CA Rennes, 2e ch., 18 juin 2024, n° 21/07773
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Autowelt Krasniqi (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jobard
Conseillers :
M. Pothier, Mme Barthe-Nari
Avocats :
Me Gueguen, Me De Guerry
EXPOSÉ DU LITIGE :
Suivant acte sous-seing privé du 29 avril 2013, M. [T] [H] a vendu à M. [W] [E] un véhicule de marque BMW immatriculé [Immatriculation 8] affichant 110 400 km au prix de 13 000 euros.
Suivant ordonnance du 7 mai 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nantes a ordonné, à la demande de M. [W] [E], une expertise du véhicule. L'expert a déposé son rapport le 19 février 2016.
Suivant acte d'huissier des 27 janvier 2016 et 6 octobre 2017, M. [W] [E] a assigné M. [T] [H] et la société Autowelt Krasniqi devant le tribunal de grande instance de Nantes.
Suivant jugement du 25 novembre 2021, le tribunal de grande instance de Nantes devenu tribunal judiciaire de Nantes a :
Prononcé la résolution de la vente.
Condamné M. [T] [H] à restituer à M. [W] [E] le prix de vente outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation.
Dit que M. [T] [H] devrait récupérer le véhicule à ses frais à l'endroit où il se trouve entreposé après restitution du prix de vente.
Condamné in solidum M. [T] [H] et la société Autowelt Krasniqi à payer à M. [W] [E] la somme de 6 301,50 euros en indemnisation de ses préjudices.
Condamné in solidum M. [T] [H] et la société Autowelt Krasniqi à payer à M. [W] [E] la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamné in solidum M. [T] [H] et la société Autowelt Krasniqi aux dépens, comprenant les frais d'expertise, avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Virginie de Guerry de Beauregard.
Suivant déclaration du 13 décembre 2021, M. [T] [H] a interjeté appel (procédure n° 21/7773).
Suivant déclaration du 3 février 2022, M. [T] [H] a interjeté appel (procédure n° 22/0705).
Les procédures ont été jointes.
En ses dernières conclusions du 26 août 2022, M. [T] [H] demande à la cour de :
Vu les articles 1147 et suivants du code civil dans leur rédaction applicable au litige,
Infirmer le jugement déféré.
Statuant à nouveau,
Dire que seule la société Autowelt Krasniqi devra être condamnée à la résolution de la vente et à la restitution du prix de vente, sa garantie ne pouvant être recherchée que pour la différence de valeur.
Dire que seule la société Autowelt Krasniqi devra être condamnée à payer M. [W] [E] toute somme en indemnisation de ses préjudices et être tenue du paiement des frais irrépétibles et des dépens.
A titre subsidiaire,
Condamner la société Autowelt Krasniqi à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.
Débouter M. [W] [E] des demandes formulées à son encontre.
Condamner solidairement M. [W] [E] et la société Autowelt Krasniqi à lui payer la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les condamner aux dépens.
En ses dernières conclusions du 29 décembre 2023, M. [W] [E] demande à la cour de :
Vu les articles 1104 et suivants et 1641 et suivants du code civil,
Vu les articles 1147 et 1382 du code civil dans leur rédaction applicable au litige,
Confirmer le jugement déféré.
A titre subsidiaire,
Ordonner la résolution de la vente pour vice caché.
En conséquence,
Condamner M. [T] [H], à défaut la société Autowelt Krasniqi, à lui payer la somme de 13 000 euros avec intérêts de droit à compter du 29 avril 2013 au titre de la restitution du prix de vente.
Condamner solidairement M. [T] [H] et la société Autowelt Krasniqi à lui payer les sommes suivantes :
1 679,45 euros au titre du préjudice financier lié à l'achat du véhicule.
3 012,75 euros au titre du préjudice financier lié aux frais mécaniques.
2 222,58 euros au titre du préjudice financier lié aux frais d'assurance.
545,60 euros au titre du préjudice financier lié aux différentes réunions d'expertise.
Dire que M. [T] [H] devra faire son affaire des frais de reprise et aura à sa charge de récupérer le véhicule une fois qu'il se sera acquitté de l'ensemble des sommes mises à sa charge.
En tout état de cause,
Condamner in solidum M. [T] [H] et la société Autowelt Krasniqi, ou toute partie perdante, à lui payer la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamner in solidum M. [T] [H] et la société Autowelt Krasniqi aux dépens de la procédure d'appel.
La société Autowelt Krasniqi n'a pas constitué avocat.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 février 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le manquement à l'obligation de délivrance conforme.
Au soutien de son appel, M. [T] [H] rappelle qu'il a acquis le véhicule litigieux auprès de la société Autowelt Krasniqi le 10 janvier 2013 alors qu'il affichait 107 000 km. Il fait valoir qu'il n'avait aucune raison de penser que le véhicule avait subi un abaissement du kilométrage avant qu'il ne le vende à M. [W] [E]. Il soutient que sa responsabilité ne peut être recherchée au titre d'un manquement à l'obligation de délivrance conforme, ou sur tout autre fondement, dès lors que l'inexécution procède d'une cause étrangère. Il soutient que M. [W] [E] se devait d'agir contre le vendeur initial à l'origine de la fraude.
M. [W] [E] soutient, conformément à ce qu'a retenu le premier juge, que M. [T] [H] a manqué à son obligation de délivrance conforme en livrant un véhicule totalisant 125 000 km de plus que le kilométrage affiché et convenu. Il ajoute qu'il importe peu de savoir si le vendeur est à l'origine de la modification du kilométrage ou s'il est de bonne foi. Il ajoute encore qu'il ne peut se prévaloir de la force majeure dès lors que la dissimulation du kilométrage n'est pas extérieure à la chose vendue. Il rappelle qu'il avait le choix d'agir contre son propre vendeur ou l'un des vendeurs successifs.
Aux termes de l'article 1604 du code civil, le vendeur est tenu de délivrer la chose vendue à l'acheteur. Cette délivrance doit être conforme aux spécifications des parties, le vendeur étant tenu à cet égard d'une obligation de résultat.
Il est constant que la vente portait sur un véhicule totalisant 110 400 kms. Il est démontré par l'expertise judiciaire du 19 février 2016, ce point n'étant d'ailleurs pas discuté, que le véhicule a subi un abaissement de kilométrage et qu'il totalisait en réalité un kilométrage supérieur de 125 000 kms à celui affiché. L'expert judiciaire a ainsi relevé que les garagistes intervenus sur le véhicule avaient noté que celui-ci totalisait 196 879 km le 5 juillet 2011 et seulement 92 147 km le 26 juin 2012. Il a aussi constaté que la modification était antérieure à la vente conclue entre la société Autowelt Krasniqi et M. [T] [H].
M. [T] [H] a délivré un véhicule avec un kilométrage substantiellement plus important que celui convenu par les parties de sorte qu'il a manqué à son obligation de délivrance conforme.
Il fait valoir que le manquement à l'obligation de délivrance conforme résulte d'une circonstance extérieure. Seule l'existence d'une cause étrangère revêtant les caractères de la force majeure serait de nature à l'exonérer de son obligation. Le vendeur n'est cependant pas fondé à invoquer la force majeure alors que la modification du compteur kilométrique constitue un événement qui pouvait être raisonnablement prévu et de surcroît prévenu par la vérification de l'historique du véhicule.
C'est à juste titre que le premier juge a prononcé la résolution de la vente et condamné M. [T] [H] à la restitution du prix de vente, M. [W] [E] restant quant à lui tenu à la restitution du véhicule.
Sur la responsabilité de la société Autowelt Krasniqi.
M. [T] [H] sollicite la condamnation de la société Autowelt Krasniqi à le garantir des condamnations prononcées à son encontre.
Il ressort du rapport d'expertise que la modification du kilométrage a été réalisée avant la vente intervenue entre la société Autowelt Krasniqi et M. [T] [H]. En qualité de professionnelle, la société Autowelt Krasniqi ne pouvait ignorer le défaut de conformité du véhicule.
C'est à juste titre que le premier juge a retenu que la société Autowelt Krasniqi avait commis un manquement contractuel à son obligation d'information en mentionnant un kilométrage erroné sur le bon de commande lors de la vente à M. [T] [H].
M. [T] [H] n'est cependant pas fondé à solliciter la condamnation de la société Autowelt Krasniqi à restituer à M. [W] [E] le prix de vente qu'il a perçu étant ajouté que cette dernière n'était pas partie au contrat de vente conclu entre les deux particuliers. Il sera relevé que M. [T] [H] n'a pas sollicité devant le premier juge la résolution de la vente conclue avec la société Autowelt Krasniqi et la restitution du prix de vente acquitté par lui.
M. [T] [H] n'est pas plus fondé à solliciter la condamnation de la société Autowelt Krasniqi à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre, demande nouvelle en cause d'appel et comme telle irrecevable. Il sera relevé que M. [T] [H] n'a, devant le premier juge, formulé aucune demande à l'encontre de la société Autowelt Krasniqi et qu'il s'est contenté de conclure au rejet des prétentions de M. [W] [E].
Sur les demandes indemnitaires.
Le premier juge a alloué à titre de dommages et intérêts à M. [W] [E] les sommes suivantes :
508,50 euros au titre des frais d'immatriculation.
2 222,58 euros au titre des frais d'assurance.
1 665,35 euros au titre des frais mécaniques.
1 359,47 euros au titre des frais financiers liés au prêt souscrit pour l'achat du véhicule.
545,60 euros au titre des frais de déplacement et pertes de salaire consécutifs aux expertises.
Soit la somme totale de 6 301,50 euros.
M. [W] [E] ne peut discuter les sommes qui lui ont été allouées alors qu'il n'est pas appelant du jugement.
M. [T] [H] conteste les dommages et intérêts accordés au titre des frais d'assurance en faisant valoir que le véhicule était roulant et que M. [W] [E] a pu l'utiliser normalement.
M. [W] [E] n'est en effet pas fondé à solliciter le remboursement des frais d'assurance d'un véhicule dont il ne démontre par aucune pièce produite aux débats qu'il n'a pas pu normalement l'utiliser. Si l'expert judiciaire a conclu que véhicule était hors d'usage en raison d'une panne affectant le turbocompresseur, il ne l'a pas personnellement constatée se contentant des déclarations de l'acquéreur. Ces frais d'assurance auraient été exposés par M. [W] [E] s'il avait fait usage d'un véhicule équivalent. Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
M. [T] [H] conteste également les dommages et intérêts accordés à M. [W] [E] au titre des frais financiers liés au prêt souscrit pour l'achat du véhicule. L'acquéreur est cependant fondé à solliciter l'indemnisation des frais qu'il n'aurait pas exposés si la vente ne s'était pas réalisée. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les autres demandes.
Il n'est pas inéquitable de condamner M. [T] [H] à payer à M. [W] [E] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d'appel.
M. [T] [H], partie succombante à titre principal, sera condamné aux dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme le jugement rendu le 25 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Nantes en ce qu'il a condamné M. [T] [H] in solidum avec la société Autowelt Krasniqi à payer à M. [W] [E] la somme de 6 301,50 euros en indemnisation de ses préjudices.
Statuant à nouveau,
Condamne M. [T] [H] in solidum avec la société Autowelt Krasniqi à payer à M. [W] [E] la somme de 4 078,92 euros en indemnisation de ses préjudices.
Confirme le jugement déféré en ses autres dispositions.
Y ajoutant,
Condamne M. [T] [H] à payer M. [W] [E] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d'appel.
Condamne M. [T] [H] aux dépens de la procédure d'appel.
Rejette toute demande plus ample ou contraire.