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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 13 juin 2024, n° 23/12069

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chalbos

Conseillers :

Mme Vignon, Mme Martin

Avocats :

Me Simon-Thibaud, Me Teboul

TJ Nice, du 8 déc. 2022, n° 21/01418

8 décembre 2022

EXPOSE DU LITIGE

La commune de [Localité 5] est propriétaire des alvéoles portant les numéros 203, 204, 205 et 206 édifiées sur la place du Centenaire à [Localité 6].

Antérieurement aux délibérations du conseil municipal du 1er septembre 2005 et 6 octobre 2005, ces alvéoles appartenaient au domaine public de la commune.

Par délibérations du 1er septembre 2005 et du 6 octobre 2005, considérant que la place du Centenaire ne présentait plus les caractéristiques matérielles de la domanialité du public, le conseil municipal de la commune de [Localité 5] a décidé de déclasser du domaine public la place sur laquelle se trouve ces alvéoles.

En l'état de ce déclassement, la commune de [Localité 5] a consenti un bail commercial à M. [L] [S] pour un local constitué de quatre alvéoles portant les numéros 203, 204, 205 et 206 et situé au rez-de-chaussée d'un immeuble sis [Adresse 3].

Ledit bail signé dans le cadre d'un protocole transactionnel a été consenti pour une durée de neuf années, prenant effet le 1er avril 2009 pour se terminer le 31 mars 2018.

Les délibérations de la commune de [Localité 5] du 1er septembre et du 6 octobre 2005 ont fait l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

Par jugement du 7 juillet 2009, confirmé par un arrêt de la cour administrative du 22 novembre 2011, le tribunal administratif de Nice a annulé ces deux délibérations.

La place du Centenaire est donc retombée de manière rétroactive dans le domaine public de la commune.

Par exploit du 27 octobre 2017, M. [L] [S] a sollicité le renouvellement du bail commercial antérieurement conclu avec la commune de [Localité 5], conformément aux dispositions de l'article L 145-10 du code de commerce. Par courrier du 22 juin 2020, il a informé la commune de son intention de céder le bail.

Par lettre datée du 1er juillet 2020, la commune de [Localité 5] a informé M. [S] de ce qu'en l'état de l'annulation des délibérations ayant déclassé la place du Centenaire du domaine public communal, les alvéoles louées étant retombées rétroactivement dans le domaine public, aucun bail commercial ne pouvait être valablement conclu et que par voie de conséquence, aucun bail commercial ne peut être ni renouvelé, ni cédé.

Le 2 septembre 2020, M. [S] a déposé un recours contentieux auprès du tribunal administratif de Nice à l'encontre de la commune de [Localité 6], sollicitant une somme de 640.000 € en réparation du préjudice subi. Ladite procédure est toujours pendante devant le tribunal administratif de Nice.

Par acte d'huissier en date du 9 avril 2021, M. [L] [S] a fait assigner la commune de [Localité 5] devant le tribunal judiciaire de Nice aux fins de fixer le montant de l'indemnité d'éviction qui lui serait due par cette dernière.

Par conclusions d'incident du 13 septembre 2021, la commune de [Localité 5] a saisi le juge de la mise en état d'une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.

Par ordonnance d'incident en date du 8 décembre 2022, le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Nice a :

- déclaré l'exception d'incompétence recevable,

- rejeté l'exception d'incompétence,

- dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer d'office pour renvoyer à la juridiction administrative la question préjudicielle que constituerait la nullité du bail commercial en date du 11 mars 2009,

- renvoyé l'affaire à l'audience dématérialisée du juge de la mise en état du 13 mars 2023 pour conclusions au fond de la commune de [Localité 5],

- rappelé que la présente ordonnance est de plein droit exécutoire à titre provisoire,

- dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- réservé les dépens de l'incident qui suivront le sort de ceux de l'instance au fond.

Pour statuer en ce sens, ce magistrat a retenu que :

- relèvent de la compétence exclusive de la juridiction administrative l'appréciation de la qualification domaniale des biens des personnes des personnes publiques, en tant que relevant du domaine public ou du domaine privé, ainsi que la responsabilité qui peut découler des fautes de l'administration dans l'exercice de ses prérogatives, en l'occurrence, le fait d'avoir consenti un bail commercial sur un bien dépendant du domaine public,

- en revanche, le droit à l'indemnité d'éviction du preneur à bail commercial, en application de l'article L 145-14 du code de commerce, relève de la compétence exclusive du juge judiciaire, le bailleur fût-il une personne publique, de sorte que l'exception d'incompétence ne peut qu'être rejetée,

- la question qui peut être posée n'est pas celle de la compétence du tribunal judiciaire pour connaître de cette demande, mais l'éventualité d'une question préjudicielle portant sur la question préalable de la validité du bail commercial du 11 mars 2009 qui relèverait de la juridiction administrative et justifierait le renvoi à celle-ci,

- toutefois, il n'y a pas nécessité de renvoi à la juridiction administrative lorsque le juge judiciaire est en état de statuer sur la base d'une jurisprudence établie de la juridiction administrative.

Par déclaration en date du 26 septembre 2023, la commune de [Localité 5] a interjeté appel de cette ordonnance.

Par ordonnance sur requête en date du 3 octobre 2023, elle a obtenu l'autorisation d'assigner à jour fixe M. [L] [S] devant la chambre 3-4 de cette cour pour l'audience du 16 avril 2024 à 9h00.

Par exploit du 18 octobre 2023, la commune de [Localité 5] a fait assigner M. [L] [S] devant la chambre 3-4 de cette cour pour l'audience du 16 avril 2024.

Cette assignation comporte notamment les conclusions d'appelante déposées par RPVA le 26 septembre 2023, aux termes desquelles la commune de [Localité 5] demande à la cour de :

Vu les articles 84 et suivants, 917 et suivants du code de procédure civile,

Vu l'article L 2331-1 du code générale de la propriété des personnes publiques,

- déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par la commune de [Localité 5],

- y faisant droit, infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nice du 8 décembre 2022,

En conséquence, statuant à nouveau,

- déclarer le tribunal judiciaire de Nice incompétent pour trancher le litige introduit par assignation de M. [L] [S] le 9 avril 2021 au profit de la juridiction administrative initialement saisie par ce dernier,

En tout état de cause,

- condamner M. [L] [S] à la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

M. [L] [S], suivant ses conclusions notifiées par RPVA le 8 novembre 2023, demande à la cour de :

Vu l'article L 2124-32-1 du code général de la propriété des personnes publiques,

Vu les articles L 145-1 à L 145-3, L 145-60, L 145-14 et L 145-26 du code de commerce,

- confirmer l'ordonnance du 8 décembre 2022,

- débouter la commune de [Localité 5] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la commune de [Localité 5] à payer à M. [L] [S] la somme de 5.000 € sur la base de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

MOTIFS

La commune de [Localité 4] sollicite l'infirmation de l'ordonnance entreprise ayant rejeté son exception d'incompétence du tribunal judiciaire pour trancher le litige introduit par M. [S] le 9 avril 2021 au profit de la juridiction administrative initialement saisie par ce dernier.

Elle soutient que M. [S] ne peut solliciter une indemnité d'éviction devant le tribunal judiciaire alors que le bien donné à bail se trouve sur le domaine public et qu'il ne peut dès lors en aucun cas bénéficier des dispositions du code de commerce régissant les baux commerciaux. Elle précise que le reclassement du local dans le domaine public de la commune a entraîné la caducité du bail commercial, celui-ci étant devenu juridiquement invalide en raison de la disparition de son objet.

Elle relève que M. [S] a matérialisé deux demandes devant deux ordres différents, qu'avant la loi Pinel, un bail commercial pouvait être conclu sur des locaux appartenant à l'Etat ou aux communes à condition de faire partie du domaine privé, que dans le cas d'un bail conclu sur le domaine public, le preneur n'a jamais pu être légalement propriétaire d'un fonds de commerce et ne peut dès lors prétendre à une indemnisation de sa perte et que l'intimé l'a parfaitement analysé en saisissant la juridiction administrative aux fins de réclamer réparation du préjudice qu'il prétend subir en cas de faute avérée de l'administration.

Elle fait valoir que l'article L 2124-32-1 du code général de la propriété des personnes publiques issu de l'article 72 de la loi Pinel dont se prévaut l'intimé ne peut être invoqué que si le contrat est postérieur à l'entrée en vigueur de la loi, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

M. [S], de son côté, estime qu'une commune est parfaitement en droit de conclure un bail commercial sur son domaine privé, qu'en cas de litige, la compétence est celle du juge judiciaire et qu'en l'espèce, le bail était parfaitement licite au moment de sa conclusion, ce qui a nécessairement créé des droits acquis au profit de son bénéficiaire. Il précise que, dans un tel cas, l'annulation d'un acte détachable du contrat n'entraîne aucunement l'annulation de plein droit dudit contrat ou sa résiliation, de sorte que le reclassement par voie judiciaire des locaux dans le domaine public n'entraîne pas nécessairement l'annulation ou la résiliation du bail commercial. Il considère, en outre, être fondé à se prévaloir de l'article L 2124-32-1 du code général de la propriété des personnes publiques (loi Pinel) qui prévoit qu' un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public, sous réserve de l'existence d'une clientèle propre, ce qui est le cas en l'espèce en ce qu'il exploite une clientèle propre dans le cadre de son activité de restauration sur le port de Saint-Jean-Cap Ferrat. Il ajoute qu'il n'appartient pas au juge de la mise en état, mais au tribunal judiciaire saisi sur le fond, de se prononcer sur l'application dans le temps des dispositions de la loi Pinel du 18 juin 2014, dans le cadre d'un renouvellement d'un bail postérieur à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle.

Aux termes de l'article L 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques, doivent être portés devant le juge administratif, les litiges relatifs aux autorisations ou contrats portant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordés ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires.

En revanche, les litiges concernant la gestion du domaine privé des collectivités locales relèvent de la compétence des tribunaux judiciaires. Tel est le cas notamment des contrats conclus pour la location d'un bien appartenant au domaine privé d'une commune.

Il n'est pas contesté que par délibérations des 1er septembre et 6 octobre 2005, le conseil municipal de la commune de [Localité 6] a décidé de déclasser du domaine public la place du Centenaire et qu'en l'état de ce déclassement, celle-ci a consenti à M. [L] [S] un bail commercial portant sur quatre alvéoles portant les numéros 203, 204, 205 et 206 édifiées sur la place du Centenaire, à effet du 1er avril 2009 pour se terminer le 31 mars 2018. A l'époque de la conclusion dudit bail, les locaux faisaient bien partie du domaine privé de la commune de [Localité 6].

M. [S], par exploit d'huissier du 27 octobre 2017, a notifié à l'appelante, une demande de renouvellement de son bail commercial, pour une nouvelle durée de neuf années, à compter du 1er avril 2018, jusqu'au 31 mars 2027.

M. [S] a introduit la présente instance devant le tribunal judiciaire de Nice aux fins de solliciter le paiement d'une indemnité d'éviction du preneur à bail commercial sur le fondement de l'article L 145-14 du code de commerce.

Or, une telle demande relève de la compétence exclusive du juge judiciaire, même si le bailleur est une personne publique.

Si effectivement, les deux délibérations du conseil municipal ont été ultérieurement annulées par la juridiction administrative entraînant la réintégration de la place du Centenaire et par voie de conséquence, des alvéoles, objets du bail, dans le domaine public de la commune, la question de l'appréciation des conséquences de l'annulation de cet acte administratif sur le bail commercial du 11 mars 2009, notamment de sa validité, consenti à M. [S] ne relève pas de l'exception d'incompétence.

La circonstance que M. [S] ait également saisi le tribunal administratif d'une demande d'indemnisation, en recherchant la responsabilité de la commune de [Localité 6] au titre des fautes qu'elle a pu commettre dans l'exercice de ses prérogatives, en l'occurrence le fait d'avoir consenti un bail commercial sur un bien ultérieurement reclassé dans le domaine public est sans incidence, en ce qu'il est établi qu'il a introduit la présente instance aux fins de réclamer le paiement d'une indemnité d'éviction en vertu d'un bail commercial qui lui a effectivement été consenti par l'appelante et qu'une telle demande relève bien de la compétence exclusive du juge judiciaire.

Les demandes portées devant les deux ordres juridictions ont des fondements distincts et le surplus des moyens développées par les parties tenant à la possibilité ou non de M. [S] de se prévaloir des dispositions de l'article L 2124-32-1 du code général de la propriété des personnes publiques, dans sa rédaction issu de la loi Pinel du 18 juin 2014, ne relève pas de la compétence du juge de la mise en état saisi d'une exception d'incompétence mais de l'appréciation du tribunal statuant au fond.

Il convient, après avoir constaté que M. [S] a saisi le tribunal judiciaire de Nice d'une demande en fixation de l'indemnité d'éviction due au preneur d'un bail commercial, laquelle relève bien de la compétence exclusive du juge judiciaire, de débouter la commune de [Localité 6] de son exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.

L'ordonnance entreprise sera donc confirmée.

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Vu l'article 696 du code de procédure civile;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,

Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nice déférée en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la commune de [Localité 6] à payer à M. [L] [S] la somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Condamne la commune de [Localité 6] aux dépens de la procédure d'appel.