CA Bordeaux, 4e ch. com., 18 juin 2024, n° 22/01985
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Bryan Garnier & Co Limited (Sté)
Défendeur :
Poietis (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Goumilloux, Mme Masson
Avocats :
Me Fonrouge, Me Sanogo, Me Boret
EXPOSE DU LITIGE :
La SAS Poietis a pour activité principale l'étude, la recherche et le développement scientifique dans les domaines de la biologie, de la bio-technologie (et notamment dans la création de tissus humains par bio-impression).
La société Bryan Garnier exerce à Londres une activité de banque d'investissement et dispose d'un établissement à [Localité 3].
La société Poietis a fait appel aux services de la société Bryan Garnier pour l'assister dans le cadre d'une levée de fonds.
Le 13 mars 2019, la société Bryan Garnier a adressé à la société Poietis une lettre de mission, signée par cette dernière le 26 mars 2019, aux termes de laquelle elle s'engageait à assister la société Poietis dans la réalisation d'un investissement appelé « private placement », dont le montant devait se situer à environ quinze millions d'euros.
La rémunération de la société Bryan Garnier a été prévue dans la lettre de mission de la façon suivante :
- un « Retainer Fee », soit cinquante mille euros à verser lors de la signature de la lettre;
- un « Placement Fee », soit cinq pour cent (5%) de l'investissement reçu par la société Poietis , considéré comme acquis lors d'une émission de valeur mobilière, ce taux étant réduit à 2,5% HT dans l'hypothèse où l'investissement est inférieur à 2,5 millions d'euros, étant précisé que cet honoraire est dû dans le cas de fonds investis ou engagés par les actionnaires dont la liste figure en annexe de la lettre de mission et qui comprend notamment Wiseed;
- un « Discretionary Fee », soit deux pour cent (2%) de l'investissement si le comité stratégique de la société Poietis le souhaite, pour récompenser le travail fourni.
La société Poietis a procédé à l'émission d'un emprunt obligataire pour un montant de 174.500 euros, qui lui a été versé entre le 25 octobre 2019 et le 10 décembre 2019.
Par courrier du 3 janvier 2020, la société Poietis a adressé un courrier à la société Bryan Garnier pour résilier le contrat liant les parties et applicable à compter du 2 février 2020.
Le 6 mars 2020, la société Bryan Garnier a adressé sa facture n° 0040-03-20 à la société Poietis, pour un montant de 303.500,29 euros TTC.
La société Poietis a refusé de s'acquitter de la facture demandée, au motif que le « Private Placement » n'était toujours pas réalisé.
La société a procédé à une seconde émission d'obligations convertibles à hauteur de 829 900 euros, et elle a perçu cette somme le 9 novembre 2020.
Par acte du 19 mars 2021, la société Bryan Garnier a assigné la société Poietis devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de la somme de 303.500,29 euros.
Par jugement du 22 mars 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- débouté la société Bryan Garnier de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société Bryan Garnier à payer à la société Poietis la somme de 1.500,00 euros (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Bryan Garnier aux entiers dépens.
Par déclaration en date du 21 avril 2022, la société Bryan Garnier a relevé appel de ce jugement en ses chefs expressément critiqués intimant la société Poietis.
Par ordonnance du 14 juin 2022, le conseiller de la mise en état de la quatrième chambre commerciale de la cour d'appel de Bordeaux a enjoint aux parties de rencontrer un médiateur. Cette procédure n'a pu aboutir.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Par dernières conclusions notifiées le 15 février 2023, auxquelles la cour se réfèrent expressément, la société Bryan Garnier demande à la cour de :
Vu les articles 1101 et suivants du Code civil,
Vu l'article 1240 du Code civil,
Vu l'article 1170 du Code civil,
Vu l'article L 442-1 I du Code de commerce,
Vu les pièces versées aux débats,
Vu le Mandat,
infirmer le Jugement en ce qu'il :
- déboute la société Bryan Garnier de l'ensemble de ses demandes,
- condamne la société Bryan Garnier à payer à la société Poietis la somme de 1.500,00 euros (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne la société Bryan Garnier aux entiers dépens.
Et, statuant à nouveau :
A titre principal,
- dire et juger que la société Bryan Garnier a rempli sa mission telle qu'elle figure dans la lettre du 13 mars 2019,
- dire et juger que cette lettre de mission a été signée par la société Poietis et vaut donc mandat,
- dire et juger que les conditions à l'octroi de la rémunération de la société Bryan Garnier sont réunies,
- dire et juger que la facture émise par la société Bryan Garnier le 6 mars 2020 est parfaitement conforme aux termes du mandat,
En conséquence,
- condamner la société Poietis à régler à la société Bryan Garnier la somme de 303.500,29 euros TTC au titre de sa facture n°0040-03-20,
A titre subsidiaire,
- dire et juger que le juge dispose d'un pouvoir modérateur,
- constater le travail effectué par Bryan Garnier,
En conséquence,
- fixer a minima à 200.000 euros HT la rémunération due par Poietis à Bryan Garnier,
En tout état de cause,
- condamner la société Poietis à régler à la société Bryan Garnier la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice causé par sa résistance abusive,
- débouter la société Poietis de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, notamment quant à la prétendue nullité des clauses du mandat,
- condamner la société Poietis à régler à la société Bryan Garnier la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Poietis aux dépens,
Par dernières conclusions notifiées le 15 novembre 2022, auxquelles la cour se réfèrent expressément, la société Poeitis demande à la cour de :
Vu les articles L.442-1 du code de commerce et 1170 du code civil,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
A titre principal,
- confirmer le jugement de première instance, en ce qu'il déboute la société Bryan Garnier de l'ensemble de ses demandes,
- débouter la société Bryan Garnier de toutes ses demandes, fins et prétentions,
A titre subsidiaire,
- dire et juger que les clauses relatives au « Placement Fee » du contrat entre Bryan Garnier et Poietis créent un déséquilibre significatif entraînant un préjudice pour la société Poietis,
- dire et juger que les clauses relatives au « Placement Fee » du contrat entre Bryan Garnier et Poietis sont de nature à vider de sa substance l'obligation essentielle de la société Bryan Garnier,
- ordonner en conséquence que lesdites clauses soient frappées de nullité,
- ordonner au titre de votre pouvoir modérateur que soit fixé à un montant de 41.495 euros HT la rémunération de Bryan Garnier,
En tout état de cause,
- débouter la société Bryan Garnier de sa demande reconventionnelle de condamnation de la société Poietis au paiement à son profit d'un montant de 10.000 euros sur le fondement de la résistance abusive,
- condamner la société Bryan Garnier au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Bryan Garnier au paiement des entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 30 avril 2024.
MOTIFS DE LA DECISION:
Sur la demande principale de la société Bryan Garnier:
1- Se fondant sur les dispositions des articles 1101, 1103 et 1104 du code civil, la société Bryan Garnier soutient qu'elle est fondée à réclamer le montant des honoraires prévus au contrat, dès lors qu'elle a rempli sa mission en permettant à la société Poietis d'obtenir un emprunt obligataire sous la forme d'obligations convertibles en actions (OCA) à hauteur de 174.500 euros le 25 octobre 2019, mais également en organisant une levée de fonds, via son actionnaire Wiseed, qui a repris le travail de la société Bryan Garnier, pour un montant de 829.900 euros le 9 novembre 2020 et qui s'inscrit dans le cadre d'un tour global à 10 millions d'euros.
La société Bryan Garnier soutient que contrairement à ce que soutient la société Poietis, sa rémunération n'est pas disproportionnée au sens de l'article L442-1 du code de commerce, la société Poietis ne démontrant ni la soumission ou tentative de soumission, ni un déséquilibre significatif, conditions cumulatives prévues par le texte précité.
Elle indique également que la clause relative à sa rémunération ne vide en rien la substance de son obligation essentielle prévue par l'article 1170 du code civil, ce texte n'ayant pas pour objectif de déterminer une éventuelle disproportion mais vise à réputer non écrites les clauses limitatives de responsabilité, ce qui n'est aucunement le cas de la clause litigieuse.
A titre subsidiaire, s'il était considéré que la somme de 250.000 euros HT est excessive, la société Bryan Garnier demande à la cour de fixer sa rémunération à 200.000 euros HT, étant précisé que la somme de 41.495 euros HT proposée par la société Poietis représente une réduction de 80% du montant minimum prévu au mandat.
2- La société Poietis réplique que le contrat prévoit que le 'placement fee' était dû dans le cadre de la réalisation du 'private placement' qui se définit comme une émission de nouvelles valeurs mobilières pour un montant cible d'environ quinze millions d'euros et dont les souscripteurs sont des investisseurs institutionnels, des sociétés familiales de gestion de patrimoine, des sociétés d'investissements et des investisseurs stratégiques.
Elle souligne que les souscripteurs de l'émission d'obligations convertibles pour un montant de 174.500 euros étaient des associés de la société, de sorte que la société Bryan Garnier n'a pas fourni le travail convenu.
Elle ajoute que la facture de la société Bryan Garnier a été émise avant l'émission d'obligations convertible de 829.900 euros, que le droit de suite prévu à l'article 7 du contrat exclut sans interprétation possible les investissements souscrits par les associés et leurs affiliés respectifs, que la société Wicap Poietis 3 est une affiliée de la société Wicap Poietis et que l'article 2.1 du contrat visé par la société Bryan Garnier vise expressément les levées « as part of the Private Placement », soit « faisant partie du Placement Privé », ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
A titre subsidiaire, la société Poietis sollicite le rejet des prétentions de la société Bryan Garnier pour leur caractère abusif. Elle soutient que le 'placement fee' de 250.000 euros HT crée un déséquilibre significatif entre les co-contractants au sens de l'article L442-1 du code de commerce et vide de sa substance l'obligation essentielle de la société Bryan Garnier au sens de l'article 1170 du code civil.
En réponse à la demande subsidiaire de la société Bryan Garnier de voir réévaluer le montant qu'elle peut réclamer, elle propose de fixer cette rémunération à hauteur de 5% sur le montant de l'émission d'obligations convertibles, soit un montant de 41.495 euros hors taxes.
Sur ce:
Concernant le principe du droit à rémunération:
3- Selon les dispositions de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
4- Selon les dispositions de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
5- Aux termes de sa lettre de mission, la société Bryan Garnier s'est engagée à assister la société Poietis dans le cadre d'un placement de titres nouvellement émis pour un montant cible d'environ 15 millions d'euros, s'adressant aux investisseurs institutionnels, aux family offices, aux fonds de capital-risque de grande entreprise et aux investisseurs stratégiques.
L'article 1.1 de cette lettre de mission précise en 14 points la nature des services (examen des informations disponibles, assistance à la préparation d'un argumentaire économique et financier, à la préparation des supports de marketing, des documents de placement, approche des investisseurs potentiels, participation aux réunions avec les investisseurs, examen et comparaison des offres, et d'une manière générale, tous les services habituellement fournis par un conseiller financier dans le cadre d'un placement privé).
6- Il s'évince de cette mission que la société Bryan Garnier était tenue non pas à une obligation de résultat, mais à une obligation de moyens, dès lors que l'intérêt qu'accorderaient les investisseurs potentiels à un apport en capital était aléatoire, et dépendait de facteurs extérieurs que le prestataire ne pouvait maîtriser.
7- Dès lors, le seul fait que le placement privé pour le montant cible d'environ 15 millions d'euros n'ait pu être atteint ne caractérise pas un manquement de la société Bryan Garnier à ses obligations contractuelles, et au demeurant les parties avaient expressément prévu que les honoraires étaient la contrepartie des services fournis dans le cadre de la mission, (et non la contrepartie de l'obtention d'une levée de fonds de 15 millions d'euros) et que la commission de placement pouvait être réclamée même si les fonds levés étaient d'un montant inférieur.
8- En l'espèce, la société appelante justifie avoir accompli les diligences prévues au contrat.
9- Elle a établi un document de 15 pages avec photographies et textes de présentation de la société Poietis et de ses travaux, daté de mai 2019, intitulé '3D Bioprinting for advanced thérapy medicinal products and regenerative medicine'.
Elle a par ailleurs communiqué (sa pièce 8) un exemple de ses compte-rendus pour les mois de mai, juin, juillet et septembre 2019, dont il ressort qu'elle avait contacté 132 potentiels investisseurs, outre une vingtaine de sociétés, et avait obtenu différents rendez-vous (notamment avec les sociétés Financiere Abevel, Balderton, Panakakes Partners, LOG Investment, Bold, Advent France Biotechnologyn Turenne capital, BNP Paribas developpement, CM-CIC Innovation).
Ce document comporte également la liste des sociétés ayant décliné les propositions d'investissement (Negative Feedbacks), avec le motif indiqué ('ne répond pas aux critères d'investissement', 'étape trop précoce', 'pas convaincu du marché', 'étape trop tardive', 'Autres investissements en cours').
La société Poietis ne conteste ni la réception de ces compte-rendus, ni les indications qu'ils contiennent concernant les diligences accomplies et les réponses apportées par les sociétés contactées. Elle produit au demeurant la copie d'un courriel que lui avait adressé [E] [P] (Bryan Garnier) le 19 juin 2019, faisant état de réponses négatives de Panakès et de Naos, et d'une relance envisagée auprès de la société Investiere.
Elle communique en outre (sa pièce 5) un relevé sur trois pages des diligences effectuées auprès de 60 sociétés, avec des annotations qu'elle avait apportées sur l'état d'avancement de la relation.
10- La société Bryan Garnier a eu deux rendez-vous avec la société CM-CIC, en juin et juillet 2019. En novembre 2019, elle a établi une note intitulée Projet de série B, dans laquelle elle indiquait que la société CM-CIC était prête à investir 6.3 Millions d'euros, et cette dernière a adressé le 27 février 2020 une lettre d'intention à la société Poietis, datée du 27 février 2020, dans laquelle elle rappelle avoir été contactée pour la présentation de l'état d'avancement de ses projets de développement et confirme, sur la base des informations qui lui ont été communiquées, et des hypothèses prises en compte dans le business plan, son intérêt pour la réalisation d'un investissement d'un montant d'environ 5 millions d'euros, prime d'émission comprise, au sein de la société Poietis, dans le cadre d'une opération d'un montant de 10 millions d'euros en deux tranches.
La seule circonstance que la lettre d'intention de CM-CIC n'ait pas été concrétisée par la suite ne caractérise nullement une quelconque carence imputable à la société Bryan Garnier.
11- Par ailleurs, le droit à honoraires n'était pas réservé au seul cas de levée de fonds obtenue auprès d'investisseurs institutionnels, family offices, fonds de capital-risque de grandes entreprises et investisseurs stratégiques, puisque le contrat réserve expressément en son article 2.1, selon des conditions qu'il détaille précisément, la possibilité d'obtenir une commission de placement sur les fonds investis 'par les actionnaires actuels de la société, tels que listés en Annexe 1, ou par l'une quelconque de leurs entités affililées respectives'.
12- Ainsi, elle ne peut utilement soutenir que les émissions d'obligations convertibles pour 174 500 euros et 829 900 euros ne répondraient pas à la définition du Placement privé, et n'ouvriraient donc pas droit à rémunération.
Concernant le montant de la rémunération:
13- L'article 2.1 (Honoraires) stipule qu'en contrepartie des services fournis au titre de la présente mission, Bryan, Garnier & Co percevront les honoraires suivants:
i. Une avance sur honoraires de 50'000 euros hors-taxes est payable à la signature du présent contrat, plus,
ii. Une commission de placement égal à 5 % hors taxes des fonds bruts investis ou faisant l'objet d'un engagement de souscription par les investisseurs dans de nouveaux titres de la société telle que détaillés ci-dessous, plus
iii. Une commission discrétionnaire maximale de 2 % (hors taxes) des fonds bruts investis ou faisant l'objet d'un engagement de souscription par les investisseurs dans de nouveaux titres de la société, dans la mesure où la société est satisfaite des services de Bryan, Garnier et à la seule discrétion de la société.
(...)
Il est convenu que la commission de placement due sur les fonds bruts investis ou faisant l'objet d'un engagement de souscription par les actionnaires actuels de la société tels que listés en annexe 1, ou par l'une quelconque de leurs entités affiliées respectives, dans de nouveaux titres de la société sera réduite à 2,5 % hors taxes dans le cas où le montant des fonds bruts est inférieur ou égal à 2,5 millions d'euros.
(...)
La commission de placement ne pourra en aucun cas être inférieure à 400'000 euros hors-taxes. Nonobstant ce qui précède, dans l'hypothèse où la société lèverait moins de 4 millions d'euros dans le cadre du placement privé et dans les 12 mois suivant la résiliation du présent contrat, la commission de placement minimum sera réduite à 250'000 euros hors-taxes (souligné par la cour).
14- Le 6 mars 2020, la société Bryan, Garnier &Co a établi à l'ordre de la société Poietis une facture d'un montant de 303 500.29 euros TTC, soit :
- 250 000 euros HT à titre d'honoraire minimum, en lien avec l'émission d'obligation convertible OCA,
- 2916.91 euros HT à titre de frais (non discutés dans le cadre du présent litige).
15- Pour voir écarter cette clause, la société Poietis invoque le bénéfice des dispositions de l'article L.442-1 I du code de commerce, selon lesquelles 'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :
1° (...)
2° de soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie (souligné par la cour) à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
16- En réalité, à la date de conclusion du contrat, le 13 mars 2019, le texte applicable était l'article L.442-6 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016, selon lesquelles 'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
1°- (...)
2° - de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial (souligné par la cour) à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
17- La société Poietis ne rapporte pas la preuve des conditions d'application de cet article
18- En particulier, la notion de partenaire commercial visée à l'article L.442-6 du code de commerce (devenu l'article L.442-1) implique une volonté commune entre des acteurs économiques de développer ensemble une activité commerciale ; elle ne se confond pas avec celle de cocontractant et ne peut donc trouver à s'appliquer à un contrat conclu entre les sociétés Bryan Garnier et Poietis, qui n'avaient jamais eu auparavant de relation commerciale.
19- Par ailleurs, le seuf fait que la société Bryan Garnier se présente comme une banque paneuropéenne indépendante, spécialisée dans les sociétés de croissance, et leader européen dans les domaines des technologies et des sciences de la vie dans les pays nordiques ne démontre pas pour autant, en l'absence d'autres éléments, qu'elle ait soumis la société Poietis, dans le cadre d'un rapport de force, à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Il n'est ainsi pas établi que ce contrat soit un contrat-type, comportant un ensemble de clauses non négociables, ni que la société Poietis se soit trouvée contrainte d'accepter en l'état la clause relative à la rémunération. Il sera ainsi relevé que les parties avaient formulé une clause spécifique en cas de souscription par les actionnaires actuels de la société, qui était de nature à diminuer sensiblement le montant de la rémunération exigible.
Par ailleurs, le troisième terme de la rémunération (Commission discrétionnaire) était laissée à la libre appréciation de la société, dans la mesure où elle était satisfaite des services du prestataire.
20- La société appelante fait au surplus valoir à bon droit que la société Poietis compte parmi ses actionnaires de nombreux investisseurs voire des fonds d'investissement tels que Naco nouvelle Aquitaine, ainsi que la société Wiseed, pionnière de financement participatif, de sorte qu'elle ne démontre pas s'être trouvée en situation de faiblesse lors de la conclusion du contrat.
Il convient dès lors de rejeter la demande de nullité fondée sur ces dispositions.
21- La société Poietis invoque ensuite les dispositions de l'article 1170 du code civil, selon lesquelles 'toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite.'
22- Toutefois, la clause litigieuse ne concerne nullement la définition des obligations de conseiller financier à la charge de la société Bryan Garnier, fixée de manière détaillée à 1.1 du contrat, et elle n'en réduit nullement la consistance.
23- En outre, l'article 1170 précité n'a pas pour objet de sanctionner un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, comme le fait l'article 1171 du code civil, dans le domaine spécifique des contrats d'adhésion, ce qui n'est pas le cas de l'espèce.
24- Il y a donc lieu d'écarter l'application des articles L.442-6 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 (devenu article L.442-1) et celle de l'article 1170 du code civil.
25- Pour autant, il est constant que le juge peut procéder à la réduction d'honoraires manifestement excessifs.(et la Société Poietis n'a nullement renoncé au droit d'invoquer cette disposition)
26- Tel est le cas en l'espèce, dès lors que la clause aurait pour effet de faire payer au client un honoraire de 250 000 euros HT alors d'une part que le montant des fonds levés avant la résiliation du contrat ne s'élevaient qu'à 174 500 euros entre le 25 octobre 2019 et le 10 décembre 2019, au titre d'obligations convertibles en actions souscrites par six personnes physiques déjà actionnaires de la société, via leurs sociétés holdings respctives, et un salarié, et, d'autre part, que la somme de 829900 euros a été payée le 9 novembre 2020, après l'émission de la facture de Bryan Garnier, au titre d'obligations convertibles en actions souscrites par la société Wicap Poietis 3 dans le cadre de la plate forme de crowdfunding Wiseed.
27- Au regard des diligences accomplies par la société appelante sur une période d'un an, entre mars 2019 et la date d'effet de la résiliation du contrat, telles que précédemment détaillées, qui ont permis de présenter la société Poietis à de nombreux investisseurs potentiels, il convient de fixer la rémunération de la société Bryan Garnier à 80 000 euros HT.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté entièrement la demande en paiement d'honoraires.
Sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive:
28- Il n'est pas démontré que la société Poietis se soit rendue responsable d'une résistance fautive, ni d'un abus dans le cadre de la procédure, dès lors que la demande en paiement de la société Bryan Garnier était excessive.
Le tribunal a donc rejeté à bon droit cette demande. Le jugement sera confirmé de ce chef.
29- Partie perdante au terme de l'instance, la société Poietis supportera les dépens de première instance et d'appel, et sera condamnée en équité à payer à la société Bryan Garnier une somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:
Infirme le jugement rendu le 22 mars 2022 par le tribunal de commerce de Bordeaux, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par la société Bryan Garnier & Co,
Statuant à nouveau,
Condamne la société Poietis à payer à la société Bryan Garnier & Co la somme de 80 000 euros HT, à titre d'honoraires,
Y ajoutant,
Condamne la société Poietis à payer à la société Bryan Garnier & Co la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les autres demandes,
Condamne la société Poietis aux dépens de première instance et d'appel.