Livv
Décisions

CA Nancy, 5e ch., 19 juin 2024, n° 23/01494

NANCY

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

LMI Solutions (SAS)

Défendeur :

Syxperiane (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bourquin

Conseillers :

M. Beaudier, M. Firon

Avocats :

Me Jupille, Me Carnel

T. com. Nancy, du 22 mai 2023, n° 201401…

22 mai 2023

FAITS ET PROCÉDURE

La société Partesys a repris les actifs de la société [O] Bonaventure Informatique (UBI).

Prétendant que des salariés non repris auraient créé une nouvelle société se livrant à des agissements de concurrence déloyale à son préjudice, par acte du 8 décembre 2014, elle a assigné les sociétés LM Le Monde et LM Informatique ainsi que Messieurs [M] [R], [Y] [B] et [L] [O] devant le tribunal de commerce de Nancy en vue de faire constater que les défendeurs avaient accompli des actes de concurrence déloyale à son encontre, de faire interdire ces actes pour l'avenir et d'obtenir leur condamnation solidaire à lui payer des dommages et intérêts.

A titre subsidiaire, elle a demandé au tribunal de désigner un expert pour évaluer son préjudice et de condamner les défendeurs, solidairement, à lui payer une provision à valoir sur celui-ci, d'ordonner la publication du jugement, outre une somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 22 mai 2023, ce tribunal a constaté l'existence d'actes de concurrence déloyale, condamné solidairement les sociétés LM Le Monde et LM Informatique à payer à la société Syxperiane, veant aux droits de la société Partesys, la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Il a rejeté les demandes formées contre Messieurs [V], [R] et [B] ainsi que les demandes en interdiction de poursuivre les actes illicites sous astreinte et en publication du jugement.

Les sociétés LM Le Monde et LM Informatique ont été condamnés, in solidum, à payer à la société Syxperiane la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de la procédure.

Par déclaration du 10 juillet 2023, la société LMI Solutions, venant aux droits de la société LM Informatique, a interjeté appel de ce jugement.

La déclaration d'appel vise comme intimées la société LM Family, indiquée comme radiée, anciennement dénommé société LM le Monde, et la société Syxperiane, venant aux droits de la société Partesys.

Aux termes d'écritures récapitulatives notifiées le 11 décembre 2023, l'appelante conclut à l'infirmation du jugement entrepris.

Elle demande à la cour, statuant à nouveau, de rejeter les demandes de la société Syxpériane, de la condamner à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de la procédure.

A l'appui de son recours, elle fait valoir en substance que :

- elle conteste tout acte de concurrence déloyale à l'encontre de la société Partesys, devenue ensuite la société Syxperiane, elle n'a commis ni détournement de clientèle ni débauchage de salariés,

- l'intimée ne justifie pas d'avoir subi un préjudice.

Selon des écritures récapitulatives notifiées le 9 janvier 2024, l'intimée conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'existence d'actes de concurrence déloyale, et condamné les sociétés LM le Monde et LM Informatique à lui payer la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle conclut à son infirmation en ce qu'il a condamné solidairement ces sociétés à lui payer la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts, rejeté ses demandes d'interdiction de poursuivre les actes de concurrence déloyale et en publication du jugement.

L'intimée, appelante incidente, demande à la cour, statuant à nouveau, de condamner les sociétés LM le Monde et LM Informatique, solidairement, à lui payer les sommes de 301 581 euros au titre du préjudice commercial arrêté au 30 septembre 2014, 460 700 euros au titre de la perte de valeur du fonds de commerce et 80 000 euros au titre du préjudice résultant d'actes de concurrence déloyale.

En tout état de cause, la société Syxperiane sollicite la condamnation des sociétés LM le Monde et LM Informatique, solidairement, à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de la procédure.

Elle expose en substance que :

- par jugement du 4 février 2014, le tribunal de grande instance de Strasbourg l'a choisie pour reprendre les activités de la société UBI,

- elle est victime d'agissements de concurrence déloyale de la part des sociétés LM le Monde et LM Informatique ainsi que d'anciens salariés de la société reprise,

- ces actes se caractérisent par des détournements de clientèles et de commandes, la confusion entretenue avec la société reprise (installation dans le même immeuble que celui où est installé la société Syxperiane et en face de l'ancien siège social de la société UBI), ce qui est constitutif de parasitisme, et enfin le débauchage de salariés,

- ces agissements lui ont causé un préjudice commercial, ont provoqué la perte de valeur du fonds de commerce vidé de sa substance par la concurrence déloyale dont la société a été la victime et enfin un préjudice moral.

L'appelante a fait signifier ses conclusions le 15 janvier 2024 à la société LM Family ; le commissaire de justice instrumentaire a dressé un procès-verbal de recherches infructueuses.

Elle n'a pas constitué avocat devant la cour.

MOTIFS

La société LM Family n'a pas constitué avocat devant la cour ; son assignation devant la cour n'ayant pas été délivrée à personne et la décision rendue étant en dernier ressort, il convient de statuer par défaut conformément aux dispositions de l'article 473, alinéa 1, du code de procédure civile.

1- sur l'existence d'actes de concurrence déloyale

La société Syxpériane prétend avoir été victime d'agissements de concurrence déloyale de la part de la société LM Informatique se caractérisant par des manoeuvres de désorganisation à son préjudice et du parasitisme.

A/ sur la désorganisation de la société Syxpériane

Cette désorganisation, qui aurait été provoquée sciemment par la société LM Informatique, se traduirait par du détournement de clientèle et le débauchage massif de personnel.

- Sur le détournement de clientèle :

Il se caractériserait, selon l'appelante, par l'appropriation de la clientèle de la société UBI ainsi que de son fichier client.

Pour ce qui est du premier point, la société Syxpériane soutient que la société LM Informatique aurait capté des clients de la société UBI pour des renouvellements de licence, annulé des commandes passées auprès de cette société à son profit, détourné des commandes de clients.

Toutefois, les pièces versées aux débats par celle-ci au soutien de cette allégation révèlent uniquement que d'anciens clients de la société UBI ont ensuite contracté avec la société LM Informatique ; certains courriels de ces derniers font état d'annulation de commandes passées auprès de la société UBI.

Cette situation n'est pas illicite en soi, la société LM Informatique étant en droit de démarcher la clientèle de la société UBI ; en effet en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, le démarchage de la clientèle d'autrui, fût-ce par un ancien salarié ou représentant de celui-ci, est libre dès lors que ce démarchage ne s'accompagne pas d'un acte déloyal (cf, Cour de cass., Com, 10, février 2015, pourvoi n° 13-24.39).

Ainsi, on ne peut déduire ipso facto du fait que des clients aient cessé leurs relations commerciales avec la société UBI, au demeurant en liquidation judiciaire et en voie de cesser toute activité, au profit de la société LM Informatique, l'existence d'un détournement illicite de clientèle, faute pour la société Syxpériane de justifier de menées déloyales de la part de la société LM Informatique visant directement et systématiquement la clientèle de la société UBI, pour en obtenir des contrats en ses lieu et place.

En outre, le fait que, par courriel du 17 février 2014, le créateur de la société LM Informatique, ancien salarié de la société UBI, M. [V], ait informé les clients de cette société qu'il la quittait et rejoignait une nouvelle équipe souhaitant conserver sa culture, n'est pas un acte déloyal mais seulement un usage de la liberté du commerce et de l'industrie, qui inclut la liberté d'entreprendre, en vertu de laquelle un ancien salarié d'une société peut informer sa clientèle de l'exercice d'une activité concurrentielle.

En ce qui concerne le second point, dans ses conclusions récapitulatives d'appel, la société Syxpériane prétend qu'elle 'soupconnait' M. [V], d'avoir copié des fichiers clients de cette société ainsi qu'un logiciel de gestion de la clientèle.

Cependant, un simple soupçon n'a aucune valeur probante.

Par ailleurs, elle affirme qu'un autre ancien salarié de la société UBI, M.[O], aurait communiqué le fichier client à la société LM Le Monde, ce qu'il aurait reconnu dans ses écritures de première instance (la société Syxpériane s'est désisté à son égard).

Toutefois, dans ces écritures, il est seulement indiqué que M. [O] avait adressé à M.[V] un fichier 'E-Mailing' dont les caractéristiques ne sont pas précisées et dont il n'est pas établi qu'il s'agissait du fichier client confidentiel de la société UBI . Elles sont trop imprécises pour y voir un aveu judiciaire du détournement du fichier client de cette société.

D'autre part, un échange de courriels entre ces deux personnes en date du 14 mars 2014 fait état du transfert d'un document non défini émanant de la société UBI à transmettre à la société 'repreneuse' ; on ne peut déduire de cet échange imprécis que la société LM Informatique aurait détourné à son profit le fichier client de la société UBI.

Enfin, la tentative de connexion non datée à un compte LogMeIn d'une personne non identifiée (Pièce n° 15 de la société la société Syxpériane) n'a pas de valeur probante en ce qu'elle ne révèle pas des éléments circonstanciés au titre d'un détournement de clientèle.

Un détournement de clientèle résultant de manoeuvres déloyales de la société LM Informatique n'est dès lors pas établi.

- Sur le débauchage massif de salariés :

La société Syxpériane soutient que la société LM Informatique aurait, courant février 2014, débauché six anciens salariés de la société UBI.

Cependant, si elle justifie que cinq aient été ou soient encore des salariés de la société LM Informatique, devenue LMI Solutions, seuls deux d'entre eux ([C] [H] et [Z] [N]) apparaissent avoir été d'anciens salariés de la société UBI.

Ainsi, l'éventuel débauchage ne peut concerner que deux salariés et non six ; en outre, le débauchage de personnel ne peut recevoir la qualification d'acte de concurrence déloyale que s'il résulte de manoeuvres déloyales constitutives d'une faute (cf, Cour de cass., chambre commerciale, 23 octobre 2007, pourvoi n° 05-17.155) ; ces manoeuvres ne sont pas prouvées en l'espèce.

B/ sur le parasitisme

La société Syxpériane prétend que les sociétés LM Informatique et LM Le Monde se seraient installées dans le même immeuble que le sien et en face de l'ancien siège social de la société UBI ; la société LM Informatique aurait également imité les documents contractuels de la société UBI (bons de commande, conditions générales de vente, communication publicitaire, éléments graphiques et d'identification).

Toutefois, les sociétés LM Informatique et LM Le Monde étaient en droit d'installer leurs activités où bon leur semblait, la liberté du commerce et de l'industrie impliquant la liberté du choix du lieu d'installation d'une activité commerciale ; ainsi, en soi, la seule proximité spatiale ne peut suffir à caractériser du parasitisme. Pour prouver l'existence d'une telle situation, la société Syxpériane doit justifier d'autres éléments d'imitation intentionnelle de la société UBI créant une confusion dans l'esprit de la clientèle.

A cet égard, force est de constater que la société Syxpériane n'apporte pas la preuve que la société LM Informatique, devenue ensuite LMI Solutions, ait imité les bons de commande de la société UBI.

Quant aux conditions générales de vente des deux sociétés, elles se ressemblent en ce que leurs présentations respectives sont banales et dépourvues d'originalité ; néanmoins, toute confusion est écartée par la présence du logo de chacune d'entre elles en haut à gauche de ces documents de façon très apparente, signe distinctif qui ne peut échapper à un client normalement avisé.

Les illustrations publicitaires des deux sociétés se rapprochent en ce qu'elles recourent à la représentation de trois jeunes femmes auxquelles s'attachent une expression de dynamisme et de convivialité ; toutefois, elles divergent en ce que leurs visages, leurs coiffures, leurs postures sont différentes et en ce que le cadre dans lequel elles s'insèrent sont distincts : les trois jeunes femmes occupent la totalité de la scène dans le document publicitaire de la société UBI tandis qu'elles s'inscrivent au centre d'une illustration représentant la carte de la terre dépliée dans ceux de la société LM Solutions ; aucune confusion n'est possible pour un client normalement avisé.

Au regard des pièces versées aux débats par la société Syxpériane, la preuve du parasitisme n'est pas apportée.

D'une façon générale, il convient de constater que cette société n'apporte pas la preuve d'agissements de concurrence déloyale à son préjudice émanant de la société LM Informatique.

Il s'ensuit que le jugement entrepris doit être infirmé en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau, l'ensemble des prétentions de la société Syxpériane doivent être rejetées.

2- sur les autres demandes des parties

La société Syxpériane étant la partie perdante, sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile doit être rejetée.

En revanche, l'équité commande qu'elle soit condamnée à payer à la société LMI Solutions la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Syxpériane supportera les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant par arrêt par défaut prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau,

REJETTE les demandes de la société Syxpériane.

LA CONDAMNE à payer à la société LMI Solutions la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LA CONDAMNE aux dépens de première instance et d'appel.