CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 14 juin 2024, n° 22/05033
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
GF Productions France (SA), GF Productions (SA)
Défendeur :
France Televisions (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ardisson
Conseillers :
Mme L'Eleu de la Simone, Mme Guillemain
Avocats :
Me Watrin, Me Lefaucheux
FAITS ET PROCÉDURE
Depuis 2010, les sociétés GF Production SA et Grégoire Furrer productions, de droit suisse ainsi que GF Production France, (ci-après "les sociétés GF productions"), coproduisent le spectacle [Localité 6] Comedy Festival (ci-après "le Festival"), anciennement dénommé "Festival du Rire de [Localité 6]" se tenant chaque année au début du mois de décembre à [Localité 6] en Suisse.
Selon des "contrats de préachat sans droit à recette" successivement passés de 2009 à 2014, les sociétés GF productions ont confié à la société France télévisions la production audiovisuelle et la diffusion de plusieurs spectacles [Localité 6] Comedy Festival.
En mars 2015, les sociétés GF productions ont confié la production télévisuelle de leur festival pour les années 2015, 2016 et 2017 à la société TF1 dont l'offre était mieux-disante que celle de la société France télévisions.
Déçue par la rentabilité de la production télévisuelle du festival, la société TF1 a obtenu des sociétés GF productions que les droits pour l'exploitation des programmes du festival pour les années 2016 et 2017 soient repris par la société France télévisions ainsi qu'elle s'y est engagée auprès de la société TF1 par lettre du 18 octobre 2016.
Puis par une lettre du 27 novembre 2017, la société France télévisions a confirmé commander aux sociétés GF productions le pré-achat du festival pour les saisons 2018, 2019 et 2020 aux prix de 300.000 euros pour 2018, 315.000 euros pour 2019 et 330.750 euros pour 2020.
Tandis que les diffusions des programmes télévisuels des festivals ont fait l'objet d'un "contrat d'achat de droits de diffusion" en 2018 puis en 2019, la pandémie de la Covid en 2020 a conduit les sociétés GF productions à dénoncer à la société France télévisions l'annulation de la programmation du festival par lettre du 2 novembre 2020 tout en indiquant "être confiant[es] sur le fait de trouver des dates entre avril et juin (2021)". Le même jour, la société France télévisions a pris acte de cette annulation et indiqué "réfléchir à un éventuel soutien par une réexposition d'éditions passées du Festival sur l'antenne de France 4 ainsi que de France .tv" avant d'indiquer par un courriel du 18 novembre suivant que la rediffusion par la chaîne France 4 n'était plus viable.
Après avoir dénoncé dans la presse en décembre 2020 l'abandon de la programmation du festival par la société France télévisions, les sociétés GF productions ont convenu dans le courant du premier trimestre 2021 d'un partenariat avec la société Groupe Canal+ pour la reprise de la programmation du festival en décembre 2021.
Par acte du 8 juin 2021, les sociétés GF productions ont assigné la société France télévisions devant le tribunal de commerce de Paris afin d'entendre, d'une part, juger abusif la rupture du "contrat-cadre du 27 novembre 2017 en raison du refus du report de quelques mois de la production du festival de 2020 du Montreux Comedy Festival et de condamner la société France télévisions à payer les sommes de 330.750 euros en réparation du préjudice économique s et 150.000 euros en réparation du préjudice moral, d'autre part, de juger brutale, la rupture brutale de la relation commerciale établie et de condamner la société France télévisions à payer les sommes de 300.000 euros en réparation du préjudice économique subi et 100.000 euros en réparation du préjudice moral.
La société France télévisions a pour sa part conclu à l'irrecevabilité de l'action de la société GF productions ainsi qu'au débouter des demandes au fond et réclamé reconventionnellement que soit ordonné aux requérantes, sous astreinte, l'annulation des quatre factures qu'elles ont mis en paiement le 22 octobre 2020 pour la somme totale de 363.000 euros TTC et qu'elles soient condamnées à payer du chef de dénigrement la somme de 30.000 euros de dommages et intérêts.
Par un jugement du 9 février 2022, la juridiction commerciale a, avec exécution provisoire, débouté les sociétés GF Productions de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre de la société France télévisions, ordonné aux sociétés GF Productions de remettre à la société France télévisions, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification du jugement, un avoir annulant les 4 factures datées du 22 octobre 2020, d'un montant total TTC de 363.000 euros, condamné solidairement les sociétés GF Productions à payer à la société France télévisions 5.000 euros de dommages et intérêts au titre du dénigrement, débouté les parties pour leurs demandes plus amples ou autres, condamné solidairement les sociétés GF Productions aux dépens et condamné solidairement les sociétés GF Productions à payer à la société France télévisions la somme de 15.000 euros au titre de l'article du 700 du code de procédure civile.
Les sociétés GF Production France et GF Production SA ont interjeté appel du jugement le 4 mars 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES EN APPEL :
Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 20 mars 2024 pour les sociétés GF Production France et GF Production SA afin d'entendre, en application des articles 1104, 1113 et suivants, 1193 et suivants et 1231 et suivants, 1358 et suivants et 1844- 5 du code civil, L. 442-1 II. du code de commerce, 29 alinéa 1er, 53 et 65 de la loi du 29 juillet 1881, 12, 32, 122, 123 et 125 du code de procédure civile :
- juger les sociétés GF Production et GF Production SA recevables et bien fondées en leur appel,
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a dit que c'est la société GF productions France qui a mis fin pour raisons sanitaires aux relations contractuelles qui la liaient à la société France Télévisions, en annulant l'édition 2020 du [Localité 6] Comedy Festival, débouté les sociétés GF Production de l'ensemble de leurs demandes indemnitaires au titre de la résiliation abusive par la société France Télévisions de l'accord-cadre du 27 novembre 2017 par son refus du report de quelques mois de l'édition 2020 du [Localité 6] Comedy Festival, comme au titre de la rupture brutale, abusive et vexatoire par la société France Télévisions des relations commerciales établies, dit que les sociétés GF productions ont fait médiatiquement porter la responsabilité de l'annulation du festival [Localité 6] Comedy à la société France Télévisions, condamné conjointement et solidairement les sociétés GF productions à payer à la société France Télévisions 5.000 euros de dommages et intérêts, dit les sociétés GF productions mal fondées pour leurs demandes plus amples ou autres, et les en a déboutées, condamné conjointement et solidairement les sociétés GF productions aux dépens, condamné conjointement et solidairement les sociétés GF productions à payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- juger que la société France télévisions a résilié abusivement le contrat-cadre du 27 novembre 2017 qu'elle a déclaré caduc en refusant le report de quelque mois de l'édition 2020 du [Localité 6] Comedy Festival,
- condamner la société France télévisions à verser à la société GF productions France une somme de 330.750 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait de cette résiliation abusive,
- condamner la société France télévisions à verser à la société GF Production France la somme de 150.000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de cette résiliation abusive,
- juger que des relations commerciales établies liaient depuis 2009 la société France télévisions aux sociétés GF productions puis GF productions France,
- juger que la rupture de ces relations commerciales établies par la société France télévisions à l'encontre de la société GF productions France a été abusive, brutale et vexatoire,
- condamner la société France télévisions à verser à la société GF productions France la somme de 300.000 euros en réparation du préjudice économique subi du fait de la brutalité de la rupture,
- condamner la société France télévisions à verser une somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait du manque à gagner consécutif à cette rupture,
- condamner la société France télévisions à verser à la société GF productions France la somme de 100.000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait du caractère vexatoire de la rupture,
- condamner la société France télévisions à payer une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 13 mars 2024 pour la société France télévisions afin d'entendre, en application des articles L. 442-1 II du code de commerce, 1193 et suivants et 1231 et suivants du code civil :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés GF Production de l'ensemble de leurs demandes,
- juger infondés les griefs de la société GF productions France à l'encontre de la société France télévisions, au titre d'une prétendue résiliation abusive de contrat,
- juger infondés les griefs de la société GF productions France à l'encontre de la société au titre de la rupture brutale de relations commerciales,
- confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la remise à la société France télévisions, sous astreinte d'un avoir annulant les 4 factures datées du 22 octobre 2020, d'un montant total TTC de 363.000 euros, produites par les demanderesses en pièce n°30 ' et qui ne fait pas l'objet de l'appel des sociétés appelantes,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné conjointement et solidairement les sociétés GF productions la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts,
- condamner conjointement et solidairement les sociétés GF productions à payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner conjointement et solidairement les sociétés GF productions solidairement aux dépens.
SUR CE, LA COUR,
1. Sur la résiliation abusive du contrat
Pour entendre infirmer le jugement qui a rejeté ses demandes de dommages et intérêts en réparation des préjudices économiques et d'image fondées sur la résiliation abusive par la société France télévisions de ses engagements stipulés dans la lettre précitée du 27 novembre 2017 ainsi que sur son refus fautif d'accepter la retransmission du festival en 2021, la société GF productions France conteste, en premier lieu, la qualification de "lettre d'intention" donnée à cet engagement, alors que cette lettre mentionnait l'engagement non équivoque, ferme et définitif de la société France télévisions du paiement d'un prix "global, forfaitaire et non révisable" au titre des droits pour la programmation télévisuelle des spectacles des années 2018, 2019 et 2020, de sorte que cet engagement constituait un accord-cadre dont la validité et la portée n'étaient pas subordonnées à la souscription des conventions devant être passées chaque année.
En deuxième lieu, la société GF productions France relève que pour le festival de l'année 2020, les devis et l'échéancier de la facturation étaient arrêtés et les factures émises depuis le 22 octobre 2020.
En troisième lieu, la société GF productions France soutient que le contrat du 27 novembre 2017 ne subordonnait pas l'engagement de la société France télévisions à l'obligation de diffuser le festival à des dates fixes ou prévisionnelles et conteste que ces dates étaient déterminantes dans son consentement, alors qu'elle n'avait pas la responsabilité de produire le festival et disposait de ses droits de diffusion au moment où elle le souhaitait.
En quatrième lieu, la société GF productions France conteste la réalité du motif de rupture que la société France télévisions lui a opposé en particulier l'arrivée de nouvelles équipes du projet ainsi que la disparition de France 4, alors que cette chaîne a diffusé des programmes humoristiques en janvier 2021, la société France télévisions ayant par ailleurs accepté de reporter d'autres programmations annulées à l'occasion de la pandémie comme les "jeux d'intervilles".
Enfin, la société GF productions France relève que la société France télévisions n'a jamais justifié d'un déséquilibre du contrat qui serait résulté de la pandémie pour revendiquer sa caducité du contrat qu'elle a opposée dans un courriel du 18 décembre 2020 et n'a par ailleurs pas cherché à renégocier le contrat ainsi que le lui autorisait l'article 1195 du code civil en cas de "changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat qui rendait l'exécution excessivement onéreuse et qu'elle n'avait pas accepté d'en assumer le risque".
En stipulant l'engagement de la société France télévisions pour le "préachat" de trois nouvelles saisons de festivals produits sur les trois années 2018, 2019 et 2020 pour un prix "global, forfaitaire et non révisable", la lettre du 27 novembre 2017 constitue un contrat synallagmatique qui entre dans la définition que le code civil en donne à son article 1101 selon lequel "le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations", et dont par ailleurs la validité ne dépend pas de la circonstance alléguée par la société France Télévisions que cet engagement n'a pas été contresigné par les sociétés GF productions.
En revanche, il est rappelé les dispositions du code civil selon lesquelles, à l'article 1194 : "Les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l'équité, l'usage ou la loi", à l'article 1128 : "Sont essentielles les conditions sans lesquelles l'une des parties n'aurait pas contracté. Elles doivent être expressément stipulées et leur absence entraîne la nullité du contrat", à l'article 1189 : "Toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier. Lorsque, dans l'intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s'interprètent en fonction de celle-ci" et enfin, celles de l'article 1186 selon lesquelles :
Un contrat valablement formé devient caduc si l'un de ses éléments essentiels disparaît.
Lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie.
La caducité n'intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement.
Alors d'une part, que le contrat mentionne expressément les conditions de la validité des prix fixés "sous réserve d'acceptation des devis qui seront proposés", et d'autre part, celle selon laquelle :
"Toutefois, sans la signature d'un contrat entre les parties fixant leurs droits et obligations durant cette période, l'accord de principe fixé par la présente sera considérée comme nul et non avenu."
D'autre part, qu'il est constant que depuis qu'il est programmé, le festival de [Localité 6] Comedy Festival se produit entre la fin du mois de novembre et le début du mois de décembre, ainsi que cela est stipulé à l'article A du titre 1 des contrats d'achat de droits de diffusion passés en 2018 et 2019 qui mentionnent une livraison de certaines oeuvres devant être diffusées en direct ou en léger différé le 30 novembre ou le 3 décembre, et les autres au plus tard le 31 décembre de l'année.
Il en résulte que le contrat du 27 novembre 2017 comprenait la condition essentielle de la souscription d'une convention annuelle et que le prix que la société France télévisions a pu déterminer avant de s'engager à le payer dépendait nécessairement d'une appréciation de l'insertion dans ses propres diffusions de programmes, des dates de programmation du festival, et tandis que les sociétés GF productions ont dénoncé leur impossibilité de produire le spectacle au moment de leur programmation en novembre et décembre 2020, cette disparition de la cause du contrat entraînait la liberté de la société France télévisions d'opposer la caducité du contrat passé pour la diffusion du festival de 2020, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société GF productions France de ces chefs de demande.
2. Sur la rupture de la relation commerciale établie
- quant à la durée de la relation commerciale et l'imputabilité de la rupture
La société France télévisions entend voir infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes tendant à voir condamner la société France télévisions à des dommages et intérêts au titre de l'article L. 442-1 II. du code de commerce, et sur le fondement duquel elle conclut que la relation commerciale est établie depuis l'année 2009, lorsque le premier contrat pour la diffusion du festival a été convenu avec la société France télévisions et que cette relation a été brutalement dénoncée le 18 décembre 2020 en violation du préavis qui, selon les usages de la profession, doit être fixé à 24 mois.
Pour contester tout droit à préavis à compter des relations commerciales reprises à compter d'octobre 2016 avec la société GF productions France, la société France télévisions conclut en premier lieu que cette rupture est imputable à la société GF productions France qui a dénoncé l'impossibilité de produire le festival et ainsi mis fin au contrat.
En deuxième lieu, elle soutient que le processus de conclusion des contrats ne permettait aucune assurance dans la poursuite de la relation des parties la saison suivante, a fortiori, à l'issue d'une période triennale en cours, affirmant d'autre part que les contrats antérieurement et successivement conclus excluaient expressément toute reconduction tacite, et se prévalant enfin de l'information donnée à la société GF productions France de la disparition programmée de France 4 ainsi que du changement de sa ligne éditoriale.
Enfin, la société France télévisions prétend que la société GF productions France a bénéficié d'un préavis de 12 mois pour organiser la diffusion du festival pour sa date de programmation en novembre décembre 2021.
Au demeurant, le contrat du 27 novembre 2017 ne comporte aucune clause excluant son renouvellement tacite, et la caducité de l'engagement au titre de la diffusion du Festival en décembre 2020 ne constitue pas, en elle-même, une cause de rupture de la relation commerciale établie.
D'autre part, l'opportunité économique de négocier la production du festival de 2020 et sa diffusion dans le cadre du premier trimestre ou en mai 2021, ainsi que la société GF productions France le proposait, n'est pas exclue par les seules affirmations générales de la société France télévisions sur la réorientation de ces programmes et l'annonce de la disparition à venir de la chaîne France 4.
Au surplus, l'espérance que l'accord soit renouvelé pour une période trisannuelle est étayée par les termes du courriel qu'elle a adressé le 24 juin 2019 à la société GF productions France indiquant que " les parties se sont entendues pour prendre date en septembre afin de réfléchir à l'évolution du partenariat avec l'arrêt de France4 sur la TNT et l'élaboration d'un nouvel accord pluriannuel MCF / FTV."
En revanche, il est constant qu'en préférant unilatéralement confier à la société TF1 la diffusion de leur spectacle en mars 2015 pour les trois années 2015, 2016 et 2017 au motif que son offre était la mieux-disante, les sociétés GF productions ont alors nécessairement refusé à la société France télévisions le bénéfice de l'antériorité de leur relation commerciale établie, de sorte qu'elles ne peuvent, de bonne foi, revendiquer une continuité de la relation commerciale.
Alors d'une part, que les sociétés GF productions ne justifient pas dépendre économiquement de la société France télévisions pour la diffusion de leur spectacle ou être confrontées à une difficulté particulière pour trouver un autre partenaire pour la diffusion de leur spectacle dont la notoriété n'a pas été atteinte par la rupture, et d'autre part, qu'aucun usage du secteur d'activité de la production de spectacle ne fixe le délai de préavis 24 mois revendiqué par la société GF productions France, ce délai nécessaire à la recherche d'un nouveau diffuseur sera fixé par la cour à 3 mois.
- quant à la détermination de l'indemnité réparatrice
Il est rappelé que l'évaluation du préjudice né de la rupture brutale de la relation commerciale établie conduit à faire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période.
Pour le calcul de son préjudice devant être rapporté à la durée du préavis de 3 mois dont elle a été privée, la société GF productions France prétend retenir la valeur moyenne de 505.000 euros du chiffre d'affaires représentant la contribution de la société France télévisions à la production du festival sur les années 2017, 2018 et 2019.
Toutefois, ainsi que la relève la société France télévisions, le chiffre d'affaires de 815.000 euros HT réalisé en 2019 est manifestement exceptionnel alors qu'il a été engagé pour la célébration du trentenaire du spectacle, de sorte que la cour retiendra la moyenne des chiffres d'affaires de 367.000 euros réalisés sur les années 2016, 2017 et 2018.
Par ailleurs, d'après les pièces comptables et les liasses fiscales qu'elle met aux débats, la société GF productions France justifie du taux de marge de 30 % dont elle a été privée, et suivant la méthodologie adoptée pour la détermination de cette valeur, il n'y a pas lieu de retraiter le poste de la production immobilisée ni de se rapporter au calcul du taux d'excédent brut d'exploitation que la société France télévisions prétend opposer.
En conséquence, la cour condamnera la société France télévisions à payer la somme de 27.525 euros de dommages et intérêts (367.000 €/12*0.30%).
Enfin, les sociétés GF productions sont mal fondées à revendiquer la somme distincte de 200.000 euros de dommages et intérêts représentant la perte d'exploitation qu'elles ont enregistrées entre le dernier trimestre 2020 et le premier trimestre 2021, alors qu'à l'évidence, les contenus qu'elle déclare n'avoir pu diffuser sur cette période sont directement liés à l'annulation du spectacle de sorte que cette perte est étrangère à la rupture brutale de la relation commerciale établie, la cour relevant, surabondamment, que la société GF productions France ne conteste pas avoir reçu une subvention d'exploitation de 228.788 euros provenant du fonds d'indemnisation de l'Etat français en mai 2020 dédié aux sociétés de production audiovisuelle pour leur exposition aux risques liés à l'épidémie de la Covid 19.
3. Sur les demandes de dommages et intérêts au titre du préjudice moral
Il ne résulte d'aucun des motifs retenus ci-dessus, la preuve que la société GF a éprouvé un préjudice moral, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de dommages et intérêts de ce chef.
4. Sur le chef de dénigrement de la société France télévisions
Connaissance prise par la cour des publications mises aux débats au soutien des allégations de dénigrement, il est relevé que les rares propos que la presse prête à des représentants des sociétés GF productions se limitent à stigmatiser "L'annulation pour cause de pandémie mondiale, c'est une excuse pratique !" ou à déplorer que le préjudice est "pas loin d'un million d'euros" ou encore, que "Cette proposition avait immédiatement reçu le soutien de la RTS '", ce qui n'excède manifestement pas la liberté de critique de sorte que le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné les sociétés GF productions à des dommages et intérêts et la société France télévisions sera déboutée de ce chef.
5. Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les sociétés GF production triomphant partiellement dans leur action, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a tranché les dépens et des frais irrépétibles, et statuant à nouveau de ces deux chefs, y compris en cause d'appel, il convient de condamner la société France télévisions aux dépens ainsi qu'à payer la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions déférées, sauf celles qui ont débouté la société GF Production France de ses demandes au titre de la rupture abusive du contrat et du préjudice moral ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DÉCLARE la société France télévisions à l'origine de la rupture brutale de la relation commerciale établie avec société GF Production France ;
CONDAMNE la société France télévisions à payer à la société GF Production France la somme de 27.525 euros de dommages et intérêts ;
DÉBOUTE la société France télévisions de ses demandes du chef de dénigrement ;
CONDAMNE la société France télévisions aux dépens de première instance et d'appel ;
CONDAMNE la société France télévisions à payer aux sociétés GF Production France la société de droit suisse GF Production SA la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.