Décisions
CA Paris, Pôle 6 - ch. 3, 19 juin 2024, n° 21/01846
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRET DU 19 JUIN 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01846 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDHAX
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Janvier 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY (SECTION INDUSTRIE)
APPELANTE
Madame [T] [P]
Née le 21 Mars 1974 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU, avocat au barreau de PARIS, toque: K0111, avocat postulant, et par Me Jessica IP TING WAH, avocat au barreau de LILLE, toque : 0293, avocat plaidant
INTIMEE- APPELANTE INCIDENT
S.A.S. DPC INVESTISSEMENT
N° SIRET : 537 781 817
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Céline GLEIZE de la SELARL VINCI, avocat au barreau de PARIS, toque : L0047
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Véronique MARMORAT, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Véronique MARMORAT, présidente
Fabienne ROUGE, présidente
Didier MALINOSKY, magistrat honoraire exerçant des fonctions judiciaires
Greffier, lors des débats : Madame Laetitia PRADIGNAC
ARRET :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Véronique MARMORAT, Présidente de chambre et par Laetitia PRADIGNAC, Greffière, présent lors de la mise à disposition.
EXPOSE DU LITIGE
Madame [P] a été engagée par la société Technichem (devenue Eurochem en 2017) le 2 octobre 1995, en qualité d'employée de bureau standardiste.
Le 16 novembre 2011, son contrat de travail a été transféré au sein de la société DPC Investissement, société mère de la société Technichem, son ancienneté étant reprise.
Elle occupait en dernier lieu les fonctions de responsable administrative et assistante commerciale, moyennant une rémunération mensuelle de 2.015,09 euros, outre 144,95 euros à titre de prime d'ancienneté.
Le 27 février 2019, madame [P] a présenté sa démission à son employeur en faisant état de sa situation personnelle. Son préavis était de un mois.
Durant son préavis, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, et mise à pied à titre conservatoire.
Elle a été licenciée pour faute lourde le 27 mars 2019, l'employeur lui reprochant des faits de concurrence déloyale, commis en collaboration de monsieur [K] [C], directeur général adjoint chargé des opérations, dont elle était le bras droit, et qui a lui aussi présenté sa démission de manière concomitante à celle de madame [P].
Elle expose dans la lettre de licenciement qu'au cours du dernier trimestre de l'année 2018, elle a dû faire face à la démission de cinq collaborateurs ; que dans le même temps, la société Technichem Belgique lui a notifié la résiliation de son contrat de distribution exclusive, qui les liait depuis trente ans ; qu'elle a été destinataire par erreur d'un mail qui ne lui était pas destiné, et qui lui a permis de faire le lien entre ces différents événements, et qu'elle a découvert que les salariés démissionnaires étaient en train de créer une société concurrente, la société Technichem France, qui avait pour objet de la vider de sa substance, en s'accaparant sa clientèle et son fournisseur. Elle ajoute que les expertises informatiques qu'elle a fait réaliser lui ont permis de constater qu'au cours des derniers mois du contrat de travail, madame [P] a agi activement pour permettre le détournement d'importants clients.
La société DPC Investissement a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny le 3 octobre 2019 afin d'obtenir le paiement de dommages et intérêt en indemnisation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale qu'elle reproche à sa salariée.
Par jugement en date du 13 janvier 2021, le conseil de prud'hommes a :
- dit que madame [P] a manqué à son obligation de loyauté envers la société DPC Investisement
- dit que la faute lourde est justifiée
- condamné madame [P] à payer à la société DPC Investissement les sommes suivantes :
8.399,94 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice (trois mois de salaire)
30.000 euros à titre de dommages et intérêts réparatrice de préjudice (en raison de la faute lourde)
2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Madame [P] a interjeté appel de cette décision le 11 février 2021.
Par conclusions récapitulatives du 20 septembre 2021, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, madame [P] demande à la cour d'infirmer le jugement sur les condamnations prononcées, de débouter la société DPC Investissement de ses demandes, et de la condamner au paiement des sommes suivantes :
1.764,37 euros au titre du solde de son préavis
1.800 euros au titre de ses congés payés de juin 2018 à mars 2019
3.384,06 euros au titre des congés payés antérieurs non pris
2.400 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Par conclusions récapitulatives du 28 juillet 2021, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société DPC Investissement demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement, et de fixer le quantum des dommages et intérêts en réparation de la faute lourde à la somme de 166.799,88 euros.
Elle sollicite en outre la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
MOTIFS
- Sur l'existence d'une faute lourde et la demande de dommages-intérêts
La société DPC Investissement expose qu'elle est une petite société spécialisée dans le traitement de l'humidité des bâtiments, et qu'elle a trois filiales, les sociétés Eurochem et Atb et Eoletec, qui interviennent dans le même domaine, différents mandataires sociaux et dirigeants ayant des fonctions transversales au sein des différentes sociétés du groupe.
Elle précise que la société Eurochem était le distributeur exclusif de la société Belge Technichem SA, et qu'après 30 ans de relations commerciales, cinq ans avant la fin de l'échéance contractuelle, cette dernière a dénoncé le 18 janvier 2019 la rupture de leur contrat de distribution exclusive. Elle souligne que de manière concomitante, elle a eu à subir la démission de cinq salariés ayant des postes clés dans la société, parmi lesquels madame [P], qui était l'assistante de la direction générale, et qui était en quelque sorte la mémoire du groupe.
Elle indique avoir découvert à l'occasion de l'envoi d'un mail dont elle a été destinataire par erreur que ces salariés avaient constitué une société concurrente, la société Technichem France, qui devait devenir distributrice exclusive des produits de la société Technichem en France à sa place.
Elle soutient que madame [P], qui était principalement l'assistante de monsieur [C], directeur général adjoint et également démissionnaire, a peaufiné durant son préavis, en collaboration avec ce dernier, les détails de sa future intervention au sein de cette société concurrente, créée à seule fin de la dépouiller de trente années d'investissement.
Elle ajoute qu'à la suite de cette découverte, elle a fait réaliser des expertises informatiques, qui ont permis de découvrir les comportements déloyaux de madame [P] pendant le contrat de travail, destinées à la captation d'informations confidentielles de nature commerciale ; qu'en particulier elle a établi une liste de clients détaillée, avec des caractéristiques utiles en vue d'un démarchage, et qu'elle a activement participé alors qu'elle était toujours liée par son contrat de travail au détournement d'un client de la société, la société Parex.
Enfin, elle fait valoir qu'il a été retrouvé à l'occasion de l'expertise des ordinateurs de monsieur [C] et madame [P] des listes de centaines de clients annotées afin de faciliter leur démarchage, et qui ont été réalisées par la salariée sur son temps de travail afin de favoriser l'action commerciale de la société Technichem France en cours de création.
Madame [P] de son côté conteste tout acte positif de concurrence déloyale, et souligne qu'elle n'a été engagée par la société Technichem France qu'après la rupture de son contrat de travail, les actes préparatoires auxquels elle n'a pas participé activement n'étant pas constitutifs de comportement déloyal.
* Il est constant que madame [P] n'était lié par aucune clause de non concurrence, de sorte qu'il ne peut pas lui être reproché d'avoir été engagée par une société concurrente immédiatement après la rupture de son contrat de travail, ni même de s'être intéressée à la création de cette société. Il ne peut pas plus lui être reproché d'avoir invoqué des motifs personnels pour justifier de sa démission, fussent-ils mensongers.
Il doit donc être recherché si durant l'exécution de son contrat de travail, madame [P] a participé activement à la création d'une société concurrente, et a mis en oeuvre un détournement de la clientèle de son employeur.
En ce qui concerne la participation active, alors qu'elle était toujours liée par un contrat de travail, à la création d'une société concurrente, il convient de relever que la société DPC Investissement se fonde principalement sur un échange de mails des 3 et 4 mars 2019 entre différents futurs associés et salariés de la société Technichem France. Madame [P] n'est personnellement ni auteur ni destinataire d'aucun de ces messages, et elle apparaît en copie d'un unique message, relatif aux différentes possibilités de délégation de pouvoir dans le cadre de la future société, auxquelles il est envisagé de l'associer. Madame [P] était déjà démissionnaire à cette date, et pouvait donc s'intéresser à une société concurrente qui prévoyait de l'embaucher, sans pour autant qu'il soit démontré qu'elle ait joué un rôle actif dans la création de cette société concurrente durant son contrat de travail, et ait ainsi agi de manière déloyale.
En ce qui concerne le démarchage de la société Parex, il apparaît qu'il est le fait de monsieur [C], qui avait une activité commerciale au sein de la société, mais que madame [P], qui était son assistante, en était parfaitement informée. La teneur des échanges produits permet de retenir qu'elle savait que ce démarchage ne se faisait pas au bénéfice de son employeur, qui n'en était pas même informé, mais d'une société tierce. Il est également établi qu'elle n'a pas avisé la société DPC Investissement de cette situation.
Pour autant, cette passivité, qui constitue un défaut de loyauté, ne permet pas de caractériser l'intention de nuire qui définit la faute lourde.
Enfin en ce qui concerne les listings annotés de clients qui sont produits, force est de constater que les constats d'huissier ne permettent pas de retenir qu'ils aient été trouvés sur l'ordinateur de madame [P], la salariée indiquant qu'ils étaient sur celui de monsieur [C]. Les constats d'huissier produits ne donnent pas non plus d'éléments permettant de les relier à madame [P], ni de laisser supposer qu'ils auraient été transmis à une entité extérieure. En tout état de cause, rien ne permet de conclure que de tels fichiers étaient destinés à favoriser un détournement de clientèle, l'existence de liste de clients et de prospects dans une entreprise étant tout à fait habituel.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la cour retient que la faute lourde de madame [P] n'est pas établie, de sorte que la société DPC Investissement sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts, le jugement étant infirmé.
- Sur les demandes de madame [P]
demande de paiement du préavis
Il ressort des développements qui précède que la faute lourde n'est pas caractérisée.
En revanche, la déloyauté ayant consisté à laisser son employeur dans l'ignorance du démarchage par monsieur [C] de la société Parex à son insu constitue un comportement déloyal, caractérisant une faute grave, qui justifiait la rupture immédiate du préavis.
Il ne sera pas fait droit à la demande de ce chef.
demande au titre des congés payés
Les demandes au titre des congés payés sont justifiées par la production des fiches de paie, étant rappelé que même la faute lourde, lorsqu'elle est caractérisée, ne dispense pas l'employeur du paiement des congés non pris.
Il sera fait droit aux demandes de ce chef, dont les quantum sont conformes aux éléments de paie produits, et ne sont pas utilement contestés.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement ;
Déboute la société DPC Investissement de ses demandes ;
Condamne la société DPC Investissement à payer à madame [P] les sommes suivantes :
1.800 euros au titre de ses congés payés de juin 2018 à mars 2019,
3.384,06 euros au titre des congés payés antérieurs non pris ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société DPC Investissement aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier La présidente
délivrées le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRET DU 19 JUIN 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01846 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDHAX
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Janvier 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY (SECTION INDUSTRIE)
APPELANTE
Madame [T] [P]
Née le 21 Mars 1974 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU, avocat au barreau de PARIS, toque: K0111, avocat postulant, et par Me Jessica IP TING WAH, avocat au barreau de LILLE, toque : 0293, avocat plaidant
INTIMEE- APPELANTE INCIDENT
S.A.S. DPC INVESTISSEMENT
N° SIRET : 537 781 817
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Céline GLEIZE de la SELARL VINCI, avocat au barreau de PARIS, toque : L0047
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Véronique MARMORAT, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Véronique MARMORAT, présidente
Fabienne ROUGE, présidente
Didier MALINOSKY, magistrat honoraire exerçant des fonctions judiciaires
Greffier, lors des débats : Madame Laetitia PRADIGNAC
ARRET :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Véronique MARMORAT, Présidente de chambre et par Laetitia PRADIGNAC, Greffière, présent lors de la mise à disposition.
EXPOSE DU LITIGE
Madame [P] a été engagée par la société Technichem (devenue Eurochem en 2017) le 2 octobre 1995, en qualité d'employée de bureau standardiste.
Le 16 novembre 2011, son contrat de travail a été transféré au sein de la société DPC Investissement, société mère de la société Technichem, son ancienneté étant reprise.
Elle occupait en dernier lieu les fonctions de responsable administrative et assistante commerciale, moyennant une rémunération mensuelle de 2.015,09 euros, outre 144,95 euros à titre de prime d'ancienneté.
Le 27 février 2019, madame [P] a présenté sa démission à son employeur en faisant état de sa situation personnelle. Son préavis était de un mois.
Durant son préavis, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, et mise à pied à titre conservatoire.
Elle a été licenciée pour faute lourde le 27 mars 2019, l'employeur lui reprochant des faits de concurrence déloyale, commis en collaboration de monsieur [K] [C], directeur général adjoint chargé des opérations, dont elle était le bras droit, et qui a lui aussi présenté sa démission de manière concomitante à celle de madame [P].
Elle expose dans la lettre de licenciement qu'au cours du dernier trimestre de l'année 2018, elle a dû faire face à la démission de cinq collaborateurs ; que dans le même temps, la société Technichem Belgique lui a notifié la résiliation de son contrat de distribution exclusive, qui les liait depuis trente ans ; qu'elle a été destinataire par erreur d'un mail qui ne lui était pas destiné, et qui lui a permis de faire le lien entre ces différents événements, et qu'elle a découvert que les salariés démissionnaires étaient en train de créer une société concurrente, la société Technichem France, qui avait pour objet de la vider de sa substance, en s'accaparant sa clientèle et son fournisseur. Elle ajoute que les expertises informatiques qu'elle a fait réaliser lui ont permis de constater qu'au cours des derniers mois du contrat de travail, madame [P] a agi activement pour permettre le détournement d'importants clients.
La société DPC Investissement a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny le 3 octobre 2019 afin d'obtenir le paiement de dommages et intérêt en indemnisation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale qu'elle reproche à sa salariée.
Par jugement en date du 13 janvier 2021, le conseil de prud'hommes a :
- dit que madame [P] a manqué à son obligation de loyauté envers la société DPC Investisement
- dit que la faute lourde est justifiée
- condamné madame [P] à payer à la société DPC Investissement les sommes suivantes :
8.399,94 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice (trois mois de salaire)
30.000 euros à titre de dommages et intérêts réparatrice de préjudice (en raison de la faute lourde)
2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Madame [P] a interjeté appel de cette décision le 11 février 2021.
Par conclusions récapitulatives du 20 septembre 2021, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, madame [P] demande à la cour d'infirmer le jugement sur les condamnations prononcées, de débouter la société DPC Investissement de ses demandes, et de la condamner au paiement des sommes suivantes :
1.764,37 euros au titre du solde de son préavis
1.800 euros au titre de ses congés payés de juin 2018 à mars 2019
3.384,06 euros au titre des congés payés antérieurs non pris
2.400 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Par conclusions récapitulatives du 28 juillet 2021, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société DPC Investissement demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement, et de fixer le quantum des dommages et intérêts en réparation de la faute lourde à la somme de 166.799,88 euros.
Elle sollicite en outre la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
MOTIFS
- Sur l'existence d'une faute lourde et la demande de dommages-intérêts
La société DPC Investissement expose qu'elle est une petite société spécialisée dans le traitement de l'humidité des bâtiments, et qu'elle a trois filiales, les sociétés Eurochem et Atb et Eoletec, qui interviennent dans le même domaine, différents mandataires sociaux et dirigeants ayant des fonctions transversales au sein des différentes sociétés du groupe.
Elle précise que la société Eurochem était le distributeur exclusif de la société Belge Technichem SA, et qu'après 30 ans de relations commerciales, cinq ans avant la fin de l'échéance contractuelle, cette dernière a dénoncé le 18 janvier 2019 la rupture de leur contrat de distribution exclusive. Elle souligne que de manière concomitante, elle a eu à subir la démission de cinq salariés ayant des postes clés dans la société, parmi lesquels madame [P], qui était l'assistante de la direction générale, et qui était en quelque sorte la mémoire du groupe.
Elle indique avoir découvert à l'occasion de l'envoi d'un mail dont elle a été destinataire par erreur que ces salariés avaient constitué une société concurrente, la société Technichem France, qui devait devenir distributrice exclusive des produits de la société Technichem en France à sa place.
Elle soutient que madame [P], qui était principalement l'assistante de monsieur [C], directeur général adjoint et également démissionnaire, a peaufiné durant son préavis, en collaboration avec ce dernier, les détails de sa future intervention au sein de cette société concurrente, créée à seule fin de la dépouiller de trente années d'investissement.
Elle ajoute qu'à la suite de cette découverte, elle a fait réaliser des expertises informatiques, qui ont permis de découvrir les comportements déloyaux de madame [P] pendant le contrat de travail, destinées à la captation d'informations confidentielles de nature commerciale ; qu'en particulier elle a établi une liste de clients détaillée, avec des caractéristiques utiles en vue d'un démarchage, et qu'elle a activement participé alors qu'elle était toujours liée par son contrat de travail au détournement d'un client de la société, la société Parex.
Enfin, elle fait valoir qu'il a été retrouvé à l'occasion de l'expertise des ordinateurs de monsieur [C] et madame [P] des listes de centaines de clients annotées afin de faciliter leur démarchage, et qui ont été réalisées par la salariée sur son temps de travail afin de favoriser l'action commerciale de la société Technichem France en cours de création.
Madame [P] de son côté conteste tout acte positif de concurrence déloyale, et souligne qu'elle n'a été engagée par la société Technichem France qu'après la rupture de son contrat de travail, les actes préparatoires auxquels elle n'a pas participé activement n'étant pas constitutifs de comportement déloyal.
* Il est constant que madame [P] n'était lié par aucune clause de non concurrence, de sorte qu'il ne peut pas lui être reproché d'avoir été engagée par une société concurrente immédiatement après la rupture de son contrat de travail, ni même de s'être intéressée à la création de cette société. Il ne peut pas plus lui être reproché d'avoir invoqué des motifs personnels pour justifier de sa démission, fussent-ils mensongers.
Il doit donc être recherché si durant l'exécution de son contrat de travail, madame [P] a participé activement à la création d'une société concurrente, et a mis en oeuvre un détournement de la clientèle de son employeur.
En ce qui concerne la participation active, alors qu'elle était toujours liée par un contrat de travail, à la création d'une société concurrente, il convient de relever que la société DPC Investissement se fonde principalement sur un échange de mails des 3 et 4 mars 2019 entre différents futurs associés et salariés de la société Technichem France. Madame [P] n'est personnellement ni auteur ni destinataire d'aucun de ces messages, et elle apparaît en copie d'un unique message, relatif aux différentes possibilités de délégation de pouvoir dans le cadre de la future société, auxquelles il est envisagé de l'associer. Madame [P] était déjà démissionnaire à cette date, et pouvait donc s'intéresser à une société concurrente qui prévoyait de l'embaucher, sans pour autant qu'il soit démontré qu'elle ait joué un rôle actif dans la création de cette société concurrente durant son contrat de travail, et ait ainsi agi de manière déloyale.
En ce qui concerne le démarchage de la société Parex, il apparaît qu'il est le fait de monsieur [C], qui avait une activité commerciale au sein de la société, mais que madame [P], qui était son assistante, en était parfaitement informée. La teneur des échanges produits permet de retenir qu'elle savait que ce démarchage ne se faisait pas au bénéfice de son employeur, qui n'en était pas même informé, mais d'une société tierce. Il est également établi qu'elle n'a pas avisé la société DPC Investissement de cette situation.
Pour autant, cette passivité, qui constitue un défaut de loyauté, ne permet pas de caractériser l'intention de nuire qui définit la faute lourde.
Enfin en ce qui concerne les listings annotés de clients qui sont produits, force est de constater que les constats d'huissier ne permettent pas de retenir qu'ils aient été trouvés sur l'ordinateur de madame [P], la salariée indiquant qu'ils étaient sur celui de monsieur [C]. Les constats d'huissier produits ne donnent pas non plus d'éléments permettant de les relier à madame [P], ni de laisser supposer qu'ils auraient été transmis à une entité extérieure. En tout état de cause, rien ne permet de conclure que de tels fichiers étaient destinés à favoriser un détournement de clientèle, l'existence de liste de clients et de prospects dans une entreprise étant tout à fait habituel.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la cour retient que la faute lourde de madame [P] n'est pas établie, de sorte que la société DPC Investissement sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts, le jugement étant infirmé.
- Sur les demandes de madame [P]
demande de paiement du préavis
Il ressort des développements qui précède que la faute lourde n'est pas caractérisée.
En revanche, la déloyauté ayant consisté à laisser son employeur dans l'ignorance du démarchage par monsieur [C] de la société Parex à son insu constitue un comportement déloyal, caractérisant une faute grave, qui justifiait la rupture immédiate du préavis.
Il ne sera pas fait droit à la demande de ce chef.
demande au titre des congés payés
Les demandes au titre des congés payés sont justifiées par la production des fiches de paie, étant rappelé que même la faute lourde, lorsqu'elle est caractérisée, ne dispense pas l'employeur du paiement des congés non pris.
Il sera fait droit aux demandes de ce chef, dont les quantum sont conformes aux éléments de paie produits, et ne sont pas utilement contestés.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement ;
Déboute la société DPC Investissement de ses demandes ;
Condamne la société DPC Investissement à payer à madame [P] les sommes suivantes :
1.800 euros au titre de ses congés payés de juin 2018 à mars 2019,
3.384,06 euros au titre des congés payés antérieurs non pris ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société DPC Investissement aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier La présidente