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Décisions

CA Colmar, 1re ch. A, 12 juin 2024, n° 23/01838

COLMAR

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Val Expansion (SAS)

Défendeur :

Asan (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Walgenwitz

Conseillers :

M. Roublot, Mme Rhode

Avocat :

Me Frick

CA Colmar n° 23/01838

11 juin 2024

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Le 22 juin 2006, l'Union des Coopérateurs d'Alsace, bailleur aux droits de laquelle vient la Sas Foncière Hypercoop, a consenti à la Sarl Asan un bail commercial pour neuf ans portant sur des locaux de 564 m2 situés sur un terrain sis [Adresse 1], pour exploiter un commerce d'épices, produits de boucherie, produits orientaux. Ce local, dans un immeuble partagé, se trouve à l'arrière du centre commercial Leclerc.

Le bail, à échéance du 31 mai 2015, a fait l'objet d'un refus de renouvellement le 12 janvier 2017 puis, le 8 février 2018, de l'exercice du droit de repentir. Le bailleur a proposé le renouvellement du bail, moyennant un loyer renouvelé de 120 000 €, le loyer en cours étant de 33 581,28 €.

Faute d'accord, le mémoire préalable a été signifié le 4 décembre 2018 et le bailleur a saisi le juge des loyers commerciaux.

Par jugement du 9 octobre 2019, le juge a pris acte de l'accord entre les parties pour renouvellement du bail commercial et a ordonné une expertise confiée à Mme [O] [K]. L'expert a déposé son rapport le 20 juillet 2020. Le loyer du bail renouvelé est proposé à hauteur de 61 000 € HT par an au premier trimestre 2018, valeur à retenir si la modification des facteurs locaux de commercialité était jugée notoire et durable.

Par jugement rendu le 8 mars 2023, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Strasbourg, a :

Rejeté la Sas Foncière Hypercoop de sa demande ;

Dit que le loyer renouvelé au 8 février 2018 reste plafonné ;

Condamné la Sas Foncière Hypercoop aux dépens ;

Condamné la Sas Foncière Hypercoop à payer à la Sarl Asan la somme de mille euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonné l'exécution provisoire.

La SAS Val Expansion, venant aux droits de la Sas Foncière Hypercoop, a interjeté appel de cette décision par déclaration déposée le 4 mai 2023.

La SCI Schilimmo, ayant fait l'acquisition de l'ensemble immobilier litigieux le 30 mars 2022, est intervenue volontairement à la procédure le 25 mai 2023.

La SARL Asan ne s'est pas constituée intimée.

Par acte du commissaire de justice du 8 août 2023, la SAS Val Expansion et la SCI Schilimmo ont fait signifier à la SARL Asan, la déclaration d'appel du 4 mai 2023 et les conclusions d'appel de Me Frick datées du 3 août 2023, avec bordereau de communication de pièces.

Dans leurs dernières conclusions en date du 3 août 2023, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, la SAS Val Expansion et la SCI Schilimmo demandent à la cour de :

- SUR L'APPEL PRINCIPAL de la société FONCIERE HYPERCOOP

DECLARER l'appel de la société FONCIERE HYPERCOOP recevable et bien fondé ;

INFIRMER le jugement rendu le 8 mars 2023 par le Juge des loyers commerciaux près le TJ de [Localité 6] en ce qu'il :

- REJETTE la SAS FONCIERE HYPERCOOP de sa demande ;

- DIT que le loyer renouvelé au 8 février 2018 reste plafonné ;

- CONDAMNE la SAS FONCIERE HYPERCOOP aux dépens ;

- CONDAMNE la SAS FONCIERE HYPERCOOP à payer à la SARL ASAN la somme de 1.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- ORDONNE l'exécution provisoire.

- SUR L'INTERVENTION VOLONTAIRE DE LA SOCIETE SCHILIMMO

DECLARER l'intervention volontaire de la société SCHILIMMO recevable et bien fondée ;

- STATUANT A NOUVEAU

CONSTATER la modification notoire et durable des facteurs locaux de commercialité de nature à écarter la règle du plafonnement afin que le loyer renouvelé soit porté au montant de la valeur locative proposée dans le rapport d'expertise judiciaire définitif en date du 20 juillet 2020 ;

FIXER à la somme de 61.000 € HT + TVA, en principal le montant du loyer annuel à compter du 8 février 2018 ;

CONDAMNER la société ASAN à payer à la société FONCIERE HYPERCOOP la somme de 114.250 € au titre des arriérés de loyers correspondant à la différence entre le loyer actuel payé HT et le loyer recalculé par l'expert - soit 2.285 € HT par mois X 50 mois - période de février 2018 (renouvellement bail) à mars 2022 (changement de bailleur) ;

CONDAMNER la société ASAN à payer à la société SCHILIMMO la somme de 38.845 € au titre des arriérés de loyers correspondant à la différence entre le loyer actuel payé HT et le loyer recalculé par l'expert - soit 2.285 € HT par mois X 17 mois - période avril 2022 à août 2023 ;

DIRE et JUGER que les intérêts au taux légal seront dus sur tout rappel de loyer et qu'ils devaient être dus pour plus d'une année entière, ils seront eux-mêmes capitalisés en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

DEBOUTER la société ASAN de l'intégralité de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

CONDAMNER la société ASAN aux entiers frais et dépens de première instance y compris les frais d'expertise judiciaire ;

CONDAMNER la société ASAN à payer à la société FONCIERE HYPERCOOP et à la SCI SCHILIMMO la somme de 3.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER la société ASAN aux entiers frais et dépens d'appel.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs dernières conclusions respectives.

La clôture de la procédure a été prononcée le 8 décembre 2023 et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 8 avril 2024.

MOTIFS :

L'article 472 du code de procédure civile dispose que si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.

Il résulte de l'article 954 du code de procédure civile que la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement, est réputée s'en approprier les motifs.

Sur la modification notable des facteurs locaux de commercialité :

L'article L145-34 du code de commerce énonce qu'à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques. A défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre en compte la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, calculée sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié.

En cas de renouvellement postérieur à la date initialement prévue d'expiration du bail, cette variation est calculée à partir du dernier indice publié, pour une période d'une durée égale à celle qui s'est écoulée entre la date initiale du bail et la date de son renouvellement effectif.

Les dispositions de l'alinéa ci-dessus ne sont plus applicables lorsque, par l'effet d'une tacite prolongation, la durée du bail excède douze ans.

En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.

L'article R145-6 du code de commerce dispose que les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.

En l'espèce, la SAS Val Expansion et la SCI Schilimmo fondent leur demande en fait sur le rapport d'expertise de Mme [K], ainsi que sur un dossier de l'INSEE, concernant la commune de [Localité 2], paru le 25 juillet 2023. Elles considèrent que les facteurs locaux de commercialité ont notablement évolué et se réfèrent à l'augmentation substantielle de la population, aux constructions nouvelles en lien avec la démographie, à la politique menée en matière d'urbanisme introduisant les notions d'infrastructures, de services collectifs, de transport, d'accessibilité, de stationnement et également à la modification de l'environnement commercial avec l'arrivée du centre commercial Leclerc.

Concernant l'installation du centre commercial Leclerc en lieu et place du magasin Rond Point au cours de l'année 2013, la cour relève que si l'expert indique qu'elle a redynamisé la zone et permis la venue d'une clientèle moins locale pour des produits plus diversifiés, l'expert souligne également que la clientèle du magasin Pro-Inter, supermarché oriental, est une clientèle fidèle de proximité cherchant des produits très ciblés dont peu sont distribués par la nouvelle enseigne, de sorte que si l'installation du centre commercial Leclerc a attiré une nouvelle clientèle de passage, cette dernière n'a pas nécessairement bénéficié à la Sarl Asan.

Concernant les infrastructures et le transport, s'il résulte du rapport d'expertise que le réseau de voirie a évolué aux abords du centre commercial, sans qu'il soit néanmoins précisé quelles ont été les changements ayant affecté ledit réseau, il est également relevé d'une part, que les dessertes par transports en commun n'ont pas évolué suffisamment au goût de la population, qui déplore un trafic saturé ainsi que l'abandon du projet de tram et d'autre part, que la ligne G à haut niveau de service, ouverte le 30 novembre 2013, n'a pas particulièrement d'impact sur le quartier.

Concernant la politique d'urbanisme de la ville, si le rapport d'expertise rappelle que le quartier est classé prioritaire depuis les années 2010 et fait l'objet d'un projet en matière de renouvellement urbain, qui a été présenté en 2015 à la population locale, il met également en évidence que se déroulent, depuis lors, diverses phases de concertation et que la concrétisation des programmes de rénovation devrait aboutir à court terme, de sorte qu'à ce jour peu d'actions concrètes entrant dans cette démarche ont été réalisées.

Enfin, concernant la démographie, l'expert relève que le quartier immédiat est essentiellement le résultat de dispositifs sociaux en matière de construction et de logements, afin de loger des familles de condition modeste. Il précise que depuis les années 1980, la population a augmenté régulièrement suivant l'évolution démographique moyenne de l'Eurométropole de [Localité 6] et que la catégorie sociale des habitants n'a pas beaucoup changé. Toutefois, l'évolution de la population entre 2005, date de la signature du contrat de bail, et 2018, date du renouvellement du contrat, n'est pas précisée et le rapport d'expertise ne permet pas de conclure à une augmentation du pouvoir d'achat de la population se situant à proximité du magasin Pro-Inter.

En outre, aux termes du rapport de l'INSEE produit, qui ne porte pas exactement sur la période concernée par le présent litige (2005-2018) et ne permet pas de procéder à une analyse quartier par quartier alors que la clientèle du magasin Pro-Inter est une clientèle de proximité, la commune de [Localité 2] comptait 31 148 habitants en 2009 et 33 993 habitants en 2020, soit une augmentation très relative.

Au regard de ces éléments, c'est à juste titre que le premier juge a considéré que la modification notable des facteurs locaux de commercialité n'était pas démontrée et la décision déférée sera intégralement confirmée.

Sur les accessoires :

Succombant, la SAS Val Expansion et la SCI Schilimmo seront tenues, in solidum, aux dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation du jugement déféré sur cette question.

La SAS Val Expansion et la SCI Schilimmo seront déboutées de leurs prétentions au titre des frais irrépétibles et les dispositions du jugement déféré de ce chef seront confirmées.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 8 mars 2023 par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Strasbourg,

Y ajoutant,

Condamne in solidum la SAS Val Expansion et la SCI Schilimmo aux dépens de l'appel,

Déboute la SAS Val Expansion et la SCI Schilimmo de leurs prétentions au titre des frais irrépétibles.