CA Nancy, 5e ch., 19 juin 2024, n° 24/00404
NANCY
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Hippone (SARL)
Défendeur :
Assya (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beaudier
Conseillers :
M. Beaudier, M. Firon, Mme Hiribarren
Avocats :
Me El Fekri - Rodicq, Me Larere, Me Henry
FAITS ET PROCEDURE
La société Assya, dont le gérant est M. [D] [B], est propriétaire d'un ensemble immobilier situé [Adresse 1], comprenant plusieurs appartements donnés en location et deux commerces, l'un de restauration l'autre de coiffure.
Par acte sous seing privé en date du 03 juillet 2020, la société Assya a donné à bail commercial à la société Hippone, représentée par sa gérante Mme [O] [T], épouse [S], un local situé au rez-de-chaussée de cet immeuble, comprenant une salle de restaurant, une salle destinée à la cuisine, une pièce de stockage, deux WC, pour une superficie totale de 133 m² environ.
Le 1er juillet 2020, la société Assya et la société Hippone ont signé le 1 juillet 2020 un avte sous seing privé , intitulé « autorisation de terrasse », permettant la mise à disposition gracieuse au profit du locataire pendant une année à compter de cette terrasse, renouvelable par tacite reconduction. Une seconde autorisation a été régularisée pour une durée d'une année à compter du 1er juillet 2021.
Suivant courrier recommandé avec avis de réception en date du 3 avril 2023, la société Assya a mis en demeure sous quinzaine la société Hippone de cesser l'exercice de toute activité autres que celles de café et de restaurant contraires aux dispositions du bail, de vider la cave de tout son contenu, de libérer la terrasse de tous les éléments encore restés sur place, d'accéder au local loué par la porte donnant sur la rue et de respecter enfin le paiement du loyer le 1er de chaque mois.
Par acte en date du le 15 mai 2023, la société Hippone, autorisée à assigner par ordonnance du 05 mai 2023, a assigné la société Assya à jour fixe devant le tribunal judiciaire de Nancy aux fins notamment de la voir condamner sous astreinte à fournir un badge d'accès permettant l'ouverture de la porte de l'immeuble, à changer la serrure de la porte principale de l'immeuble et à lui remettre un nouveau jeu de clé, et à ouvrir la porte du rez-de-chaussée donnant accès à la cave.
La société Hippone a également demander au tribunal de constater l'existence d'un bail verbal concernant la partie de cave occupée depuis le début du bail commercial, et la soummission l'autorisation d'occupation de la terrasse au statut des baux commerciaux. Elle a sollicité enfin la condamnation de la bailleresse au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.
La société Assya a demandé reconventionnellement la résiliation du bail au torts exclusifs du locataire, invoquant un manquement de ce dernier à son obligation d'acquitter les loyers et charges dus, ainsi qu'à celle de respecter la destination des lieux loués et de ne pas troubler le voisinage.
Suivant jugement rendu contradictoirement le 20 février 2024, le tribunal judiciaire de Nancy a :
- rejeté la demande de la société Hippone tendant à écarter des débats les conclusions de la société Assya du 25 septembre 2023,
- rejeté la demande de la société Assya tendant à écarter des débats les conclusions de la société Hippone du 23 septembre 2023,
- rejeté les demandes de la société Hippone tendant à la nullité des procès verbaux de constat par commissaire de justice du 18 mai 2023 et du 23 mai 2023,
- débouté la société Hippone de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Assya,
- prononcé la résiliation judiciaire du bail commercial du 3 juillet 2020 liant la société Assya, bailleur, à la société Hippone, preneur, portant sur les locaux situés [Adresse 1],
- ordonné l'expulsion de la société Hippone des locaux pris à bail situés [Adresse 1], ainsi que celle de tout occupant de son chef, dans les trois mois du jugement à intervenir, avec si besoin le concours de la force publique,
- fixé à la somme de 977,25 euros hors charges, le montant de l'indemnité d'occupation mensuelle due par la société Hippone jusqu'à la libération effective des lieux, et condamné la société Hippone à payer à la société Assya la somme de 977,25 euros le 1er de chaque mois,
- débouté la société Assya de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral et financier contre la société Hippone,
- condamné la société Hippone aux dépens,
- débouté la société Assya de sa demande de condamnation de la société Hippone au paiement des procès-verbaux de constat des 18, 23 et 28 mai 2023 au titre des dépens,
- condamné la société Hippone à payer à la société Assya la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la société Hippone de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que le présent jugement est exécutoire par provision.
Par déclaration en date du 29 février 2024, la société Hippone a interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire de Nancy du 20 février 2024.
Par ordonnance en date du 13 mars 2024, le conseiller faisant fonction de président de la 5ème chambre de la cour d'appel de Nancy a a autorisé la société Hipponne à assigner à jour fixe la société Assya pour l'audience du 15 mai 2024 à 14 heures.
Par ordonnance de référé en date du 22 avril 2024, le président de chambre délégué par le premier président de la cour d'appel de Nancy a déclaré irrecevable la demande de la société Hippone tendant à voir ordonner l'arrêt de l'exécution provisoire de la décision du tribunal judiciaire de Nancy en date du 20 février 2024.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 15 mai 2024, la société Hippone demande à la cour de :
- déclarer l'appel interjeté par société Hippone recevable et bien fondé,
- infirmer en totalité le jugement rendu le 20 Février 2024.
Statuant à nouveau :
- débouter la société Assya de sa demande de résiliation judiciaire du bail commercial signé le 3 juillet 2020,
- débouter la société Assya de sa demande d'expulsion des lieux loués,
- débouter la société Assya de toute demande d'indemnisation d'un préjudice moral et financier,
- qualifier la partie de cave occupée par la société Hippone de local accessoire au local principal et constater l'existence d'un bail verbal soumis au statut des baux commerciaux depuis le début du bail commercial signé le 3 juillet 2020,
- en conséquence, condamner la société Assya à assurer la jouissance paisible de la partie de cave attribuée depuis le début du bail commercial à la société Hippone en tant que local accessoire soumis au statut des baux commerciaux,
- qualifier les 63 m² de de terrasse occupés par le société Hippone de local accessoire au local
principal et constater que l'autorisation d'occupation de la terrasse est soumise au statut des baux commerciaux depuis le début du bail commercial signé le 3 juillet 2023,
- en conséquence, condamner la société Assya à assurer la jouissance paisible de la terrasse sur une emprise de 63 m² en tant que local accessoire soumis au statut des baux commerciaux,
- condamner la société Assya à payer à la société Hippone la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre des préjudices subis,
- condamner la société Assya aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 15 mai 2024, la société Assya demande à la cour de :
- déclarer l'appel de la société Hippone non-fondé,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispsoitions,
- débouter la société Hippone de toutes ses demandes fins et conclusions en sens contraire,
- condamner la société Hippone à payer à la société Assya la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Hippone aux dépens;
Pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions des parties, la cour renvoie expressément à leurs conclusions visées ci-desssus, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS :
- Sur les demandes de la société Hippone :
* Sur la terrasse :
Suivant un premier acte sous seing privé en date du 1er juillet 2020, la société Assya a autorisé la société Hippone à jouir à titre gracieux de la terrasse, d' une emprise de 63 m2, pendant une année. Il est précisé à cet acte que cette autorisation est tacitement reconductible à l'expiration du délai précédemment fixé, sous réserve du respect par le locataire de son obligation d'entretien des lieux, ainsi que de celle de fermeture impérative à deux heures du matin.
Suivant un second acte sous seing privé postérieur en date du 1er juillet 2021, les parties ont cependant expressément convenu de limiter l'autorisation précédemment accordée à une durée d'un an, à compter du 1er juillet 2021, et de convenir qu'à l'expiration de ce délai (30 juin 2022), son renouvellement sera conditionné à la rédaction d'un nouvel écrit constatant l'accord des parties.
La société Hippone affirme que 'cette seconde autorisation est sujette à débat car la société HIPPONE dispose d'un exemplaire signé par Monsieur [S] qui n'est pas gérant et la société ASSYA d'un exemplaire signé par Mme [S] qui assure n'avoir jamais signé ce document' (cf. conclusions page 35). Cependant, l'appelante n'a jamais contesté la validité de la convention litigieuse, n'ayant soulevé aucun incident devant le tribunal judiciaire ou la cour, sur le fondement des articles 306 et suivants du code de procédure civile, en arguant qu'il s'agirait d'un faux.
Au surplus, La société Hyppone ne verse aux débats aucun élément de nature à établir que la signature de Mme [O] [S], gérante, aurait été faslsifié ou contrefaite sur l'exemplaire détenu par la bailleresse, étant observé que les conditions de renouvellement de l'autorisation d'occupation de la terrasse sont identiques sur les deux exemplaires détenus respectivement par les parties.
Ainsi, faute d'un renouvellement écrit établi postérieurement au 30 juin 2022, dans les conditions prévues à l'acte du 1er juillet 2021, la société Hyponne ne peut se prévaloir d'aucune autorisation de la bailleresse d'occuper la terrasse, laquelle n'est pas incluse au bail signé le 3 juillet 2020.
Par ailleurs, conformément à l'article L. 145-1 I 1° du code de commerce, les dispositions du présent chapitre s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise du secteur des métiers et de l'artisanat immatriculé au registre national des entreprises, accomplissant ou non des actes de commerce, et en outre aux baux de locaux ou d'immeubles accessoires à l'exploitation d'un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l'exploitation du fonds et qu'ils appartiennent au propriétaire du local ou de l'immeuble où est situé l'établissement principal. En cas de pluralité de propriétaires, les locaux accessoires doivent avoir été loués au vu et au su du bailleur en vue de l'utilisation jointe.
En l'espèce, il n'est pas discuté que la terasse qui est attenante au fonds de commerce est la propriété de la société Ayssia, propriétaire du local dans lequel ce fonds est exploité par la société Hipponne. L'appelante ne démontre pas que celle-ci constituerait un immeuble accessoire qui serait indispensable à l'exploitation de son fonds de commerce. Elle n'établit pas, sur la base d'une attestation rédigée par son expert-comptable, que la privation de celle-ci serait en effet de nature à compromettre l'exploitation de son fonds de commerce. Le seul fait que l'exploitation de la terrasse permet au locataire d'accroître son chiffre d'affaire, en particulier durant la période estivale, ne permet pas d'établir que la privation de celle-ci serait de nature à compromettre l'exploitation du fonds, compte tenu notamment de son importance en comparaison avec le chiffre d'affaire global de la société Hippone.
Il convient pour ces motifs de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté la société Hippone de sa demande de soumission de la terrasse, attenante son fonds de commerce au statut des baux commerciaux, en application des dispositions de l'article L. 145-1 I 1° du code de commerce.
* Sur la cave :
Il est constant que le bail conclu le 3 juillet 2020 ne porte pas sur la cave ou même sur une partie, celle-ci étant commune à l'immeuble. La société Hippone ne rapporte pas la preuve qu'elle serait titulaire d'un bail verbal sur cette cave, lequel aurait été conclu avec la société Assya, depuis son entrée dans les lieux. Elle ne verse aux débats aucun élément de nature à établir qu'elle aurait reçu de la bailleresse l'autorisation d'occuper une partie de celle-ci pour y stocker du matériel et des marchandises.
L'appelante ne démontre pas davantage que la privation de la jouissance de la cave commune serait de nature à compromettre l'exploitation de son fonds de commerce, sachant que le bail porte sur des locaux d'une superficie de 133 m2 et que les locaux comprennent 'une pièce de stockage' située au rez-de-chaussée, comme il est précisé dans ce dernier (cf. page 2 du bail - 'désignation de l'immeuble loué' ). La décision de changer la destination de cette pièce en salle de restauration qui a été prise unilatéralement par le locataire, sans l'accord écrit ou même verbal de la société Assya, ne permet pas de fonder son caractère accessoire à l'exploitation de son fonds de commerce. Le bail prévoit en effet un espace de stockage dédié, dont il n'est pas démontré, ni même allégué, que sa superficie ne permettrait pas d'entreposer le matériel et les marchandises nécessaires à l'activité de restaurateur.
Enfin, il est établi par le plan du local commercial que les compteurs et les arrivées d'eau, de gaz et d'électricité, alimentant le fonds de commerce, sont situés dans la cave de l'immeuble qui est à la disposition de l'ensemble des locataires. La société Hippone ne peut dans ces conditions revendiquer un usage exclusif de celle-ci, au motif que son utilisation privative serait indispensable à l'exploitation du restaurant.
En conclusion, la société Hippone ne peut prétendre que la cave, qu'elle occupe de fait depuis la conclusion du bail, constituerait un accessoire des lieux principaux loués, au sens des dispositions de l'article L. 145-1 du code de commerce, et que celle-ci devrait être soumise au statut des baux commerciaux.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté la société Hippone de sa demande formée de ce chef.
- Sur la demande de résiliation formée par la société Assya :
Aux termes de l'article 1729 du code civil, si le preneur n'use pas de la chose louée raisonnablement ou emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail.
L'article 1741 du même code dispose par ailleurs que le contrat de louage se résout par la perte de la chose louée, et par le défaut respectif du bailleur et du preneur de remplir leurs engagements.
Au soutien de sa demande de résiliation du bail, la société Assya fait grief à la société Hippone d'avoir gravement manqué à son obligation de payer les loyers et charges du bail, ainsi qu'à celle de respecter la spécialité du bail. Elle lui reproche également d'avoir troublé le voisinage par l'organisation régulière d'événements festifs au sein des locaux donnés à bail.
S'agissant du premier manquement allégué, l'article 1728 2° du code civil rappelle que le preneur est tenu de payer le prix du bail aux termes convenus. Le contrat de bail précise à cet effet que le loyer initial de 10 80 euros par an est payable mensuellement en termes égaux de 900 euros le 1er de chaque mois, étant majoré de l'indexation d'usage prévue en matière de baux commerciaux.
A l'appui d'une attestation de son expert-comptable, la société Assya reproche d'abord au locataire des retards répétés de quelques jours dans le paiement des loyers exigibles le 1er de chaque mois. La société Hippone ne conteste pas sur ce fait que le règlement des loyers n'intervient pas au 1er de chaque mois, mais généralement entre le 6 et le 8 du mois, expliquant les retards concernés parles délais de traitement du virement automatique opéré mensuellement par sa banque.
Toutefois, sur ce premier moyen, le tribunal judiciaire de Nancy a justement considéré que les retards allégués ne présentaient pas un degré de gravité suffisant pour motiver le prononcé de la résiliation du bail aux torts du locataire. La société Assya ne justifie pas en effet avoir jusqu'à présent mis en demeure la société Hippone de se conformer à son obligation de payer le loyer au 1er de chaque mois, n'alléguant au surplus aucun préjudice né du retard de quelques jours dans les virements effectués. La société Hippone justifie par ailleurs que les loyers sont acquittés à la bailleresse, au moyen de prélèvements automatiques opérés mensuellement depuis son compte courant, ces derniers ayant tous été honorés depuis la signature du bail, ce qui n'est pas contesté par la société Assya.
La société Hippone fait valoir également qu'elle a fait délivré à la société Hippone, le 5 décembre 2023, un commandement de payer la somme de 2 068,87 euros, visant la clause résolutoire, se décomposant comme suit :
* 1 992,34 euros au titre de sa quote-part de la taxe foncière 2023 ;
* 76,63 euros au titre du solde de loyer dû au mois de novembre 2023 ;
La société Hippone observe cependant que la première somme de 1 992,34 euros qui lui est réclamée au titre de sa quote-part de la taxe foncière de l'année 2023 n'est pas justifiée. Cette dernière correspond au tiers de la taxe foncière afférente à l'immeuble, alors qu'elle n'occupe sur les trois étages que le rez-de-chaussée qu'elle partage de surcroît avec un second fonds de commerce. Par ailleurs, elle verse aux débats une simulation établie, le 2 mai 2024 par les services fiscaux, estimant la taxe foncière due par l'appelante à seulement 1 605 euros.
La société Assya ne fournit dans ses conclusions d'intimée aucune explication sur son calcul de la quote-part de la taxe foncière revenant à son locataire, ainsi que sur l'écart entre celle-ci et la simulation produite. Le paiement de la somme visée au commandement du 5 décembre 2023 au titre de la taxe foncière 2023 n'étant pas justifié dans ces conditions, le manquement du locataire à son obligation de payer les charges concernées n'est pas fondé.
Concernant le reliquat des loyers (76,63 euros), la société Hippone démontre que la révision de ces derniers par la bailleresse, à hauteur de 76,42 euros par mois, appliquée depuis le 1er novembre 2023, est erronée, celle-ci étant limitée à 47,42 euros. Le calcul opéré par la société Assya ne tient pas compte en effet du plafonnement introduit par les dispositions de la loi du 16 août 2022, portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, lesquelles prévoient que l'indice des loyers commerciaux, applicable entre le 2ème trimestre 2022 et 1er trimestre 2024, est plafonné à 3,5%.
Il s'ensuit que le loyer révisé au 1er novembre 2023 s'élève à 947,72 euros, et non à 976,62 euros comme retenu à tort par la société Assya. Le manquement du locataire à son obligation de payer le loyer n'est donc pas établi.
L'article 1728 du code civil impose au locataire d'user de la chose louée suivant la destination donnée par le bail. Il en résulte qu'il ne peut pas modifier son activité, sauf à obtenir l'accord du bailleur. Par ailleurs, en application de l'article 1729 du code civil, si le preneur n'use pas de la chose louée raisonnablement ou emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail.
Le bail en date du 3 juillet 2020 stipule au chapitre 'affectation des lieux loués' que le preneur déclare 'qu'il entend exercer dans les lieux l'activité de café-restaurant' et précise au point 'B 'Activités autorisées' : 'le preneur ne pourra utiliser les lieux loués qu'à usage de commerce café-restaurant. Les lieux loués ne pourront être affectés même temporairement à un autre usage et il ne pourra être exercé aucune autre activité que celle indiquée ci-dessus'.
Il est établi par les pièces produites aux débats par la société Assya que la société Hippone n'a pas respecté la spécialité du bail, limitée en l'espèce à l'exercice d'une activité de café-restaurant, en proposant à sa clientèle de privatiser les locaux donnés à bail, pour y organiser de manière fréquente et régulière des repas ou des événements festifs, notamment à l'occasion de mariages et d'anniversaires, pendant la semaine ou le week-end, et même le dimanche, jour de fermeture de l'établissement.
Au soutien de son appel, la société Hippone conteste le manquement invoqué par la bailleresse, au motif qu'elle exploite une restaurant ayant pour activité principale 'la restauration traditionnelle avec un service sur place', et pour activité secondaire la vente à emporter. Elle reconnaît avoir organisé depuis la signature du bail 26 'événements' à caractère privé ou professionnel, répondant tous à des réservations faites par ses clients de la totalité de la salle de restaurant durant les heures d'ouverture en vue d'y organiser ponctuellement des fêtes et des moments festifs. Elle considère cependant qu'il s'agit en l'occurrence d'une activité connexe et complémentaire à son activité principale de restaurateur, et que celle-ci ne déroge pas par conséquent à la spécialisation du bail, telle que prévue et limitée à l'activité de café-restaurant par les clauses susvisées.
Il ressort cependant des témoignages produits, mais également des nombreuses publicités diffusées par la société Hippone sur les réseaux sociaux que parallèlement à son activité de café-restaurant, elle a développé une activité complète d'organisation d'événements privés, consistant en la mise à disposition de sa clientèle des lieux loués en guise de salle des fêtes avec l'assurance d'un service de traiteur et d'animation musicale.
Conformément à l'article L. 145-47 du code de commerce, le locataire peut certes adjoindre à l'activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires. Toutefois, contrairement à ce que soutient l'appelante, cette activité, dont il est établi par les témoignages qu'elle s'exerçait régulièrement en dehors des heures d'ouverture du restaurant (en particulier le dimanche) ne peut être assimilée à une activité connexe ou complémentaire à l'activité de café-restaurant définie au bail, compte tenu de l'importance et de la fréquence des événements organisés par le locataire.
La mise à disposition par la société Hippone à ses clients des locaux loués, à titre de salle des fête, et l'assurance d'un service de traiteur constituent en tout état de cause des activités qui de part leur nature sont distinctes de celle de café-restaurant spécifiée au bail. Ces dernières ne peuvent être assimilées, comme le prétend l'appelante, à des activités connexes ou complémentaires à la première, au sens des dispositions précitées.
Au vu de ces observations, l'activité déployée par la société Hippone au sein des lieux loués ne peut être incluse dans l'activité commerciale de café-restaurant autorisée par le bail. Compte tenu d'une part de la fréquence des événements recensés, dont 26 sont reconnus par le locataire, d'autres part du nombre important de convives participant à ces derniers, tels qu'il ressort des photographies eu du constat dressé le 7 mai 2024 par Me [V], la société Assya justifie d'un premier manquement grave du locataire à ses obligations justifiant la résiliation du bail aux torts de ce dernier.
Conformément à l'article 1728 1° du code civil, le preneur est tenu d'user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d'après les circonstances, à défaut de convention. La partie du bail 'obligations du preneur' sous son point C ('conditions de jouissance') précise que 'le preneur devra veiller à ce que la tranquilité et la qualité de l'immeuble et de son voisinage ne soient troublées en aucune manière du fait notamment de son commerce, de ses clients, de son personnel, ou de ses fournisseurs'.
Il est établi en l'espèce par les témoignages circonstanciés des locataires, ainsi que des anciens occupants de l'immeuble, que les événements festifs organisés dans les locaux donnés à bail génèrent des troubles du voisinage, se manifestant par des nuisances sonores et le rassemblement et d'un nombre important de convives dans la salle du restaurant et sur sa terrasse attenante, en particulier le soir et le dimanche en dehors des heures d'ouverture.
Reprenant en détail le contenu des attestations rédigées par les occupants de l'immeuble, le tribunal judiciaire de Nancy souligne à juste titre que les nuisances sonores occasionnées par les événements festifs organisés au sein du restaurant Hippone sont particulièrement importantes, compte tenu notamment de leur fréquence et de leur durée respective, ces derniers se poursuivant le plus souvent à des heures tardives.
Les constats dressés respectivement les 28 mai 2023, 22 juin 2023 (exploitation des vidéos privées faites par les locataires de l'immeuble [Adresse 1]) et 1er juillet 2023 confirment la réalité et l'importance des troubles du voisinage qui ont été dénoncés par les occupants actuels des lieux à M. [D] [B], gérant de la société Assya, dont deux selon ses dires ont déjà donné leur congé, faute de pouvoir jouir paisiblement de leur logement. Contrairement à ce qu'affirme la société Hippone, les procès-verbaux dressés par Me [N] [X], commissaire de justice, décrivent de manière précise et circonstanciée les troubles du voisinage générés par les réceptions organisées par l'appelante, s'agissant notamment des nuisances sonores occasionnées par la musique et les éclats de voix des participants.
La société Hippone conteste les témoignages versés aux débats par la bailleresse, et produit ceux d'autres riverains, faisant état de l'absence nuisances générées par ses activités. Elle produit également deux attestations du maire de Jarville-la-Malgrage, affirmant qu'aucune plainte n'a été portée à sa connaissance ou à celle de la police municipale émanant des locataires de l'immeuble, des propriétaires ou du voisinage au sujet d'éventuels troubles générées par les activités de la société Hippone.
Il convient cependant de relever que les attestations produites par la société Hippone émanent de riverains, résidant sur le territoire de la commune de Jarville-la-Malgrange, et non des occupants de l'immeuble qui en supportent directement les nuisances, comme le précise le tribunal judiciaire de Nancy dans sa motivation. Par ailleurs, les attestations établies par le maire de [Localité 3] sont contredites par les propres affirmations de l'appelante, laquelle a confirmé qu'un occupant de l'immeuble a appelé la police, le 11 février 2024 pour se plaindre de nuisances sonores, mais qu'aucune infraction n'a été relevée (cf. page 30 des conclusions d'appel).
Au vu de ces éléments, la société Assya rapporte la preuve des troubles du voisinage occasionnés par l'organisation d'événements répétés au sein des lieux loués à la société Hippone au mépris de la destination des lieux loués, telle que définie au contrat de bail. Le manquement grave du locataire aux obligations précitées est suffisamment grave pour justifier la résiliation du bail, compte tenu de l'atteinte importante ainsi causée à la tranquilité de l'immeuble et de ses occupants décrite précédemment par les témoins.
Il convient pour ces motifs de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a prononcé la résiliation du bail, conclu le 3 juillet 2020 entre les sociétés Assya et Hippone, et ordonné en conséquence l'expulsion de cette dernière. Succombant dans son appel, le locataire est débouté de sa demande de dommages-intérêts formée au titre du préjudice économique et financier.
Il résulte de ce qui précède que le loyer révisé au 1er novembre 2003 s'élève à la somme mensuelle de 947,72 euros des dispositions de la loi du 16 août 2022, portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat prévoyant le plafonnement de l'indice des loyers commerciaux entre le 2ème trimestre 2022 et 1er trimestre 2024 à 3,5%. Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a fixé le montant de l'indemnité d'occupation mensuelle à 977,25 euros et de fixer à nouveau celle-ci à 947,72 euros.
- Sur les mesures accessoires :
Il convient de confirmer le jugement entrepris, en ces dispositions relatives aux dépens et à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Hippone est condamnée aux entiers frais et dépens de l'appel. Elle est également déboutée de sa demande formée devant la cour au titre des frais irrépétibles de procédure.
La société Hippone est condamnée à payer à la société Assya la somme de 3 000 euros au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a fixé le montant de l'indemnité d'occupation due par la société Hippone à la société Assya à la somme de 977,25 euros par mois ;
Le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau sur ce chef infirmé et ajoutant :
Fixe à la somme de 947,72 euros par mois le montant de l'indemnité d'occupation due par la société Hippone à la société Assya ;
Déboute la société Hippone de sa demande formée au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Hippone aux entiers frais et dépens d'appel ;
Condamne la société Hippone à payer à la société Assya la somme de 3 000 euros au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Olivier BEAUDIER, conseiller à la chambre commeciale faisnt fonction de président , à la Cour d'Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.