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Décisions

CA Aix-en-Provence, 4e et 5e ch. réunies, 14 février 2019, n° 18/08647

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

La Côte Varoise (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salvan

Conseillers :

M. Laurent, Mme Alvarade

Cons. de Prud'h. Toulou, du 11 mai 2018,…

11 mai 2018

Engagé par la SARL La CÔTE VAROISE à compter du 1er janvier 2018, en qualité de boucher charcutier traiteur, contrat précédé d'une première embauche suivie d'une démission en 2016, M.N. a signalé à l'administration, le 3 février 2018, diverses violations des règles d'hygiène alimentaire et mauvaises pratiques commerciales ayant entraîné des remarques de la part de certains clients, commises selon lui par son employeur.

L'administration a accusé réception de son courriel le 14 février 2018 en indiquant qu'elle le prenait en compte dans la programmation des enquêtes à venir.

Par lettre remise en main propre contre décharge, le 15 février 2018, M. N. a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé le 26 février 2018 et mis à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 7 mars 2018, il a été licencié pour faute grave aux motifs, entre autres de manquements aux règles d'hygiène alimentaire (lasagnes avariées et moisies en rayon, viande périmée dans le frigo, vitrine intérieure du rayon plats cuisinés non nettoyée, déchets non jetés dans les containers adéquats (...) ) .

M. N. a saisi la juridiction des référés par acte du 23 mars 2018 au visa de l'article R1455-6 du code du travail conférant au juge des référés le pouvoir de statuer même en cas de contestation sérieuse s'il constate un trouble manifestement illicite et de l'article L1132-3-3 du code du travail protégeant le lanceur d'alerte, afin d'obtenir, à titre provisionnel, diverses indemnités à valoir sur son préjudice, pour licenciement nul et en l'absence de demande de réintégration.

Par ordonnance du 11 mai 2018, la formation des référés du Conseil de prud'hommes de Toulon a dit n'y avoir lieu à référé et a invité les parties à mieux se pourvoir devant le juge du fond, a laissé les dépens à la charge de M. N..

Le 23 mai 2018, M. N. a interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 16 mai 2018.

Aux termes de ses dernières écritures transmises par la voie électronique le 4 juin 2018, M. N., invoque à son profit les dispositions issues de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 instaurant le régime de l'alerte et la protection du lanceur d'alerte. Il en déduit que comme en matière de harcèlement et de discrimination, il présente les éléments de fait laissant présumer les faits qu'il dénonce et qu'il appartient dès lors à l'employeur de prouver que sa décision est objective et étrangère à la dénonciation. Il précise que la matérialité et l'antériorité de la dénonciation sont établis, qu'il ne peut y avoir contestation sérieuse sur le droit, et qu'il a bien signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi susvisée, qu'enfin l'employeur a réagi immédiatement à cette alerte faite le 14 février en décidant dès le lendemain de le licencier.

Il estime illicite la lettre de M. A. en date du 22 mars 2018 (pièce n° 13) produite par l'employeur et sans portée probatoire l'écrit de la société Dibexc et le ticket de caisse du 10 février 2018, tous éléments de preuve produits par l'employeur.

Il demande de recevoir la question prioritaire de constitutionnalité (demande non développée) de dire que la pièce n°13 est illicite et porte atteinte à son honneur et à sa réputation et de condamner la SARL La CÔTE VAROISE au paiement d'une provision de 1 000 euros à valoir sur le préjudice en résultant, de condamner l'employeur, en l'absence de demande de réintégration au paiement à titre provisionnel des sommes suivantes :

-1 527,42 euros à titre de salaire pour la période du 16 février 2018 au 7 mars 2018 et 152,74 euros de congés payés y afférents,

-501,75 euros à titre indemnité de préavis et 50,17 euros de congés payés sur préavis,

-13 045,44 euros à titre de dommages-intérêts

Il sollicite enfin la condamnation de la SARL La CÔTE VAROISE aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 2 500 euros au titre des frais non-répétibles exposés.

Aux termes de ses dernières écritures transmises par la voie électronique le 27 juin 2018, la SARL La CÔTE VAROISE demande à la cour de confirmer l'ordonnance critiquée après avoir dit et jugé que les circonstances de l'espèce excluent toute application et protection de la loi sur les lanceurs d'alerte, que la cour n'est pas compétente pour se prononcer en référé en l'état d'une contestation sérieuse et qu'en l'absence de trouble manifestement illicite la juridiction des référés n'est pas compétente, de débouter M. N. de ses demandes et de le condamner aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La SARL La CÔTE VAROISE oppose le fait que M. N. s'est emparé d'un courrier de réclamation d'un client le concernant (pièce n°13), dont il a été informé le 3 février 2018 jour de son signalement à l'administration pour détourner à son profit la protection légale conférée au lanceur d'alerte, dont il ne remplit pas selon elle les conditions, faute d'information donnée à l'employeur de son signalement à l'administration, comme le requiert l'article 8 de la loi du 9 décembre 2016, et en l'absence de danger grave et imminent ou d'un risque de dommages irréversibles permettant de porter directement les faits à la connaissance des organismes, risque non établi en sa matérialité même.

Elle rappelle que la rupture du contrat de travail ne caractérise en rien un trouble manifestement illicite ni un dommage imminent qu'il convient de prévenir et que seul le juge du fond est compétent pour apprécier les demandes de M. N. qui nécessitent un débat de fond.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties et à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DECISION

La concomitance entre le licenciement et le signalement de M. N. à l'administration de diverses violations des règles d'hygiène alimentaire est un fait constant.

Il convient de considérer que le licenciement d'un lanceur d'alerte prononcé pour des faits en relation avec ladite alerte constitue un trouble manifestement illicite que le juge du fond est compétent pour faire cesser.

Mais, sans qu'il soit besoin d'apprécier la portée probatoire des attestations versées au dossier, qui implique une appréciation de fond, il convient de constater que le bénéfice de la protection accordée au lanceur d'alerte par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 est au cas de M. N. sérieusement contesté.

La SARL La CÔTE VAROISE fait en effet exactement valoir que M. N. n'a pas préalablement signalé à son employeur les faits dénoncés, conformément à l'article 6 de la loi, et que par ailleurs, il n'établit pas la matérialité des faits constitutifs d'un danger d'un danger grave et imminent l'autorisant dans ce cas à le signaler directement à l'administration.

Dès lors que c'est la protection invoquée à son bénéfice par M. N. n'est pas avérée, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés, à l'instar de la protection accordée à un représentant du personnel, de se prononcer sur ses demandes tirées de l'atteinte à son statut constitutive d'un trouble manifestement illicite.

L'ordonnance de référé critiquée sera en conséquence confirmée et M ; N. débouté de ses plus amples demandes.

Succombant dans la présente instance, M. N. doit supporter les dépens et il y a lieu de le condamner à payer à la SARL La CÔTE VAROISE une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 800 euros ; M. N. doit être débouté de cette même demande.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud’homale,

Confirme l'ordonnance déférée,

Y ajoutant,

Déboute M. N. de ses demandes,

Condamne M. N. à payer à la SARL La CÔTE VAROISE une somme de 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. N. aux dépens de la procédure d'appel,

Rejette toute autre demande.