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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 20 juin 2024, n° 23/10827

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Five Invest (SAS)

Défendeur :

Tyvist (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gerard

Conseillers :

Mme Combrie, Mme Vincent

Avocats :

Me Ciussi, Me Brom

TC Cannes, du 27 juill. 2023, n° 2023R00…

27 juillet 2023

EXPOSE DU LITIGE

La SAS POSTO PUBBLICO, constituée le 11 novembre 2016 par la SAS FIVE INVEST (dont la nouvelle dénomination sociale est la Sas Posto Groupe), exploite un fonds de commerce de bar, cave à vins et bar à tapas sis [Adresse 2] à [Localité 3], sous l'enseigne « POSTO PUBBLICO », jouxtant le fonds de commerce de bar à vin, café, brasserie, snack, vente à emporter exploité par la SAS TYVIST sous l'enseigne « Vintage » depuis le 11 septembre 2014.

Suivant avenant à son contrat de travail en date du 1er février 2018, M. [R] [P], auparavant employé en qualité de commis, a exercé les fonctions de responsable de l'établissement POSTO PUBBLICO.

Le 24 février 2023, la SAS POSTO PUBBLICO a fait signifier à la SAS TYVIST une sommation lui faisant interdiction de salarier ou de faire intervenir sous quelque forme que ce soit M. [R] [P] dans l'activité de l'établissement. Par courrier recommandé du 27 février 2023, M. [R] [P] adressait à la SAS POSTO PUBBLICO sa démission.

Avançant des actes de concurrence déloyale commis à son encontre, la SAS FIVE INVEST a fait assigner la SAS TYVIST par exploit délivré le 4 avril 2023, devant le juge des référés du tribunal de commerce de Cannes, aux fins de voir interdire à cette dernière de salarier ou de faire intervenir sous quelque forme que ce soit M. [R] [P] et les salariés ayant été employés au POSTO PUBLICCO dans le cadre de son établissement, sous astreinte, d'utiliser le fichier client et de contacter ou démarcher la clientèle du Posto PUBLICCO, sous astreinte.

Par ordonnance du 27 juillet 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Cannes a :

- dit la demande principale de la Sas Five Invest hors le pouvoir juridictionnel du juge des référés et l'a rejetée ;

- dit irrecevable la demande d'astreinte de la SAS FIVE INVEST ;

- renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;

- condamné la Sas Five Invest aux frais de l'instance et à payer à la SAS TYVIST la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

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Par acte du 11 août 2023, la SAS FIVE INVEST a interjeté appel de cette ordonnance.

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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 2 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SAS FIVE INVEST, désormais dénommée la SAS POSTO GROUPE soutient que :

- outre le fait que la contestation sérieuse n'est pas caractérisée, le juge des référés se trouvait compétent pour prévenir un dommage imminent et faire cesser un trouble manifestement illicite, lequel est manifestement caractérisé, s'agissant de toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou non, constitue une violation évidente de la règle de droit ;

- le dommage imminent est caractérisé au regard du comportement déloyal de la Sas Tyvist, laquelle a non seulement débauché M. [R] [P] et d'anciens salariés du Posto Pubblico, mais a également détourné sa clientèle par confusion, et s'est appropriée par l'intermédiaire de M. [R] [P] son savoir-faire, sa notoriété, et ses investissements réalisés, créant ainsi une confusion entre les établissements dans l'esprit de la clientèle ;

Au visa des articles 802 et 873 du code de procédure civile, L3322-9 du code de la santé publique, elle sollicite de la cour de :

- ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture du 29 avril 2024 et la clôture de l'audience de plaidoiries du 16 mai 2024 et déclarer recevables et admettre les écritures notifiées le 2 mai 2024 et les nouvelles pièces ;

- réformer dans toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 27 juillet 2023 par le juge des référés du tribunal de commerce de Cannes en ce qu'il a :

- dit la demande principale de la Sas Five Invest hors le pouvoir juridictionnel du juge des référés et l'a rejetée ;

- dit irrecevable la demande d'astreinte de la Sas Five Invest ;

- renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;

- condamné la Sas Five Invest aux frais de l'instance et à payer à la SAS TYVIST la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- statuant à nouveau, interdire à la SAS TYVIST de salarier ou de faire intervenir sous quelque forme que ce soit M. [R] [P] et les salariés ayant été employés au POSTO PUBBLICO dans le cadre de son établissement sis [Adresse 1] à [Localité 3] ;

- interdire à la SAS TYVIST d'utiliser le fichier client du Posto PUBBLICO collecté illicitement par M. [R] [P] sur son téléphone personnel ;

- interdire à la SAS TYVIST de contacter et/ou de démarcher de quelque façon que ce soit la clientèle du Posto PUBBLICO ;

- interdire à la SAS TYVIST d'organiser des soirées ou tout évènement open bar ;

- interdire à la SAS TYVIST d'utiliser sur tout support les photographies précédemment utilisées par Posto PUBBLICO dans le cadre de ses opérations évènementielles ;

- assortir chacune de ces mesures d'interdiction d'une astreinte journalière de 10.000 € par jour et par infraction constatée ;

- réserver la compétence du juge des référés pour la liquidation de l'astreinte ;

- condamner la SAS TYVIST à lui payer la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance ;

- Y ajoutant, condamner la SAS TYVIST à payer à la Sas Five Invest la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens au titre de la procédure d'appel.

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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 6 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SAS TYVIST réplique que :

- la SAS POSTO GROUPE a saisi le tribunal de commerce de Cannes, statuant au fond, outre des demandes indemnitaires, des mêmes demandes et de la même argumentation que celle formulée devant le juge des référés, et devant la cour statuant en sa formation des référés ; l'instance en référé a été initiée alors que l'établissement n'était pas encore ouvert à la clientèle ; la compétence du juge des référés n'est dès lors pas fondée ;

- la notion de dommage imminent suppose que soit caractérisé un risque dont la probabilité est certaine qu'un dommage irréversible se produise, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, les deux établissements coexistant depuis 2016, se situant dans un secteur très concurrentiel et le POSTO PUBBLICO ne justifiant d'aucun savoir-faire particulier susceptible de mériter protection ;

- la démission de M. [R] [P] ne constitue aucunement un acte illicite, alors qu'il ne détient aucun savoir-faire particulier, n'est lié par aucune clause de non-concurrence, et que son débauchage n'est pas caractérisé ; aucun débauchage d'anciens salarié ou détournement de clientèle ne sont démontrés, de même qu'aucun acte de parasitisme, le Posto PUBBLICO ne disposant d'aucun concept ou savoir-faire particulier ; la simple perte du chiffre d'affaires ne peut à elle seule démontrer l'existence d'actes de concurrence déloyale.

Au visa des articles 802 et 873 du code de procédure civile, elle demande à la cour de :

- ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture du 29 avril 2024 et fixer la clôture à l'audience des plaidoiries du 16 mai 2024 ;

- déclarer recevables et admettre aux débats ses conclusions notifiées le 6 mai 2024 et ses nouvelles pièces ;

- à titre principal, dire et juger n'y avoir lieu à référé ;

- débouter la Sas Posto Groupe de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

- confirmer, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 27 juillet 2023 par le juge des référés du tribunal de commerce de Cannes ;

- à titre subsidiaire, débouter la SAS POSTO GROUPE de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

- confirmer dans toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 27 juillet 2023 par le juge des référés du tribunal de commerce de Cannes ;

- en tout état de cause, condamner la SAS POSTO GROUPE au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SAS POSTO GROUPE aux entiers dépens de première instance et d'appel, ceux d'appel distraits au profit de Me Marie-Line BROM ;

MOTIFS

- Sur la compétence du juge des référés

Aux termes de l'article 872 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

Par ailleurs, en application de l'article 873 du même code, le président peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En l'espèce, la SAS FIVE INVEST, désormais dénommée la SAS POSTO GROUPE, fait grief à la SAS TYVIST d'avoir commis des actes de concurrence déloyale à son encontre, consistant notamment dans le débauchage de ses salariés, parmi lesquels son responsable d'établissement, l'appropriation d'informations confidentielles et de son savoir-faire, de nature à faire naître dans l'esprit de la clientèle une confusion.

La SAS TYVIST rétorque que l'établissement Le POSTO PUBLICCO ne détient aucun savoir-faire particulier, s'agissant d'un bar situé dans une zone géographique très concurrentielle, qu'aucun débauchage n'est démontré par la société appelante, et qu'aucun détournement de clientèle ne saurait lui être reproché.

Si le juge des référés n'a pas à apprécier le bien-fondé des comportements dénoncés par la SAS FIVE INVEST, compétence dévolue au seul juge du fond, il lui appartient en revanche d'apprécier si les actes reprochés revêtent un caractère manifestement illicite, ou de nature à exposer la victime à un dommage imminent, et de prendre toutes mesures conservatoires ou de mise en état qui s'imposent.

Au cas présent, si la situation concurrentielle des deux établissements ne peut être niée, au regard de leur implantation géographique, et du secteur similaire d'activité concerné, il est toutefois à rappeler que la concurrence est déloyale dès lors qu'elle s'accompagne d'agissements contraires aux règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires.

A cet égard, la SAS FIVE INVEST échoue à démontrer le caractère manifestement illicite des agissements reprochés, alors qu'aucune clause de non-concurrence ne liait M. [R] [P], responsable d'établissement, à la société appelante, que le débauchage fautif des salariés et la désorganisation de l'établissement en résultant ne ressort manifestement pas des pièces versées, tout comme la démonstration d'un savoir-faire particulier, et le détournement de clientèle, en l'absence de tout fichier de clientèle existant, ou dont l'existence est démontrée.

Une perte de chiffres d'affaires, s'agissant d'un secteur très concurrentiel, ne saurait dès lors à elle seule démontrer l'existence d'un dommage imminent, étant observé que la concurrence existant entre deux sociétés, spécialisées dans un secteur de marché similaire, ne constitue pas en soi un acte fautif en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie.

Enfin, les demandes d'interdictions présentées par la SAS FIVE INVEST, outre le fait qu'elles ne sont pas justifiées en l'absence de tout trouble manifestement illicite ou dommage imminent caractérisés, présentent un caractère disproportionné au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie.

Au surplus, les divergences existant entre les parties sont suffisantes à caractériser l'existence d'une contestation sérieuse, qu'il n'appartient pas au juge des référés, juge de l'évidence, ni à la cour, statuant en sa formation des référés, de trancher, étant précisé que le juge du fond est saisi des mêmes demandes et des mêmes moyens que ci-avant développés, l'affaire étant mise en délibéré.

En conséquence, il y a lieu de confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions

- Sur les demandes accessoires

La SAS FIVE INVEST, partie succombante, conservera la charge des entiers dépens de la procédure d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et sera tenue de payer à la SAS TYVIST la somme de 1.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 27 juillet 2023 par le juge des référés du tribunal de commerce de Cannes,

Y ajoutant,

Dit que la SAS POSTO GROUPE, anciennement dénommée SAS FIVE INVEST, sera condamnée aux entiers dépens de l'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne la Sas Posto Groupe, anciennement dénommée SAS FIVE INVEST, à payer à la SAS TYVIST la somme de 1.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l'appel.