CA Metz, 1re ch., 18 juin 2024, n° 23/00001
METZ
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Direction Générale des Finances Publiques de Lorraine et du Département de la Moselle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Flores
Conseillers :
Mme Fournel, Mme Bironneau
Avocat :
Me Roulleaux
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par arrêté préfectoral du 14 juin 2021, le préfet de la Moselle a prescrit, sur le territoire de la commune de [Localité 12], l'ouverture d'une enquête préalable à la déclaration d'utilité publique et parcellaire concernant le projet d'aménagement du secteur de la place Jaslon.
Par arrêté préfectoral du 22 octobre 2021, le préfet de la Moselle a déclaré d'utilité publique le projet d'aménagement du secteur de la place Jaslon et cessibles les immeubles nécessaires à sa réalisation, notamment la parcelle cadastrée section 6 n°[Cadastre 4]/[Cadastre 1] située [Adresse 6], d'une surface de 36 m2 dont le propriétaire inscrit au livre foncier est M. [S] [B].
Le 22 février 2022, le juge de l'expropriation du département de la Moselle a rendu une ordonnance de transfert de propriété pour cause d'utilité publique portant sur la parcelle précitée.
Par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 10 juin 2022 au greffe de l'expropriation du TJ de Metz, la commune de [Localité 12] a sollicité la fixation des indemnités d'expropriation dues à M. [S] [B] pour l'éviction de la parcelle cadastrée section 6 n°[Cadastre 4]/[Cadastre 1] à hauteur de la somme totale de 38 400 euros comprenant une indemnité principale de 34 000 euros et une indemnité de remploi de 4 400 euros.
Par ordonnance du 12 décembre 2022, le juge de l'expropriation a fixé le transport sur les lieux au 31 janvier 2023, date laquelle il a été effectué. A la demande des parties, l'affaire a été renvoyé à l'audience du 16 mars 2023.
La commune de [Localité 12] a déposé un mémoire complémentaire le 27 janvier 2023, dans lequel elle a précisé que la date de référence est celle de la modification numéro trois du plan local d'urbanisme (PLU) de [Localité 12], approuvé par délibération du 28 septembre 2012.
Par mémoire complémentaire déposé le 6 mars 2023, la commune de [Localité 12] a maintenu ses demandes initiales et à défaut, si le bien était considéré comme occupé, elle a demandé de fixer le montant des indemnités d'évictions dues au locataire à déduire du montant de l'indemnité de dépossession revenant au propriétaire.
Le commissaire du gouvernement, par mémoire reçu le 18 novembre 2023, a proposé de retenir la date du 28 septembre 2012 comme référence et de fixer les indemnités suivantes en faveur de l'exproprié : 34 000 euros au titre de l'indemnité principale et 4 400 euros au titre de l'indemnité de remploi.
Par mémoire déposé le 16 mars 2023, M. [B] a demandé au juge de l'expropriation de fixer l'indemnité de dépossession à la somme de 86 400 euros au titre de l'indemnité principale, 9 640 euros au titre de l'indemnité de remploi et 40 000 euros au titre des loyers perdus jusqu'au 1er mai 2027.
Il a également demandé le prononcé de la résiliation du bail commercial conclu avec M. [F] [A] et M. [T] [D].
Enfin, il a sollicité la condamnation de la ville de [Localité 12] à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans son jugement du 5 mai 2023, le juge de l'expropriation du département de la Moselle a:
Fixé la date de référence au 28 septembre 2012 ;
Fixé l'indemnité principale à hauteur de 34 000 euros ;
Fixé l'indemnité de remploi à hauteur de 4 400 euros ;
Débouté M. [S] [B] de sa demande d'indemnisation au titre des loyers perdus jusqu'au 1e mai 2027 ;
Rejeté la demande de prononcer la résiliation du bail commercial ;
Rejeté toute autre demande ;
Condamné la commune de [Localité 12] à payer à M. [S] [B] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné la commune de [Localité 12] aux entiers dépens de l'instance ;
Rappelé que l'exécution provisoire est de plein droit.
Le tribunal a exposé, au sujet du transport effectué le 31 janvier 2023, qu'au cours de cette mesure d'instruction, il avait été constaté que l'immeuble concerné par l'expropriation était complètement fermé par un rideau de fer qui ne permettait pas d'entrevoir l'intérieur, qu'une pancarte avec la mention « Taxiphone Epicerie Snack » était visible, qu'il était également constaté que la façade avait été récemment repeinte d'une couleur grise, la ville relevant qu'aucune demande n'a été faite pour le ravalement de façade et l'affichage de la pancarte.
Le tribunal a ajouté que sur les lieux, aucun occupant ne s'était manifesté, qu'aucune information des jours et horaires d'ouverture du local n'était précisée et que l'existence d'un escalier en pente était visible depuis l'extérieur, tout comme une poubelle calcinée à l'extérieur.
Sur la superficie du bien exproprié et sur son éventuelle occupation, le tribunal a relevé que le bail de courte durée du 26 juin 2014 et le compromis de vente du 31 octobre 2019 faisaient état d'une surface de 36 mètres carré, que leur force probante n'était remise en question par aucun autre document et qu'il convenait donc de retenir une surface de 36 mètres carré pour le bien exproprié.
Sur l'état libre ou occupé du bien, le tribunal a indiqué que la consistance du bien doit être appréciée à la date de l'ordonnance d'expropriation, soit en l'espèce à la date du 22 février 2022.
Il a considéré que M. [B] ne justifiait pas de l'occupation de l'immeuble, qu'en effet le bail dont il se prévalait était un bail de courte durée ayant expiré le 31 mai 2016, que lors du transport sur les lieux aucune activité commerciale n'avait été constatée et que l'intéressé ne justifiait d'aucune déclaration de ses revenus locatifs auprès de l'administration fiscale.
Il en a déduit que le bien devait être considéré comme libre de toute occupation.
Sur la valeur du bien exproprié, le tribunal s'en est référé à l'évaluation opérée par le service des domaines et il a écarté la proposition de M. [B] au motif que ce dernier ne rapportait pas la preuve que le montant proposé serait inférieur au prix du marché.
Il a fixé une indemnité de remploi selon la jurisprudence constante à la somme de 4 400 euros selon le calcul suivant :
20% de 0 à 5 000 euros, soit 1 000 euros ;
15% entre 5 001,00 euros et 15 000,00 euros, soit 1 500 euros ;
10% au-delà de 15 000 euros, soit 1 900 euros.
Il a rejeté la demande tendant à prononcer la résiliation du bail commercial au motif que la preuve de son existence n'était pas rapportée.
Par déclaration d'appel reçue le 23 juin 2023, M. [S] [B] a interjeté appel aux fins d'annulation subsidiairement d'infirmation du jugement du 5 mai 2023 en ce qu'il a :
Fixé la date de référence au 28 septembre 2012 ;
Fixé l'indemnité principale à hauteur de 34 000 euros ;
Fixé l'indemnité de remploi à hauteur de 4 400 euros ;
Débouté M. [B] de sa demande d'indemnisation à hauteur de 40 000 euros au titre des loyers perdus jusqu'au 1e mai 2027 ;
Débouté M. [B] de sa demande tendant à voir prononcer la résiliation du bail commercial conclu entre lui et M. [F] [A] et M. [T] [D] ;
Débouté M. [B] de sa demande tendant à voir dire et au besoin juger que la ville de [Localité 12] devra assumer l'ensemble des conséquences relatives à l'inexécution du contrat de bail commercial conclu entre M. [B] d'une part et MM. [A] et [D] d'autre part.
La procédure d'appel s'est conformée aux dispositions des articles R.311-24 à R.311-29 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions du 5 mars 2024 déposées au greffe le 7 mars 2023, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [S] [B] a demandé à la cour d'appel de :
Infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la commune de [Localité 12] aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Et statuant à nouveau,
Fixer au 19 octobre 2015 soit à la date de modification n°5 du PLU de [Localité 12] la date de référence ;
Fixant les indemnités de dépossession dues à M. [S] [B] par la commune de [Localité 12], pour la parcelle cadastrée section 6 n°[Cadastre 2]/[Cadastre 1] [Adresse 6] aux sommes de :
53 668 euros et subsidiairement 43 200 euros au titre de l'indemnité principale ;
6 356 euros et subsidiairement 5 320 euros au titre de l'indemnité de remploi ;
40 000 euros au titre des loyers perdus jusqu'au 1e mai 2027 ;
Prononcer la résiliation du bail commercial conclu entre M. [B] d'une part et MM. [A] et [D] d'autre part ; ;
Juger que la commune de [Localité 12] assumera les conséquences relatives à l'inexécution du contrat de bail commercial ;
Condamner la commune de [Localité 12] en tous les frais et dépens d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme supplémentaire de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur la fixation de l'indemnité principale, l'appelant considère que le prix moyen du marché retenu par la commune de [Localité 12], ainsi que par le juge de l'expropriation, est inférieur à la réalité, qu'il estime à environ 1 200 euros du m2 et que la surface retenue n'est pas la bonne. Il justifie cette évaluation par un « compromis de vente » portant sur le bien en litige, compromis signé le 31 octobre 2019 au prix de 135 000 euros. Il ajoute que la ville de [Localité 12] a acquis par expropriation la parcelle voisine, qu'elle a relogé l'exproprié dans un bien appartenant à Logiest et qu'elle s'est engagée à racheter ce dernier à l'issue de la première période triennale pour un montant de 1 201,28 euros du m2. Enfin, il fournit une estimation du bien effectuée par « 3G immo » en date du 14 mars 2023 qui fixe son prix, pour 56m2, entre 111 000 et 120 000 euros.
Subsidiairement, si la juridiction devait retenir une surface de 34 m2, l'appelant sollicite une estimation de la valeur vénale à hauteur de 1 200 euros le m2.
Il en déduit que l'indemnité de remploi devrait également être réévaluée.
Sur le bail commercial, l'appelant demande à ce que soit reconnue l'existence de ce dernier, et que soient versés les loyers perdus jusqu'au terme prévu dans le contrat, aux motifs que contrairement à ce qui est évoqué par la mairie de [Localité 12], la date de référence à retenir ne doit pas être le 28 septembre 2012 mais le 19 octobre 2015, date de modification n°5 du PLU, comme le sollicitait le commissaire au gouvernement dans ses conclusions du 3 septembre 2020; il précise que les preneurs se sont maintenus dans les lieux depuis plus de trois ans à compter de l'entrée en jouissance, ceci malgré le terme du bail dérogatoire signé le 26 juin 2014, débouchant ainsi sur la qualification de bail commercial ; il indique que le preneur est propriétaire d'une société régulièrement immatriculée au RCS sous le numéro 948763198, et que cette dernière a interrogé la mairie de [Localité 12] le 6 septembre 2023 sur le sort du bail commercial en raison de l'expropriation de M. [B] ; il fait aussi valoir que le transport sur les lieux s'était déroulé un jour de grève, ce qui n'a pas permis de constater l'activité commerciale.
Par conclusions du 8 décembre 2023 reçues au greffe le 12 décembre 2023, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la ville de Woippy, par l'intermédiaire de son maire, demande à la cour d'appel de :
Rejeter l'appel de M. [S] [B] ;
Confirmer le jugement qui énonce le bien comme étant libre ;
Confirmer la superficie de 36m2 ;
Confirmer le montant de l'indemnité principale fixée à 34 000 euros ;
Confirmer le montant de l'indemnité de remploi fixée à 4 400 euros ;
Condamner l'appelant à tous les frais et dépens d'appel, ainsi qu'à la somme supplémentaire de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La ville de [Localité 12] répond aux conclusions de l'appelant en considérant que le bien doit être déclaré comme étant libre, aux motifs que le contrat de bail initialement signé est un contrat de bail dérogatoire arrivé à son terme et qu'il prévoit qu'il ne pourra donner lieu à tacite reconduction ou à renouvellement d'année en année, que le preneur ne pourra s'y maintenir sous quelque motif que ce soit et qu'il y est précisé que le preneur ne pourra se prévaloir des articles L145-1 et R145-1 et suivants du code de commerce.
Elle ajoute que M. [B] ne justifie pas de la signature d'un nouveau bail écrit, ni d'aucune déclaration de revenus locatifs auprès du fisc ; elle fait aussi valoir que M. [B] était informé de longue date du jour prévu pour se transporter sur les lieux et qu'il n'a pas fait le nécessaire auprès des preneurs pour justifier d'une activité commerciale malgré la grève.
Elle indique qu'au RCS, la société « MS Epicerie » exploitée par M. [F] [A], preneur, n'a été publié au BODACC que le 8 mars 2023 soit bien après l'ordonnance du 22 février 2022 et que de manière globale, l'indemnisation ne peut viser qu'un intérêt juridiquement protégé, ce que ne prouve pas l'exproprié.
Sur la contenance du bien, la ville de [Localité 12] demande à la cour de confirmer l'estimation retenue en première instance, soit 36 m2, au motif que lors du transport sur les lieux, il a été constaté que l'escalier semblait mener à un lieu de stockage inhabitable.
Elle relève que le certificat de surface fourni par un agent immobilier ne peut avoir valeur probante puisqu'il est approximatif, en sachant que la société « Satis Immobilier » indique que la surface « Carrez » est de 35,52m2, confirmant ainsi l'évaluation du juge de l'expropriation en première instance.
Sur l'indemnité principale, la ville de [Localité 12] sollicite la confirmation du jugement au motif que la valeur retenue en première instance est conforme aux prix du marché selon l'avis des domaines et l'avis du commissaire au gouvernement, qu'elle concorde également avec le montant dépensé pour l'acquisition du local voisin aujourd'hui démoli (70 000 euros pour 90m2) et l'analyse effectuée localement sur les cellules commerciales de petites surfaces qui permet d'estimer le prix du m2 entre 470 et 848 euros, soit moins que ce qui a été alloué à M. [B].
Elle soutient que la valeur proposée par l'appelant se base sur le prix des maisons et appartements et non sur celui des locaux commerciaux de petite surface ; elle souligne que la valeur retenue par l'agent immobilier se base sur le loyer déclaré de 800 euros par mois mais, d'une part, l'existence du bail commercial est contestée et d'autre part, l'appelant ne prouve aucunement le versement mensuel de cette somme.
Elle précise que le transfert de propriété du local voisin pour un montant de 70 000 euros s'est fait de manière amiable, et non par le biais de l'expropriation ; elle indique aussi que le voisin en question, M. [G] [P], n'a pas été relogé car le titulaire du bail commercial conclu avec Logiest est la société « Le Mercado » gérée par M. [H] [P] et que si ce nouveau local fait l'objet d'une promesse d'achat de la mairie au prix de 1 201,28 euros du m2, c'est parce qu'il s'agit d'un local loué neuf datant de 2018, contrairement au bien de M. [B] construit dans les années 80.
L'intimée sollicite également la confirmation du montant de l'indemnité de remploi décidée en première instance, au motif qu'elle est fixée proportionnellement à l'indemnité principale.
Par conclusions déposées le 11 décembre 2023, auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme [R], commissaire du gouvernement à la direction départementale des Finances Publiques de la Moselle, demande à la cour d'appel de :
Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a fixé la date de référence au 28 septembre 2012 ;
Confirmer le montant de l'indemnité principale à 34 000 euros ;
Confirmer l'indemnité de remploi à 4 400 euros ;
Sur la date retenue, le commissaire du gouvernement sollicite sa confirmation au motif que les articles L213-6 et L213-4 du code de l'urbanisme prévoient que la date de référence est la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien ; en l'espèce il s'agit de la modification n°3 du PLU de [Localité 12] approuvé par délibération du conseil municipal le 28 septembre 2012.
Sur le montant de l'indemnité principale, le commissaire du gouvernement conteste la demande de réévaluation du montant décidé en première instance aux motifs que les ventes de biens similaires sur la commune de [Localité 12] ont faire l'objet de prix oscillants entre 470 et 848 euros le m2 et qu'une vente du 15 janvier 2019 fait référence puisqu'il s'agit d'un bien très similaire (même année de construction, même aspect architectural) situé à côté de l'immeuble faisant l'objet d'une expropriation ; elle indique que ce bien a été vendu à 848 euros le m2.
Elle ajoute que l'évaluation effectuée par 3G Immo aboutissant à une valeur d'environ 120 000 euros est réalisée sans fondements et que celle effectuée sur le site « meilleurs agents » se base sur le prix moyen des maisons et appartements.
Conformément aux dispositions de l'article R.311-28 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, les parties et le commissaire du gouvernement ont pu développer lors de l'audience les éléments des conclusions qu'ils ont présentées.
MOTIFS DE LA DECISION
L'article L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique dispose que les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.
Selon l'article L.322-2 alinéa 1 du même code, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance.
Néanmoins, il résulte également de l'article L.322-2 alinéa 2 et de l'article L. 322-3 du même code que l'usage effectif de la parcelle ou sa qualification de terrain à bâtir s'apprécient à une date dite date de référence.
En application de l'article L.213-6 du code de l'urbanisme, lorsqu'un bien soumis au droit de préemption fait l'objet d'une expropriation pour cause d'utilité publique, la date de référence est celle prévue à l'article L.213-4 a), à savoir la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.
Enfin, l'article L.322-1 alinéa 1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique dispose que le juge fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété.
En résumé, le montant des indemnités dues à l'exproprié est fixé d'après la consistance des biens expropriés à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété, en fonction de l'estimation de ces biens à la date de la décision de première instance et en considération de leur qualification ou usage effectif à une date, dite date de référence.
Ainsi contrairement à ce que soutient M. [B], la date de référence permet seulement de vérifier la qualification de terrain à bâtir de la parcelle expropriée ou son usage effectif, mais ne correspond pas à la date à laquelle il convient d'apprécier la valeur vénale du bien.
I- Sur la date de référence
En première instance, la mairie de [Localité 12] proposait comme date de référence la modification n°3 du PLU de [Localité 12] approuvée par délibération du 28 septembre 2012, sans contestation de M. [B].
A hauteur de cour, M. [B] demande désormais à la cour de retenir comme date de référence le 19 octobre 2015, date de la modification n°5 du PLU de [Localité 12] et ce conformément aux conclusions du commissaire du gouvernement du 3 septembre 2020 devant le juge de première instance.
Il est exact que dans ces conclusions, le commissaire du gouvernement se référait à la date du 19 octobre 2015. Dans des conclusions ultérieures, il s'en est référé à la modification n°3, sans explications complémentaires.
En outre, ni la commune de [Localité 12], ni le commissaire du gouvernement n'ont répondu à M. [B] sur ce point ou versé aux débats les documents modificatifs du PLU en cause.
Par voie de conséquence, la cour fixera comme date de référence le 19 octobre 2015, date de la modification n°5 du PLU de [Localité 12].
Il est constant qu'à cette date, la parcelle en litige était située en zone UC11 du PLU, qui correspond à une zone mixte d'habitation en immeubles collectifs dans laquelle la commune de [Localité 12] a institué un droit de préemption urbain sur la totalité des zones urbaines U et AU par délibération du 11 mars 2010. C'est cette qualification qui sera prise en considération dans le cadre du présent litige.
La cour infirme donc la décision entreprise en ce qu'elle a fixé comme date de référence le 28 septembre 2012 et statuant à nouveau, fixe au 19 octobre 2015 la date de référence.
II- Sur l'indemnité principale
Les juges du fond sont libres de choisir la méthode d'évaluation des biens qui leur paraît la plus appropriée (sur ce point voir par exemple Cass. 3e civ., 4 juill. 2007, n° 06-13.393).
Dans le cas présent, les parties admettent une méthode par comparaison, c'est-à-dire par référence aux biens similaires vendus à proximité.
En outre, l'ordonnance portant transfert de propriété est datée du 22 février 2022 et le jugement en fixation d'indemnité est daté du 5 mai 2023. La consistance du bien sera donc appréciée à la date du 22 février 2022 et sa valeur vénale à la date du 5 mai 2023.
La superficie du bien et son éventuelle occupation sont des critères déterminants de la valeur vénale d'un immeuble.
Sur la superficie de l'immeuble M. [B], qui conteste la superficie de 36 m2 retenue par la ville de [Localité 12], produit un avis de valeur de la société 3G Immo selon lequel son bien de « deux pièces-56 mètres carré » aurait une valeur vénale entre 111 000 et 120 000 euros. Cet avis de valeur est non daté, M. [B] précisant toutefois qu'il a été réalisé le 14 mars 2023.
Mais d'une part, cet avis de valeur ne fait pas état d'une visite personnellement effectuée par l'agent immobilier, ce qui conforterait son appréciation de la superficie et de la valeur du bien.
D'autre part, le prix évoqué par l'agent immobilier est motivé notamment par l'existence de revenus locatifs, point qui est contesté par la ville de [Localité 12].
De même, le certificat de superficie établi par Mme [Z] et daté du 17 février 2023, s'il fait état d'une surface au sol totale de 44,64 m2, soit moindre que celle annoncée dans l'avis de valeur de l'agent immobilier 3G Immo, mentionne également une surface Loi Carrez totale de 35,52 m2, ce qui correspond à la superficie retenue par le service des Domaines pour établir ses évaluations. Dans son mémoire, le commissaire du gouvernement a précisé, au sujet du certificat de superficie transmis par M. [B], que la surface de 44,64 m2 ne peut pas être retenue car elle ne prend pas en compte l'aspect mansardé du premier étage.
Par ailleurs, dans le bail dérogatoire de courte durée du 26 février 2014 et dans le compromis de vente du 31 octobre 2014, documents signés par M. [B] lui-même, la seule référence à la superficie qui y figure est celle d'une contenance de 36 centiares.
Lors de la visite sur les lieux, les allégations de M. [B] sur la superficie réelle du local n'ont pas pu être vérifiées puisque le local était fermé ; les photographies qu'il verse aux débats confirment la présence de fenêtres au deuxième niveau mais aussi le fait que l'étage est mansardé, ce qui confirme l'appréciation du commissaire du gouvernement selon laquelle il ne s'agit pas d'une surface exploitable.
La cour retient donc une superficie de 36 mètres carré.
L'état libre ou occupé du bien doit aussi être pris en considération pour apprécier sa valeur vénale.
Le bail dérogatoire consenti le 26 juin 2014 était précaire, devait s'achever le 31 mai 2016 sans possibilité de tacite reconduction.
Le courrier de Maître [X], notaire, en date du 10 mars 2023, ne permet en aucun cas de confirmer que M. [A] se serait bien maintenu dans les lieux, cet officier ministériel se contentant d'y répondre aux interrogations de M. [B] sur les conséquences du maintien dans les lieux du locataire après la fin du bail précaire.
De même, le courrier de l'avocat de M. [A] adressé à la mairie de [Localité 12] selon lequel son client exploiterait un commerce d'épicerie au [Adresse 5] n'apparaît pas suffisamment probant, dès lors que le registre du commerce et des sociétés établit que l'intéressé n'a déclaré son activité, à fortiori à cette adresse, qu'à compter du 15 janvier 2023, date à laquelle le juge de l'expropriation avait déjà fixé la date de transport sur les lieux.
Lors du transport sur les lieux, aucune activité commerciale n'a été constatée. Aucune information sur les jours et les horaires d'ouverture d'un éventuel commerce n'était affichée. Aucun occupant ne s'est manifesté alors que l'exproprié avait été préalablement averti de la date du transport sur les lieux et qu'il connaissait les enjeux de la procédure.
Enfin et surtout, M. [B] ne produit pas le justificatif des loyers perçus ou même la déclaration de ses revenus fonciers, pour en établir la réalité et l'importance.
M. [B] ne rapporte pas la preuve de ce que son bien aurait été occupé par un commerce à la date de l'ordonnance de transfert de propriété le 22 février 2022.
Dès lors, il y a lieu de considérer qu'à la date de l'ordonnance de transfert de propriété, le bien exproprié était à l'état libre.
S'agissant de la valeur vénale du bien exproprié, l'expropriant se réfère aux cinq évaluations effectuées par le service des Domaines entre 2018 et 2021, ainsi qu'aux prix de ventes de petites cellules commerciales situées sur la commune de [Localité 12], la fourchette de prix oscillant de 470 à 848 euros.
Le commissaire du gouvernement, dans son mémoire du 11 décembre 2023, s'est référé à cinq ventes effectivement conclues en 2018 et en 2019 et portant sur des biens présentant des caractéristiques équivalentes au bien exproprié. Le commissaire du gouvernement a estimé la valeur vénale de l'immeuble de M. [B] à 31 800 euros (36 m2 x 848 euros soit le prix au mètre carré le plus élevé observé), raison pour laquelle il s'est aligné sur la proposition de la ville de [Localité 12] à hauteur de 34 000 euros, plus favorable à l'exproprié.
Si l'exproprié soutient que la valeur vénale de son bien est supérieure, il sera observé que le compromis de vente du 31 octobre 2019, portant sur un prix de vente de 135 000 euros, n'a jamais été réitéré. Il ne peut donc servir de référence, pas plus que l'extrait du site « meilleurs agents » qu'il verse aux débats et qui évoque la fourchette de prix pratiquée pour les maisons et les appartements du secteur.
De même, s'il est exact que l'indemnité offerte au voisin de M. [B] était plus conséquente (70 000 euros), c'est en considération notamment d'une superficie de la parcelle bien supérieure à savoir 92 m2. De plus, si la commune de [Localité 12] s'est également engagée à racheter au prix de 150 520,85 euros le nouveau bien loué par la société Le Mercado à l'issue de la première période triennale, ce nouveau local est beaucoup plus grand (125 mètres carré) et selon les allégations de la commune de [Localité 12], non contredites par M. [B], l'immeuble est beaucoup plus récent que celui de l'appelant.
Dès lors, les termes de comparaison proposés par M. [B] ne semblent pas pertinents et ce sont ceux proposés par le commissaire du gouvernement et la commune de [Localité 12] qui seront retenus.
Il s'en déduit que la proposition d'indemnité principale faite par la ville de [Localité 12] est raisonnable et la cour confirmera le jugement entrepris en ce qu'il a fixé cette indemnité à la somme de 34 000 euros.
III- Sur l'indemnité de remploi
L'article R.322-5 du code de l'expropriation dispose que :
« L'indemnité de remploi est calculée compte tenu des frais de tous ordres normalement exposés pour l'acquisition de biens de même nature moyennant un prix égal au montant de l'indemnité principale. Sont également pris en compte dans le calcul du montant de l'indemnité les avantages fiscaux dont les expropriés sont appelés à bénéficier lors de l'acquisition de biens de remplacement.
Toutefois, il ne peut être prévu de remploi si les biens étaient notoirement destinés à la vente, ou mis en vente par le propriétaire exproprié au cours de la période de six mois ayant précédé la déclaration d'utilité publique ».
La proposition de la ville de [Localité 12], conforme à celle du service des Domaines, est la suivante :
5 000 euros x 20% = 1 000 euros
10 000 euros x 15%=1 500 euros
34 000 euros ' 15 000 euros= 19 000 euros x 10%= 1 900 euros.
Soit la somme totale de 4 400 euros.
M. [B] ne conteste pas ses modalités de calcul, même s'il sollicite une indemnité de remploi plus élevée en considération de l'indemnité principale plus conséquente qu'il sollicitait à titre principal.
La cour confirme le jugement entrepris en ce qu'il a fixé l'indemnité de remploi à 4 400 euros.
IV- Sur les loyers perdus et sur le prononcé de la résiliation du bail
Il avait déjà été exposé par le juge de première instance que d'une part, le bail étant résilié de plein droit à l'occasion de l'ordonnance de transfert, il n'y a pas lieu de prononcer la résiliation des éventuels baux et que d'autre part, M. [B] ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un bail commercial au moment de l'ordonnance de transfert ou ultérieurement.
Dès lors, il ne peut pas prétendre non plus au paiement de loyers perdus.
La cour confirme donc la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande de prononcé de la résiliation du bail et de condamnation de la ville de [Localité 12] au titre d'une perte de loyers.
V- Sur les dépens et frais irrépétibles
La cour confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la commune de [Localité 12] aux dépens de première instance et à payer la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles de M. [B].
M. [B] qui succombe sera condamné aux dépens de l'appel.
Aucune considération d'équité ne justifie qu'il soit fait droit à l'une ou l'autre demande en paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile. En outre, la ville de [Localité 12] représentée par ses agents ne précise pas quels frais irrépétibles elle aurait dû engager.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement rendu le 5 mai 2023 par le juge de l'expropriation du département de la Moselle en ce qu'il a fixé la date de référence au 28 septembre 2012 ;
Le confirme pour le surplus et statuant à nouveau,
Fixe au 19 octobre 2015 la date de référence ;
Y ajoutant,
Condamne M. [S] [B] aux dépens de l'appel ;
Rejette les demandes de M. [S] [B] et de la ville de [Localité 12] en application de l'article 700 du code de procédure civile ;