CA Pau, 1re ch., 18 juin 2024, n° 23/01316
PAU
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Maison Gracieuse (SCI)
Défendeur :
Aluciea (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Faure
Conseillers :
Mme de Framond, Mme Blanchard
Avocats :
Me Saint-Cricq, Me Chapon
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte authentique du 18 septembre 2019, la SCI Maison Gracieuse a acquis de la SAS Aluceia une maison sise à Anglet (64), pour le prix de 795 000 euros.
Suite à un dégât des eaux, la SCI Maison Gracieuse a fait procéder à des travaux de remplacement de la charpente et de la toiture, pour un montant total de 55 680 euros.
Par courrier recommandé du 13 mars 2020, la SCI Maison Gracieuse a sollicité de la SAS Aluceia qu'elle prenne en charge les travaux de réparation au titre de vices cachés de la toiture, au motif selon elle que la charpente se serait avérée atteinte par les termites, à hauteur de 48 120 euros, correspondant à la facture de 55 680 euros, avant déduction de la somme de 7 560 euros correspondant à la mise en place d'un écran sous toiture.
Par acte d'huissier de justice du 30 juin 2021, la SCI Maison Gracieuse a fait assigner la SAS Aluceia devant le tribunal judiciaire de Bayonne en garantie des vices cachés, sur le fondement de l'article 1641 du code civil.
Suivant jugement contradictoire en date du 7 avril 2023, le tribunal judiciaire de Bayonne a :
- débouté la SCI Maison Gracieuse de ses demandes,
- débouté la SAS Aluceia de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCI Maison Gracieuse à supporter les dépens.
Pour rejeter les demandes de la SCI Maison Gracieuse, le juge a retenu qu'elle ne démontrait pas que les vices affectant la maison la rendaient impropre à son usage ou qu'elle ne l'aurait pas acquise ou en aurait offert un prix différent si elle en avait eu connaissance, dès lors :
- que les attestations produites ne permettent pas de conclure à l'infestation de la charpente par les termites,
- que l'état dégradé des tuiles était un élément apparent ne pouvant s'analyser en un vice caché,
- qu'il n'est pas démontré des manoeuvres de la SAS Aluceia pour cacher l'accès aux combles,
- que les photographies produites par la SCI Maison Gracieuse ne sont pas probantes,
- que la SAS Aluceia a accepté de prendre une partie des travaux à sa charge,
- que les travaux ont été réalisés par la SCI Maison Gracieuse sans avoir fait procéder à une quelconque constatation.
La SCI Maison Gracieuse a relevé appel du jugement par déclaration du 11 mai 2023, le critiquant en ce qu'il l'a :
- déboutée de ses demandes aux motifs que l'existence des vices cachés n'était pas suffisamment démontrée, que la SAS Aluceia aurait pris en charge une partie des frais de rénovation de la toiture, et qu'elle n'a pas fait procéder à une expertise judiciaire,
- déboutée de ses demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 4 juillet 2023, auxquelles il est expressément fait référence, la SCI Maison Gracieuse, appelante, demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :
- condamner la SAS Aluceia à lui payer le coût des réparations des vices cachés démontrés et reconnus s'élevant à 48 120 euros au titre de la présomption irréfragable de mauvaise foi à laquelle elle est assujettie,
A titre subsidiaire,
- condamner la SAS Aluceia à lui payer la somme de 10 000 euros qu'elle a reconnu lui devoir,
A titre infiniment subsidiaire et avant dire droit,
- ordonner une mesure de visite des lieux par un expert, à ses frais avancés, avec pour mission de :
- convoquer les parties et leurs conseils,
- se transporter sur les lieux,
- visiter la toiture et examiner les photographies prises à l'occasion des travaux,
- préciser si la porte d'accès aux combles préexistant dans la cage d'escaliers a été supprimée,
- examiner les factures des travaux payées par Mme [S] et confirmer leur pertinence,
- entendre tous sachants,
- dire au vu de l'état de la toiture si l'immeuble était infesté de xylophages,
- du tout dresser un rapport et déposer celui-ci au greffe du tribunal judiciaire,
Sur les frais irrépétibles,
- condamner la SAS Aluceia à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir, au visa de l'article 1641 du code civil :
- que la SAS Aluceia a accepté le principe de la réparation, ayant indiqué prendre une partie des travaux à sa charge, révélant qu'elle avait connaissance de l'état désastreux de la toiture, mais qu'elle n'a jamais versé la somme de 10 000 euros annoncée,
- qu'à l'occasion de la rénovation de la maison, la SAS Aluceia s'est organisée pour que le diagnostic termites ne puisse être pratiqué, la charpente étant inaccessible, et les traces de passage de termites masquées, de sorte que rien ne figurait au diagnostic concernant les termites et le mauvais état de la toiture, alors que le diagnostic annexé à l'acte d'acquisition du bien par la SAS Aluceia fait état de la présence d'humidité et de traces de passage d'insectes à larve xylophage sur l'ensemble des boiseries,
- qu'en qualité de vendeur professionnel, la SAS Aluceia est tenue d'une présomption irréfragable de mauvaise foi et devait vérifier l'état de la toiture avant de vendre le bien, qu'elle présentait comme entièrement rénové, alors qu'elle avait connaissance que l'ensemble des boiseries était touché par les xylophages et que les murs étaient affectés d'humidité,
- qu'elle avait sollicité à titre subsidiaire en première instance, si le juge l'estimait nécessaire, que soit organisée l'intervention d'un expert judiciaire sur les lieux.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 2 octobre 2023, auxquelles il est expressément fait référence, la SAS Aluceia, intimée, demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a :
- débouté la SCI Maison Gracieuse de ses demandes,
- condamné la SCI Maison Gracieuse à supporter les dépens,
En conséquence,
- déclarer irrecevable la demande nouvelle en appel formée par la SCI Maison Gracieuse portant sur sa condamnation au paiement de la somme de 10 000 euros,
- débouter la SCI Maison Gracieuse de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions d'appel, notamment sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Au soutien de ses demandes, elle fait valoir, sur le fondement des articles 564 et suivants du code de procédure civile, 1641 du code civil, 789 du code de procédure civile :
- qu'elle ne s'est pas acquittée de la facture de 10 000 euros présentée par la SCI Maison Gracieuse, ni n'a accepté le principe d'une prise en charge partielle des réparations ; que la demande tenant à la voir condamner à payer cette somme n'a pas été soumise au juge de première instance,
- que l'existence d'un vice caché présent au moment de la vente n'est pas démontrée dès lors que l'infestation de la toiture par les termites n'est pas établie, aucun constat d'huissier n'ayant été dressé ; que si l'état des tuiles avait été tel que décrit par les témoins attestant en faveur de la SCI Maison Gracieuse, celle-ci l'aurait remarqué ; que les deux diagnostics parasitaires diffèrent du fait de la rénovation de la maison intervenue entre temps, et qu'aucun des deux ne relève la présence de termites,
- qu'il n'est pas démontré que l'état de la charpente aurait rendu le bien impropre à sa destination ou que la SCI Maison Gracieuse aurait acquis le bien à un moindre prix,
- que les combles n'étaient pas accessibles lorsqu'elle a acquis la maison en 2018,
- que la demande d'expertise judiciaire aurait dû être formulée devant le juge de la mise en état de première instance, et n'a désormais aucune utilité, la toiture ayant été rénovée par la SCI Maison Gracieuse, l'absence de termites dans les autres parties de l'immeuble ayant été confirmée par le diagnostiqueur, et étant donné qu'il est impossible d'établir qu'une trappe aurait été obstruée par des matériaux récents.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 février 2024, et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 2 avril 2024 pour y être plaidée.
MOTIFS :
Sur la recevabilité de la demande de la SCI Maison Gracieuse relative au paiement de la somme de 10000 € :
Il résulte des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Par ailleurs, l'article 565 du code de procédure civile dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
Enfin, l'article 566 du code de procédure civile précise que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l'espèce, il est exact comme le soutient la SAS Aluceia que la SCI Maison Gracieuse n'avait pas demandé au juge de première instance le paiement de la somme de 10 000 €, lequel note toutefois dans les motifs de sa décision non seulement que la SAS Aluceia s'était engagée à prendre en charge cette somme mais aussi, par erreur, que la SAS Aluceia avait déjà pris en charge cette somme sur un total de 55680 € alors que tel n'était pas le cas ; le premier juge était saisi d'une demande indemnitaire de 48 210 + 5000 € sur le fondement de l'article 1641 du code civil, la demande de 10 000 € présentée nouvellement en cause d'appel par la SCI Maison Gracieuse se rattache aux prétentions initiales et tend aux mêmes fins, en effet elle est présentée à titre subsidiaire pour indemniser la SCI Maison Gracieuse d'une partie des frais de toiture au cas où la cour ne l'indemnise pas de la totalité des travaux pour 48120 €.
Cette demande est donc recevable au regard des dispositions de l'article 565 du code de procédure civile.
Sur l'existence d'un vice caché :
L'article 1641 du code civil dispose que «'le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus'».
Selon les articles 1644 à 1646 du code civil, dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.
Si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix, et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente.
Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est en outre tenu, outre la restitution du prix qu'il a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.
La jurisprudence considère que le vendeur professionnel, comme le fabricant, sont réputés connaître les vices affectant la chose vendue.
La SAS Aluceia est marchand de biens, donc professionnel de l'immobilier.
Il est constant que cette société a rénové la maison, et l'a vendue comme 'parfaitement rénovée' selon les termes repris dans l'annonce de vente ; elle avait acquis le bien en 2018 pour 360 000 € et a été revendu après rénovation un an plus tard pour 795 000€.
Sont produits aux débats :
- un diagnostic technique établi en vue de la vente, le 10 mai 2019, mentionnant des 'traces de passage d'insectes à larve xylophage sur l'escalier bois et sur le plancher bois des chambres et du dressing', et mentionnant que les combles et la charpente, non accessibles, n'ont pas été visités,
- un diagnostic précédent, établi le 3 janvier 2018, figurant dans l'acte d'acquisition par le vendeur, mentionnant à la fois 'traces de passages d'insectes xylophages sur l'ensemble des boiseries', et en conclusion 'absence d'indices d'infestation de termites', la charpente et les combles ne figurant pas davantage dans la liste des lieux visités par le diagnostiqueur.
Au vu de ces deux diagnostics, la présence ancienne d'insectes xylophages (sans détermination desquels) dans les lieux est avérée, mais pas celle d'insectes encore vivants et actifs, à traiter ; de plus la SCI Maison Gracieuse n'avait connaissance que du diagnostic du 10 mai 2019 et soutient sans être contredite sur ce point par la SAS Aluceia que les combles et la charpente étaient inaccessibles lors des visites précédent l'achat, en l'absence de trappe d'accès.
Les éventuels vices affectant la charpente étaient donc cachés lors de la vente à la SCI Maison Gracieuse, qui n'est pas professionnelle de l'immobilier, s'agissant d'une SCI familiale constituée de Mme [S] et de ses enfants, ayant acquis ce bien pour en faire le domicile de Mme [S], retraitée.
En revanche les vices affectant la toiture, notamment l'usure des tuiles également invoquée par la SCI Maison Gracieuse, constituent des vices apparents lors de la vente et ne peuvent être invoqués.
La SCI Maison Gracieuse explique qu'à l'occasion d'un dégât des eaux survenu quelques mois après la vente, elle a fait intervenir un professionnel ayant constaté que les tuiles étaient poreuses, et que la charpente était pourrie.
L'eau s'est donc infiltrée par les tuiles poreuses.
Elle produit un devis du 10 février 2020 d'un montant de 10 000 € correspondant à la dépose des tuiles, au changement des liteaux, ainsi qu'un deuxième devis du même jour relatif au changement complet de la toiture, au traitement de la charpente et à son renforcement.
Le premier devis mentionne 'accord des travaux donnés par Mme [S], les travaux seront pris en charge par la société Alucia, [Adresse 1]'.
Cependant aucun élément du dossier ne permet de relever l'accord de la SAS Aluceia pour cette prise en charge.
Par ailleurs la SCI Maison Gracieuse produit l'attestation de M. [X] [H], indiquant être intervenu sur le toit de Mme [S] suite à un dégât des eaux, et avoir constaté que les tuiles étaient très poreuses et, en détuilant, que la charpente était très abîmée par l'humidité et par endroit pourrie. Ce témoin n'évoque pas la trace d'insectes xylophages mais atteste d'un état de la charpente dégradé.
M. [U] [O], technicien en bâtiment, indique avoir lui aussi constaté le mauvais état de la toiture ainsi qu'une dégradation des liteaux qui maintiennent les tuiles, et avoir préconisé à Mme [S] de faire contrôler sa toiture par un professionnel.
Ces deux témoins attestent donc d'éléments de la charpente très dégradés, éléments non visibles de l'acquéreur lors de la vente, alors que le bien est présenté par le vendeur professionnel comme 'parfaitement rénové'.
Une charpente en bon état ne peut se dégrader en cinq mois au point d'apparaître très abîmée et par endroit pourrie au point de nécessiter d'importants travaux tels qu'effectués par les professionnels dont la facture est produite.
La SCI Maison Gracieuse produit enfin une série de photographies, dont il est exact comme le relève le premier juge qu'elles ne sont pas datées et ne permettent pas d'identifier le bien immobilier dont s'agit ; ces photographies sont attribuées par la SCI Maison Gracieuse à M. [X] lors de sa venue pour les travaux, et montrent effectivement une charpente très dégradée. Ces éléments ne peuvent être considérés comme probants à défaut de constat d'huissier ou de tout autre moyen permettant d'authentifier les photos.
Par ailleurs, les deux attestations produites n'évoquent pas d'insectes xylophages, encore moins de termites, mais une charpente dégradée par l'humidité, dans une ampleur que la cour ne peut estimer.
En particulier la cour ne peut déterminer au vu de ces deux seules brèves attestations si l'état de la charpente résulte d'un vice imputable aux termites ou insectes xylophages invoqué par la SCI qui aurait compromis la solidité de l'immeuble ou rendu impropre l'immeuble à l'usage auquel il est destiné, ou encore en aurait diminué tellement la valeur que la SCI Maison Gracieuse n'aurait pas acquis le bien ou l'aurait acquis à un prix moindre.
Le fait que la charpente ait été changée par le professionnel attestant au profit de la SCI Maison Gracieuse, témoin ayant un intérêt commercial dans ce litige, n'est pas démonstratif de la nécessité absolue de changer celle-ci au regard de son état.
Au regard de cette carence dans l'administration de la preuve, la cour ne peut ni retenir l'existence d'un vice rédhibitoire, ni ordonner d'expertise comme le demande à titre subsidiaire la SCI Maison Gracieuse.
Enfin il est observé que la SCI Maison Gracieuse invoque l'inadéquation des termes de l'annonce avec l'état du bien sans pour autant fonder sa demande sur un éventuel défaut de conformité.
Dans ces conditions, la cour confirmera le jugement entrepris ayant écarté l'existence d'un vice caché et débouté la SCI Maison Gracieuse de sa demande indemnitaire.
La cour déboutera également la SCI Maison Gracieuse, par ajout au jugement déféré, de sa demande subsidiaire en paiement de la somme de 10 000 € dans la mesure où il n'est pas établi par les éléments produits que la SAS Aluceia se soit engagée vis-à-vis de la SCI Maison Gracieuse à régler cette somme comme l'indique cette dernière, les mentions figurant au devis du 10 février 2020 ayant été apposée par l'artisan à l'initiative de Mme [S].
Sur le surplus des demandes :
La SCI Maison Gracieuse, succombante, sera condamnée aux dépens de première instance par confirmation du jugement déféré ainsi qu'aux dépens d'appel.
L'équité et la situation économique des parties ne commandent pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile devant la présente cour.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Déclare recevable la demande de la SCI Maison Gracieuse en paiement de la somme de 10 000 euros,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
Déboute la SCI Maison Gracieuse de sa demande en paiement de la somme de 10 000 euros,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile devant la présente cour,
Condamne la SCI Maison Gracieuse aux dépens d'appel.