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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 13 juin 2024, n° 23/11070

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

GDP Vendôme (SAS)

Défendeur :

Tropicana (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chalbos

Conseillers :

Mme Vignon, Mme Martin

Avocats :

Me Boulan, Me Ceresiani

T. com. Fréjus, du 10 juill. 2023, n° 20…

10 juillet 2023

EXPOSE DU LITIGE

La SAS GDP Vendôme est une société du groupe VDP Vendôme fondé 1990, qui est spécialisé dans la création, le développement et la gestion de maisons de retraite.

La société [E] Holding est une société du groupe [E] créé par M. [S] [E].

La société Tropicana exerce une activité de restauration dans un bar-restaurant situé sur la plage de [Localité 7]. Son activité dépend du sous-traité d'exploitation de la plage de [Localité 5] consenti par la commune de [Localité 7] qui bénéficie elle-même d'une concession octroyée par arrêté préfectoral.

Elle était, jusqu'au 5 décembre 2018, détenue à 100% par la société [E] Holding.

M. [S] [E] est le gérant de la société [E] Holding et le président de la société Tropicana.

Au cours de l'année 2018, M. [E] s'est rapproché de la société GDP Vendôme et lui a proposé de réaliser un investissement dans la société Tropicana.

Le 5 décembre 2018, la société [E] Holding et la société GDP Vendôme ont signé un protocole d'investissement aux termes duquel la société GDP Vendôme a pris une participation de 49,9 % au capital de la société Tropicana.

Cette prise de participation a été réalisée par la souscription, dans le cadre d'une augmentation de capital de la société Tropicana, de 161 parts nouvelles pour un montant global de 641.120 € ainsi que par la cession par la société Tropicana à la société GDP Vendôme de 94 actions pour un montant global de 368.480 €.

Ce protocole d'investissement prévoyait :

- un apport en compte courant par la société GDP Vendôme d'un montant de 500.000€, portant intérêts à un taux de 6% l'an, payables semestriellement en février et juillet et pour une durée de 6 ans à compter de la date de l'apport, le non paiement de deux échéances successives ouvrant droit à la société GDP Vendôme de solliciter le remboursement anticipé de l'avance en compte courant (article 5.1 du protocole)

- un engagement spécifique de la société GDP Vendôme au profit de la société Tropicana pour financer son redressement fiscal ( article 9 du protocole) sous forme d'avance en compte courant d'un montant de 500.000 € ne portant pas intérêt, ayant pour seul objet de financer au lieu et place de la société [E] Holding, les conséquences du redressement fiscal dont ferait l'objet la société Tropicana, la société [E] disposant d'un délai d'un an pour rembourser la société GDP Vendôme et à défaut d'un tel remboursement, il était prévu que cette créance serait convertie en actions.

Le 13 février 2019, les sociétés [E] Holding et GDP Vendôme ont, par ailleurs, régularisé, en présence de la société Tropicana, un pacte entre associés ayant pour objet de définir les relations entre associés au sein de la société Tropicana.

La société GDP Vendôme a exécuté l'intégralité de ses obligations au titre des opérations précitées.

Les sociétés [E] Holding et Tropinaca, de leur côté, n'ont pas respecté leurs engagements.

Le 18 mars 2021, la société GDP Vendôme a mis en demeure la société [E] Holding de réaliser une augmentation de capital de la société Tropicana par compensation de sa créance au titre de l'avance redressement fiscal.

Par acte d'huissier en date du 14 avril 2021, la Société GDP Vendôme a saisi le tribunal de commerce de Fréjus d'une demande de désignation d'un expert, avec pour mission de déterminer la valeur des titres de la société Tropicana.

Par jugement du 27 septembre 2021, le tribunal a fait droit à cette demande et désigné, à cette fin, Mme [F] [M].

Celle-ci a déposé son rapport définitif le 24 mai 2022, aux termes duquel elle valorise la société Tropicana à la valeur arrondie de 1.030.000 €.

Parallèlement, le 10 mai 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé le sous-traité de concession dont bénéficie la société Tropicana à compter du 1er avril 2023.

Le 10 mars 2023, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 10 mai 2022 et a renvoyé l'affaire devant la même cour.

Le 30 octobre 2023, la cour d'administrative d'appel de Marseille a rejeté les demandes visant à la résiliation du contrat de sous-concession. Un recours devant le Conseil d'Etat a été déposé.

La société GDP Vendôme a mis en demeure M. [S] [E], en sa qualité de président de la société Tropicana, de convoquer une assemblée générale des associés de ladite société au plus tard à la fin du mois de juillet 2022 pour convertir les créances de la société GDP Vendôme en actions en exécution du protocole et du pacte d'associés sur la base de la valeur retenue par l'expert dans son rapport.

Par ordonnance en date du 10 octobre 2022, le président du tribunal de commerce de Fréjus a autorisé la société GDP Vendôme à assigner, à bref délai, les sociétés [E] Holding et Tropicana ainsi que M. [S] [E] pour l'audience du 17 octobre 2022.

Par exploit d'huissier en date du 11 octobre 2022, la société GDP Vendôme a fait assigner la société [E] Holding, la société Tropicana et M. [S] [E] devant le tribunal de commerce de Fréjus aux fins, notamment, de :

- juger que la société GDP Vendôme est titulaire d'une créance certaine, liquide et exigible d'un montant de 1.080.766, 27 € à l'encontre de la société Tropicana en exécution du protocole d'investissement du 5 décembre 2018 et du pacte d'associés du 3 février 2019,

- ordonner aux sociétés Tropicana et [E] Holding d'exécuter leurs obligations au titre du protocole d'investissement du 5 décembre 2018 et du pacte d'associés du 3 février 2019,

Et à cette fin,

- ordonner à M. [S] [E], en sa qualité de représentant légal de la société Tropicana, de convoquer puis tenir une assemblée générale des associés de la société Tropicana, dans le délai d'un mois à compter de la signification de ce jugement et passé ce délai, sous astreinte, en vue de délibérer sur l'ordre du jour suivant:

* examen et approbation d'une augmentation de capital en numéraire d'un montant nominal de 8.168,64 €, par voie d'émission de 536 actions ordinaires de 15,24 € de valeur nominale, assortie d'une prime d'émission de 2.00,76 € par action, avec suppression du droit préférentiel de souscription, à libérer en numéraire, par compensation avec une créance liquide, certaine et exigible,

* suppression du droit préférentiel de souscription au profit de la société GDP Vendôme,

* constatation de la réalisation définitive de l'augmentation de capital au profit de la société GDP Vendôme,

- ordonner à la société [E] Holding de voter en faveur des résolutions soumises à la l'assemblée générale.

Par jugement en date du 10 juillet 2023, le tribunal de commerce de Fréjus a :

- déclaré recevable l'action de la société GDP Vendôme,

- débouté la société GDP Vendôme de sa demande de remboursement de son compte bloqué jusqu'au 5 décembre 2024,

- débouté la société GDP Vendôme de sa demande au titre de l'avance en garantie du contrôle fiscal de la société Tropicana,

- invité les parties à organiser et tenir une assemblée générale extraordinaire de la société Tropicana aux fins de définir les modalités d'application du protocole d'investissement au titre de la conversion en actions des créances de l'investisseur, au plus tôt avant le terme des 6 ans,

- débouté la société GDP Vendôme de toutes ses autres demandes, fins et conclusions,

- condamné la société GDP Vendôme à verser à la société [E] Holding, la société Tropicana et M. [S] [E], une indemnité de 800 € chacun, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société [E] Holding, la société Tropicana et M. [S] [E] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- condamné la société GDP Vendôme aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 175,91 € TTC dont 29,32 € de TVA.

Pour statuer en ce sens, le tribunal a retenu que :

- sur la demande au titre des comptes courants de la société GDP Vendôme :

* l'article 5.1 du protocole d'investissement signé le 5 décembre 2018 prévoit que ' l'avance en compte courant consentie par l'investisseur sera bloquée dans les comptes de la société pendant un délai de 6 ans à compter de la date de l'apport, étant entendu que le non paiement par la société des intérêts lors de 2 échéances successives ouvrira droit à l'investisseur de demander le remboursement dudit compte courant (...) A l'échéance de 6 ans, l'avance de 500.000 €sera remboursable à l'investisseur à première demande de sa part'

* la société GDP Vendôme ne peut donc prétendre à ses comptes courants d'associés bloqués, avant le 5 décembre 2024,

* le pacte d'associés en son article 10 stipule également un délai de 6 ans pour trouver une liquidité de ses actions,

* la société GDP Vendôme ne verse aux débats aucun élément justifiant l'absence de règlement des intérêts des comptes courants, par la société Tropicana,

- sur la demande au titre de la garantie spécifique du contrôle fiscal de la société Tropicana:

* il ressort des dispositions de l'article 9 alinéa 2 et 3 ainsi que de l'article 5.1 alinéa 4 du protocole litigieux que, comme pour les comptes courants, la société GDP Vendôme ne peut prétendre au remboursement de cette somme avant le 5 décembre 2024,

- sur les modalités de mise en oeuvre du protocole d'investissement:

* les parties sont en désaccord sur les modalités de mise en oeuvre dudit protocole,

* il ressort des statuts de la société Tropicana que seule une décision collective d'associés peut décider d'une augmentation de capital,

* le tribunal invite en conséquence les parties à organiser et tenir une assemblée générale extraordinaire aux fins de définir les modalités d'application du protocole au titre de la conversion en actions des créances de l'investisseur, au plus tôt avant le terme des 6 ans.

Par déclaration en date du 23 août 2023, la SAS GDP Vendôme a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 18 mars 2024, la SAS GDP Vendôme demande à la cour de:

Vu les articles 1103, 1188 à 1194, 1221, 1353 et 1843-4 du code civil,

Vu les articles L 225-129-1, L 227-6 et L 228-92 du code de commerce,

- déclarer recevable et bien fondé l'appel formé par la la société GDP Vendôme,

Y faisant droit,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* débouté la société GDP Vendôme de sa demande de remboursement de son compte bloqué jusqu'au 5 décembre 2024,

* débouté la société GDP Vendôme de sa demande au titre de l'avance en garantie du contrôle fiscal de la société Tropicana,

* invité les parties à organiser et tenir une assemblée générale extraordinaire de la société Tropicana aux fins de définir les modalités d'application du protocole d'investissement au titre de la conversion en actions des créances de l'investisseur, au plus tôt avant le terme des 6 ans,

* débouté la société GDP Vendôme de toutes ses autres demandes, fins et conclusions,

* condamné la société GDP Vendôme à verser à la société [E] Holding, la société Tropicana et M. [S] [E], une indemnité de 800 € chacun, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* débouté la société [E] Holding, la société Tropicana et M. [S] [E] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

* condamné la société GDP Vendôme aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 175,91 € TTC dont 29,32 € de TVA,

Et statuant à nouveau,

- juger que la société GDP Vendôme est titulaires de deux créances certaines, liquides et exigibles d'un montant cumulé de 1.133.529, 29 € au 31 décembre 2023:

* à l'encontre de la société [E] Holding au titre de l'avance redressement fiscal pour un montant de 500.000 € et,

* à l'encontre de la société Tropicana au titre de l'avance en compte courant pour un montant de 633.529,29 €,

- ordonner aux sociétés Tropicana et [E] Holding d'exécuter leurs obligations au titre du protocole d'investissement du 5 décembre 2018 et du pacte d'associés du 3 février 2019,

Et à cette fin,

- ordonner à M. [S] [E], en sa qualité de représentant légal de la société Tropicana, de convoquer puis tenir une assemblée générale des associés de la société Tropicana, dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, à peine d'astreinte de 3.000 € par jour de retard, en vue de délibérer sur l'ordre du jour suivant:

* examen et approbation d'une augmentation de capital en numéraire d'un montant nominal de 8.168,64 €, par voie d'émission de 536 actions ordinaires de 15,24 € de valeur nominale, assortie d'une prime d'émission de 2.00,76 € par action, avec suppression du droit préférentiel de souscription, à libérer en numéraire, par compensation avec une créance liquide, certaine et exigible,

* suppression du droit préférentiel de souscription au profit de la société GDP Vendôme,

* constatation de la réalisation définitive de l'augmentation de capital au profit de la société GDP Vendôme,

* examen et approbation d'une augmentation de capital réservé aux salariés adhérents d'un plan d'épargne entreprise conformément à l'article L 225-129-6 du code de commerce et délégation au président en vue de réaliser une telle augmentation de capital,

* modification corrélative des statuts de la société,

* pouvoirs pour les formalités,

- ordonner à la société [E] Holding de voter en faveur des résolutions soumises à l'assemblée générale précitée, à peine d'astreinte de 3.000 € par jour de retard en cas de manquement à cette obligation,

- débouter la société [E] Holding, la société Tropicana et M. [S] [E] de toutes leurs demandes, fins et prétentions,

- condamner la société [E] Holding, la société Tropicana et M. [S] [E] la somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société [E] Holding, la société Tropicana et M. [S] [E] aux dépens de l'instance dont distraction au profit de la SELARL LX Aix-en-Porvence en application de l'article 699 du code de procédure civile.

La SARL [E] Holding, la SAS Tropicana et M. [S] [E], suivant leurs dernières conclusions signifiées le 29 mars 2024, demandent à la cour de :

Vu les articles 1103, 1190, 1192, 1993 et 1221 du code civil,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Fréjus en date du 10 juillet 2023 en ce qu'il a:

* débouté la société GDP Vendôme de sa demande de remboursement de son compte bloqué jusqu'au 5 décembre 2024,

* débouté la société GDP Vendôme de sa demande au titre de l'avance en garantie du contrôle fiscal de la société Tropicana,

* invité les parties à organiser et tenir une assemblée générale extraordinaire de la société Tropicana aux fins de définir les modalités d'application du protocole d'investissement au titre de la conversion en actions des créances de l'investisseur, au plus tôt avant le terme des 6 ans,

* débouté la société GDP Vendôme de toutes ses autres demandes, fins et conclusions,

* condamné la société GDP Vendôme à verser à la société [E] Holding, la société Tropicana et M. [S] [E], une indemnité de 800 € chacun, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société GDP Vendôme aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 175,91 € TTC dont 29,32 € de TVA.

Si la cour infirmait le jugement entrepris, il est demandé à la cour de :

- débouter la société GDP Vendôme de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- dire et juger que la société GDP Vendôme ne peut que solliciter qu'il soit nommé un conseil afin de procéder à la cession de la société Tropicana, conformément à l'article 10 du pacte d'associés du 13 février 2019,

- prendre acte que la société [E] Holding accepte, si la société GDFP Vendôme en fait la demande, de désigner un conseil en vue de procéder à la cession de la société Tropicana et accepte, d'ores et déjà, le prix le plus élevé obtenu à l'issue de la mission confiée au conseil ainsi nommé, conformément à l'article 10 du pacte d'associés du 13 février 2019,

A titre subsidiaire,

- juger que la valeur de la société Tropicana ne correspond plus à la situation actuelle du fait de l'instance en cours relative au sous-traité de concession de la commune de [Localité 7], de sorte que le rapport de Mme [M] ne peut pas être utilisé par la société GDP Vendôme pour une solliciter une augmentation de capital d'un montant nominal de 8.168,64 €, par voie d'émission de 536 actions ordinaires de 15,24 € de valeur nominale, assortie d'une prime d'émission de 2.00,76 € par action, avec suppression du droit préférentiel de souscription, à libérer en numéraire, par compensation avec une créance liquide, certaine et exigible,

- juger que les astreintes sollicitées par la société GDP Vendôme sont injustifiées et totalement disproportionnées au regard des ressources du débiteur et du but recherché,

- débouter, en conséquence, la société GDP Vendôme de sa demande d'astreinte à hauteur de 3.000 € par jour de retard à l'égard de M. [S] [E], en sa qualité de représentant légal de la société Tropicana ainsi que de sa demande d'astreinte à hauteur de 3.000 € par jour de retard à l'égard de la société [E] Holding,

En tout état de cause,

- condamner la société GDP Vendôme à payer à la société [E] Holding, la société Tropicana et M. [S] [E] la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 2 avril 2024.

MOTIFS

Sur les créances revendiquées par la société GDP Vendôme

La société GDP Vendôme soutient qu'elle est titulaire de deux créances certaines, liquides et exigibles d'un montant cumulé de 1.133.529, 29 € au 31 décembre 2023 :

* à l'encontre de la société [E] Holding au titre de l'avance redressement fiscal pour un montant de 500.000 € et,

* à l'encontre de la société Tropicana au titre de l'avance en compte courant pour un montant de 633.529,29 €,

et demande à la cour d'ordonner aux sociétés [E] Holding et Tropicana de respecter leurs obligations au titre du protocole d'investissement du 5 décembre 2018 et du pacte d'associés du 3 février 2019 en sollicitant la convocation d'une assemblée générale aux fins de procéder à une augmentation de capital.

Elle fait grief aux premiers juges d'avoir fait une lecture erronée du protocole d'investissement, en ne recherchant pas la commune intention des parties lors de la conclusion de ce contrat, dont il convient d'interpréter les clauses les unes par rapport aux autres en respectant la cohérence de l'acte tout entier. Elle considère plus particulièrement que le protocole d'investissement est affecté d'erreurs matérielles concernant les articles 5 et 9 qui contiennent des renvois erronés d'articles.

Les parties intimées opposent pour l'essentiel à la société GDP Vendôme la non exigibilité des créances, sollicitant la confirmation du jugement entrepris sur ce point.

En vertu de l'article 1103 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Conformément aux articles 1188 et 1189 du même code :

- le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes,

- toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier.

Enfin, l'article 1192 dispose qu'on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine dénaturation.

Le protocole d'investissement du 5 décembre 2018 :

- rappelle qu'il a 'pour objet de définir les conditions et modalités d'acquisition par l'investisseur d'une participation dans le capital de la société ( Tropicana ) d'un montant global de 1.009,600 € devant permettre de conférer 49,9% du capital de la société à l'investisseur et d'apurer les dettes financières de la société. ' ( article 1)

- énonce que ' L'investisseur s'engage à procéder ( ...) à un apport en numéraire d'un montant de 641.120 € dans le cadre d'une augmentation de capital de la société, ayant pour effet de porter le capital social d'un montant de 5.336,45 € à 7.779, 09 € par l'émission de 161 parts sociales nouvelles de 15,24 € de nominal chacune, outre une prime d'émission d'un montant de 638.666,36 €, libérées intégralement dès leur souscription. L'associé historique pour sa part s'engage à faire le nécessaire afin d'autoriser ladite augmentation de capital et permettre la souscription de l'investisseur dans les modalités des présentes.' ( article 2)

Il n'est pas contesté par les parties que cette prise de participation par la société GDP Vendôme dans le capital de la société Tropicana a bien été effectuée dans les conditions prévues à l'article 2 susvisé.

Outre cette prise de participation, le protocole litigieux comporte deux autres engagements spécifiques de l'investisseur :

- un apport en compte courant de la société GDP Vendôme au profit de la société Tropicana,

- une garantie spécifique au titre du contrôle fiscal de la société Tropicana.

L'article 5.1 du protocole stipule que :

' Outre l'apport en numéraire visé à l'article 2, l'investisseur s'engage à procéder à un apport en compte courant au profit de la société pour un montant global de 500.000 €.

Ces sommes seront inscrites au nom de l'investisseur en compte courant dans les livres de la société et seront productives d'un intérêt annuel de 6% payable semestriellement en février et juillet.

De convention expresse entre les parties, l'avance en compte courant consentie par l'investisseur, sera bloquée dans les comptes de la société, pendant un délai de 6 ans à compter de la date d'apport, étant entendu que le non paiement par la société des intérêts lors de 2 échéances successives ouvrira droit à l'investisseur de demander le remboursement dudit compte courant.

A échéance des 6 ans, l'avance de 500.000 € sera remboursable à l'investisseur à première demande de sa part.

Si la société se trouvait dans l'impossibilité de rembourser l'investisseur, soit à la suite des défauts de paiement visés au paragraphe 3 du présent article, soit à l'échéance visée au même paragraphe, les parties convertiront cette créance en actions de la société sur la base d'une valorisation de la société qui sera arrêtée à cette date conformément aux dispositions de l'article 10 alinéa 4 du pacte d'associés conclus entre les parties.'

L'article 10 alinéa 4 du pacte d'associés intitulé ' Clause de liquidité de l'investisseur ' énonce que :

' A défaut pour l'associé de pouvoir permettre la liquidité des actions détenues par l'investisseur dans le capital de la société, l'associé historique s'engage, à accepter sur demande de l'investisseur, la nomination d'un conseil en vue de procéder à la cession de la société. Il s'oblige aussi, si l'investisseur lui en fait la demande, à accepter le prix le plus élevé obtenu à l'issue de la mission confiée à ce conseil ou, à défaut, celui fixé par un expert désigné dans les conditions mentionnées ci-avant.'

La société GDP Vendôme a bien procédé à l'apport en compte courant tel que prévu à l'article 5.1 à hauteur de 500.000 €.

De son côté, la société Tropicana n'établit pas avoir réglé les intérêts au taux de 6% afférents à ce compte courant, la partie appelante soutenant pour sa part que la société Tropicana n'a pas respecté ses engagements à ce titre depuis le 1er trimestre 2020.

Or, contrairement à ce qu'a retenu à tort le tribunal sur ce point, opérant ainsi un renversement de la charge de la preuve, il n'appartient pas à la société GDP Vendôme de démontrer que lesdits intérêts ne lui ont pas été versés mais bien à la société Tropicana de justifier du respect de ses obligations, ce qu'elle ne fait pas.

Il n'en demeure pas moins qu'à la lecture de l'article 5.1, le non paiement des intérêts par cette dernière n'ouvre droit à la société GDP Vendôme de réclamer la conversion de sa créance en actions qu'à l'échéance de six ans.

En effet, si l'article 5.1 précise effectivement que le 'non paiement par la société des intérêts lors de deux échéances successives ouvrira droit à l'investisseur de demander le remboursement dudit compte courant' ( alinéa 3), les deux alinéas suivant énoncent que :

'A échéance des 6 ans, l'avance de 500.000 € sera remboursable à l'investisseur à première demande de sa part.

Si la société se trouvait dans l'impossibilité de rembourser l'investisseur, soit à la suite des défauts de paiement visés au paragraphe 3 du présent article, soit à l'échéance visée au même paragraphe, les parties convertiront cette créance en actions de la société sur la base d'une valorisation de la société qui sera arrêtée à cette date conformément aux dispositions de l'article 10 alinéa 4 du pacte d'associés conclus entre les parties.'

Il en résulte, en effet, que si le remboursement de l'avance est exigible en cas de non paiement des intérêts, le droit à conversion de cette créance n'est ouvert à la société GDP Vendôme qu'à l'issue du délai de six ans, à savoir le 18 décembre 2024, et, de surcroît, dans les conditions de l'article 10 alinéa 4, à savoir la nomination d'un conseil en vue de procéder à la cession de la société.

Ainsi, non seulement le droit à conversion en capital n'existe pas avant le 18 décembre 2024, mais en outre, ni le protocole, ni le pacte d'associés ne prévoient les modalités concrètes de conversion de cette créance en actions à l'issue de cette échéance. Plus particulièrement, ces deux contrats ne comportent pas de clause obligeant la tenue d'une assemblée générale aux fins d'augmentation de capital social, de sorte que la société GDP Vendôme est d'autant moins fondée à solliciter l'exécution forcée du protocole et du pacte d'associés en exigeant la tenue d'une assemblée générale pour décider d'une telle augmentation, ce que les contrats liant les parties ne prévoient pas.

Concernant, par ailleurs, la garantie spécifique au titre du contrôle fiscal Tropicana, l'article 9 du protocole d'investissement est ainsi libellé :

'L'associé historique déclare que la société a fait l'objet d'un contrôle sur pièce de comptabilité ayant donné lieu à un redressement fiscal qui est aujourd'hui contesté devant le tribunal administratif. L'associé historique s'engage à prendre en charge les conséquences de ce contrôle fiscal pour la société sans préjudice pour l'investisseur.

Les parties conviennent que si le contrôle fiscal donne lieu à décaissement, l'investisseur accepte de financer les conséquences de ce contrôle fiscal dans la limite d'un plafond maximal de 500.000 € en lieu et place de l'associé historique.

Si tel est le cas, les parties conviennent que l'associé historique disposera d'un délai d'un an pour rembourser l'avance faite par l'investisseur au titre du contrôle fiscal. A défaut les parties convertiront cette créance en actions de la société sur la base d'une valorisation de la société qui sera arrêtée conformément aux dispositions de l'article 5.1 alinéa 4 dudit protocole.'

L'article 5.1 alinéa 4 énonce que 'A échéance de 6 ans, l'avance de 500.000 € sera remboursable à l'investisseur à première demande de sa part'.

La société GDP Vendôme considère que l'article 9 contient une erreur de plume et qu'il convient de se référé à l'article 5.1 alinéa 5 qui indique que 'Si la société se trouvait dans l'impossibilité de rembourser l'investisseur, soit à la suite des défauts de paiement visés au paragraphe 3 du présent article, soit à l'échéance visée au même paragraphe, les parties convertiront cette créance en actions de la société sur la base d'une valorisation de la société qui sera arrêtée à cette date conformément aux dispositions de l'article 10 alinéa 4 du pacte d'associés conclus entre les parties.'

Or, si effectivement, l'article 9 du protocole prévoit bien un remboursement dans un délai d'un an, la conversion de l'action de cette créance en actions, à défaut de règlement dans le délai susvisé, ne peut se faire qu'à l'échéance de six ans, à savoir au 18 décembre 2024 et sur la base d'une valorisation de la société arrêtée à cette date, dans les conditions de l'article 10 alinéa 4 du pacte d'associés.

Il résulte des articles 5 et 9 du protocole que les parties ont prévu, que tant pour l'avance en compte courant que pour l'avance au titre du contrôle fiscal, ces deux créances seraient converties, en cas de non remboursement aux échéances prévues, en capital au terme de la période de six ans.

Contrairement aux affirmations de la société GDP Vendôme, il était de la commune intention des parties de s'associer pour un tel délai ainsi qu'il en ressort clairement de l'article 10 du pacte d'associés qui stipule que :

' Les parties ont pour projet que l'intervention de l'investisseur dans le capital de la société s'inscrive dans une perspective d'un investissement à moyen terme, en souhaitant trouver une liquidité de ses titres à l'échéance de six ans.

Par suite, les associés conviennent que l'associé historique et/ou la société devront permettre la liquidité des actions détenues par l'investisseur dans le capital de la société, au terme du délai susvisé de six ans. Cet engagement se matérialisera, par le biais d'une cession actions, par la voie réduction de capital ou par tout autre moyen.

La valeur des titres de l'investisseur dans le cadre de cette liquidité sera définie d'un commun accord entre les parties. A défaut d'accord entre elles, chacune des parties pourra demander la désignation d'un expert, intervenant dans les conditions de l'article 1843-4 du code civil, auprès du président du tribunal de commerce, afin que celui-ci détermine la valorisation des titres détenus par l'investisseur.'

Les parties ont ainsi souhaité que la société GDP Vendôme désigné dans les actes comme

' l'investisseur' se comporte comme tel sur cette période contractuellement définie de six ans, favorisant le développement de l'entreprise et vendant à l'issue de ce délai ses actions afin de récupérer une liquidité des titres au meilleur prix à compter du 18 décembre 2024.

Le dernier alinéa de cet article relatif à la clause de liquidité prévoit qu' 'A défaut pour l'associé de pouvoir permettre la liquidité des actions détenues par l'investisseur dans le capital de la société, l'associé historique s'engage, à accepter sur demande de l'investisseur, la nomination d'un conseil en vue de procéder à la cession à la cession de la société. Il s'oblige aussi, si l'investisseur lui en fait la demande, à accepter le prix le plus élevé obtenu à l'issue de la mission confiée à ce conseil ou, à défaut, celui fixé par un expert désigné dans les conditions mentionnées ci-avant.'

En d'autres termes, il est prévu qu'en cas de non remboursement des créances de la société GDP Vendôme à leurs échéances, celles-ci soient converties en actions mais uniquement à l'issue d'un délai de six ans.

La société GDP Vendôme indique qu'elle n'aurait jamais accepté d'attendre six années sans jamais toucher un centime sur les sommes prêtées avant d'obtenir la conversion de sa créance, alors qu'elle pouvait solliciter le remboursement des avances qui est pourtant exigible mais pas le droit à conversion en capital avant le 18 décembre 2024. Or, la partie appelante ne demande pas le remboursement mais uniquement une conversion en capital par le biais de la convocation d'une assemblée générale aux fins de voter sur une augmentation du capital.

L'échéance de six ans contractuellement prévue n'est pas atteinte avec pour conséquence que la conversion n'est pas possible à ce jour. En outre, ni le protocole, ni le pacte d'associés n'imposent que cette conversion se fasse par la mise en oeuvre d'une augmentation de capital votée lors d'une assemblée générale des associés de la société Tropicana.

Sous couvert d'une interprétation du protocole d'investissement et du pacte d'associés conclus entre les parties, la société GDP Vendôme sollicite en réalité une modification unilatérale de ces contrats, qu'elle a pourtant dûment régularisés en son temps sans évoquer à l'époque de quelconques maladresses rédactionnelles, alors qu'elle est pourtant parfaitement habituée à conclure des contrats d'affaires et était parfaitement à même de se rendre compte, lors de leur signature, si les conventions en cause comportaient des erreurs flagrantes modifiant ses engagements contractuels.

En conséquence, les demandes de la société GDP Vendôme tenant à la conversion des créances qu'elle détient tant au titre du compte courant que de l'avance redressement fiscal, à savoir l'exécution du forcée du protocole d'investissement, est prématurée l'échéance de six ans n'étant pas atteinte à ce jour et ne le sera que le 18 décembre 2024.

En revanche, le tribunal n'avait pas à inviter les parties à tenir une assemblée générale extraordinaire aux fins de définir les modalités d'application du protocole d'investissement au titre de la conversion en actions des créances de l'investisseur, ce que les contrats régularisés entre les parties ne prévoient pas.

A l'échéance contractuellement prévue et en cas de non remboursement des créances à l'investisseur à cette date, il appartiendra à la société GDP Vendôme de mettre en oeuvre leur conversion en capital suivant les modalités prévues à l'article 10 du pacte d'associés.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Vu l'article 696 du code de procédure civile,

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Fréjus déféré sauf en ce qu'il a invité les parties à organiser et tenir une assemblée générale extraordinaire de la société Tropicana aux fins de définir les modalités d'application du protocole d'investissement au titre de la conversion en actions des créances de l'investisseur, au plus tôt avant le terme des 6 ans,

Statuant à nouveau sur ce point,

Dit n'y avoir lieu à inviter les parties à organiser et tenir une telle assemblée générale extraordinaire de la société Tropicana,

Y ajoutant,

Condamne la société GDP Vendôme à payer à la SARL [E] Holding, la SAS Tropicana et M. [S] [E] la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Condamne la société GDP Vendôme aux dépens de la procédure d'appel.