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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 13 juin 2024, n° 23/09382

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Steph (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pacaud

Conseillers :

Mme Leydier, Mme Neto

Avocats :

Me Pomares, Me Giguet

TJ Tarascon, du 30 juin 2023, n° 23/0024…

30 juin 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 28 avril 2016, la société civile immobilière Steph a donné à bail commercial à monsieur [M] [L], le local n° 5 du bâtiment 2 dépendant d'un immeuble sis [Adresse 1]), comportant 144 m² de dépôt en rez-de-chaussée et 72m² de bureaux à l'étage.

Il est stipulé au bail qu'à ces locaux est attaché le droit d'accès partagé des parties communes de l'immeuble ainsi que le droit à l'usage du parking commun situé en périphérie de l'immeuble.

L'article 3 précise que les locaux sont destinés à usage de l'exercice exclusif des activités : conseil affaires et gestion.

Le 1er septembre 2018, le bénéfice de ce bail commercial a été transféré à la société par actions simplifiée (SAS) Société Commerciale Autonome (SCA) dont M. [L] et son épouse sont actionnaires à hauteur de 90 % du capital.

Soutenant que la destination du bail commercial n'est pas respectée et que le locataire est responsable de l'encombrement du parking par des véhicules de travaux publics, la SCI Steph a fait délivrer à cette dernière, le l2 octobre 2021, un commandement de :

- respecter la destination du bail qui a été consenti aux fins d'exercer l'activité de conseil, affaires et gestion ;

- libérer le parking du stock dont la présence a été constatée suivant procès-verbal de constat du 23 septembre 2021.

Par acte d'huissier en date du 03 août 2022, elle a fait citer la SAS Société Commerciale devant le président du tribunal judiciaire de Tarascon, statuant en référé, aux fins d'entendre :

- constater l'acquisition de la clause résolutoire ;

- ordonner, en conséquence, son expulsion et celle de tout occupant de son fait et ce, avec assistance de la force publique;

- ordonner le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux dans un garde-meuble désigné ou dans tel autre lieu au choix du bailleur et ce, en garantie de toutes sommes qui pourront être dues ;

- fixer le montant de l'indemnité d'occupation à la somme antérieurement exigée à titre de loyer, soit 2 162, 67 euros ;

- condamner la SAS Société Commerciale, à titre provisionnel, à lui payer une indemnité d'occupation mensuelle de 2 162,67 euros qui sera due jusqu'à libération effective des lieux par la remise des clefs ;

- condamner la SAS Société Commerciale, à titre provisionnel, à lui payer la somme de 14 452, 69 euros, arrêtée au 03 août 2022 ;

- condamner la SAS Société Commerciale, outre aux entiers dépens, à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l'articles 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance contradictoire en date du 30 juin 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Tarascon a :

- constaté l'acquisition, au profit de la SCI Steph, du bénéfice de la clause résolutoire inscrite au bail du 28 avril 2016 à compter du 13 novembre 2021 ;

- ordonné l'expulsion de la SAS Société Commerciale ainsi que de tous occupants de son chef, des lieux qu'elle occupe sis [Adresse 1], dans un délai d'un mois à compter de la signification de son ordonnance et ce, avec le concours de la force publique et d'un serrurier s'il y a lieu ;

- autorisé le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux dans tel garde-meubles du choix de l'huissier de justice aux frais et aux risques du locataire conformément aux articles L. 433-1 et suivants et R. 433-l et suivants du code des procédures civiles ;

- condamné la SAS Société Commerciale à payer, à titre de provision, à la SCI Steph la somme de 22 920,89 euros correspondant au montant des loyers, charges et taxes impayés suivant décompte arrêté au 1er avril 2023 ;

- condamné la SAS Société Commerciale à payer à la SCI Steph, à titre de provision, une indemnité d'occupation trimestrielle de 6 575,35 euros à compter du 1er juillet 2023 et jusqu'à la libération des locaux et la restitution des clés ;

- condamné la SAS Société Commerciale à payer à la SCI Steph la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que la SAS Société Commerciale supporterait la charge des dépens.

Il a notamment considéré que la clause résolutoire du bail ne nécessitait aucune interprétation en ce que le preneur devait exécuter parfaitement toute obligation, même minime, du bail et que l'activité de commercialisation de produits manufacturés, notamment des engins de type tractopelle, n'entrait pas dans l'activité prévue au contrat, à titre exclusif. Sur la provision sollicitée, il a estimé que le tableau de calcul produit par la SCI Steph attestait que cette dernière avait correctement appliqué les indices et modalités de calcul prévus au bail, la locataire n'ayant de surcroît jamais contesté les montant figurant dans les factures qui lui étaient adressées.

Selon déclaration reçue au greffe le 13 juillet 2023, la SAS Société Commerciale a interjeté appel de cette décision, l'appel portant sur toutes ses dispositions dûment reprises.

Par dernières conclusions transmises le 28 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, elle sollicite de la cour qu'elle réforme l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau :

- constate l'existence de contestations sérieuses ;

- déclare la SCI Steph irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes et prétentions ;

- rejette, en conséquence, sa demande de résolution du bail commercial ;

- rejette sa demande d'expulsion de la société SCA ;

- rejette sa demande de condamnation de la société SCA à lui verser, à titre provisionnel, une indemnité d'occupation mensuelle d'un montant de 2 162,67 euros ;

- rejette sa demande de condamnation, à titre provisionnel, de la société SCA à lui verser une somme de 22 920,89 euros arrêtée au 1er avril 2023 ;

- condamne la SCI Steph à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par dernières conclusions transmises le 3 août 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SCI Steph sollicite de la cour qu'elle confirme l'ordonnance entreprise et condamne la SAS Société Commerciale aux entiers dépens et à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 16 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'acquisition de la clause résolutoire

Aux termes de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

L'article 835 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Aux termes de l'article L. 145-41 alinéa 1 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux : le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Sur le fondement des dispositions de ces textes, le juge des référés peut constater la résiliation de plein droit d'un bail commercial par acquisition de sa clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement, ce qui implique qu'elle soit signifiée par un bailleur de bonne foi et vise un manquement à une clause expresse et précise du bail. Il ne doit dès lors exister aucune contestation sérieuse sur la nature et l'étendue de l'obligation que le preneur n'aurait pas respectée, sur le contenu de la clause résolutoire et sur la façon dont la bailleur la met en oeuvre.

Le juge des référés ne peut que constater l'acquisition de la clause résolutoire et il excéderait ses pouvoirs s'il prononçait la résiliation du bail, en raison d'un manquement du locataire à ses obligations contractuelles. En effet, seul le juge fond peut apprécier l'existence et la gravité d'un tel manquement.

Le contrat de bail, signé par la SCI Steph et M. [M] [L] le 28 avril 2016 et transféré à la SAS Société Commerciale Autonome le 1er septembre 2018, stipule, en son article 10 : A défaut d'exécution parfaite par le Preneur de l'une quelconque, si minime soit-elle, de ses obligations issues du présent contrat, comme à défaut de paiement à son échéance d'un seul terme de loyer, charges, taxes et/ou accessoires, ainsi que des frais de commandement et autres frais de poursuites, celui-ci sera résilié de plein droit un mois après la délivrance d'un commandement d'exécuter resté infructueux, reproduisant cette clause avec volonté d'en user, sans qu'il soit besoin d'autre formalité, ni de former une demande en justice, même dans le cas de paiement ou d'exécution postérieurs à l'expiration du délai ci-dessus.

Forte d'un constat d'huissier en date du 23 septembre 2021, la SCI Steph a, le 12 octobre 2021, fait délivrer à la SAS Société Commerciale Autonome un commandement d'avoir à :

- respecter la destination du bail qui a été consenti aux fins d'exercer l'activité de conseil, affaires et gestion ;

- libérer le parking du stock dont la présence a été constatée suivant procès-verbal de constat du 23 septembre 2021.

Elle a ensuite assigné sa locataire aux fins de constat de l'acquisition de la clause résolutoire du bail pour non respect de la destination des lieux et abus de jouissance du parking.

En revanche, aucun commandement de payer, visant la clause résolutoire n'ayant été signifié, le constat de la résiliation du bail n'est pas poursuivi de ce chef.

Sur le non respect de la destination des lieux

Les statuts de la SAS Société Commerciale Autonome, qui a repris l'activité et le bail de M. [M] [L], définissent son objet comme la 'commercialisation de produits manufacturés'.

En son article 3, le bail commercial, objet du présent litige, stipule que les locaux (loués) sont destinés à usage de l'exercice exclusif des activités : Conseil Affaires et Gestion.

Les trois termes employés dans la définition de la 'destination des lieux loués' sont autonomes en sorte qu'il ne peut s'induire, avec l'évidence requise en référé, que l'activité de commercialisation d'engins de levage, Humers et autres accessoires, est étrangère à l'activité 'Affaires'. Il en eût été différemment si les termes 'conseil' et 'affaire' avaient été corrélés par la conjonction de coordination 'en', donnant ainsi 'Conseil en affaires'.

De plus, la bonne foi de la SCI Steph dans l'invocation, de ce chef, de l'acquisition de la clause résolutoire peut être questionnée dès lors qu'il n'est pas contesté que M. [L] puis la SAS SCA ont toujours exercé cette activité, au vu et su de tout le voisinage, et qu'elle figure dans les statuts publiés de l'appelante.

L'ordonnance entreprise sera dès lors infirmée en ce qu'elle constaté l'acquisition de la clause résolutoire de ce chef.

Sur l'abus de jouissance

Alertée par les plaintes de voisins, la SCI Steph a fait dresser deux constats d'huissier et commissaire de justice, en date des 23 septembre 2021 et 22 juillet 2022, et fait délivrer, dans l'intervalle, et plus précisément le 12 octobre 2021, une sommation, visant la clause résolutoire, de libérer le parking du stock dont la présence a été constatée suivant procès-verbal de constat sus indiqué.

Néanmoins, loin d'interdire d'utiliser le parking pour y stationner ou entreposer des engins et accessoires ou de limiter le nombre de places utilisables par le preneur, le bail prévoit en son article premier : A ces locaux est attaché le droit d'accès partagé des parties communes de l'immeuble ainsi que le droit à l'usage du parking commun situé en périphérie de l'immeuble.

Dès lors, même si les deux constats d'huissier et commissaire de justice susvisés, caractérisent l'occupation de plusieurs places de stationnement par des engins, remorques et accessoires, force est de constater que le commandement ne vise pas à faire cesser un manquement à une clause expresse et précise du bail. Il ne saurait donc fonder l'acquisition de la clause résolutoire pas plus que ne le peut, le renvoi ultérieur, par voie de conclusions, aux articles 4-8 et 4-9 de ce même contrat de location, visant, sans les préciser, les notions générales d'abus de jouissance et/ou jouissance en bon père de famille. Au demeurant le manquement allégué à ces 'obligations générales' n'a pas été visé dans le commandement signifié le 12 octobre 2021.

Il n'y a donc lieu de constater l'acquisition de la clause résolutoire du fait d'un quelconque abus de jouissance des parties communes et/ou du parking de l'immeuble loué et donc d'un quelconque manquement à une obligation contractuelle spécifiquement définie.

Sur la demande de provision

Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ... le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence ... peuvent accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution d'une obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

L'absence de constestation sérieuse implique l'évidence de la solution qu'appelle le point contesté. Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande tant en son principe qu'en son montant, laquelle n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Le bail signé par les parties prévoit qu'outre le loyer, le preneur règlera des provisions sur 'charges communes', 'eau' et 'impôts foncier', lesquelles seront réajustées à l'issue de chaque régularisation, en plus ou moins, selon la somme des charges réelles, le bailleur devant lui adresser un état récapitulatif annuel des charges, impôts et taxes et leur répartititon entre lui et le preneur. Il ajoute que le loyer principal annuel de 16 800 euros HT ... payable trimestriellement par terme d'avance ... sera indexé sur l'indice national des loyers commerciaux établi par l'INSEE.

A l'appui de sa demande de provision sur dette locative, la SCI Steph verse aux débats deux extraits du compte locataire de la SAS SCA, couvrant la période du 30 avril 2020 au 1er avril 2023, ainsi que les factures correspondant aux différents trimestres appelés qu'elle a envoyées à sa locataire et qui détaillent les calculs d'indexation et autres provisions sur charges et impositions. Elle y ajoute les factures supplémentaires émises au titre de la 'participation' à l'impôt foncier, telles que celles appelant les sommes de 50,11 euros, 81,87 euros et 216,24 euros (n° 2020/09A21 en date du 23 septembre 2020, n° 2021/09A31 en date du 15 septembre 2021 et n° 2022/09A18 en date du 12 septembre 2022) que l'on retrouve sur le décompte versé aux débats.

Pour les contester, la SA SCA se contente de soutenir qu'il est douteux que l'indice ILC ait été valablement appliqué et que les loyers devraient être uniformes d'une année à l'autre. Pour autant, la cour ne peut que relever, à l'instar du premier juge, que ces observations et critiques d'ordre général n'ont pas été formulées avant l'introduction de la présente action et, plus singulièrement, que les factures susvisées n'ont pas été contestées à leur réception. Ces critiques ne tiennent par ailleurs pas compte des stipulations contractuelles relatives au réajustement des charges.

C'est donc par des motifs pertinents que le premier juge a considéré que la demande provisionnelle de l'intimée ne se heurtait à aucune contestation sérieuse et qu'il convenait de condamner la SAS SCA à verser à la SCI Steph une provision de 22 920,89 euros à valoir sur la dette locative arrêtée au 1er avril 2023.

L'ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Du fait de la reconnaissance d'une dette locative substantielle, l'ordonnance déférée sera confirmée en ce qu'elle a condamné la SAS Société Commerciale aux dépens et à verser à la SCI Steph la somme de 1 500 euros en application de l'articles 700 du code de procédure civile.

Il en ira de même s'agissant des dépens d'appel. Néanmoins, chaque partie, qui succombe partiellement à ce stade, supportera la charge de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

- condamné la SAS Société Commerciale à payer, à titre provisionnel, à la SCI Steph la somme de 22 920,89 euros correspondant au montant des loyers, charges et taxes impayés suivant décompte arrêté au 1er avril 2023 ;

- condamné la SAS Société Commerciale à payer à la SCI Steph la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que la SAS Société Commerciale supporterait la charge des dépens ;

L'infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Déboute la SCI Steph de sa demande de constat de l'acquisition de la clause résolutoire ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Condamne la SAS Société Commerciale Autonome aux dépens d'appel.