CA Angers, ch. prud'homale, 20 juin 2024, n° 21/00513
ANGERS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Portmann
Conseillers :
Mme Triquigneaux-Maugars, Mme Chambeaud
Avocats :
Me Heurton, Me Cren
FAITS ET PROCÉDURE
La Sas [O] Automobiles exerçant sous l'enseigne Carslift, était une société d'intermédiaire de vente de véhicules d'occasion entre particuliers.
Le 20 juin 2019, M. [R] [B] a signé avec la société [O] Automobiles un accord de partenariat commercial d'une durée de deux ans, moyennant une rémunération de 35% de la commission nette sur toutes les ventes réalisées par ses soins.
Le 28 juin 2019, M. [B] a été immatriculé au registre spécial des agents commerciaux du tribunal de commerce d'Angers pour un début d'activité au 1er juin 2019.
Le 19 juin 2020, la société [O] Automobiles a mis un terme au contrat de partenariat.
Le 28 août 2020, M. [B] a saisi le conseil de prud'hommes d'Angers aux fins de voir requalifier son contrat de partenariat commercial en un contrat de travail à durée déterminée le liant à la société [O] Automobile, et se voir allouer des dommages et intérêts pour rupture anticipée du contrat à durée déterminée, une indemnité de fin de contrat, des congés payés, un rappel de salaire sur heures supplémentaires et les congés payés afférents, une indemnité pour travail dissimulé, et des dommages et intérêts pour non-respect d'une clause de non-concurrence illicite.
Par jugement du tribunal de commerce d'Angers du 28 octobre 2020, la société [O] Automobiles a été placée en liquidation judiciaire et Me [I] désigné en qualité de mandataire liquidateur.
Par jugement du 23 août 2021 le conseil de prud'hommes d'Angers a :
- donné acte de l'intervention des AGS, dans la limite des plafonds prévus par la loi, pour le compte du CGEA de [Localité 9] ;
- rejeté la demande de M. [B] de production sous astreinte de l'agenda de prise de rendez-vous ;
- rejeté la demande de requalification du contrat de partenariat commercial en contrat de travail ;
- débouté M. [B] de l'ensemble de ses demandes subséquentes à la requalification du contrat commercial ;
- débouté M. [B] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamné M. [B] aux entiers dépens.
M. [B] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 17 septembre 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu'il énonce dans sa déclaration.
Le CGEA de [Localité 9], unité déconcentrée de l'UNEDIC, association agissant en qualité de gestionnaire de l'AGS, a constitué avocat en qualité de partie intimée le 1er octobre 2021.
Par assignation du 16 décembre 2021, M. [B] a fait citer Me [I], ès-qualités de mandataire liquidateur de la société [O] Automobiles devant la présente cour. Cet acte a été signifié à domicile. Me [I] ès-qualités n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 mars 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale du 2 avril 2024.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
M. [B] par conclusions régulièrement communiquées, transmises au greffe par voie électronique le 2 décembre 2021, ici expressément visées, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
- infirmer le jugement ;
- débouter l'AGS-CGEA de [Localité 9] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions;
- requalifier l'accord de partenariat commercial en un contrat de travail à durée déterminée ;
- dire et juger la rupture intervenue le 19 juin 2020 sans cause réelle et sérieuse ;
En conséquence :
- fixer sa créance aux sommes suivantes :
- 14 370,96 euros nets de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée du contrat à durée déterminée ;
- 2 634,67 euros nets de CSG-CRDS à titre d'indemnité de fin de contrat ;
- 1 197,58 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés ;
- 8 622,57 euros nets de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts pour non-respect d'une clause de non-concurrence illicite ;
- 13 457,88 euros au titre du paiement des heures supplémentaires ;
- 1 345,78 euros au titre de l'incidence congés payés ;
- 9 236,52 euros nets de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;
- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- intérêts de droit du jour de la demande.
M. [B] s'attache d'abord à démontrer l'existence d'un contrat de travail. Il prétend ensuite avoir réalisé de nombreuses heures supplémentaires et qu'en ne les réglant pas alors qu'il ne pouvait ignorer l'ampleur de son activité, l'employeur s'est rendu coupable de travail dissimulé. Il affirme enfin que la clause de non-concurrence incluse dans l'accord initial est illicite en ce qu'elle ne comprend pas de contrepartie financière.
* Le CGEA de [Localité 9], unité déconcentrée de l'UNEDIC, association agissant en qualité de gestionnaire de l'AGS par conclusions régulièrement communiquées, transmises au greffe par voie électronique le 2 mars 2022, ici expressément visées, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
- lui donner acte de son intervention ;
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Angers en toutes ses dispositions;
- en conséquence, débouter M. [B] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions;
- subsidiairement, lui donner acte de ce qu'il s'en rapporte à la justice sur les demandes afférentes à la rupture du contrat ;
- débouter M. [B] de sa demande au titre de la clause de non-concurrence, ou à tout le moins rapporter à de plus justes proportions le quantum des dommages et intérêts sollicités ;
- débouter M. [B] de sa demande au titre des prétendues heures supplémentaires ;
- débouter M. [B] de sa demande au titre du travail dissimulé ;
- au cas ou une créance serait fixée au profit de M. [B] à l'encontre de la liquidation de la société [O] Automobiles, dire et juger que cette créance ne sera garantie par l'AGS que dans les limites prévues par l'article L.3253-8 du code du travail et les plafonds prévus par les articles L.3253- 17 et D.3253-5 du même code ;
- condamner M. [B] aux entiers dépens.
Le CGEA de [Localité 9] conteste l'existence d'un contrat de travail et considère que M. [B] n'en apporte pas la preuve. Il rappelle ensuite les conditions de sa garantie.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la requalification du contrat de partenariat commercial en contrat de travail
M. [B] fait valoir qu'il a débuté son activité le 24 mai 2019 pour le compte de la société [O] Automobiles et que son inscription au registre des agents commerciaux lui a été imposée. Il prétend avoir été lié par un contrat de travail en ce qu'il devait prospecter dans un secteur géographique déterminé, qu'il était soumis à des horaires de travail, qu'il devait travailler dans les locaux avec du matériel fourni par l'entreprise, qu'il était tenu de rédiger des rapports et devait rendre compte de son activité, qu'il avait des cartes de visite mentionnant le numéro de téléphone et la boîte mail professionnelle de la société, qu'il recevait des instructions et qu'il n'avait aucune autonomie, notamment dans la détermination du prix de sa prestation. Il ajoute qu'il était soumis à des objectifs de vente, qu'il concluait des ventes pour le compte de la société, et ne pouvait développer sa propre clientèle.
Le CGEA de [Localité 9] considère que les éléments communiqués par M. [B] ne permettent pas de caractériser l'existence du contrat de travail. Il relève que son affirmation relative aux horaires imposés n'est pas corroborée, qu'il était libre d'organiser son temps à sa guise, que la mise à disposition d'un bureau n'est pas incompatible avec son indépendance, et que s'il devait réaliser un chiffre d'affaires pour la société [O] Automobiles, cela ne l'empêchait pas de développer sa propre clientèle. Il ajoute que M. [B] ne démontre l'existence d'aucun pouvoir de direction, de contrôle ou de sanction de la part de la société [O] Automobiles.
Selon l'article L.8221-6 du code du travail, sont notamment présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription, les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés ou au registre des agents commerciaux.
Toutefois, ce même article prévoit que l'existence d'un contrat de travail peut être établie lorsque les personnes mentionnées précédemment fournissent directement ou par
une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.
Par ailleurs, selon l'article L.134-1 du code du commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.
Enfin, l'existence d'un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité, et il appartient au juge de vérifier l'existence des éléments constitutifs de ce dernier, en particulier de celui essentiel que constitue le lien de subordination, lequel est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements d'un subordonné.
Ainsi, il existe une présomption de relation non salariale entre les parties et il appartient à M. [B] d'apporter la preuve qu'il fournissait directement ou par une personne interposée des prestations à la société [O] Automobiles dans des conditions qui le plaçait dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celle-ci.
En l'espèce, M. [B] invoque un certain nombre de faits qui peuvent être regroupés en quatre points, à savoir une activité exclusive au profit de la société [O] Automobiles (secteur déterminé, fixation d'objectifs, impossibilité de développer sa propre clientèle), dans un service organisé (adresse mail, téléphone, bureau, cartes de visite, matériel, lieu de travail et horaires imposés), des ordres et directives reçus (instructions, impossibilité de déterminer le prix de sa prestation), et le contrôle de l'exécution de la prestation (rédaction de rapports et obligation de rendre compte de son activité).
A titre liminaire, il convient de relever qu'aucun élément ne vient corroborer l'affirmation de M. [B] selon laquelle il s'est inscrit au registre des agents commerciaux à la demande expresse de la société [O] Automobiles et que les formalités auraient été réalisées dans ses locaux. Il en va de même de ses allégations relatives à un début d'activité le 24 mai 2019 alors qu'il ressort de son propre agenda qu'il a commencé le 24 juin 2019 (sa pièce 19) et qu'il ne justifie d'aucune activité antérieure pour le compte de la société [O] Automobiles.
1. Une activité exclusive au profit de la société [O] Automobiles
Pour justifier d'un secteur géographique déterminé et d'un objectif mensuel de 20000 euros HT, M. [B] se prévaut d'un mail général émanant de '[T]' informant ses cinq destinataires de ce que l'agence de [Localité 7] est classée 10ème en nombre de véhicules en ligne et celle d'[Localité 5] 13ème, la fin de la phrase étant tronquée et la date de ce mail non mentionnée (pièce 25). Aucune déduction ne saurait en être tirée quant à un éventuel secteur de M. [B]. Il ne mentionne en outre aucun objectif de ventes, étant précisé que le contrat de partenariat commercial ne prévoit ni secteur, ni objectif.
M. [B] se prévaut ensuite de l'impossibilité de développer une clientèle dans la mesure où il était tenu de consacrer l'intégralité de son temps et de sa disponibilité à la société [O] Automobiles. Or, comme vu précédemment il n'était soumis à aucun objectif, et il ne communique strictement aucun élément lui imposant de respecter des horaires ou l'empêchant d'accepter tout autre mandat.
2. Un service organisé
M. [B] justifie de ce qu'il disposait d'un bureau à l'agence, qu'il en avait les clés, qu'il y recevait des clients, et qu'il disposait de matériels fournis par l'entreprise (téléphone, mandats de vente).
Il résulte toutefois de l'article L.134-4 du code de commerce que le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.
L'accès à l'agence, la mise à disposition de locaux et de matériels, et la remise de formulaires de mandat de vente s'inscrivent directement dans ce cadre, étant précisé d'une part, s'agissant des cartes de visite, que c'est M. [B] lui-même qui en a sollicité l'impression le 26 mai 2020, et d'autre part que sa boîte mail n'est pas domiciliée carslift.fr à l'instar de celle de '[T]', mais qu'il a créé lui-même une adresse mail dédiée domiciliée gmail.com.
Contrairement à ses affirmations, rien ne vient corroborer le fait qu'il ait été imposé à M. [B] de travailler dans les locaux de l'agence, ni que sa présence ait été obligatoire pendant les horaires d'ouverture qu'au demeurant il dit communiquer, mais qui sont en réalité ceux d'une société Cartaplac (sa pièce 26).
Enfin, s'agissant des ventes, il sera rappelé qu'en application de l'article L.134-1 précité, l'agent commercial est un mandataire qui agit au nom et pour le compte de son mandant. M. [B] ne pouvait donc agir en son nom propre, et il est légitime qu'il ait conclu des ventes pour le compte de la société [O] Automobiles.
3. Des ordres et directives
Pour en justifier, M. [B] communique :
- deux témoignages de clients attestant qu'il était 'sous l'autorité du gérant' et 'qu'on sentait bien un rapport hiérarchique entre M. [O], responsable d'agence, et M. [B] son commercial' (pièces 5 et 7) ;
- deux mails lui transmettant sans aucun mot d'accompagnement, le guide du 'savoir-faire' en matière de prospection (pièce 29) et un message type à adresser par mail aux potentiels clients (pièce 32) ;
- un troisième mail lui transférant, toujours sans mot d'accompagnement, le message de la société Cartaplac au sujet d'une carte grise à effectuer par le cessionnaire d'un véhicule (pièce 31) ;
- un quatrième mail consistant en une demande de M. [B] sur le prix de reprise d'un véhicule et la réponse de M. [O] (pièce 9) ;
- un cinquième mail lui demandant de transmettre la cession d'un véhicule à 'Mr [N]' (pièce 10).
Les attestations des clients ne sont ni précises ni circonstanciées. Par ailleurs, si les échanges de mails s'inscrivent dans la nécessaire collaboration entre un mandataire et un mandant dont on rappellera qu'ils poursuivent un intérêt commun conformément à l'article L.134-4 du code de commerce, ils sont insuffisants à justifier les affirmations de M. [B] selon lesquelles il n'avait aucune autonomie et devait prendre ses instructions auprès du dirigeant, M. [O], aucune exigence de cet ordre n'étant avérée de la part de ce dernier.
4. Le contrôle de l'exécution de la prestation
L'article L.134-4 alinéa 2 du code de commerce prévoit que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.
L'article 8 de l'accord de partenariat commercial intitulé 'Informations - Rapports - Documents' prévoit que 'le bénéficiaire (M. [B]) tiendra la partie divulgatrice (la société [O] Automobiles) au courant du résultat de ses opérations. Les modalités de cette information sont laissées entièrement à son initiative, mais celle-ci devra être suffisamment abondante pour que la société Carslift puisse l'utiliser dans sa gestion et lui remettra tous les documents nécessaires pour une éventuelle négociation avec ses clients'.
Cette disposition qui ne précise ni le rythme ni le degré de précision des informations à apporter à la société [O] Automobiles s'inscrit directement dans le devoir d'information précité. M. [B] ne justifie d'ailleurs pas du moindre rapport transmis à la société [O] Automobiles qui n'a pas davantage formulé de demande à ce titre.
M. [B] se prévaut ensuite d'un mail de '[T]' lui signalant une erreur quand au modèle d'un véhicule, et de sa réponse, à savoir qu'il en est 'désolé' (sa pièce 28). Ce mail unique, n'émanant pas du dirigeant de l'entreprise et rectifiant une erreur ponctuelle de M. [B], ne saurait être significatif du pouvoir de contrôle d'un employeur à l'égard de son subordonné.
Enfin, il sera relevé que le pouvoir disciplinaire, élément essentiel de la définition du lien de subordination, n'est pas même évoqué par M. [B].
Il ressort de ces développements que si la société [O] Automobiles a fourni à M. [B] les moyens d'exercer son mandat, elle n'a pas organisé son travail et ne lui a imposé aucun horaire ni aucun objectif, elle n'a pas exercé le contrôle de l'exécution de son travail, et il n'est pas établi qu'elle disposait du pouvoir de sanctionner ses manquements.
Partant, M. [B] échoue à démontrer l'existence d'un contrat de travail.
Il doit par conséquent être débouté de l'intégralité de ses demandes lesquelles sont toutes afférentes à l'existence d'un tel contrat, et le jugement confirmé en toute ses dispositions.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.
M. [B] qui succombe à l'instance est condamné aux dépens d'appel et débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par défaut à l'égard de Me [I] ès-qualités de mandataire liquidateur de la société [O] Automobiles, et contradictoirement à l'égard de M. [R] [B] et du CGEA de [Localité 9],
CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes d'Angers du 23 août 2021 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
DEBOUTE M. [R] [B] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel ;
CONDAMNE M. [R] [B] aux dépens d'appel.