Livv
Décisions

CA Besançon, 1re ch., 19 juin 2024, n° 23/00650

BESANÇON

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Wachter

Conseillers :

M. Saunier, Mme Willm

Avocats :

Me Hakkar, Me Pilati

TJ Besançon, du 14 déc. 2021, n° 1121000…

14 décembre 2021

EXPOSE DU LITIGE, DE LA PROCEDURE ET DES PRETENTIONS

Selon acte sous seing privé daté du 30 juillet 2018 et portant la signature des deux parties, M. [M] [N] a indiqué 'signer un compromis de vente d'une parcelle n° [Cadastre 2] à M. [G] [H]' en indiquant avoir perçu de ce dernier la somme de 5 000 euros.

En l'absence de régularisation de la cession, M. [H] a, par acte signifié le 24 mars 2021, fait assigner M. [N] devant le tribunal judiciaire de Besançon aux fins de le voir condamner à lui restituer la somme de 5 000 euros versée à titre d'acompte, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure notifiée le 27 janvier 2021 et à lui verser la somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice moral et financier outre frais irrépétibles et dépens.

Par jugement rendu en l'absence de M. [N] le 14 décembre 2021, le tribunal a :

- constaté la nullité de la promesse de vente du 30 juillet 2018 ;

- débouté M. [H] de sa demande de restitution de la somme de 5 000 euros ;

- rejeté sa demande de dommages-intérêts ;

- rejeté sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [H] aux dépens ;

- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire.

Le tribunal a retenu, au visa des articles 1582, 1583, 1589 et 1590 du code civil et de l'article L. 290-1 du code de la construction et de l'habitation :

- que le document signé le 30 juillet 2018 ne mentionne pas la localisation et la référence cadastrale de la parcelle concernée, tandis qu'il ne précise aucune date butoir pour la signature par les parties de l'acte authentique ;

- que dès lors, ce document s'analyse comme une promesse unilatérale de vente qui aurait dû être enregistrée auprès du service des recettes des impôts dans les dix jours suivants la signature ;

- que la somme de 5 000 euros s'analyse en une indemnité d'immobilisation qui reste acquise au propriétaire si l'acheteur ne manifeste pas son acceptation par la signature de l'acte authentique dans un délai raisonnable ;

- qu'en application de l'article L. 290-1 du code de la construction et de l'habitation, la promesse de vente est nulle ;

- que le rejet de la demande principale entraîne le rejet de la demande indemnitaire.

- oOo-

Par déclaration du 27 avril 2023, M. [H] a relevé appel du jugement en toutes ses dispositions et, aux termes de ses premières et ultimes conclusions transmises le 10 juillet 2023, il demande à la cour de l'infirmer et statuant à nouveau :

- de 'déclarer valide' le compromis de vente signé entre les parties le 30 juillet 2018 en vue de l'acquisition d'un terrain cadastré Z0 [Cadastre 3] situé sur la commune de [Localité 5] ;

- de condamner M. [N] à lui restituer la somme de 5 000 euros avancée à titre d'acompte ;

- de le condamner à lui verser la somme de 1 500 euros à titre de réparation du préjudice moral et financier subi ;

- de le condamner à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.

Dans cette perspective, M. [H] relève que le 'compromis' a été signé le 30 juillet 2018 par les parties et qu'il a immédiatement versé la somme de 5 000 euros, ainsi que l'attestent deux témoins.

Il produit le plan cadastral situant le terrain objet du compromis de vente.

Affirmant que la vente n'est pas intervenue suite au refus de M. [N] de se rendre chez le notaire, il rappelle qu'il a mis en demeure ce dernier de lui restituer la somme de 5 000 euros en précisant que selon l'article 1589 du code civil, la promesse de vente vaut vente et que de fait, il est fondé suite à la rétractation de M. [N] à solliciter la restitution dudit acompte.

- oOo-

Aux termes de ses premières et ultimes conclusions transmises le 02 octobre 2023, M. [N] demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de condamner M. [H] à lui régler la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Il rappelle les termes de l'acte sous seing privé qui ne comporte aucune précision quant à l'identité des parties, la situation exacte de la parcelle et le délai dans lequel l'acte définitif devait être régularisé.

Au visa de l'article L. 290-1 du code de la construction et de l'habitation, il précise que plus de dix-huit mois se sont écoulés depuis le 30 juillet 2018 et qu'aucun acte authentique n'a été régularisé de sorte que la promesse de vente est nulle.

Il affirme que, dans la mesure où l'acte s'analyse comme une promesse unilatérale de vente, l'indemnité réglée par M. [H] constitue une indemnité d'immobilisation lui restant acquise.

- oOo-

L'ordonnance de clôture a été rendue le [Cadastre 3] avril 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 25 avril 2024.

Elle a été mise en délibéré au 19 juin 2024.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.

En application de l'article 467 du code de procédure civile, le présent arrêt est contradictoire.

SUR CE, LA COUR

- Sur la demande en paiement de la somme de 5 000 euros formée par M. [H],

En application de l'article 12 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

En vertu de l'article 1123 du code civil, le pacte de préférence est le contrat par lequel une partie s'engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle déciderait de contracter.

Il est constant que la promesse de vente est un contrat par lequel deux parties promettent réciproquement l'une d'acheter et l'autre de vendre, moyennant un prix déterminé étant précisé que la promesse peut être synallagmatique ou unilatérale selon que le bénéficiaire de la promesse de vente contracte un engagement définitif d'acheter ou qu'il dispose d'un droit d'option.

Aux termes de l'article 1124 du code civil, la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. Inversement, la promesse est synallagmatique si le bénéficiaire prend un engagement définitif d'acheter.

Il résulte de cette disposition que le consentement du bénéficiaire est le seul élément qui fait défaut au contrat pour que le contrat promis soit formé, de sorte que la promesse doit contenir tous les autres éléments nécessaires à la formation du futur contrat, en fonction de la nature de celui-ci.

En l'espèce, l'acte litigieux est libellé ainsi : 'je soussigné M. [N] [M] signe 1 compromis de vente d'une parcelle N°[Cadastre 2] à M. [H] [G]. Avoir perçu 5 000 euros ce jour le 30.7.18". Il comporte deux signatures apposées sous les noms des parties, suivies de la mention 'Reste solde 10 000 euros'.

Les attestations établies le 29 juin 2020 par M. [F] [X] et à une date inconnue par M. [T] [E] confortent le versement d'une somme en espèces 'pour un terrain à Pouilley sur Français'.

Par lettre recommandée du 08 janvier 2021 distribuée le 27 janvier 2021, le conseil de M. [H] a indiqué à M. [N] prendre acte de sa rétractation et a sollicité la restitution de la somme de 5 000 euros versée à titre d'acompte, en précisant qu'à défaut de réponse sous huit jours, il saisira le tribunal pour obtenir gain de cause.

Par lettre en réponse intitulée 'lettre recommandée' du 05 février 2021, M. [N] affirme avoir relancé en vain M. [H] pour obtenir son paiement alors que M. [H] occupe ce terrain depuis plus de trois ans et que celui-ci se transforme progressivement en déchetterie.

Il indique qu'il ne veut donc désormais plus lui vendre le terrain et qu'il conservera la somme de 5 000 euros au titre de l'occupation et de la remise en état de celui-ci.

Des photos, annexées selon les parties au courrier, montrent la présence sur un terrain de divers objets et matériaux entassés ainsi que d'une caravane et d'une camionnette.

A titre liminaire, la cour relève que la qualification de leur acte par les parties ne lie pas le juge, de sorte que la qualification du contrat par les parties de 'compromis de vente' ne lie pas la cour.

En présence d'un accord des parties, l'acte litigieux ne saurait s'analyser en une offre ou en une invitation à rentrer en pourparlers.

L'acte litigieux n'établit pas de priorité au bénéfice de M. [H] et ne s'analyse donc pas en un pacte de préférence.

M. [N] s'engage à vendre pour un prix global qui est expréssement déterminé à hauteur de 15 000 euros et concède avoir d'ores et déjà perçu la somme de 5 000 euros, versement par lequel M. [H] a manifesté son accord.

Il apparaît cependant que M. [H] ne prend, pour sa part, aucun engagement par cet acte, en l'absence de stipulation impliquant l'obligation pour celui-ci de verser la somme complémentaire de 10 000 euros pour atteindre le prix sur lequel les parties se sont accordées, la mention 'reste solde' étant, à cet égard, insuffisante.

Aucun élément ne corrobore donc la thèse selon laquelle M. [H] s'était engagé à acheter le terrain, les témoignages apportés ne donnant aucune indication en ce sens.

L'acte litigieux ne s'analyse donc pas en une promesse synallagmatique de vente.

Il s'infère des éléments susmentionnés que M. [H] conservait la possibilité de verser ou de ne pas verser la somme complémentaire de 10 000 euros et que de fait, M. [H] bénéficiait d'une option de sorte que cet acte ne pourrait donc s'analyser qu'en une promesse unilatérale de vente. Toutefois, la cour relève qu'une telle promesse suppose que les éléments essentiels du contrat projeté soient déterminés, dont la chose et le prix, alors qu'en l'espèce le document ne définit pas ladite chose dans la mesure où la parcelle concernée est désignée de manière laconique comme ' n°[Cadastre 2]" en l'absence de plan ou de carte annexé et alors que la commune où se situerait la parcelle n'est pas précisée.

La cour constate en outre que le plan de géomètre expert daté du 06 février 2017 produit dans le cadre du litige précise que la parcelle litigieuse appartient à 'M. et Mme [V] et [W]'.

La cour analyse donc l'acte litigieux comme un contrat sui generis tendant à la réservation du bien, la somme versée par le bénéficiaire constituant alors la contrepartie de l'exclusivité consentie à celui-ci et demeurant acquise en cas de non-réalisation de la vente imputable audit bénéficiaire.

Aucune partie ne produit d'éléments de nature à établir laquelle d'entre-elles a renoncé à la réalisation de la vente, la cour observant cependant que le 08 janvier 2021, M. [H] a matérialisé son propre renoncement à la vente en sollicitant la restitution des sommes versées sans établir un refus de vente imputable à M. [N], tandis que ce dernier a également indiqué vouloir renoncer à la vente mais dans un courrier postérieur du 05 février 2021.

Le premier renoncement établi étant donc imputable à M. [H], M. [N] est fondé à conserver la somme versée au titre du contrat de réservation.

Par conséquent, la cour infirme le jugement dont appel en ce qu'il a constaté la nullité du contrat du 30 juillet 2017, laquelle ne lui était en tout état de cause pas demandée, mais le confirme toutefois en ce qu'il a débouté M. [H] de sa demande de restitution de la somme de 5 000 euros.

- Sur la demande de dommages et intérêts formée par M. [H],

Pour les mêmes motifs que ceux énoncés ci-dessus, eu égard au rejet de la demande de restitution formée par M. [H], le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [H] de sa demande de dommages-intérêts.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

CONFIRME dans les limites de l'appel, le jugement rendu entre les parties par le tribunal judiciaire de Besançon le 14 décembre 2021 sauf en ce qu'il a constaté la nullité de la promesse de vente du 30 juillet 2018 ;

STATUANT A NOUVEAU ET AJOUTANT,

DIT N'Y AVOIR LIEU à constatation de la nullité de la promesse de vente du 30 juillet 2018 ;

CONDAMNE M. [G] [H] aux dépens d'appel ;

DEBOUTE M. [G] [H] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le CONDAMNE à payer à M. [M] [N] la somme de 2 500 euros sur ce même fondement.

Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.