CA Rennes, 5e ch., 19 juin 2024, n° 23/05992

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APPELANTE :

Société SELECTINVEST 1 SCPI

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Nelson SEGUNDO de la SELARL RACINE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉES :

S.A.R.L. COMPTOIR DU MATELAS agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 8]

[Adresse 8]

Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Camille HERLIDO, Plaidant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC

S.E.L.A.R.L. LH & ASSOCIES Prise en la personne de Maître [C] [W], désignée ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL BNR MOBILIER (819 171 505 RCS SAINT-BRIEUC), selon jugement du Tribunal de commerce de Saint-Malo en date du 15 juin 2021.

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Xavier-Pierre NADREAU de la SELARL KERJEAN-LE GOFF-NADREAU-NEYROUD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-MALO

S.A.R.L. LITERIE JONA agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Camille HERLIDO, Plaidant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC

Par acte sous seing privé du 3 avril 2016, la société Selectinvest 1 a donné à bail à la société BNR Mobilier des locaux commerciaux sis [Adresse 4], pour une durée de 10 ans à compter du 4 avril 2016 moyennant un loyer annuel de 60 000 euros hors taxes et hors charges, avec pour destination la vente au détail de meubles et équipements de décoration.

Par jugement du 13 avril 2021 le tribunal de commerce de Saint-Malo a ouvert une procédure de redressement judiciaire au profit de la société BNR Mobilier. Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 15 juin 2021.

Le liquidateur judiciaire, la Selarl LH et Associés a sollicité l'autorisation de vendre le droit au bail. Le juge commissaire, par ordonnance du 2 août 2021, a autorisé la vente du droit au bail à la société Comptoir du matelas moyennant un prix de 100 000 euros net vendeur, et dit que l'acquéreur sera redevable des loyers, charges et accessoires dus à compter de l'ordonnance.

Un constat d'entrée dans les lieux par la société Comptoir du matelas a été dressé le 24 septembre 2021.

Un commandement de payer visant la clause résolutoire a été délivré le 26 décembre 2022 par la société Selectinvest 1 à la société Comptoir du matelas, la société BNR Mobilier, et la société LH et associés, en qualité de liquidateur de la société BNR Mobilier, pour une somme totale de 84 361,02 euros, correspondant aux loyers et charges restant dus arrêtés au troisième trimestre 2022.

Faisant valoir que la société LH et Associés n'a pas réglé les loyers dus en exécution du bail jusqu'à la cession et que la société Comptoir du matelas ne s'est pas acquittée du paiement des loyers pendant plusieurs mois, la société Selectinvest 1 a délivré assignation en référé le 29 mars 2023 à la société Comptoir du matelas et la société LH et Associés, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société BNR Mobilier devant le président du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc aux fins principalement, de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial liant les parties et ordonner leur expulsion outre et voir condamner :

- la société Comptoir du matelas à lui payer une indemnité d'occupation égale au montant du loyers et des charges à compter du 26 janvier 2023 jusqu'à la libération effective des lieux,

- la société LH et Associés ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société BNR Mobilier à lui payer une provision de 25 074,26 euros correspondant aux loyers et charges dus pour la période du 14 avril 2021 au 1 août 2021, outre les intérêts légaux à compter du commandement de payer,

- la société Comptoir du Matelas à lui payer une provision de 99 453,38 euros correspondant aux loyers et charges dus pour la période du 2 août 2021 au 31 mars 2023, outre les intérêts légaux à compter du commandement de payer,

- la société LH et Associés ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société BNR Mobilier et la société Comptoir du matelas à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Literie Jona est intervenue volontairement aux débats.

Par ordonnance en date du 7 septembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc a :

- fait droit à l'intervention volontaire de la société Literie Jona à la présente instance,

- condamné la société LH et Associés, ès-qualités de liquidateur de la société BNR Mobilier à payer à la société Selectinvest 1, la somme provisionnelle de 28 303,90 euros au titre des loyers, charges, accessoires et indemnités d'occupation impayés pour la période du 14 avril 2021 au 24 septembre 2021 inclus, avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer du 26 décembre 2022 ,

- condamné la société Comptoir du matelas et la société Literie Jona à payer à la société Selectinvest 1, la somme provisionnelle de 39 102,79 euros au titre des loyers, charges, accessoires et indemnités d'occupation impayés correspondant aux loyers et indemnités d'occupation impayés du 24 septembre 2021 au 30 juin 2023, avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer du 26 décembre 2022, ainsi que les loyers courants postérieurs,

- autorisé la société Comptoir du matelas et la société Literie Jona à se libérer de la dette en 12 mensualités égales et successives, la première intervenant 8 jours après la signification de la présente décision,

- ordonné la suspension des effets de la clause résolutoire pendant le cours de ces délais,

- dit que, faute du paiement, à bonne date, en sus du loyer courant, d'une seule des mensualités, et huit jours après l'envoi d'une simple mise en demeure adressée par lettre recommandée avec avis de réception,

* le tout deviendra immédiatement exigible,

* la clause résolutoire sera acquise,

* il sera procédé à l'expulsion immédiate de la société Comptoir du matelas et la société Literie Jona et à celle de tous occupants de leur chef, avec l'assistance si nécessaire de la force publique, des locaux situés [Adresse 5],

* en cas de besoin, les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désignée par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrit avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans le délai d'un mois non renouvelable à compter de la signification de l'acte, à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation

du juge de l'exception, ce conformément à ce que prévoient les articles L433-1 et suivants et R 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exception,

* une indemnité provisionnelle égale au montant du loyer contractuel augmenté des charges sera mise à leur charge, en cas de maintien dans les lieux, jusqu'a libération effective des lieux par remise des clés,

- dit n'y avoir lieu à référé sur les autres demandes,

- dit n'y avoir lieu au bénéfice de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Comptoir du matelas, la société Literie Jona et la société LH et Associés, ès-qualités de liquidateur de la société BNR Mobilier aux dépens, qui comprendront notamment le coût du commandement de payer.

Le 19 octobre 2023, la société Selectinvest 1 a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 7 février 2024, elle demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

- débouter les sociétés BNR Mobilier, Comptoir du matelas et Literie Jona de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- débouter la société Literie Jona de sa demande d'intervention volontaire,

- constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail à compter du 26 janvier 2023 et ordonner, en conséquence, l'expulsion sans délai des sociétés BNR Mobilier, Comptoir du matelas et Literie Jona ainsi que celle de tous occupants de leur chef, avec le concours de la force publique si besoin était,

- condamner solidairement la société LH et Associés, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société BNR Mobilier, les sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona à lui payer une indemnité d'occupation égale au montant du loyer contractuel, augmenté des taxes et charges récupérables, à compter du 26 janvier 2023 et jusqu'à la libération effective des lieux se matérialisant par la remise des clés ou l'expulsion,

- condamner solidairement les sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona, à lui payer la somme de 62 359,14 euros au titre des loyers et charges déclarés au passif de la société BNR Mobilier,

- condamner solidairement la société LH et Associés, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société BNR Mobilier, et les sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona, à lui payer, par provision, la somme de 25 787,09 euros au titre des loyers et charges restant dus pour la période du 14 avril 2021 au 1er août 2021, avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer,

- condamner solidairement les sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona à lui payer, par provision, la somme de 33 674,73 euros au titre des loyers, charges, taxes et indemnités d'occupation dues pour la période du 2 août 2021 au 31 mars 2024, avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer,

- condamner solidairement les sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona à lui payer la somme provisionnelle de 16 021,12 euros au titre de la reconstitution du dépôt de garantie,

- condamner solidairement la société LH et Associés, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société BNR Mobilier, les sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens de première instance, qui comprendront le coût du commandement de payer, et ainsi confirmer la décision de première instance sur ce point, et les entiers dépens de l'instance d'appel.

Par dernières conclusions notifiées le 13 mars 2024, la société LH et Associés demande à la cour de :

- statuer ce que de droit sur les mérites de l'appel de la société Selectinvest 1, en accueillant sa demande d'infirmation en ce que l'ordonnance a condamné la société LH et Associés ès-qualités de liquidateur de la société BNR Mobilier au paiement de la somme de 28 303, 90 euros au titre des loyers, charges, accessoires et indemnités d'occupation impayés pour la période du 14 avril 2021 au 24 septembre 2021 inclus, outre les intérêts au taux légal à compter du commandement de payer du 26 décembre 2022,

- dépens comme de droit.

Par dernières conclusions notifiées le 14 mars 2024, la société Comptoir du matelas et la société Literie Jona demandent à la cour de :

- confirmer l'ordonnance du 7 septembre 2023 en ce qu'elle a :

* condamné la société LH et Associés, ès-qualités de liquidateur de la société BNR Mobilier à payer à la société Selectinvest 1, la somme provisionnelle de 28 303,90 euros au titre des loyers, charges, accessoires et indemnités d'occupation impayés pour la période du 14 avril 2021 au 24 septembre 2021 inclus, avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer du 26 décembre 2022,

* condamné la société Comptoir du matelas et la société Literie Jona à payer à la société Selectinvest 1 la somme provisionnelle de 39 102,79 euros au titre des loyers, charges, accessoires et indemnités d'occupation impayés pour la période du 24 septembre 2021 au 30 juin 2023 inclus, avec intérêts au taux légal a compter du commandement de payer du 26 décembre 2022, ainsi que les loyers courants postérieurs,

* autorisé la société Comptoir du matelas et la société Literie Jona à se libérer de la dette en 12 mensualités égales et successives, la première intervenant 8 jours après la signification de la présenté décision,

* ordonné la suspension des effets de la clause résolutoire pendant le cours de ces délais,

* dit que, faute du paiement, à bonne date, en sus du loyer courant, d'une seule des mensualités et huit jours après l'envoi d'une simple mise en demeure adressée par lettre recommandée avec avis de réception,

° le tout deviendra immédiatement exigible,

° la clause résolutoire sera acquise,

° il sera procédé à l'expulsion immédiate de la société Comptoir du matelas et la société Literie Jona et à celle de tous occupants de leur chef avec l'assistance si nécessaire de la force publique, des locaux situés [Adresse 7],

° en cas de besoin les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans le délai d'un mois non renouvelable a compter de la signification de l'acte, à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation

du juge de l'exception, ce conformément à ce que prévoient les articles L 433-1 et suivants et R 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,

° une indemnité provisionnelle égale au montant du loyer contractuel augmenté des charges sera mise à leur charge, en cas de maintien dans Les lieux, jusqu'a libération effective des lieux par remise des clés,

* dit n'y avoir lieu a référé sur les autres demandes,

* dit n'y avoir lieu au bénéfice de l'article 700 du code de procédure civile,

- infirmer l'ordonnance du 7 septembre 2023 en ce qu'elle a :

* condamné la société Comptoir du matelas, la société Literie Jona et la société LH et Associés, ès-qualités de liquidateur de la société BNR Mobilier aux dépens, qui comprendront notamment le coût du commandement de payer,

Et statuant à nouveau :

- déclarer irrecevable les conclusions d'intimée de la société LH et Associés,

- déclarer irrecevable la demande nouvelle de la société Selectinvest 1 en paiement de la somme de 62 359,14 euros correspondant aux loyers et charges déclarés au passif de la société BNR Mobilier,

- déclarer irrecevable la demande nouvelle de la société Selectinvest 1 en paiement de la somme de 16 021,12euros correspondant à la reconstitution du dépôt de garantie,

- rejeter la demande de la société Selectinvest 1 d'allocation provisionnelle de la somme de 16 021,12 euros au titre de la reconstitution du dépôt de garantie,

- débouter la société Selectinvest 1 de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société Comptoir du matelas,

- condamner la société Selectinvest 1 à leur payer une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Selectinvest 1 à payer les entiers dépens de la première instance et de l'appel.

L'ordonnance de clôture de bref délai est intervenue le 14 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- sur l'intervention volontaire de la société Literie Jona

La société Selectinvest 1 demande à la cour de débouter la société Literie Jona de sa demande d'intervention volontaire aux motifs que, si elle a pris acte de la cession du droit au bail à la société Comptoir du matelas, elle a indiqué qu'elle ne pouvait pas agréer à cet acte de cession prévoyant un changement de destination qui n'a été autorisé ni par le juge commissaire, ni par le tribunal de commerce ni par le bailleur.

La société Literie Jona fait valoir qu'elle est l'actuelle occupante des locaux et cessionnaire du droit au bail conformément aux dispositions de l'ordonnance du tribunal de commerce de Saint-Malo qui autorisait la substitution de la société Comptoir du matelas, relevant que le bailleur n'a pas fait de recours à l'encontre de cette ordonnance.

L'article 325 du code de procédure civile dispose que l'intervention n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions par un lien suffisant.

Dans le cadre de la procédure collective de la société BNR Mobilier, le juge commissaire du tribunal de commerce de Saint-Nazaire, par ordonnance du 2 août 2021 a autorisé la vente du droit au bail sis [Adresse 6] moyennant le prix de 100 000 euros net vendeur 'au profit de la société Comptoir du matelas, tant en son nom qu'au nom de toute personne morale ou physique pouvant s'y substituer.'

Cette ordonnance a été notifiée à l'acquéreur. Un certificat de non appel a été délivré le 25 octobre 2021.

La société Selectivinvest 1 a fait dresser un constat des lieux par huissier le 24 septembre 2021, en l'absence du liquidateur de la société BNR Mobilier convoqué, indiquant qu'il 'va louer les locaux à la société Comptoir du matelas'.

La société Selectinvest 1 produit aux débats un projet d'acte de cession entre la société BNR mobilier et la société Literie Jona avec l'intervention du bailleur, projet qui lui a été transmis le 12 août 2022 par l'étude notariale Lugand et associés.

Dans un courrier du 19 août 2022, le conseil de la bailleresse indiquait ne pas agréer la cession du droit au bail à la société Literie Jona, puis dans un courrier du 6 novembre 2022, précisait qu'elle serait disposer à agréer cette cession, sans changement de destination, sous réserve de la fourniture d'une garantie à première demande de 12 mois de loyer HT et HC.

La société Literie Jona indique qu'à compter du mois de novembre 2021, elle a substitué la société Comptoir du matelas, et pris en charge le paiement des loyers. Elle justifie effectivement le paiement de certaines échéances de loyers en 2022 et 2023.

La cour relève en outre que la partie appelante formule diverses demandes de condamnation à son encontre.

L'intervention volontaire est recevable et la cour confirme l'ordonnance de ce chef.

- sur la résiliation de bail

La société Selectinvest 1 demande à la cour de constater l'acquisition des effets de la clause résolutoire à compter du 26 janvier 2923 et d'ordonner en conséquence l'expulsion sans délai des sociétés BNM Mobilier, Comptoir du matelas et Literie Jona, et de condamner solidairement le liquidateur de la société BNR Mobilier, et les sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona à lui payer une indemnité d'occupation égale au montant du loyer contractuel augmenté des charges et accessoires à compter de la date précitée jusqu'à libération effective des locaux.

Elle s'oppose à l'octroi de délais de paiement et à une suspension des effets de la clause résolutoire.

La société LH et associés liquidateur de la société BNR Mobilier fait valoir que la société BNR Mobilier n'est plus dans les lieux depuis le 8 septembre 2021, date de remise des clés à la société Comptoir du matelas, de sorte que toute demande d'expulsion à son encontre est sans objet. Elle estime également que la société BNR Mobilier ne peut être en conséquence condamnée au paiement d'une indemnité d'occupation.

Les sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona sollicitent la suspension des effets de la clause résolutoire et l'octroi de délais de paiement, sur la base de l'article 1343-5 du code civil auquel renvoie l'article L 145-41 du code de commerce.

Elles font valoir que la bailleresse a refusé les règlements de la société Literie Jona au cours des mois d'avril et juillet 2022, puis novembre 2022 à hauteur de 39 665 euros créant de fait un important arriéré, lui permettant ainsi de délivrer un commandement afin d'exercer une pression pour obtenir une indemnité de déspécialisation ou une garantie à première demande, alors qu'elle n'avait pas contesté la décision du juge commissaire autorisant la cession. Elles estiment que la société Selectinvest 1 est de mauvaise foi, rappelant que l'absence de régularisation du bail est de son seul fait.

Elles affirment pour leur part être de totale bonne foi, que la société Literie Jona est la véritable occupante des lieux et souhaite s'y maintenir, et que d'ailleurs la société Nexity qui gère le bien pour le compte de la bailleresse a indiqué être disposée à régulariser un nouveau bail à son nom.

L'article L 145- 41 du code de commerce dispose :

Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

L'article 1343-5 du code civil prévoit :

Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.

Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.

La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.

Toute stipulation contraire est réputée non écrite. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d'aliment.

Le commandement de payer délivré le 26 décembre 2022 visant la clause résolutoire porte sur une somme de 84 631,02 euros, correspondant aux sommes dues au titre des loyers, charges et accessoires dues entre le 3ème trimestre 2021 et le 4ème trimestre 2022.

Les décomptes de créances produits établissent que la somme commandée n'a pas été intégralement payée, de sorte que la clause résolutoire a joué.

Les paiements invoqués par les sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona, venant en déduction de la somme commandée ont bien été pris en compte par la bailleresse. Il n'est nullement démontré que cette dernière aurait refusé d'autres paiements.

La seule absence de régularisation du bail, au motif d'une contestation soulevée par la bailleresse quant à la destination des locaux et la question d'une déspécialisation ne justifie pas l'absence de paiement des loyers par le cessionnaire ou la personne qui s'est substituée à elle, celles-ci se considérant preneurs et donc tenues à cette obligation. La mauvaise foi de la bailleresse dans la délivrance du commandement pour des sommes qui lui sont effectivement dues ne peut être retenue.

À l'inverse, la cour considère que les sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona sont de mauvaise foi, ne justifiant par ailleurs par aucune pièce de quelconques difficultés les empêchant de régler les loyers et charges.

Les demandes de délais et de suspension des effets de la clause résolutoire sont rejetées.

La cour constate la résiliation du bail à compter du 26 janvier 2023, et déboute les intimées de leur demande de délais et de suspension des effets de la clause résolutoire.

La société BNM Mobilier, en liquidation judiciaire, compte tenu de sa situation, n'occupe plus les lieux. La cour rejette la demande d'expulsion à son encontre et de condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation formée contre le liquidateur.

En revanche, ces demandes sont accueillies s'agissant des sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona, la preuve d'une non occupation des lieux par la première ne ressortant d'aucune pièce.

À défaut de libération spontanée des locaux loués, la cour ordonne l'expulsion des sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona ainsi que celle de tous occupants de leur chef, avec si besoin, l'assistance de la force publique.

Ces dernières seront condamnées au paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer contractuel, augmenté des taxes et charges récupérables, à compter du 26 janvier 2023 jusqu'à libération effective des lieux matérialisée par la remise des clés ou l'expulsion.

L'ordonnance est infirmée en ce qu'elle accorde des délais de paiement et suspend les effets de la clause résolutoire.

- sur la créance locative et les demandes de provision

La société Selectinvest 1 considère que la liquidation de la société BNR Mobilier est redevable des loyers et charges pour la période du 14 avril 2021 au 1er août 2021, inclus, date de l'ordonnance autorisant la cession de son fonds de commerce, soit 25 787,09 euros. Elle conteste qu'il puisse être considéré que l'obligation pesant sur la société Comptoir du matelas soit fixée au 24 septembre 2021, comme retenu par le premier juge, et ce, au regard des termes précis de l'ordonnance précitée sur ce point.

Elle fait valoir qu'elle détient une créance de 33 674,73 euros au titre des loyers et charges, indemnités d'occupation impayés par le preneur du 2 août 2021 au 31 mars 2024, ainsi qu'une créance de 16 021,12 euros au titre de la reconstitution du dépôt de garantie et entend obtenir la condamnation solidaire, par provision, au paiement de ces sommes des sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona.

Elle se prévaut en outre d'une clause de solidarité prévue au bail, lui permettant de mettre à la charge des sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona, l'intégralité de la dette de la société BNR Mobilier.

Elle rappelle avoir régulièrement déclaré au passif de la société BNR Mobilier une créance de 78 280,26 euros au titre des loyers et charges dus du 1er trimestre 2020 au 2ème trimestre 2021, au prorata temporis du 1er avril au 12 avril 2021, compte tenu du redressement judiciaire de cette société le 13 avril 2021. Elle précise avoir compensé le dépôt de garantie d'un montant de 16 021,12 euros avec sa créance déclarée.

Elle estime être fondée à solliciter la condamnation solidaire des sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona à lui payer par provision la somme de 62 359,14 euros (78 289,26 - 16 021,12).

Elle sollicite également, en application de cette clause de solidarité, la condamnation solidaire des sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona à lui payer par provision d'une part la somme de 25 787,09 euros au titre des loyers et charges dus au 1er août 2021.

La Selarl LH et Associés, liquidateur de la société BNR Mobilier s'associe à l'analyse de la bailleresse selon laquelle les loyers ne sont dus par la société BNR Mobilier que jusqu'au 2 août 2021 et non au 24 septembre 2021. Elle considère également que la société Selectinvest 1 invoque à raison la clause de solidarité du bail et qu'ainsi, qu'il ne saurait être condamné que sous la garantie solidaire des sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona.

Les sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona estiment que la demande en paiement d'une somme de 62 259,14 euros est une demande nouvelle et qu'elle est irrecevable en application de l'article 564 du code de procédure civile. Elles considèrent qu'il en est de même de la demande en paiement portant sur la reconstitution du dépôt de garantie.

Elles soutiennent que la bailleresse a été entièrement désintéressée des sommes déclarées au passif de la société BNR Mobilier.

S'agissant des sommes dues postérieurement, elles font valoir que le décompte de la société Selectinvest 1 ne prend pas en considération l'intégralité des règlements effectués.

Elles considèrent que le point de départ de l'obligation à payer les loyers n'est pas le 2 août 2021, compte tenu de la prise en possession des lieux le 24 septembre 2021. S'agissant des termes de l'ordonnance du juge commissaire, elles soulignent qu'elles prévoient que l'acquéreur est redevable des loyers et charges 'à compter de la date de la présente, devenue définitive.', cette date étant le 29 août 2021 en l'espèce.

En application de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite.

* la dette de la société BRN Mobilier

La société BNR Mobilier a été placée en redressement judiciaire le 13 avril 2021.

Une créance de la société Selectinvest 1 au titre des loyers et charges, tant compte de la déduction du dépôt de garantie, antérieure à l'ouverture de la procédure collective de 62 359,14 euros est déclarée au passif.

L'ordonnance du 2 août 2021 du juge commissaire du tribunal de commerce de Saint-Nazaire dit que 'l'acquéreur sera redevable des loyers, charges et accessoires dus à compter de la présente ordonnance devenue définitive', suivant en cela l'offre de la société Comptoir du matelas, rapportée par la société BNR Mobilier dans sa requête au juge commissaire, puisqu'il est indiqué : 'en date du 16 juillet 2021 une offre de reprise du droit au bail a été formulée par la société Comptoir du matelas pour un montant de

100 000 euros (...) la société Comptoir du matelas s'engage à prendre en charge les loyers à compter de la décision du juge commissaire ordonnant la cession du droit au bail.'

Il est acquis que cette ordonnance n'a pas été frappée d'appel. La cour considère que l'obligation à paiement sur l'acquéreur court donc à compter du 2 août 2021, de sorte que l'obligation à payer les loyers pesant sur la preneuse en liquidation judiciaire cesse à cette date.

En conséquence la liquidation judiciaire de la société BNR mobilier ne peut

être condamnée à payer les loyers dus jusqu'au 24 septembre 2021. La cour infirme l'ordonnance sur ce point, et condamne la société LH et Associés en qualité de liquidateur de la société BNR Mobilier au paiement, à titre de provision, de la somme de 25 787,09 euros au titre des loyers et charges dus du 13 avril 2021 au 1er août 2021, avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer délivré le 26 décembre 2022.

* sur la dette de la société Comptoir du matelas et de la société Literie Jona

Il résulte des développements précédents que la société Comptoir du matelas, cessionnaire est tenue au paiement des loyers afférents aux locaux donnés à bail par la société Selectinvest 1 à compter du 2 août 2021.

La société Literie Jona déclare s'être substituée à celle-ci à une date qui n'est pas précisée et reconnaît donc devoir les loyers pesant sur le cessionnaire.

La cour infirme l'ordonnance en ce qu'elle condamne ces deux sociétés au paiement des loyers et charges dus à compter du 24 septembre 2021 au 30 juin 2023, la première date ne correspondant pas au point de départ de leur obligation.

La créance de 33 674,73 euros résultant du décompte versé aux débats (lequel prend en compte 12 règlements), arrêtée au 1er trimestre 2024, n'apparaît pas sérieusement contestable. Si les sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona invoquent divers paiements qui, selon elles seraient venus en déduction de celle-ci, force est de constater qu'aucune pièce ne vient étayer leurs affirmations.

Une condamnation solidaire des sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona sera donc prononcée pour la somme 33 674,73 euros, représentant les loyers, charges, accessoires et indemnités d'occupation dues du 2 août 2021 au 31 mars 2024, somme qui portera intérêts légaux à compter du commandement sur les sommes commandées arrêtées au 3ème trimestre 2022, et de 7 février 2024, date de notification des conclusions de l'appelante, sur le surplus.

La société Selectivinvest 1 formule des demandes non présentées en première instance en ce qu'elle sollicite la condamnation des deux sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona au paiement des sommes dues par la société BNR Mobilier avant et après l'ouverture du redressement judiciaire et à la reconstitution du dépôt de garantie, en application d'une clause de solidarité dans le bail, dont l'existence n'est par ailleurs pas discutée. Cette clause est ainsi expressément convenu par l'article 16.1 du bail qui prévoit que 'tout cessionnaire ou bénéficiaire sera de plein droit garant et co-débiteur solidairement avec le cédant ou l'apporteur du paiement de toutes sommes dues au bailleur en vertu du présent bail ainsi que de l'exécution de toutes les clauses et conditions de celui-ci'.

Il ne saurait être considéré que les demande portant sur la créance invoquée au titre de la clause de solidarité prévue au bail et la créance relative à la reconstitution du dépôt de garantie sont des demandes nouvelles, puisqu'elles correspondent à des demandes accessoires ou complémentaires des demandes initiales. La cour en application de l'article 566 du code de procédure civile déclare ces demandes recevables.

En application de la clause de solidarité dans le bail, la cour condamne solidairement les sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona à payer à titre de provision d'une part la somme de 62 359,14 euros déclarée au passif de la société BNR Mobilier et celle de 25 787,09 euros au titre des loyers, charges dus pour la période du 14 avril 2021 au 1er août 2021. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 7 février 2024, date de notification des conclusions de l'appelante.

S'agissant de la demande de reconstitution du dépôt de garantie, la cour constate que la bailleresse en a déduit le montant de la créance réclamée à la société cédante la société BNR Mobilier. Il convient de faire droit à cette demande, cette obligation pesant sur le cessionnaire. Les sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona sont condamnées solidairement à payer, à titre de provision à la société Selectinvest 1 la somme de 16 021,12 euros à ce titre, outre intérêts légaux à compter du 7 février 2024, date de notification des conclusions de l'appelante.

- sur les frais irrépétibles

La cour fera application au profit de la société appelante et les sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona sont condamnées à lui payer une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à régler les dépens d'appel.

Les dispositions de l'ordonnance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance sont confirmées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe :

Confirme l'ordonnance en ce qu'elle fait droit à l'intervention volontaire de la société Literie Jona, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et condamne la société Comptoir du matelas, la société Literie Jona et la société LH et Associés, en qualité de liquidateur de la société BNR Mobilier aux dépens, qui comprendront notamment le coût du commandement de payer ;

L'infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés et y ajoutant,

Déclare recevables les demandes formées par la société Selectinvest 1au titre d'une créance fondée sur la clause de solidarité du bail et au titre d'une créance relative à la reconstitution du dépôt de garantie ;

Constate la résiliation du bail à compter du 26 janvier 2023 ;

Rejette la demande de délais et de suspension des effets de la clause résolutoire ;

Dit n'y avoir lieu à expulsion de la société BNR Mobilier, et condamnation de la société LH et associés en qualité de liquidateur de cette dernière au paiement d'une indemnité d'occupation ;

Ordonne, à défaut de libération des lieux, l'expulsion des sociétés Comptoir du matelas et Literie Jona, des locaux loués sis [Adresse 4], et celle de tous occupants de leur chef avec le concours de la force publique si besoin est ;

Condamne solidairement la société Comptoir du matelas et la société Literie Jona à payer à la société Selectinvest 1 une indemnité d'occupation égale au montant du loyer contractuel, augmenté des taxes et charges récupérables, à compter du 26 janvier 2023 jusqu'à libération effective des lieux matérialisée par la remise des clés ou l'expulsion ;

Condamne la société LH et Associés en qualité de liquidateur de la société BNR Mobilier à payer à la société Selectinvest 1, à titre de provision, la somme de 25 787,09 euros au titre des loyers et charges dus du 13 avril 2021 au 1er août 2021, avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer délivré le 26 décembre 2022 ;

Condamne solidairement la société Comptoir du matelas et la société Literie Jona à payer à la société Selectinvest 1, à titre de provision :

- la somme de 33 674,73 euros au titre des loyers, charges et indemnités d'occupations dues à compter du 2 août 2021 au 31 mars 2024, avec intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2022 sur les sommes commandées arrêtées au 3ème trimestre 2022 et du 7 février 2024 sur le surplus, date de notification des conclusions de l'appelante ;

- la somme de 62 359,14 euros déclarée au passif de la société BNR Mobilier, et celle de 25 787,09 euros au titre des loyers, charges dus pour la période du 14 avril 2021 au 1er août 2021, outre intérêts au taux légal à compter du 7 février 2024, date de notification des conclusions de l'appelante ;

- la somme de 16 021,12 euros à ce titre, outre intérêts à compter du 7 février 2024, date de notification des conclusions de l'appelante.

- la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Comptoir du matelas et la société Literie Jona aux dépens d'appel.