CA Montpellier, 5e ch. civ., 18 juin 2024, n° 21/02504
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pacy (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Fillioux
Conseillers :
M. Garcia, Mme Strunk
Avocats :
Me Beaussier Rocheblave, Me Vial-Bondon, Me Gardier
FAITS et PROCEDURE- MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :
La SCI Pacy est propriétaire au sein de la copropriété Port [5] des lots 106 à 108, qui forment un local commercial, [Adresse 7], faisant partie d'une galerie commercante.
Souhaitant procéder à un aménagement de sa vitrine donnant sur la galerie marchande par l'utilisation des arcades, la SCI a présenté une demande en assemblée générale en ce sens qui a été refusée selon deux résolutions adoptées les 2 octobre 2017 et 8 juin 2018.
Arguant de l'existence d'un abus de majorité de nature à créer une rupture d'égalité entre les commerçants, la SCI Pacy a fait assigner le syndicat des copropriétaires Port [5] devant le tribunal judiciaire de Béziers en vue d'obtenir l'annulation de l'assemblée générale du 2 octobre 2017 et celle du 8 juin 2018, ainsi que l'allocation de la somme de 100.000 euros au titre du préjudice subi.
Le jugement rendu le 8 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Béziers :
déboute la SCI Pacy de l'ensemble de ses demandes ;
dit n'y avoir lieu, s'agissant d'une fin de non-recevoir et non d'une exception d'incompétence, à inviter la demanderesse à mieux de pourvoir ;
condamne la SCI Pacy à payer la somme de 850 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens
Le tribunal rejette l'existence d'une rupture d'égalité au motif que les autorisations d'aménagement et occupation ont été accordées dans le passé à des commerçants, qui se sont appropriés des parties communes, afin de régulariser une situation de fait, et ne concernent que des commerces donnant sur la [Adresse 8].
En l'absence d'autorisation analogue concernant les commerces donnant sur le [Adresse 7], la rupture d'égalité ne peut être invoquée par la SCI.
Enfin, l'occupation et l'utilisation du passage sous les arcades, qui constituent une partie commune, doit être conforme au règlement intérieur et doit en conséquence permettre l'exercice effectif du droit de passage. A cet égard, la présence de trois distributeurs et vitrines à glace obstruant le passage imputable à l'ancien locataire de la SCI ne peut être autorisée tout comme la pose d'enseignes et de stores outre la présence de câbles accordés à un module électrique.
La SCI Pacy a relevé appel du jugement par déclaration au greffe du 18 avril 2021.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 avril 2024.
Les dernières écritures pour la SCI Pacy ont été déposées le 16 juillet 2021
Les dernières écritures pour le syndicat des copropriétaires Port [5] ont été déposées le 8 septembre 2021.
Dans ses dernières écritures, la SCI Pacy demande à la cour, au visa des articles 9, 25b et 30 de la loi du 10 juillet 1965, de :
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal Judiciaire de Béziers en date du 8 mars 2021,
En conséquence,
- Constater une autorisation du règlement de copropriété pour un aménagement sur toute la longueur de la vitrine dans la galerie commerçante, pour les besoins du commerce,
- Dire et juger nulle l'assemblée générale du 8 juin 2018 tenant l'abus de majorité manifeste, créant une rupture d'égalité entre les commerçants,
- Autoriser la SCI Pacy à l'aménagement de la coursive selon plan porté en assemblée, conformément aux dispositions du règlement permettant le maintien d'un passage,
- Condamner le syndicat des copropriétaires à permettre l'aménagement de la coursive selon plan porté en assemblée, conformément aux dispositions du règlement permettant le maintien d'un passage,
- Condamner le syndicat des copropriétaires à la somme de 100.000 euros au titre du préjudice subi par la SCY Pacy,
- Ordonner l'exécution provisoire,
- Rejeter tous moyens et conclusions contraires,
- Condamner le syndicat des copropriétaires à la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens, comprenant les constats d'huissier dressés pour les besoins de la procédure.
L'appelante soutient que le refus réitéré dans le cadre de deux assemblées générales, d'utiliser les arcades, caractérise une rupture d'égalité dans la mesure où la jouissance des coursives, parties communes, a été régularisée pour certains commerces alors que rien n'imposait au syndicat des copropriétaires de le faire.
En présence d'une emprise réalisée sur les parties communes, le syndicat des copropriétaires pouvait solliciter la démolition des constructions édifiées sur les coursives en violation du règlement de copropriété, l'action étant soumise à une prescription trentenaire.
L'appelante fait valoir par ailleurs que le [Adresse 7] est soumis, par la décision critiquée, à un régime juridique distinct de celui des autres coursives ce qui constitue une rupture d'égalité alors qu'aucune disposition du règlement de copropriété ne fait de distinction.
Enfin, elle prétend que le comportement de l'ancien locataire de la SCI est indifférent à l'appréciation de la demande.
Elle dénonce en conséquence l'abus manifeste de majorité exposant que depuis de nombreuses années, les autres locaux commerciaux ont procédé à de nombreux aménagements dans la galerie bordant les commerces pour s'approprier entièrement cet espace. Elle demande à bénéficier des mêmes dérogations et à être autorisée à aménager la coursive constituant une partie commune, sous peine de constituer une discrimination à son encontre.
Elle soutient enfin que cette situation lui est préjudiciable puisqu'elle a perdu son dernier locataire faute de lui proposer de meilleures conditions de location.
L'appelante conteste pour finir l'existence de travaux irréguliers soutenant qu'il s'est agi de mettre aux normes des travaux anciennement réalisés et qui ne respectaient pas les règles de sécurité. Elle fait valoir qu'il s'agit d'une installation électrique simplement rénovée.
Dans leurs dernières écritures, le syndicat des copropriétaires Port [5] demande à la cour, au visa de l'article 25 de la loi du 10 juillet 1965, de :
- Rejeter l'intégralité des demandes de la SCI Pacy comme injustes et infondées et confirmer la décision du tribunal judiciaire de Béziers du 8 mars 2021 ;
- Faire droit à l'appel incident du syndicat concluant ;
- Constater que la SCI Pacy a commis une infraction au règlement de copropriété par l'occupation non autorisée des parties communes ;
Par voie de conséquence,
- Ordonner la remise en état sous astreinte de 500 € par jour de retard ;
- Condamner la SCI Pacy à lui verser au la somme de 100.000 € au titre du préjudice subi ;
- Condamner la SCI Pacy à verser la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- La condamner aux entiers dépens, en ce compris le constat d'huissier en date du 18/08/2017.
L'intimée indique à titre liminaire que l'occupation revendiquée par la SCI empêche tout passage de la circulation méconnaissant ainsi le droit de passage consacré à l'article 67 du règlement de copropriété justifiant ainsi le rejet de la demande.
Elle ajoute que la SCI Pacy ne justifie pas de l'existence d'un abus de droit dans la mesure où elle ne démontre pas que la décision prise par l'assemblée générale est contraire aux intérêts collectifs des copropriétaires ou bien qu'elle a été prise dans le seul but de favoriser les intérêts personnels des propriétaires majoritaires.
L'intimée rappelle que le règlement de copropriété n'autorise par la fermeture des galeries commerçantes qui sont des parties communes et qu'elles doivent permettre le passage.
Le syndicat des copropriétaires fait également valoir que la configuration de la [Adresse 8] étant spécifique et radicalement différente de celle du [Adresse 7], la SCI Pacy ne peut revendiquer le bénéfice des aménagements réalisés par les commerçants dans cette rue. Il distingue trois zones la [Adresse 8], la rue commerçante et l'allée commerçante qui en est le prolongement.
L'intimée précise à cet égard que tous les lots situés sur ce quai sont soumis au même régime et aucun d'entre eux n'a eu l'autorisation de fermer la coursive et d'occuper en permanence cet espace commun moyennent paiement d'un loyer. Enfin, s'agissant des aménagements autorisés sur les deux autres zones, le syndicat précise qu'ils n'obstruent pas le passage et qu'ils ont permis une harmonisation dans l'utilisation de la coursive.
Le syndicat intimé dénonce enfin la mauvaise foi de la SCI Pacy qui savait pertinemment qu'un tel aménagement n'est pas possible pour avoir été refusé à l'ancien propriétaire des lots qui l'en a avisé.
En conséquence, selon elle, cette extension du commerce sur une partie commune interdisant toute circulation au public est entièrement justifiée et ne constitue pas une rupture d'égalité ni un abus de majorité.
L'intimée dénonce enfin la réalisation de travaux de modification sans autorisation de l'assemblée générale notamment l'installation de prises de courant sur les parties communes pour brancher des congélateurs et aménager de manière irrégulière les parties communes. Le syndicat réclame donc l'indemnisation du préjudice occasionné par l'infraction au règlement de copropriété relevée à l'encontre de la SCI, ainsi que la remise en état des lieux.
DECISION
1/ Sur la demande d'annulation :
L'action en nullité de l'assemblée générale ne peut être fondée que sur le non-respect des formalités légales ou sur l'abus de majorité, s'il est rapporté la preuve que la décision prise est contraire à l'intérêt de la copropriété ou discriminatoire à l'égard de l'un d'entre eux.
Il appartient au copropriétaire qui demande la nullité d'une décision fondée sur l'abus de majorité de démontrer que celle-ci a été adoptée sans motif valable et notamment dans un but autre que la préservation de l'intérêt collectif de l'ensemble des copropriétaires ou dans le seul but de favoriser les intérêts personnels de copropriétaires majoritaires au détriment de copropriétaires minoritaires.
La discrimination entre copropriétaires est un élément caractérisant la conception de l'abus de majorité. La rupture d'égalité entre copropriétaires ne peut être cause de nullité d'une délibération que s'il est établi que de manière injustifiée, donc arbitraire, il a été réservé à un copropriétaire un sort différent que celui réservé à d'autres copropriétaires placés dans une situation identique.
Il n'est nullement contesté que lors de l'assemblée générale organisée le 2 octobre 2017, la SCI Pacy a sollicité l'autorisation d'occuper les parties communes et y réaliser des travaux selon un plan annexé, induisant la conclusion d'un bail commercial en précisant que le projet ne gêne pas le passage par le portillon dont le passage a été modifié et qu'un passage piéton est préservé dans la coursive. Cette résolution n°4 a été rejetée pour défaut de majorité.
Lors de l'assemblée générale organisée le 8 juin 2018, la SCI Pacy a réitéré sa demande d'autorisation d'occuper les parties communes et voir conclure un bail commercial sur la coursive. Cette résolution n°20 a été de nouveau rejetée pour défaut de majorité.
Il est à noter que dans le cadre de la résolution n°21, la SCI Pacy demande à voir démolir la totalité des parties communes des commerces si elle n'obtient pas de bail commercial portant sur la partie extérieure, tandis que le syndic rappelle que l'utilisation des parties communes par certains commerçants côté [Adresse 8] fait l'objet de baux commerciaux ; il soumet donc cette demande de démolition à l'assemblée générale qui la rejette à la majorité.
Il s'évince des pièces versées aux débats que l'aménagement des galeries commerçantes par les copropriétaires n'est pas interdit par principe et qu'il n'existe pas de distinctions dans le régime applicable selon la localisation de la galerie entre le [Adresse 7] et la [Adresse 8] contrairement à ce que soutient l'intimé.
Il résulte en effet du règlement intérieur de la copropriété (page 67) que ' les galeries commerçantes desservant les locaux commerciaux de l'ensemble immobilier sont grevées d'un droit de passage et d'utilisation au profit de toute personne. Sous réserve de ce droit de passage, les propriétaires de ces locaux auront au droit et sur toute la longueur de la vitrine, la possibilité d'utiliser pour les besoins de leur commerce, les galeries commerçantes'.
Ainsi, la seule limite légitime à opposer à une demande de commercialisation de la partie extérieure est l'exercice effectif d'un droit de passage et tout obstacle à cet usage peut motiver un refus.
Dès lors, si la SCI Pacy conteste la validité des deux assemblées générales observant que le seul refus opposé est constitutif d'un abus de majorité en présence d'autorisations accordées à d'autres copropriétaires d'exploiter la superficie extérieure à des fins commerciales, ce moyen est cependant inopérant sauf à démontrer que le passage est préservé par les aménagements réalisés ou que les copropriétaires bénéficiant de cette autorisation empiètent les parties communes au point d'en interdire toute circulation contrairement à ce qui est préconisé par le règlement intérieur.
Ces deux derniers points ne sont pas démontrés par l'appelante.
Il résulte du procès-verbal de constat dressé le 18 août 2017 par Me [Y], commissaire de justice, que le locataire des lots appartenant à la SCI Pacy a aménagé une activité de vente de glaces sous l'enseigne 'O plaisir gourmand' . Le preneur a installé trois distributeurs et trois vitrines à glaces sur l'emprise de la coursive sur toute la largeur des deux arcades. Il est indiqué que le passage est obstrué, ce qu'illustrent parfaitement les photographies jointes au constat.
Le principe du refus est légitimé par cette obstruction opposée à la circulation des piétons et ne revêt aucun caractère abusif puisqu'il est conforme aux dispositions du règlement intérieur.
Par ailleurs, s'il est justifié aux termes de l'assemblée générale du 24 février 2001 et celle du 30 juin 2008 que des baux commerciaux ont été consentis aux commerçants, qui se sont appropriés les parties communes dans le temps, il n'est nullement justifié que l'appropriation porte sur les galeries commerçantes, les procès-verbaux d'assemblée restant évasifs sur ce point et s'agissant de l'autorisation donnée à M. [F] de louer la coursive, il n'est nullement démontré que cette occupation interdise l'usage du droit de passage.
Faute d'éléments démontrant la constitution d'un abus de majorité, il ne saurait en conséquence être fait droit à la demande présentée par la SCI Pacy aux fins d'annulation aux fins des résolutions des assemblées générales contestées.
Le premier juge a également relevé que la pose d'enseignes et de stores ainsi que la présence de câbles accordés à un module électrique n'avaient pas été autorisés en assemblée générale alors que ces aménagements modifient les parties communes. Il a donc considéré que c'est à bon droit en présence d'une telle voie de fait, que le syndicat refusé une telle autorisation.
La SCI Pacy oppose l'autorisation donnée lors de l'assemblée générale du 6 juin 2014 au crédit agricole, ancien occupant des lots litigieux, d'installer des enseignes au droit de la partie louée et de mettre en place des portes affiches sur les poteaux, pour contester le refius opposé à la réalisation de ces aménagements.
Ce moyen est cependant inopérant car il s'agit d'une autorisation individuelle qui découle de l'examen d'un projet lequel comporte notamment un aspect esthétique permettant de vérifier que l'aménagement sollicité est conforme à la destination de l'immeuble.
Il appartenait donc à la SCI Pacy, qui ne peut se prévaloir d'une autorisation qui ne la concerne pas, de solliciter aurpès du syndicat des copropriétaires une autorisation en vue de procéder à ces aménagements ce qu'elle n'a pas fait.
Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
2/ Sur la demande reconventionnelle de l'intimé :
Le premier juge a rejeté les demandes reconventionnelles du syndicat des copropriétaires consistant en une remise en état des lieux litigieux et en l'allocation d'une indemnité au titre du préjudice subi consécutif à l'occupation non autorisée des parties communes.
Il a en effet considéré que l'occupation non autorisée des parties communes était le fait du locataire de la SCP Pacy dont il est justifié la résiliation du bail de telle sorte qu'il a considéré qu'aucun élément ne démontre le maintien de la situation dénoncée par l'intimé.
En appel, il n'est pas justifié que l'occupation non autorisée des parties communes reste actuelle ni que la réalisation de travaux irréguliers de modification des parties communes sans autorisation de l'assemblée générale, consistant notamment en l'installation de prises de courant sur les parties communes pour brancher des congélateurs, sont toujours présents en l'absence d'élément de preuve actualisé.
Cette demande sera rejetée à l'instar de ce qu'a décidé le premier juge.
3/ Sur les frais accessoires :
La décision déférée sera confirmée sur la charge des dépens et le montant des frais irrépétibles alloués en première instance.
L’appelante, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens ainsi qu'au règlement d'une somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la SCI Pacy à payer au syndicat des copropriétaires Port [5] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.