], pourtant contraint par une clause de non-concurrence, se trouvait dans les locaux de la société [Localité 4] Conseil lors des opérations de saisie informatique ;

- la société [Localité 4] Conseil disposait parmi ses fichiers, de documents appartenant à la société Gestion et Service en Immobilier, dont le fichier dénommé « [Courriel 8], liste des copropriétés gérées par la société Gestion et Service en Immobilier.

Par acte d'huissier du 13 mars 2020, la société Gestion et Service en Immobilier a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Chambéry aux fins notamment d'obtenir la restitution des fichiers lui appartenant, et le versement d'une provision en indemnisation de son préjudice.

Par ordonnance du 31 juillet 2020, le président du tribunal de commerce de Chambéry a :

- déclaré recevables les demandes de la société Gestion et Service en Immobilierau titre du trouble manifestement illicite concernant l'ensemble des documents conservés par M. [T] [L] sur son cloud personnel relatifs à la société Gestion et Service en Immobilier ;

- condamné la société [Localité 4] Conseil à restituer à la société Gestion et Service en Immobilier lesdits documents sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification de la présente ordonnance ;

- ordonné à la société [Localité 4] Conseil de justifier de la destruction de ces documents dès leur transmission à la société Gestion et Service en Immobilier ;

- estimé qu'il existait des contestations sérieuses sur les autres demandes tant principales que reconventionnelles, formées par les sociétés demanderesse et défenderesse ;

- déclaré son incompétence pour statuer sur ces demandes et renvoyé l'examen de cette affaire au fond.

La société [Localité 4] Conseil a fait organiser la consultation et la restitution des documents le 28 avril 2021, sous le contrôle de la société ALP Juris.

Par jugement du 10 novembre 2021, le tribunal de commerce de Chambéry, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a :

- condamné la société [Localité 4] Conseil à payer à la société Gestion et Service en Immobilier une somme de 1 16 415 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de ses différents préjudices du fait des actes de concurrence déloyale retenus ci-dessus commis par la société [Localité 4] Conseil ;

- condamné la société [Localité 4] Conseil à payer une somme de 8 000 euros à la société Gestion et Service en Immobilier à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société [Localité 4] Conseil aux entiers dépens de l'instance et de celle de référé ;

- débouté la société [Localité 4] Conseil de toutes ses demandes ;

- liquidé les frais de greffe à la somme de 73,22 euros TTC avec TVA - 20% comprenant les frais de mise au rôle et de la présente décision.

Au visa principalement des motifs suivants :

' Mme [F] et M. [L] n'étaient pas liés à la société Gestion et Service en Immobilier par une obligation de non-concurrence, de sorte qu'ils étaient libres de quitter leur employeur pour se mettre au service d'un concurrent ;

' la société Gestion et Service en Immobilier ne verse aux débats aucune pièce accréditant un départ concerté et organisé entre Mme [F], M. [L] et M. [R] visant à lui nuire ;

' aucune volonté de nuire ou de désorganiser la société Gestion et Service en Immobilier ne peut se déduire des conditions de départ de M. [L] et de Mme [F] qui ont respecté leur préavis de sorte que la société Gestion et Service en Immobilier aurait, normalement, dû être en mesure d'assurer leur remplacement ;

' au vu des pièces produites et des témoignages recueillis, il existe un faisceau d'indices établissant que M. [R] a apporté, avant la fin de la période couverte par sa clause de non-concurrence et sur la zone géographique visée par celle-ci, une contribution réelle à l'implantation locale de la société [Localité 4] Conseil ;

' le stockage de ces fichiers de copropriétés appartenant à la société Gestion et Service en Immobilier sur l'ordinateur de M. [L] caractérise un acte de concurrence déloyale engageant la responsabilité délictuelle de la société [Localité 4] Conseil ;

' M. [R] a apporté une contribution au développement commercial rapide de la société [Localité 4] Conseil en permettant à cette dernière de remporter très rapidement des mises en concurrence au détriment de la société Gestion et Service en Immobilier ;

' le préjudice subi correspond à 1,5 fois le chiffre d'affaires perdu par GSI pondéré d'un coefficient de 0, 75, soit 116 415 euros.

Par déclaration au greffe du 8 décembre 2021, la société [Localité 4] Conseil a interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions.

Par ordonnance du 17 mai 2022, la première présidente de la cour d'appel de Chambéry a :

- rejeté la demande principale d'arrêt de l'exécution provisoire formée par la société [Localité 4] Conseil ;

- ordonné la consignation par la société [Localité 4] Conseil de la somme de 124 415 euros à la Caisse des dépôts et consignation dans l'attente de l'arrêt à intervenir ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Prétentions et moyens des parties

Dans ses dernières écritures du 15 février 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société [Localité 4] Conseil sollicite l'infirmation de la décision et demande à la cour de :

A titre liminaire, sur la fin de non-recevoir invoquée par la société Gestion et Service en Immobilier,

- Déclarer la société Gestion et Service en Immobilier mal fondée en sa fin de non-recevoir;

En conséquence,

- Débouter la société Gestion et Service en Immobilier de sa demande l'irrecevabilité de ses prétentions contenues dans ses conclusions d'appelant n°2 du 27 juin 2022 ;

- Déclarer recevable l'ensemble de ses prétentions contenues dans les conclusions d'appelant n°2 du 27 juin 2022, dans les conclusions d'appelant n°3 du 1er février 2024, ainsi que dans les présentes conclusions récapitulatives ;

A titre principal, sur la nullité du jugement de première instance,

Sur la nullité du jugement du tribunal de commerce du 10 novembre 2021,

- Prononcer la nullité du jugement du 10 novembre 2021 du fait de la partialité de la composition de la formation du bureau de jugement tribunal de commerce pour conflit d'intérêt ;

- Prononcer la nullité du jugement du 10 novembre 2021 pour insuffisance de motif équivalant à l'absence de motifs ;

Sur les conséquences de la nullité du jugement du tribunal de commerce du 10 novembre 2021,

Si la Cour de céans fait droit à sa demande et déclare le jugement nul et nul d'effets,

En vertu de l'effet dévolutif de l'appel, il est demandé à la Cour de statuer comme suit,

Sur les actes de concurrence déloyale,

Sur les prétendus débauchages fautifs de Mme [F] et M. [L]

- Dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute de débauchage des employés de la société Gestion et Service en Immobilier ;

Sur la prétendue violation d'une clause de non-concurrence de M. [R],

- Dire et juger que M. [R] et elle n'ont commis aucune violation de la clause de non-concurrence liant ce dernier à la société Gestion et Service en Immobilier ;

Sur le prétendu vol de données informatiques,

- Dire et juger qu'il n'est pas de son ressort de statuer sur la caractérisation d'un vol ;

En tout état de cause,

- Dire et juger qu'elle n'a commis aucun vol ou aucune appropriation frauduleuse de données de la société Gestion et Service en Immobilier ;

Sur la prétendue appropriation de données « stratégiques »,

- Dire et juger que les documents « CONTRAT SYNDIC », « PROCES VERBAL » et « POUVOIR » sont des documents types et usuels ;

- Dire et juger que le document « [Courriel 8] » est une simple liste de copropriétés, lesquelles sont accessibles sur un registre public et que M. [L] et Mme [F] les connaissaient en qualité d'anciens employés de la société Gestion et Service en Immobilier ;

- Dire et juger que ces documents n'ont aucun intérêt stratégique ni aucune valeur économique particulière ;

- Dire et juger qu'il n'est pas établi que ces documents aient été utilisés par la société [Localité 4] Conseil tandis qu'il est démontré que cette dernière n'a démarché aucun client de la société Gestion et Service en Immobilier ;

En conséquence,

- Dire et juger qu'elle n'a donc adopté aucun comportement déloyal ;

- Rejeter les demandes de la société Gestion et Service en Immobilier ;

Sur les mises en concurrence,

- Dire et juger que les mises en concurrence ont été effectuées dans le respect des règles applicables, ce qu'a reconnu la société Gestion et Service en Immobilier ;

- Dire et juger qu'elle n'a pas utilisé les fichiers de la société Gestion et Service en Immobilier pour obtenir la gestion de copropriétés ;

En conséquence,

- Dire et juger qu'elle n'a donc adopté aucun comportement déloyal ;

- Rejeter les demandes de la société Gestion et Service en Immobilier ;

Sur la prétendue appropriation de données « confidentielles »,

- Dire et juger que fichiers « BALANCE GSI.pdf » et « GRAND LIVRE GSI.pdf » ne sont pas des fichiers confidentiels de la société Gestion et Service en Immobilier ;

Sur les prétendus préjudices de la société Gestion et Service en Immobilier,

- Dire et juger que la société Gestion et Service en Immobilier n'a subi aucun préjudice en l'absence de faute de sa part ;

En tout état de cause,

- Dire et juger qu'il n'existe aucun lien entre les prétendues fautes et les préjudices invoqués, lesquels ne sont au surplus d'aucune manière démontrés ;

En conséquence,

- Rejeter la demande d'indemnisation du préjudice matériel, trouble commercial et préjudice moral invoqués par la société Gestion et Service en Immobilier ;

Sur les fautes commises par la société Gestion et Service en Immobilier,

Sur la mise en place de mesures disproportionnées par la société Gestion et Service en Immobilier,

- Dire et juger que l'enquête privée diligentée par la société GSI IMMOBILIER constitue une atteinte disproportionnée à la vie privée de Messieurs [R] et [L] au regard du but poursuivi et caractérise un comportement déloyal de GSI IMMOBILIER;

En conséquence,

- Dire et juger que la pièce n°31 « Rapport d'enquête du 24 septembre 2019 » produite par la société Gestion et Service en Immobilier est illicite et l'écarter des débats ;

- Condamner la société Gestion et Service en Immobilier à lui verser la somme de 8 000 euros au titre du préjudice moral qu'elle a subi du fait de cette enquête illicite et déloyale;

Sur les actes de dénigrements commis par la société Gestion et Service en Immobilier,

- Dire et juger que la société Gestion et Service en Immobilier a commis des actes de dénigrement ;

En conséquence,

- Condamner la société Gestion et Service en Immobilier à lui verser la somme de 15 000 euros,

Sur l'abus de procédure,

- Dire et juger que l'action intentée par la société Gestion et Service en Immobilier est dilatoire et abusive ;

En conséquence,

- Condamner la société Gestion et Service en Immobilier à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts,

Sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Gestion et Service en Immobilier à lui verser la somme de 35 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Gestion et Service en Immobilier aux entiers dépens de l'instance ;

- Rejeter la demande de la société Gestion et Service en Immobilier de sa condamnation à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

A titre subsidiaire, sur la reformation/ confirmation du jugement,

Sur les actes de concurrence déloyale,

Sur les prétendus débauchages fautifs de Mme [F] et M. [L],

- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Gestion et Service en Immobilier de sa demande tendant à faire caractériser une concurrence déloyale par débauchage du fait du départ de Mme [F] et M. [L] ;

Sur la prétendue violation d'une clause de non-concurrence,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a considéré que M. [R] a apporté avant la fin de la période couverte par sa clause de non- concurrence et sur la zone géographique visée par celle-ci une contribution à son implantation locale et retenu de ce fait sa responsabilité ;

Sur le prétendu vol de données informatiques,

- Juger que le tribunal de commerce a omis de statuer sur la question de sa compétence au titre du vol allégué ;

- Juger que la Cour d'appel est incompétente pour statuer sur la commission d'un vol ;

- Réformer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a considéré que le stockage de fichiers de copropriétés sur l'ordinateur de M. [L] caractérise un acte de concurrence déloyale engageant sa responsabilité délictuelle ;

Statuant de nouveau,

- Juger qu'elle n'a commis aucune appropriation frauduleuse de données de la société Gestion et Service en Immobilier ;

- Débouter la société Gestion et Service en Immobilier de ses demandes afférentes ;

Sur la prétendue appropriation de données « confidentielles et stratégiques »,

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a jugé que les données qualifiées par la société Gestion et Service en Immobilier comme étant confidentielles et stratégiques n'avait pas de nature ni confidentielle, ni stratégique et qu'elle ne s'était pas rendue responsable d'actes de concurrence déloyale en détenant des copies de ces fichiers ;

Sur les mises en concurrence,

- Déclarer que le tribunal de commerce n'a pas statué sur la question afférente à la légalité et régularité des mises en concurrences ;

- Juger que les mises en concurrence ont été effectuées dans le respect des règles applicables, sans un quelconque usage des fichiers litigieux ni aucun acte constitutif d'une faute ;

En conséquence,

- Juger qu'elle n'a donc adopté aucun comportement déloyal ;

Sur les actes de concurrence déloyale en général,

- Réformer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a jugé qu'elle a commis des actes de concurrence déloyale ;

Sur les prétendus préjudices de la société Gestion et Service en Immobilier,

- Réformer le jugement en ce que le tribunal de commerce a outrepassé les limites de sa saisine en se substituant à la société Gestion et Service en Immobilier dans la détermination des modalités de calcul de son préjudice ;

- Réformer le jugement en ce qu'il a jugé la société Gestion et Service en Immobilier bien fondée à solliciter la réparation d'un préjudice matériel, commercial, et moral et l'a condamné à lui payer la somme de 116 415 euros sur ces chefs de préjudices ;

Statuant de nouveau,

- Débouter la société Gestion et Service en Immobilier de toute demande d'indemnisation du préjudice matériel, trouble commercial et préjudice moral dont elle se prévaut ;

Sur les fautes commises par la société Gestion et Service en Immobilier,

Sur la mise en place de mesures disproportionnées par la société Gestion et Service en Immobilier,

- Réformer le jugement en ce qu'il a jugé recevable la pièce n° 31 « Rapport d'enquête du 24 septembre 2019 » produite par la société Gestion et Service en Immobilier alors que cette pièce constitue une atteinte disproportionnée à la vie privée de MM. [R] et [L] au regard du but poursuivi et caractérise un comportement déloyal de la société Gestion et Service en Immobilier ;

En conséquence,

- Réformer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 8 000 euros au titre du préjudice moral qu'elle a subi du fait de cette enquête illicite et déloyale ;

Statuant de nouveau,

- Condamner la société Gestion et Service en Immobilier à lui payer une indemnité de 8 000 euros pour préjudice moral ;

Sur les actes de dénigrements commis par la société Gestion et Service en Immobilier,

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande tendant à faire constater la commission par la société Gestion et Service en Immobilier d'actes de dénigrement ;

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande de condamnation de la société Gestion et Service en Immobilier à hauteur de 15 000 euros du fait du préjudice découlant des actes de dénigrement ;

Statuant de nouveau,

- Condamner la société Gestion et Service en Immobilier à lui payer une indemnité de 15 000 euros au titre du préjudice du fait des actes de dénigrement commis par la société Gestion et Service en Immobilier ;

Sur le comportement déloyal de la société Gestion et Service en Immobilier à son préjudice,

- Condamner la société Gestion et Service en Immobilier à lui verser la somme de 5 000 euros en indemnisation du comportement déloyal qu'elle a adopté à son encontre ;

Sur l'abus de procédure,

- Réformer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande tendant à faire caractériser la procédure initiée par la société Gestion et Service en Immobilier près le tribunal de commerce de Chambéry de dilatoire et abusive ;

- Réformer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de ondamnation de la société Gestion et Service en Immobilier à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Statuant de nouveau,

- Condamner la société Gestion et Service en Immobilier à lui payer une indemnité de 50 000 euros pour abus de procédure ;

Sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Réformer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de condamnation de la société Gestion et Service en Immobilier à lui verser la somme de 35 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Réformer le jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à la société Gestion et Service en Immobilier la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance ;

Statuant de nouveau,

- Condamner la société Gestion et Service en Immobilier à lui payer la somme de 35 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, avec pour ceux d'appel application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Mme Audrey Bollonjeon, avocate ;

- En tout état de cause, il sera demandé à la cour de céans de débouter la code de procédure civile de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires.

Aux termes de ses dernières écritures du 1er février 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Gestion et Service en Immobilier demande de son côté à la cour de :

- Dire recevable en la forme mais mal fondé l'appel interjeté par la société [Localité 4] Conseil à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Chambéry du 10 novembre 2021 ;

En conséquence,

A titre principal,

- Débouter la société [Localité 4] Conseil de sa demande d'annulation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Chambéry le 10 novembre 2021 ;

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Chambéry le 10 novembre 2021 ;

A titre subsidiaire,

- Déclarer irrecevable les prétentions contenues dans les conclusions notifiées par la société [Localité 4] Conseil le 27 juin 2022 après l'expiration du délai de l'article 908 du code de procédure civile ;

- Dire et juger que la société [Localité 4] Conseil est auteur de man'uvres constitutives de concurrence déloyale lui ayant causé un préjudice ;

En conséquence,

- Condamner la société [Localité 4] Conseil à lui payer une somme de 232 830,75 euros en réparation de son préjudice matériel ;

- Condamner la société [Localité 4] Conseil à lui payer une somme de 15 000 euros en réparation du trouble commercial subi ;

- Condamner la société [Localité 4] Conseil à lui payer une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral subi ;

- Condamner la société [Localité 4] Conseil à lui payer une somme de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société [Localité 4] Conseil aux entiers dépens de l'instance ;

A titre infiniment subsidiaire, pour le cas où la cour reformerait le jugement du 10 novembre 2021 en ce qu'il a :

- Condamné la société [Localité 4] Conseil à lui payer une somme de 116 415 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses différents préjudices du fait des actes de concurrence déloyale retenus commis par la société [Localité 4] Conseil,

- Condamné la société [Localité 4] Conseil à lui payer une somme de 8 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société [Localité 4] Conseil aux entiers dépens de l'instance et de celle de référé,

- Débouté la société [Localité 4] Conseil de toutes ses demandes,

Et la débouterait de toutes ses demandes,

- Débouter la société [Localité 4] Conseil de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles, dont notamment celles tendant à la voir condamner à lui payer :

- une somme de 8 000 euros au titre d'un préjudice moral qu'elle aurait subi du fait d'une enquête « illicite et déloyale »,

- une somme de 15 000 euros en réparation de prétendus actes de dénigrement qu'elle aurait commis,

- une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait d'un « comportement déloyal » qu'elle aurait adopté,

- une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts au regard du caractère prétendument dilatoire et abusif de la procédure qu'elle a initiée,

- une somme de 35 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- les entiers dépens de l'instance,

à tout le moins, réduire dans les plus larges proportions le montant de l'indemnisation qui serait allouée à la société [Localité 4] Conseil si par extraordinaire impossible il était fait droit à l'une quelconque de ses demandes reconventionnelles,

Dans tous les cas,

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Chambéry le 10 novembre 2021 en ce qu'il a condamné la société [Localité 4] Conseil à lui payer une somme de 8 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Chambéry le 10 novembre 2021 en ce qu'il a condamné la société [Localité 4] Conseil aux entiers dépens de première instance et celle de référé ;

Y ajoutant,

- Condamner la société [Localité 4] Conseil à lui payer une somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société [Localité 4] Conseil aux entiers dépens de l'instance d'appel, distraits au profit de la société Visier-Philippe Ollagnon-Delroise et associés, avocat, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 19 février 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 12 mars 2024.

Motifs de la décision

I - Sur la nullité liée à la formation partiale de la composition de jugement

L'exigence d'impartialité, qui s'infère notamment des dispositions de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, suppose que le juge reste à équidistance des parties, de manière à présenter une apparence d'impartialité à leurs yeux. L'article 7.1 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 2018 portant loi organique relative au statut de la magistrature impose ainsi aux magistrats de veiller à prévenir ou à faire cesser immédiatement les situations de conflit d'intérêts, c'est à dire 'toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction'. Cette exigence d'impartialité dite 'objective' est reprise dans les mêmes termes à l'article L. 722-20 du code de commerce pour les juges des tribunaux de commerce.

Il est par ailleurs de jurisprudence constante que le manquement à cette exigence, de nature à créer un doute raisonnable, de la part d'un justiciable, sur l'impartialité de la composition du tribunal qui statue sur une prétention qui lui est soumise, constitue une cause de nullité du jugement (voir sur ce point notamment : Cour de cassation, Civ 1ère, 19 décembre 2018, n° 17-22.056).

En l'espèce, la formation du tribunal de commerce de Chambéry ayant rendu le jugement entrepris du 10 novembre 2021 était notamment composée de M. [H] [I], siégeant en qualité d'assesseur. Il est constant que l'intéressé était, avant son départ à la retraite en janvier 2020, dirigeant et actionnaire du cabinet d'expertise comptable SR Conseil, lequel a fusionné le 21 mai 2019 avec la Selarl d'avocats Lexalp, pour créer la société SR Conseil Lexalp, société pluriprofessionnelle d'exercice.

Or, cette société, prise en la personne de son associé, Me Jean Boisson, avocat au barreau de Chambéry, a été chargée de représenter les intérêts de la société GSI dans le cadre de la procédure prud'homale l'opposant à son ancien salarié, M. [J] [R], étant observé que ce litige était lié à la présente procédure puisqu'il portait notamment sur le respect par l'intéressé de sa clause de non-concurrence.

Ce sont ces considérations qui conduisent la société [Localité 4] Conseil à solliciter l'annulation du jugement du 10 novembre 2021 en excipant de ce que M. [I] aurait ainsi manqué à son exigence d'impartialité.

Il convient d'observer que les garanties d'impartialité offertes par les juges consulaires, dont se prévaut la société GSI dans ses dernières écritures, tenant à leur formation, à leur obligation de faire une déclaration d'intérêts, ainsi qu'au caractère collégial de la décision rendue, ne peuvent, à elles seules, suffire à écarter le soupçon raisonnable de partialité qui peut peser sur M. [I] aux yeux de l'une des parties.

Par contre, comme le relève l'intimée, un avocat est tenu d'un secret professionnel absolu au sein d'une société interprofessionnelle, ce qui fait obstacle au partage d'informations avec des associés non-avocats, en dehors de l'intérêt du client, comme il se déduit des dispositions combinées des articles 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et 31-10 de la loi du 31 décembre 1990. Le cloisonnement de leurs activités respectives par les avocats et les experts-comptables exerçant au sein d'une société interprofessionnelle se trouve ainsi complètement assuré. Il est constant, par ailleurs, que la société SR Conseil n'a jamais été l'expert-comptable de la société GSI.

Aucun élément du dossier ne permet ainsi de penser que M. [I] ait eu à connaître des intérêts de GSI dans le cadre de son activité professionnelle antérieure ni même qu'il ait pu être informé de ce qu'un avocat de la structure interprofessionnelle avait été mandaté par cette dernière dans le cadre d'une autre procédure.

Ensuite, il convient de noter que le cabinet Lexalp a été saisi de la défense des intérêts de cette société, dans le cadre du litige pru'homal, le 3 mai 2019, soit avant la fusion du 21 mai 2019, et que lorsqu'il a participé au jugement du litige en première instance, M. [I] n'était plus membre de la société Groupe SR Conseil depuis le 1er janvier 2020.

Il doit nécessairement se déduire de ces constatations qu'aucun lien direct n'a existé entre la société GSI et l'un des membres de la formation de jugement, de nature à faire douter raisonnablement de l'impartialité de M. [I], de sorte que la demande de nullité de jugement formée de ce chef par la société [Localité 4] Conseil devra être rejetée.

II - Sur la nullité du jugement tirée d'une motivation insuffisante

Aux termes de l'article 455 du code de procédure civile, le jugement doit être motivé, et l'absence ou l'insuffisance de motifs est sanctionnée par sa nullité (Cour de cassation, Civ 1ère, 19 juillet 1988).

En l'espèce, l'appelante se plaint de l'absence de motivation suffisante, de la part du tribunal de commerce, sur la violation de la clause de non-concurrence de M. [R], ainsi que de l'adoption par la juridiction d'une méthode de calcul du préjudice de la société GSI différente de celle proposée par celle-ci.

Force est de constater, cependant, que la lecture de la décision rendue par les premiers juges ne permet nullement de caractériser de tels griefs. En effet, la motivation adoptée par le tribunal pour conclure à la violation de la clause de non-concurrence s'appuie sur l'analyse de nombreuses pièces, notamment le rapport d'enquête établi le 24 septembre 2019 par un détective privé, le constat d'huissier du 31 octobre 2019, ainsi que plusieurs attestations, le conduisant à conclure à l'existence d'un 'faisceau d'indices' constituant selon lui une preuve suffisante. Et la juridiction n'était nullement tenue de citer à cet égard les pièces produites par la société [Localité 4] Conseil, sur lesquelles elle ne fondait pas sa décision.

Il était par ailleurs loisible au tribunal de commerce, sans encourir de ce chef la moindre nullité, de procéder à une évaluation souveraine du préjudice subi par la société GSI en se fondant en particulier sur le chiffre d'affaires annuel généré par les mandats perdus, dès lors qu'il respectait la limite de sa saisine et ne faisait qu'user ainsi de son pouvoir d'appréciation. Etant observé que la méthode d'évaluation qui a été adoptée par les premiers juges est susceptible d'être remise en cause en appel, sans que pour autant il puisse en être déduit un quelconque défaut de motivation du jugement susceptible d'entraîner sa nullité.

La société [Localité 4] Conseil sera donc également déboutée de la demande de nullité du jugement du 10 novembre 2021 qu'elle forme de ce chef.

III - Sur les actes de concurrence déloyale reprochés à la société [Localité 4] Conseil

Aux termes de l'article 1240 du code civil, 'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'.

La liberté du commerce et de l'industrie, qui est une règle de valeur constitutionnelle, ayant pour corollaire la liberté d'entreprendre, permet notamment aux acteurs économiques de démarcher les clients de leurs concurrents et de fixer librement leurs prix. Cette liberté se trouve cependant limitée par l'interdiction de faire usage de procédés déloyaux dans l'exercice de la concurrence.

La concurrence déloyale est ainsi le fait de faire un usage excessif de sa liberté d'entreprendre en recourant à des procédés contraires aux règles et aux usages, qui peuvent notamment consister en :

- une confusion entretenue entre un concurrent et la société victime de ses agissements;

- la désorganisation de la société concurrente par le débauchage fautif d'anciens salariés ou le détournement de clientèle ou de données stratégiques ou confidentielles de l'entreprise;

- le parasitisme économique, consistant à s'immiscer dans le sillage de son concurrent pour tirer profit de son savoir-faire ;

- le dénigrement de la société concurrente.

Il appartient à celui qui agit en responsabilité délictuelle pour un tel motif de caractériser l'existence d'actes de concurrence déloyale lui ayant causé un préjudice.

En l'espèce, la société GSI reproche à sa concurrente, créée en avril 2019, les agissements suivants :

- la désorganisation de la société liée aux départs orchestrés de M. [L], Mme [F] et M. [R] ;

- la violation par M. [R] de sa clause de non-concurrence ;

- l'appropriation de ses fichers informatiques.

Elle soutient que ses trois anciens salariés, après avoir quitté l'entreprise de manière concertée à quelques mois d'intervalles, ont entrepris de développer une activité concurrente de gestionnaire de copropriétés, dans le même secteur géographique, au moyen des données et fichiers informatiques subtilisés à leur ancien employeur, leur permettant de démarcher, entre le 31 mai 2019 et le mois de février 2021, pas moins de 19 copropriétés figurant dans son portefeuille de clients, en leur proposant des honoraires tout juste inférieurs à ceux qu'elle pratiquait, organisant ainsi la captation déloyale d'une partie de sa clientèle.

Les agissements reprochés à la société appelante seront successivement examinés, étant observé qu'il convient, pour chacun d'entre eux, de déterminer l'impact qu'ils ont pu avoir sur la perte des mandats de gérance subie par l'intimée.

1) Sur la désorganisation de la société liée aux départs orchestrés de M. [L], Mme [F] et M. [R]

Il se déduit des pièces versées aux débats que M. [L], après avoir démissionné de la société GSI le 7 novembre 2018, a quitté cette entreprise le 7 février 2019 pour être embauché par la société [Localité 4] Conseil dès le 24 mai 2019. Il est admis en outre par l'appelante que l'intéressé est à l'origine de la création de cette société, bien que ce soit son épouse qui en ait pris la gérance.

Mme [F], qui serait la compagne de M. [R], a quant à elle démissionné dans un temps très proche, le 1er octobre 2018, pour quitter la société GSI le 31 décembre 2018. Elle a cependant été embauchée dans un premier temps par une société d'assurances, Generali, le 2 janvier 2019, et n'a intégré les effectifs de la société [Localité 4] Conseil que le 18 novembre 2019. Si l'intéressée était présente dans les locaux de l'appelante lors du constat d'huissier du 31 octobre 2019, cela ne prouve nullement qu'elle exerçait à cette date une quelconque activité effective au service de cette dernière. Il en va de même des courriels qu'elle aurait échangés à compter du mois de juin 2019 avec cette société, dont la cour ignore le contenu, seuls trois d'entre eux étant produits.

Comme l'ont relevé les premiers juges, ces deux salariés n'étaient liés par aucune clause de non-concurrence et étaient parfaitement libres de démissionner pour rejoindre une société concurrente. Par ailleurs, la circonstance que Mme [F] n'ait intégré les effectifs de l'appelante que dix mois après son départ semble être de nature à exclure qu'elle ait démissionné avec l'intention claire de faire concurrence à son ancien employeur. Quant à Mr [R], si les parties discutent de son implication occulte au sein de la société [Localité 4] Conseil, en violation de sa clause de non concurrence, il n'a jamais été salarié de cette société.

D'une manière plus générale, il ne peut qu'être constaté que la société GSI n'apporte aucun élément susceptible de rapporter la preuve de ce que ces départs, qui coïncident du reste avec ceux d'autres salariés, intervenus à la même époque, pour d'autres motifs, auraient été concertés entre les intéressés et auraient été motivés par la volonté de provoquer sa désorganisation, dans l'intention de lui nuire.

A cet égard, si les pièces versées aux débats par les parties, et en particulier les propres attestations émanant des membres des conseils syndicaux qui sont produites par l'appelante, faisant état d'une dégradation de la qualité du service apporté par GSI à ses clients à compter de l'année 2019, et des attestations d'anciens salariés de l'intimée, décrivant en particulier un défaut de management à cette époque, sont susceptibles de caractériser l'existence d'une réelle désorganisation provoquée par ces départs, s'agissant de personnels expérimentés, il n'en demeure pas moins que l'intimée disposait, de part sa taille et de son expérience plus que trentenaire dans son secteur d'activité, des moyens de pourvoir à leur remplacement pendant la durée de leur préavis.

La désorganisation qu'elle semble avoir ainsi subie, et qui n'est pas uniquement liée aux départs des trois salariés susvisés, lui est ainsi au moins en partie imputable. Etant observé qu'elle admet elle-même que la profession de gestionnaire de copropriété est actuellement ' peu prisée' et qu'elle connaît, de manière structurelle, un turn-over important, comme il se déduit du reste de l'examen du listing des mouvements de son personnel de janvier 2019 à juillet 2021, qui recense 32 départs de salariés au cours de cette période, dont dix bénéficiaient de CDI, ces départs étant jutifiés par des motifs évidemment variables, sur lesquels il n'est nul besoin de s'étendre dans le cadre du présent litige. Ces constatations permettent en tous cas de relativiser, à tout le moins, l'impact qu'aurait dû avoir, pour la société GSI, les départs concomittants de M. [L], Mme [F] et M. [R].

Rien ne permet en outre d'invalider la thèse émise par l'appelante selon laquelle ces départs seraient en réalité liés à un climat de tension interne existant à l'intérieur de l'entreprise à cette époque, et non à une quelconque volonté, de la part des salariés démissionnaires, de désorganiser leur ancien employeur en créant une société concurrente.

La cour relève, en tout état de cause, que l'engagement de la responsabilité délictuelle de la société [Localité 4] Conseil suppose que soit rapportée la preuve d'une faute qui aurait été commise par cette société. Or, en admettant que les départs de M. [L], Mme [F] et M. [R] aient été concertés, il ne peut qu'être constaté qu'à cette époque, la société [Localité 4] Conseil n'avait pas encore été créée. Il est ainsi difficile de lui imputer à faute des agissements qui sont antérieurs à sa création, laquelle n'est intervenue que le 5 avril 2019.

2) Sur la violation de la clause de non-concurrence de M. [R]

Pour rapporter la preuve de la violation, par son ancien salarié, de sa clause de non-concurrence, la société GSI s'appuie sur les éléments suivants :

- un rapport d'enquête établi par un détective privé le 24 septembre 2019, décrivant de nombreux contacts entre MM.[L] et [R] entre le 25 juillet et le 20 septembre 2019, ainsi que sa présence, à quatre reprises, dans les locaux d'[Localité 4] Conseil ;

- la présence de M. [R] dans les locaux d'[Localité 4] Conseil lors du constat d'huissier du 31 octobre 2019 pour y recevoir une formation sur un logiciel de gestion de l'agence ;

- un courriel établi par Mme [Y], présidente de la copropriété l'[3], qui décrit l'existence d'une collaboration étroite entre [Localité 4] Conseil et M. [R], [Localité 4] étant présenté comme étant un 'faux nez' destiné à couvir l'arrivée de [R], empêché par une clause de non-concurrence ;

- trois attestations émanant de ses salariés faisant état de relations professionnelles entretenues entre [Localité 4] Conseil et M. [R].

Ce sont ces éléments qui ont conduit le tribunal de commerce à conclure à la violation de la clause de non-concurrence de M. [R].

Cependant, la présente juridiction, en sa chambre sociale, statuant dans le cadre du litige prud'hommal opposant la société GSI à son ancien salarié, a, suivant un arrêt du 10 janvier 2023, confirmant un jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Chambéry du 6 mai 2021, considéré qu'aucune violation de cette clause ne se trouvait caractérisée. Contrairement à ce qu'indique l'intimée, la cour a statué en ce sens sur la base des mêmes pièces que celles qui lui sont soumises dans le cadre de la présente instance (à l'exception des trois attestations d'anciens salariés, qui sont reproduites dans le jugement du tribunal de commerce, qui était lui versé aux débats). Or, l'appréciation de la violation, par un salarié, d'une clause de non-concurrence, relève de la compétence exclusive de la juridiction prud'hommale.

Il convient de se reporter à cet arrêt du 10 janvier 2023 qui a notamment :

- écarté des débats le rapport d'enquête issu d'une filature de M. [R] pendant plusieurs mois, constituant une atteinte excessive et disproportionnée à sa vie privée ;

- relevé que la seule présence de l'intéressé dans les locaux de [Localité 4] Conseil lors du constat d'huissier ne suffisait pas à démontrer la réalité d'un travail qu'il aurait effectué au profit de cette structure;

- le projet de contrat entre M. [R] et la société [Localité 4] Conseil, saisi par l'huissier, ne portait que sur une activité de veille juridique et technique, devant expressément s'exercer en dehors du secteur géographique visé par sa clause de non-concurrence ;

- ce projet de contrat n'a pas reçu de commencement d'exécution;

- le courriel de Mme [Y] et les attestations produites ne permettent pas non plus de démontrer la réalité d'une violation de la clause de non concurrence.

Les motifs de cette décision ne peuvent qu'être repris par la cour dans le cadre du présent litige.

Il convient d'observer, au surplus, qu'aucune des pièces qui sont versées aux débats par la société GSI ne permet de rapporter la preuve de ce que M. [R] aurait effectué le moindre travail effectif au profit de la société [Localité 4] Conseil en violation de sa clause de non concurrence. En effet, le courriel de Mme [Y] ainsi que les attestations des salariés de GSI (étant observé que la valeur probante de ces dernières est nécessairement limitée), sont pour le moins vagues et se contentent de faire état de propos tenus par des tiers, ou de relayer des rumeurs, sans que leurs auteurs aient pu constater la réalité d'une réelle contribution qui aurait été apportée par M. [R] à l'implantation sur son secteur de la société nouvellement créé par son ami [T] [L], étant observé que les liens d'amitié unissant de longue date ces deux protagonistes, qui sont constants, peuvent parfaitement expliquer la fréquence de leurs contacts.

Enfin, il doit être souligné qu'aucun des 36 copropriétaires dont les attestations sont versées aux débats par la société [Localité 4] Conseil ne fait état de la moindre intervention de M. [R] dans la mise en concurrence des syndics ayant abouti à confier les mandats de gestion respectifs de ces copropriétés à l'appelante. De sorte qu'en admettant même, pour les besoins du raisonnement, que M. [R] ait violé sa clause de non-concurrence en apportant une aide quelconque à la société [Localité 4] Conseil, rien ne permet de déterminer qu'une telle aide ait pu contribuer, en quoi que ce soit, à convaincre les copropriétés clientes de GSI de changer de syndic.

3) Sur l'appropriation de ses fichers informatiques

Il se déduit du rapport établi le 31 octobre 2019 par M. [N], expert informatique, que de nombreux fichiers appartenant à la société GSI ont été retrouvés dans les locaux de la société [Localité 4] Conseil, laquelle ne conteste pas leur provenance, s'agissant pour la plupart de fichiers au format Word ou Excel, et non de documents qui auraient été scannés.

Il est établi que ces fichiers se trouvaient stockés sur le Cloud personnel de M. [L], sans qu'il soit possible pour la cour de déterminer si ce stockage aurait été effectué de manière volontaire par l'intéressé pour détourner les fichiers de son ancien employeur ou si leur présence résulterait d'un oubli de sa part, lié au dysfonctionnement du VPN de la société GSI, dont il fait état et de l'obligation dans laquelle il se serait trouvé, lorsqu'il se trouvait en situation de télétravail, de stocker ces informations sur son Cloud personnel. La détention de ces fichiers présente en tout état de cause un caractère fautif.

Il s'agit en premier lieu de fichiers relatifs à la gestion de copropriétés, gérées par la société GSI, qui sont pour certains très anciens, tels que des contrats de syndic, des convocations, des procès-verbaux d'assameblées générales, des convocations ou des pouvoirs. Comme il se déduit du constat d'huissier établi le 19 février 2020 produit par l'intimée, les libellés de ces fichiers apparaissent en parfaite concordance avec ceux présents dans le système informatique de GSI.

Il convient de relever, cependant, que les documents présents au sein du système informatique d'[Localité 4] Conseil ne se rapportent de fait, qu'à deux copropriétés, 'Le Magdelain' et 'Zig Zag', dont M. [L] assurait justement la gestion lorsqu'il était salarié de GSI. Ces documents sont en outre accessibles pour chacun des copropriétaires concernés et ne présentent pas un caractère secret, à l'exception des coordonnées de chacun des copropriétaires de l'immeuble 'Zig Zag'.

Surtout, la société GSI n'apporte aucun élément susceptible de démontrer que ces fichiers auraient été utilisés par sa concurrente et lui auraient permis de bénéficier d'un quelconque avantage indu dans le cadre des mises en concurrence entre syndics.

Ont été retrouvés par l'huissier, en second lieu, des fichiers-types appartenant à la société GSI, notamment des modèles servant à établir des contrats de syndic et des procès-verbaux d'assemblée générale. Comme l'ont à juste titre relevé les premiers juges, ces modèles ont pu permettre à la société [Localité 4] Conseil, en admettant qu'elle s'en soit servi, pour établir plus facilement des documents nécessaires à l'exercice de son activité.

Cependant, il ne peut qu'être constaté que ces documents-types sont facilement accessibles sur internet et la société GSI n'apporte aucun élément susceptible de démontrer qu'ils auraient présenté une quelconque orginalité et que leur utilisation éventuelle aurait permis à l'appelante d'obtenir un quelconque avantage concurrentiel indu.

Le constat d'huissier du 31 octobre 2019 a enfin révélé la présence, dans le système informatique de la société [Localité 4] Conseil, d'un fichier recensant l'ensemble des copropriétés gérées par la société GSI, avec les coordonnées de chacun des gestionnaires, ce qui peut s'apparenter au fichier client de l'intimée.

Cependant, si une telle détention présente de toute évidence un caractère fautif, force est de constater que la société GSI ne démontre nullement que ce fichier aurait été utilisé par sa concurrente et qu'il aurait présenté la moindre utilité pour elle, étant observé que la liste des copropriétés est disponible sur internet, et que le fichier en question ne contient aucune autre information que les coordonnées des gestionnaires de copropriété.

En outre, aucun des fichiers retrouvés dans les locaux d'[Localité 4] Conseil ne contient, à l'exception des deux copropriétés précitées qui étaient gérées par M. [L], des informations sur les tarifs pratiqués par GSI, et ce alors que cette dernière prétend que sa concurrente se serait servi des documents détournés à son préjudice pour établir des propositions tarifaires moins disantes aux copropriétés dont elle assurait la gestion.

Etant observé qu'en tout état de cause, la société [Localité 4] Conseil pouvait parfaitement obtenir ces tarifs de la part des copropriétés qu'elle était en droit de démarcher dans l'exercice de sa liberté d'entreprendre.

Il ne peut pas non plus être fait grief à la société nouvellement créée d'avoir dans le cadre d'un tel démarchage, parfaitement licite, remis aux copropriétés concernées des modèles de courriers sollicitant la mise en concurrence de leurs syndics.

En définitive, si la détention par [Localité 4] Conseil des fichiers informatiques de sa concurrente présente un caractère fautif, il n'est par contre nullement établi que l'appelante ait fait usage de ces documents, que ces derniers aient pu présenter un quelconque intérêt stratégique, ni surtout de ce que leur utilisation ait pu contribuer, en quoi que ce soit, à son succès commercial auprès des copropriétés démarchées. Ce d'autant qu'il était légitime, tant pour M. [L] que pour Mme [F], de se servir des contacts et connaissances qu'ils avaient acquises dans le cadre de leur précédent emploi au sein de la société GSI pour convaincre les copropriétés concernées de changer de syndic, sans que cela puisse constituer des actes de concurrence déloyale.

D'une manière plus générale, il ne peut qu'être constaté par la présente juridiction qu'aucun lien de causalité ne se trouve démontré par la société GSI entre les fautes qu'elle impute à sa concurrente et le préjudice dont elle sollicite la réparation dans le cadre de la présente instance.

En effet, la lecture des nombreuses attestations (36) établies par les différents copropriétaires, qui sont versées aux débats par [Localité 4] Conseil, permet de mettre clairement en exergue le fait que pour chacune des copriétés concernées, la décision de changer de syndic s'explique par les carences de leur précédent gestionnaire, qui sont antérieures à l'année 2019, et par l'arrivée d'un nouveau concurrent sur ce secteur d'activité, mais en aucun cas par l'exercice d'une quelconque concurrence déloyale. Aucun de ces témoignages ne fait état en outre d'un quelconque démarchage abusif qui aurait été effectué par [Localité 4] Conseil, du moindre dénigrement à l'égard de sa concurrente, ou de la moindre pratique commerciale douteuse qui aurait été adoptée par ce nouvel entrant. Du reste, l'appelante justifie avoir obtenu, depuis sa création, la gestion de nombreuses autres copropriétés, qui n'étaient pas gérées auparavant par GSI.

Or, le succès de l'action engagée par la société GSI suppose qu'elle rapporte la preuve de ce que les pertes de clientèle qu'elle a subies suite à la création de la société [Localité 4] Conseil seraient dues, au moins en partie, à la commission d'actes de concurrence déloyale à son préjudice, et non au simple jeu normal de la concurrence induit par l'arrivée d'un nouvel acteur sur le marché.

Une telle preuve n'est en l'espèce nullement rapportée, de sorte que les prétentions indemnitaires de la société GSI ne pourront qu'être rejetées. Etant observé par ailleurs, s'agissant des préjudices extra-patrimoniaux dont elle sollicite la réparation, qu'elle ne justifie d'aucun trouble commercial qui lui aurait été causé par des actes illicites de la société [Localité 4] Conseil ni n'apporte le moindre élément, en dehors de ses seules allégations sur ce point, susceptibles de caractériser l'existence de propos dénigrants qui auraient été tenus à son égard par sa concurrente.

IV - Sur les demandes indemnitaires formées par la société [Localité 4] Conseil

L'appelante soutient que l'enquête privée diligentée par la société GSI constitue une atteinte disproportionnée à la vie privée de MM. [R] et [L] au regard du but poursuivi et caractérise un comportement déloyal de sa part, lui ayant causé un préjudice moral qu'elle évalue à hauteur de la somme de 8 000 euros, dont elle sollicite le paiement. Cependant, cette pièce été écartée des débats et ne lui a causé aucun préjudice dans le cadre de la présente instance. Par ailleurs, elle ne peut se prévaloir d'une quelconque atteinte à la vie privée de personnes non parties à la procédure.

La société [Localité 4] Conseil se prévaut également d'actes de dénigrement qui auraient été commis à son préjudice par l'intimée, qui auraient terni son image et sa réputation, et auraient entravé son développement. Elle réclame à ce titre une somme de 15 000 euros en réparation d'un préjudice qui serait à la fois patrimonial et extra-patrimonial.

Elle ne caractérise cependant aucun acte de dénigrement qui pourrait être imputé à la société GSI et qui lui aurait causé un quelconque préjudice, étant observé à cet égard que :

- la référence faite à l'assemblée générale des copropriétaires de l'immeuble '[Adresse 12] à la perquisition en cours et au détournement de ses fichiers par [Localité 4] Conseil était exacte, puisque la perquisition avait été autorisée par le président du tribunal de commerce et que le détournement de ses fichiers se trouve constitué ;

- il en va de même de l'absence de carte d'agent immobilier de M [L] dont elle a fait mention dans un courrier adressé à la copropriété 'Zig Zag'.

En tout état de cause, elle ne caractérise aucun préjudice qui lui aurait été causé par ces propos puisqu'elle a obtenu la gestion de ces deux copropriétés.

La société [Localité 4] Conseil sollicite enfin une somme de 50 000 euros pour procédure abusive. Force est de constater cependant qu'elle ne caractérise aucune mauvaise foi, intention de nuire ou légèreté blâmable qui seraient susceptibles de faire dégénérer en faute le droit pour la société GSI d'ester en justice, étant observé que les premiers juges l'ont suivie partiellement dans son argumentation, et qu'il a été démontré que des fautes ont bien été commises par la société [Localité 4] Conseil.

L'appelante sera donc également déboutée de ses demandes indemnitaires.

V - Sur les mesures accessoires

En tant que partie perdante, la société GSI sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de la Selurl Bollongeon, ainsi qu'à payer à la société [Localité 4] Conseil la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La demande formée à ce titre par l'intimée sera enfin rejetée.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,

Rejette les demandes formées par la société [Localité 4] Conseil tendant à voir prononcer la nullité du jugement entrepris,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Chambéry le 10 novembre 2021,

Et statuant à nouveau,

Rejette les demandes indemnitaires formées par la société Gestion et Service en Immobilier (GSI),

Rejette les demandes indemnitaires formées par la société [Localité 4] Conseil,

Condamne la société Gestion et Service en Immobilier (GSI) aux entiers dépens exposés en première instance et en appel, avec distraction au profit de la Selurl Bollongeon,

Condamne la société Gestion et Service en Immobilier (GSI) à payer à la société [Localité 4] Conseil la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande formée à ce titre par la société Gestion et Service en Immobilier (GSI).

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,