CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 13 juin 2024, n° 22/14249
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Le Village (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Recoules
Conseillers :
Mme Leroy, Mme Lebée
Avocats :
Me Bellichach, Me Chabrerie, Me Lesenechal, Me Maruani
FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé du 12 juillet 2007, la SNC Du [Adresse 7] a donné à bail en renouvellement à la société Flores, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la SAS Le Village, des locaux à usage commercial exclusif de restauration- salon de thé ' traiteur, consommation sur place, vente à emporter ou à livrer, petits déjeuners, entrées chaudes et froides, sandwiches, plats froids ou réchauffés, salades composées, fromages, desserts (pâtisseries, confiserie, chocolat, glaces) boissons chaudes et froides ou alcoolisées (licence I ou II sous réserve de l'obtention des autorisations administratives) à l'enseigne Flores, dépendant d'un immeuble situé dans Le Village [Localité 9] ' [Adresse 5], lot n° 14 à [Localité 6] pour une durée de douze années à compter du 1er octobre 2006, moyennant un loyer annuel en principal de 105.000 € hors taxes et hors charges et un loyer variable additionnel correspondant à la différence entre le loyer minimum garanti et une somme égale à 5 % du chiffre d'affaire annuel hors taxes, réalisé par le preneur.
Par acte d'huissier en date du 29 mars 2018, la SNC Du [Adresse 7] a fait délivrer à la SAS Le Village un congé avec renouvellement du bail à effet au 1er octobre 2018, moyennant un loyer minimum garanti de 228.000 € hors taxes et hors charges.
Dans son mémoire notifié le 28 mai 2019 par lettre recommandée avec avis de réception, la SAS Le Village invoquant la durée du bail de douze ans, a sollicité la constatation d'un motif de déplafonnement du loyer commercial et la fixation du prix du loyer du bail à la somme annuelle de 128.821,58 € en principal à compter du 1er octobre 2018, en se prévalant de références relatives à des valeurs locatives portant sur des locaux sis à [Localité 6] 8ème.
Par acte d'huissier du 15 octobre 2019, la SAS Le Village a assigné devant le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris la SNC Du [Adresse 7], au visa de l'article L. 145-33 du code de commerce, aux fins de fixer le loyer des locaux précités à la somme de 128.821,58 € par an en principal, pour un renouvellement de bail à compter du 1er octobre 2018, les autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées, sauf modification législative ou réglementaire.
Par jugement du 10 janvier 2020, le juge des loyers commerciaux a constaté le principe du renouvellement du bail liant les parties à compter du 1er octobre 2018, et désigné M. [B], expert judiciaire, aux fins de rechercher la valeur locative des lieux loués à la date du 1er octobre 2018 au regard des dispositions des articles L. 145-33 et R. 145-3 à R. 145-8 du code de commerce. Par ordonnance du 13 mars 2020, M. [B] a été remplacé par M. [U], qui a été lui-même remplacé par M. [G] par ordonnance du 16 juin 2020.
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 06 août 2021.
Par jugement du 13 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :
- fixé à la somme de 180.018 € en principal par an à compter du 1er octobre 2018, le montant du loyer du bail renouvelé entre la SNC Du [Adresse 7] et la SAS Le Village, pour les locaux (lot n° 14) situés dans Le Village [Localité 9] ' [Adresse 5], à [Localité 6], autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées ;
- dit qu'ont couru des intérêts au taux légal sur le différentiel entre le loyer effectivement acquitté et le loyer finalement dû, à compter du 29 novembre 2019 pour les loyers échus avant cette date, puis à compter de chaque échéance contractuelle pour les loyers échus après cette date ;
- dit que les intérêts échus et dus au moins pour une année entière produiront des intérêts, en application de l'article 1154 du code civil ;
- partagé les dépens par moitié entre les parties, qui incluront le coût de l'expertise judiciaire ;
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Par déclaration d'appel du 31 juillet 2022, la SAS Le Village a interjeté appel total du jugement.
Par conclusions déposées le 09 janvier 2023, la SNC Du [Adresse 7] a formé un appel incident.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 28 février 2024.
MOYENS ET PRETENTIONS
Vu les conclusions déposées le 04 avril 2023, par lesquelles la SAS Le Village, appelante, demande à la Cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;
- infirmer le jugement du juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Paris en date du 13 juillet 2022 qui a considéré que le loyer du bail renouvelé à effet du 1er octobre 2018 des locaux sis [Adresse 1] loués à la SAS Le Village devait être fixé à la somme de 180.018 € par an en principal ;
Et statuant à nouveau,
- juger que le loyer du bail renouvelé (minimum garanti) doit être fixé à la valeur locative compte tenu de la durée contractuelle du bail expiré et que la valeur locative des lieux loués est inférieure au montant du loyer en vigueur au 1er octobre 2018 ;
En conséquence,
- fixer le loyer (minimum garanti) des locaux susvisés à la somme de 126.500 € par an en principal, pour un renouvellement de bail à compter du 1er octobre 2018, les autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées, sauf modification législative ou réglementaire ;
- débouter la société bailleresse de son appel incident et de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner la société bailleresse aux frais d'expertise ;
- condamner la société bailleresse en tous les dépens, dont distraction au profit de Me Jacques Bellichach, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Vu les conclusions déposées le 23 juin 2023, par lesquelles la SNC Du [Adresse 7], intimée, demande à la Cour de :
- dire recevable et bien fondée la SNC Du [Adresse 7] en toutes ses demandes, fins et conclusions ;
En conséquence,
- les recevoir ;
A titre principal,
- infirmer le jugement en ce qu'il a fixé à la somme de 180.018 € en principal, par an, à compter du 1er octobre 2018, le montant du loyer du bail renouvelé et en ce qu'il a partagé les dépens par moitié ;
Statuant à nouveau,
- fixer à la somme de 246.330 € HT-HC/an le montant du loyer minimum garanti à compter du 1er octobre 2018 ;
Subsidiairement,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé à la somme de 180.018 € en principal par an à compter du 1er octobre 2018, le montant du loyer renouvelé ;
En tout état de cause,
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'ont couru les intérêts au taux légal sur le différentiel entre le loyer effectivement acquitté et le loyer finalement dû à compter du 29 novembre 2019 pour les loyers échus avant cette date puis à compter de chaque échéance contractuelle pour les loyers échus après cette date ;
- le confirmer également en ce qu'il a dit que les intérêts échus et dus au moins pour une année entière, produiront des intérêts en application de l'article 1154 du code civil ;
- débouter la SAS Le Village de ses demandes ;
- condamner la SAS Le Village au paiement d'une somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a partagé les dépens par moitié entre les parties qui incluront le coût de l'expertise judiciaire ;
Statuant à nouveau,
- condamner la SAS Le Village aux entiers dépens de première instance et d'appel comprenant les frais de l'expertise et qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour un exposé plus détaillé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie à leurs conclusions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
1. Sur le montant du loyer renouvelé
Les parties s'accordent sur un renouvellement du bail au 1er octobre 2018, constaté dans son principe par le juge des loyers commerciaux par jugement du 10 janvier 2020, ainsi que sur une fixation du loyer en renouvellement à la valeur locative.
Aux termes de l'article L. 145-33 du code de commerce, la valeur locative d'un local commercial doit être fixée d'après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Le juge est tenu d'apprécier la valeur locative selon ces critères et d'apporter les correctifs nécessaires au vu des spécificités du local loué, de la date de renouvellement du bail et des éléments de comparaisons qui peuvent être identifiés.
Aux termes du jugement attaqué, le premier juge a fixé à la somme annuelle de 180.018 € en principal, hors taxes et charges, à compter du 1er octobre 2018 le montant du loyer annuel entre les parties, après avoir considéré que :
- s'il résulte des articles 12 (conditions d'exploitation), 13 (esthétique-publicité), 16 (animation commerciale du Village [Localité 9]) du bail, que le bailleur a entendu encadrer les horaires d'ouverture des locaux loués de 8 heures à 20 heures, l'accès au passage [Localité 9] étant fermé en deçà et au-delà de ces horaires, imposer l'usage du nom Village [Localité 9] dans toutes communications (publicité, correspondance) du preneur dès lors qu'il parle de son activité, ainsi que la participation financière annuelle du preneur aux opérations d'organisation commerciale, de développement, d'animation, de promotion et de publicité du Village [Localité 9], qui doivent faire l'objet d'un accord du bailleur et du preneur au sein d'une commission d'étude et être mises en 'uvre par la société FINANCIERE ROCH, associée de la bailleresse et, s'il est constant que le Village [Localité 9]- [Adresse 5] regroupe des boutiques de luxe d'équipement de la personne (Chanel, Dior, Emling, Bric's, Bell & Ross...), enseignes attractives et complémentaires permettant la mise en 'uvre d'une communication et d'un plan de « merchandising » cohérents, il sera toutefois relevé que d'une part, il ne peut être considéré que cette cité présente une clientèle « captive » au sein d'un quartier d'affaires et touristique animé, dont l'expert judiciaire relève qu'il est dédié aux activités et aux commerces de luxe notamment dans la toute proche [Adresse 12], que d'autre part, les pièces versées aux débats ne permettent pas d'apprécier si la bailleresse est seule propriétaire de l'ensemble des locaux loués dans cette cité et qu'enfin, l'article 4-1-1 du bail liant les parties qui stipule un loyer binaire sans toutefois, restreindre les références locatives devant être prises en considération pour fixer la valeur locative, de sorte que la bailleresse n'établit pas que les locaux loués relèvent d'une unité autonome de marché justifiant la fixation du loyer de base renouvelé par référence aux seuls prix pratiqués pour des locaux équivalents du Village [Localité 9],
- bien qu'il fasse état de la notion d'unité autonome de marché, l'expert judiciaire n'a pas exclusivement pris en considération les références communiquées par la bailleresse mais a également pris note de certaines références citées par le preneur, de commerces alimentaires de luxe présents dans le quartier, auxquelles il a ajouté les références qu'il a de son côté réunies,
- En écartant la référence locative relative au café brasserie à l'enseigne Le [Localité 6] LONDON qui est trop ancienne ou la référence relative au café brasserie à l'enseigne Le Forum qui porte sur une indemnité d'occupation et est également trop ancienne, et en tenant compte des références apportées par la bailleresse prises en considération par l'expert judiciaire, les prix unitaires oscillent entre 1.350 et 2.300 euros/m²P,
- Pour la fixation du prix unitaire au 1er octobre 2018, doivent être pris en considération, au titre des facteurs favorables, l'emplacement privilégié des locaux loués situés au c'ur du « [13] », regroupant des commerces de luxe, le siège social de nombreuses entreprises et des hôtels de luxe, dans un passage paisible dont la visibilité est assurée par la présence du nom du Village [Localité 9] aux frontons des passages cochers côté [Adresse 11] et côté [Adresse 10], mais également par les actions promotionnelles mises en 'uvre par la société FINANCIERE ROCH, pour le compte du bailleur et du preneur, la destination et la configuration des locaux, et, au titre des facteurs défavorables, la fermeture imposée des locaux à 20 heures qui, si elle est partiellement compensée par des horaires matinaux permettant de développer une activité de petits déjeuners d'affaires et par la faculté d'ouverture le dimanche, constitue indubitablement une restriction à la jouissance des locaux loués à destination d'activité de restauration. Les événements postérieurs à la date de prise d'effet du bail invoqués par le preneur à savoir le mouvement de protestation dits des « gilets jaunes », les grèves de la fin de l'année 2019 et la crise sanitaire survenue à compter du mois de mars 2020 n'ayant pas à être pris en considération pour la fixation du loyer en renouvellement, au vu de l'ensemble des éléments précités, le prix unitaire de 1.600 € /m²P proposé par le preneur apparaissant insuffisant et ceux de 2.000 €/m²P ou de 2.100 €/m²P retenus par l'expert ou par la bailleresse apparaissant excessifs, un prix unitaire de 1.800 €/m²P sera retenu. Dès lors, la valeur locative au 1er octobre 2018 s'établit à la somme de 183.600 € (1.800 €/m²P x 102 m²P) avant correctifs
- Aucune majoration ne sera retenue au titre de l'amplitude d'ouverture des locaux, la restriction apportée à l'usage des locaux par leur fermeture à 20 heures au regard des horaires matinaux d'ouverture et de la faculté d'ouverture le dimanche, ayant d'ores et déjà été prise en compte au titre des facteurs de moins-value de la valeur locative,
- Le bail liant les parties transfère sur le preneur par diverses clauses (articles 7-2-1 et 7-2-4 du bail), des charges qui sont attachées à la qualité de propriétaire, comme le paiement de l'impôt foncier, et met également à la charge du preneur les « travaux prescrits par l'administration (hygiène, sécurité, législation du travail...) » (article 10) qui incombent normalement au bailleur en application de l'article 1719 du code civil et qui, ainsi que le souligne l'expert judiciaire en réponse au dire du bailleur « peut obérer la rentabilité commerciale » des locaux loués puisque « les travaux de mise en conformité pour un restaurant peuvent être élevés », ainsi que le démontrent les factures versées aux débats par la société locataire,
- Il n'est pas établi par le bailleur que la clause litigieuse présente un caractère usuel, et qu'elle est présente dans l'ensemble des références locatives produites par les parties et celles retenues par l'expert judiciaire. Dans ces conditions, le transfert de charge sur le preneur réalisé par cette clause justifie l'application d'un abattement de la valeur locative,
- Dès lors, ces clauses étant exorbitantes du droit commun du bail, d'une part, la somme de 3582 euros correspondant au montant de la taxe foncière de 2020, seule pièce versée aux débats et remise à l'expert judiciaire, sera déduite au réel, la bailleresse qui conteste cette somme en se prévalant de la nécessaire prise en compte de la taxe foncière de 2018 n'ayant ni indiqué son montant ni produit le titre de perception et, d'autre part, un abattement de 5 % de la valeur foncière sera pratiqué au titre de la clause des travaux de mise en conformité,
- Contrairement à ce que soutient la bailleresse, le bail du 12 juillet 2007 liant les parties stipule que « le présent bail ne confère au preneur aucune exclusivité commerciale dans le VILLAGE [Localité 9], dont les autres locaux pourront être loués ou cédés librement pour des activités de même nature. » et précise en outre, que le bailleur conserve la liberté de louer les lots 10, 12 et le premier étage du lot 11 pour une activité de restauration et des activités connexes (article 27-2) ce dont il se déduit qu'il n'y a pas lieu de procéder à une majoration de la valeur locative en l'absence de clause assurant une exclusivité d'activité de restauration,
- De même, la destination du bail qui, pour l'essentiel, détaille des activités incluses dans les activités de restauration, de salon de thé et de vente à emporter et ne peut de ce fait être considérée ainsi que le soutient la bailleresse comme « très large », ne justifie pas une majoration de la valeur locative,
- si l'article 11-3 du bail stipule que « toute sous-location totale ou partielle est interdite. Toutefois, le Preneur est autorisé à sous-louer, mais en totalité seulement, les locaux donnés à bail à une société-mère ou à une filiale dans laquelle le PRNEUR est majoritaire, (...) », la faculté de sous-location ainsi accordée est très restrictive puisqu'elle ne peut être que totale, à destination d'une société ayant un lien capitalistique fort avec la société locataire et pour les seules activités consenties au bail, et ne peut de ce fait, être considérée comme susceptible d'entraîner une majoration de la valeur locative,
- il y a lieu d'appliquer une majoration estimée à 5 % pour la terrasse surmontée d'un store banne d'une capacité de 70 couverts, permettant d'augmenter de près de la moitié la capacité d'accueil du restaurant, une partie de l'année,
- La valeur locative après correctifs au 1er octobre 2018 s'établit donc à la somme en principal de 180.018 € (183.600 € - 3.582 € + 5 % - 5 %).
Au cas d'espèce, les parties ont décidé d'appliquer un loyer composé d'une part variable et d'un minimum garanti et ont prévu de recourir au juge des loyers commerciaux pour fixer, lors du renouvellement, le minimum garanti à la valeur locative.
Sur la surface
Dans le cadre de son rapport, l'expert a retenu une surface pondérée de 102 m²P, non contestée par les parties, et retenue par le jugement déféré, qui sera confirmé sur ce point.
Sur le prix unitaire
L'expert judiciaire a proposé de retenir le prix de 2.100 € /m²P. Le juge des loyers a estimé le loyer sur la base d'un prix de 1.800 € /m²P. La SAS Le Village propose le prix de 1.700 €/m²P, tandis que la SNC Du [Adresse 7] propose le prix de 2.100 € minimum /m²P, conformément aux termes du rapport d'expertise.
A l'appui de ses prétentions, la SAS Le Village relève qu'il n'existerait aucune autre référence dans le Village [Localité 9] de locaux destinés à une activité de restauration de sorte que les lieux loués ne s'intégreraient pas dans une unité autonome de marché, que la valeur de 1.800 € le m2B serait trop élevée par rapport aux références de commerces de restauration relevées dans le quartier, lesquelles sont comprises entre 1.500 € et 1.700 € le m2B et qu'il ne devrait pas davantage être tenu compte des prix pratiqués pour les commerces de luxe de prêt à porter ou les grandes enseignes internationales.
Elle conteste la prise en compte au titre d'une majoration de la valeur locative du local au titre de la terrasse, dont la surface a déjà été intégrée dans le calcul de la surface pondérée et donc déjà soumise à une valeur locative ainsi qu'au titre d'une « exclusivité », le bailleur s'étant réservé la liberté de donner à bail à usage de restauration et activités connexes les lots 10 et 12 et le premier étage du lot 11.
La SNC Du [Adresse 7] excipe quant à elle d'éléments de valorisation tenant à une destination du bail commercial très large, ses efforts financiers sur le site, notamment la mise en place d'animations événementielles et les campagnes de communication du Village [Localité 9], la possibilité d'ouvrir le dimanche constituant un avantage commercial majeur permettant de bénéficier de 52 journées d'exploitation complémentaires chaque année, la fermeture le soir impliquant à l'inverse des économies pour le bailleur en termes de salaires et de charges du fait de la zone de faible activité dans laquelle sont situés les locaux après 20 heures 30, et soulignant que la terrasse permet le doublement de la capacité du local et que la clause d'exclusivité constituerait, aux termes des constatations de l'expert, une clause exorbitante favorable au preneur et justifiant en ce sens une majoration de la valeur locative.
Au cas d'espèce, l'expert judiciaire relève que les locaux loués se situent dans le quartier administratif Madeleine du [Localité 6] de [Localité 6], quartier commercial prestigieux, surnommé « le [13] » où les grandes marques internationales sont présentes ainsi qu'un nombre important d'ambassades et de sièges d'entreprises, qu'ils sont desservis par les stations du métropolitain Madeleine à 150 m environ et Concorde à 350 m environ, par un arrêt d'autobus à moins de 100 m, bénéficient d'un parc de stationnement payant à environ 250 m, et sont intégrés à La [Adresse 5], ensemble immobilier ancien en pierre accessible depuis le [Adresse 3] et le [Adresse 2] par des passages cochers, qui est un charmant passage, loin du tumulte environnant, et qui accueille des marques de luxe comme Dior ou Chanel, et a entièrement été rénovée en 1992 pour en faire un bel exemple d'élégance parisienne, tout en conservant son aspect historique.
Le local objet du bail se compose, au rez-de-chaussée, d'une salle de restauration, pouvant accueillir environ 40 personnes, éclairée par des baies vitrées donnant sur le passage de la Cité, avec un comptoir bar, d'une cuisine et d'un espace plonge, et au 1er étage accessible par un escalier moquetté d'une salle de restauration pouvant accueillir environ 40 personnes, avec une réserve et des toilettes communiquant avec le vestiaire, les locaux étant décrits comme étant en bon état d'entretien et d'usage.
C'est à juste titre que l'expert a retenu, pour fixer son évaluation locative, tant des références incluses dans le village de la [Adresse 5], que des références en renouvellement amiable et judiciaire et nouvelles locations en dehors de la zone de celui-ci mais à proximité immédiate, dès lors que si la SNC Du [Adresse 7] encadre contractuellement les horaires d'ouverture des locaux loués et l'accès au village, impose au preneur l'usage du nom « Village [Localité 9] » dans sa communication ainsi qu'une participation financière annuelle aux opérations commerciales de promotion et d'animation du village, et regroupe au sein du village [Localité 9] des boutiques de luxe d'équipement de la personne (Chanel, Dior, Emling,...), enseignes de luxe attractives et complémentaires permettant la mise en 'uvre d'une communication et d'un merchandising du village cohérent marqué par le luxe, sa clientèle n'est nullement captive, le village se trouvant au sein même d'un quartier d'affaires et touristique animé dédié également au commerce du luxe, à l'instar de la [Adresse 5], et ce, dans des rues adjacentes, notamment la [Adresse 12], et les parties elles-mêmes, dans le contrat de bail, n'ont nullement exprimé leur volonté, à l'article 4-1-1, de limiter les références locatives devant être prises en considération pour fixer la valeur locative du bien, ce dont il s'infère qu'elles n'avaient nullement reconnu contractuellement une quelconque « unité autonome de marché ».
Il s'infère de ces éléments l'absence de caractérisation d'une unité autonome de marché, excluant de s'attacher à l'examen des seules conditions locatives du village lui-même, pour fixer la valeur locative du bien.
L'expert a ainsi retenu un prix unitaire de 2.100 €/m² P après avoir pris en compte à titre de valeurs de comparaison, 3 renouvellements amiables à effet au 1er janvier 2016 et 1er décembre 2013, pour des commerces de bijouterie et équipement de la personne (LONGCHAMP) situés [Adresse 11] et [Adresse 12] avec des prix unitaires de 3.367 € /m²P, 5 fixations judiciaires à effet entre février 2013 et mars 2017 pour des locaux situés [Adresse 12], [Adresse 8], [Adresse 4] et [Adresse 11], pour des commerces de coiffure, équipement de luxe, traiteur, équipements de la maison, avec des prix unitaires compris entre 800 et 4.200 € /m²P, et 10 nouvelles locations situées [Adresse 12] à effet à mars 2011 à avril 2016 avec des prix unitaires compris entre 3.546 et 9.753 € /m²P.
L'expert a également retenu les références figurant à l'avis amiable de M. [H] et 4 références citées par la bailleresse situées dans le village.
Le premier juge doit être cependant approuvé en ce qu'il a écarté la référence locative du café brasserie Le [Localité 6]-London et de la brasserie Le Forum, trop anciennes, et en a déduit, à la lecture des références restantes, un prix unitaire oscillant entre 1.350 et 2.300 € /m²P.
Si le local loué bénéficie d'un emplacement privilégié, au c'ur du « [13] », dans un « Village [Localité 9] » paisible mais dont la visibilité est néanmoins assurée par la SNC Du [Adresse 7] notamment par le nom aux frontons des passages d'accès côté [Adresse 11] et côté [Adresse 10], ainsi que par une action promotionnelle du bailleur par le biais de la société Financière Roch, l'amplitude horaire d'ouverture imposée par la SNC Du [Adresse 7] (8h-20h), si elle se trouve partiellement compensée par une ouverture matinale permettant l'organisation de petits déjeuners d'affaires et une ouverture du village le dimanche, soit 52 jours d'exploitation supplémentaires, n'en demeure pas moins à l'évidence une contrainte dans l'exploitation des locaux à usage de restauration, empêchant la mise en place de services du soir, 365 jours par an.
De même, le fait que la SAS Le Village bénéficie d'une terrasse pouvant comprendre 70 couverts ne justifie pas une majoration puisque la superficie de cette terrasse est déjà prise en compte pour le calcul du loyer du local commercial dans la pondération.
Par ailleurs, contrairement aux affirmations du bailleur, la SAS Le Village ne bénéficie nullement d'une exclusivité au sein du Village [Localité 9], qui est contractuellement exclue par l'article 27-2 du bail litigieux qui stipule la liberté pour le bailleur de louer les lots 10,12 et 1er étage du lot 11 pour des activités de restauration, pas plus qu'elle ne bénéficie d'une destination contractuelle du local « très large », seules l'activité de salon de thé, restauration et vente emporter étant visées, de sorte que ces deux circonstances ne sauraient sérieusement fonder une majoration de la valeur locative, qui ne saurait pas davantage être fondée par l'existence d'une faculté de sous-location pour le preneur, subordonnée à des conditions particulièrement drastiques en restreignant ainsi la mise en 'uvre effective.
Enfin, si la SAS Le Village invoque le mouvement des « gilets jaunes » et la crise sanitaire liée au Covid 19 comme éléments de minoration de la valeur locative, la cour rappelle cependant que la valeur locative doit être fixée au 1er octobre 2018, date du renouvellement, et qu'il ne saurait dès lors être tenu compte d'événements postérieurs afin de l'apprécier.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, de la date de renouvellement, les événements postérieurs ne pouvant être pris en compte, de la durée du bail de 12 années, de la surface des locaux en cause, de l'emplacement des locaux, de leur configuration, de l'activité exercée, il convient de confirmer le prix retenu par le premier juge de 1.800 €/m2P.
En application de l'article R. 145-8 du code de commerce, il convient de tenir compte des clauses du bail transférant sur le preneur des charges attachées à la qualité de propriétaire qui constituent un facteur de diminution de la valeur locative, l'affirmation selon laquelle ces clauses seraient usuelles ne permettant pas d'écarter l'application de ce facteur de minoration du loyer, chaque contrat de bail du village constituant un ensemble d'obligations réciproques spécifique.
Or, en l'espèce, le contrat de bail transfère sur le preneur le paiement de l'impôt foncier, charge attachée à la qualité de propriétaire.
Si la SNC Du [Adresse 7] soutient que cette clause serait usuelle en matière de baux commerciaux, cette charge du propriétaire ainsi transférée au preneur apparaît exorbitante du droit commun, et justifie que le montant de la taxe foncière soit déduit de la valeur locative.
Si la SNC Du [Adresse 7] verse aux débats son avis d'imposition de taxe foncière pour l'année 2018 pour un montant total de 38.198 €, force est de relever qu'il ne résulte pas de la facture qu'elle a établie pour la SAS Le Village à ce titre d'éléments justifiant du calcul ainsi imputé à la SAS Le Village, la clé de répartition y figurant (x 132,50 /1.045,60 €) n'étant justifiée par aucune pièce contractuelle.
Dès lors, le premier juge sera approuvé en ce qu'il a retenu au titre de cet abattement le montant de la taxe foncière de 2020, non contesté par la SAS Le Village, d'un montant de 3.582 €.
Par ailleurs, le bail met à la charge de la SAS Le Village les travaux de mise en conformité prescrits par l'autorité administrative.
Si la SNC Du [Adresse 7] soutient que cette clause serait usuelle, la lecture des factures versées aux débats par la SAS Le Village laisse apparaître que le montant de tels travaux peut être élevé et « obérer la rentabilité commerciale » selon l'expert, de sorte que le transfert de charge ainsi opéré exorbitant du droit commun justifie un abattement de 5 %.
Il s'infère de l'ensemble de ces éléments que le prix du bail renouvelé au 1er octobre 2018 sera fixé à la somme de 171.017,10 € (102 m²P x 1.800 €/m2P- 3.582 - 5 %) arrondie à 171.017 €.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a fixé à 180.018 € le loyer HC/HT à compter du 1er octobre 2018.
2. Sur les intérêts et la capitalisation
Le jugement déféré a par ailleurs décidé qu'en application de l'ancien article 1155, devenu 1231-6 du code civil, les intérêts au taux légal ont couru sur le différentiel entre le loyer effectivement acquitté et le loyer finalement dû, à compter du 29 novembre 2019, puis au fur et à mesure des échéances et a fait droit à la demande de capitalisation de ces intérêts.
Ces dispositions n'étant pas contestées en cause d'appel seront confirmées.
3. Sur les demandes accessoires
L'équité commande de débouter la SNC Du [Adresse 7] de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SNC Du [Adresse 7] succombant, sera condamnée aux entiers dépens d'appel, les dépens de première instance restant répartis ainsi que décidé par le premier juge.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;
Infirme le jugement rendu le 13 juillet 2022 par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Paris (RG N°19/12208) seulement en ce qu'il a fixé à la somme annuelle en principal de 180.018 € HT HC, à compter du 1er octobre 2018, le loyer annuel du bail renouvelé entre d'une part la SAS Le Village et d'autre part, la SNC Du [Adresse 7] pour les locaux situés (lot n° 14) situés dans le VILLAGE [Localité 9] ' [Adresse 5], à [Localité 6] et le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau ;
Fixe à la somme annuelle en principal, hors taxes et hors charges de 171.017 € HT/HC, à compter du 1er octobre 2018, le loyer minimum garanti annuel du bail renouvelé entre d'une part la SAS Le Village et d'autre part, la SNC Du [Adresse 7] pour les locaux situés situés (lot n° 14) situés dans le VILLAGE [Localité 9] ' [Adresse 5], à [Localité 6] ;
Y ajoutant :
Déboute la SNC Du [Adresse 7] de sa demande sur l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ;
Rejette les autres demandes ;
Dit que chaque partie conservera à sa charge les dépens qu'elle aura exposés à l'occasion de l'instance d'appel ;
Dit que les dépens de première instance resteront répartis ainsi que décidé par le premier juge.