CA Dijon, 2e ch. civ., 20 juin 2024, n° 23/01328
DIJON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
2CB (SAS), Limoge Revillon (SAS), Thalie (SAS), Financière de Rozier (SAS), En'Go Bourgogne (SAS)
Défendeur :
Okwind (SAS), Groupe Okwind (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Blanchard
Conseillers :
Mme Bailly, Mme Kuentz
Avocats :
Me Chague-Gerbay, Me Augagneur, Me Dury, Me Delrue
EXPOSE DU LITIGE
La SAS 2CB exploite une activité de réalisation d'études techniques et d'ingénierie, d'achat de matériel et mise à disposition de celui-ci par location ou autre au profit de sociétés du groupe et à d'autres sociétés, et la réalisation de prestations de services de management et d'administration générale au profit de toutes sociétés.
La SAS Thalie a pour activité l'étude, la construction, l'aménagement et la mise à disposition de toutes installations de production d'énergie, et les services d'installation et de maintenance de ces équipements, ainsi que l'exploitation des données issues de ces installations et équipements.
La SAS En'Go Bourgogne a pour activité l'exploitation de fonds de commerce de plomberie, chauffage central, sanitaire, couverture, et zinguerie.
Ces trois sociétés sont membres du groupe En'Go constitué autour de la société holding SAS Financière de Rozier.
La SAS Okwind exploite une activité de conception et fabrication d'équipements de production d'énergie renouvelable.
Elle a développé, à destination des professionnels, un système de suiveur photovoltaïque (tracker solaire) constitué de panneaux photovoltaïques de production d'énergie fixés sur un mât orienté automatiquement, aux fins d'optimisation de la production d'énergie.
Elle est détenue par la holding SA Groupe Okwind qui a également développé cette technologie au bénéfice des particuliers au travers d'une autre filiale, la société Lumioo.
En juin 2020, la société 2CB a souhaité acquérir auprès de la société Okwind deux trackers solaires de 117 m² et a proposé à cette dernière d'envisager un partenariat en vue du développement et la fabrication de mâts en béton comme alternative à ceux en acier galvanisé proposés par la société Okwind.
Dans cette perspective, la société Groupe Okwind et le Groupe En'Go, sous la signature de M. [X] [K], président de la société Financière de Rozier, et le cachet de la société Limoge Revillon, ont régularisé, le 13 juillet 2020, un engagement de confidentialité.
Reprochant à son partenaire de s'être, par ce biais, approprié les technologies développées par les sociétés du Groupe Okwind et ce dans le but de permettre à la société Thalie, de développer une activité concurrente et de mettre sur le marché des trackers solaires identiques, les sociétés Okwind et Groupe Okwind ont sollicité et obtenu du président du tribunal de commerce de Mâcon, le 3 février 2023, trois ordonnances les autorisant à faire procéder par huissier de justice à des mesures de constatations portant sur les systèmes informatiques d'information des sociétés afin d'y appréhender tous documents en lien avec les faits de concurrence déloyale allégués et notamment de procéder à la copie du code source relatif au pilotage du tracker de la société Thalie « et ce aux fins de séquestre » pour permettre sa comparaison avec celui développé par la société Okwind.
Ces mesures ont été exécutées le 24 avril suivant.
Sur l'assignation en rétractation de l'ordonnance délivrée le 12 mai 2023 par les sociétés 2CB, Limoge Revillon,Thalie, Financière du Rozier et En'Go et par décision du 22 septembre 2023, le président du tribunal de commerce de Mâcon a :
- déclaré irrecevables les demandes indemnitaires, en nullité des actes et plus généralement excédant les pouvoirs du juge de la rétractation,
- débouté les sociétés 2CB, Limoge Revillon, Thalie, Financière de Rozier et En'Go de l'ensemble de leurs demandes, 'ns et conclusions,
- condamné les sociétés 2CB, Limoge Revillon, Thalie, Financière de Rozier et En'Go à verser solidairement à Groupe Okwind et la société Okwind la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné les sociétés 2CB, Limoge Revillon, Thalie, Financière de Rozier et En'Go aux dépens.
Suivant déclaration au greffe du 18 octobre 2023, les sociétés 2CB, Limoge Revillon, Thalie, Financière de Rozier et En'Go Bourgogne ont relevé appel de cette décision en toutes ses chefs de dispositif, ainsi qu'elles les ont énoncés dans leur acte d'appel.
Prétentions et moyens des appelantes :
Au terme de leurs écritures notifiées par voie électronique le 30 novembre 2023, les appelantes demandent à la cour, au visa des articles 145, 493, 496, 497 du code de procédure civile, 1240 du code civil, L.331-1 du code de la propriété intellectuelle et D.211-6-1 du code de l'organisation judiciaire, de :
- déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté,
- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle :
' déclare irrecevables les demandes indemnitaires, en nullité des actes et plus généralement excédant les pouvoirs du juge de la rétractation,
' déboute les sociétés 2CB, Limoge Revillon, Thalie, Financière de Rozier et EN'GO de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
' condamne les sociétés 2CB, Limoge Revillon, Thalie, Financière de Rozier et EN'GO à verser solidairement à Groupe Okwind et la société Okwind la somme de 1.000 E en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
' condamne les sociétés 2CB, Limoge Revillon, Thalie, Financière de Rozier et EN'GO aux dépens dont frais de greffe liquidés à la somme de 125.62 euros TTC,
statuant à nouveau :
- rétracter les trois ordonnances rendues le 3 février 2023,
- ordonner la destruction immédiate de l'intégralité des fichiers et données informatiques saisis et séquestrés par le commissaire de justice instrumentaire,
- condamner solidairement les sociétés Okwind et Groupe Okwind à payer aux Sociétés Thalie, 2CB et Limoge Revillon une indemnité de 50 000 euros au titre de la procédure abusive,
- condamner solidairement les sociétés Okwind et Groupe Okwind à payer aux sociétés Thalie, 2CB et Limoge Revillon une indemnité de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner en tous les dépens et allouer à Maître Marie Chague-Gerbay, avocat constitué, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile,
- débouter les sociétés Okwind et Groupe Okwind de toutes leurs demandes.
Les appelantes soutiennent que :
- l'autorisation demandée de recherche et de copie d'un code-source concerne la protection des droits de propriété intellectuelle de la société Okwind sur le logiciel et relève d'une saisie-contrefaçon que le président du tribunal de commerce de Mâcon était incompétent à connaître, seul le président du tribunal judiciaire de Nancy étant désigné à cette fin par le code de l'organisation judiciaire,
- l'ordonnance autorisant les mesures est dépourvue de motivation sur les circonstances concrètes nécessitant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, se contentant d'une formule de style,
- l'ordonnance ne précise pas en quoi les faits présentés par les requérantes justifient le recours aux mesures sollicitées et les motifs invoqués sont insuffisants alors que la présentation des faits par les requérantes est incomplète et que rien ne vient étayer le grief de violation de l'accord de confidentialité.
Elles font valoir qu'elles se sont considérablement investies dans le projet de partenariat dont l'échec est imputable aux seules sociétés Okwind ; qu'elles ont informé ces dernières de leur volonté de poursuivre seules et en interne le développement du projet de tracker solaire sur mât en béton.
Elles considèrent qu'aucune information confidentielle ne leur a été transmise puisque le projet de collaboration a échoué au stade de l'étude de faisabilité, qu'elles ne se sont appropriées aucune technologie, que leur modèle de tracker possèdent des caractéristiques techniques différentes de celles de leur concurrent et qu'elles ont conçu une offre complète de services d'autoconsommation installés clef en main, que les similitudes invoquées par les sociétés Okwind sont intrinsèques à tout tracker solaire.
Elles soulignent que les intimées ne justifient :
- d'aucun motif légitime de saisie de leur logiciel, ne justifiant ni de leurs droits d'auteur, ni de son originalité, ni même des circonstances qui leur aurait permis d'y avoir accès,
- d'aucune information confidentielle qu'elles leur auraient transmises, en dehors de documents publicitaires accessibles sur le site internet du Groupe Okwind qui ne peuvent bénéficier du secret des affaires,
- d'aucun indice d'utilisation de données confidentielles.
Elles ajoutent au bénéfice du principe de liberté du commerce qu'il ne peut être tiré de l'accord de confidentialité aucune obligation de non-concurrence à leur charge et qu'aucun comportement déloyal n'est caractérisé à leur encontre.
Elles soutiennent enfin que les mesures autorisées sont disproportionnées et portent atteinte à leur droit notamment de protection du secret des affaires en ce qu'elles s'apparentent à des mesures d'investigations générales, ne sont pas limitées dans le temps, ont abouti à la collecte de fichiers sans rapport avec les informations recherchées, n'ont prévu aucun séquestre des éléments saisis autre que le code-source et ont fourni aux sociétés Okwind un accès aux informations techniques de leur logiciel.
Les appelantes estiment que la procédure diligentée par les sociétés Okwind est abusive et justifie l'octroi de dommages-intérêts.
Prétentions et moyens des sociétés Groupe Okwind et Okwind :
Selon leurs conclusions notifiées par voie électronique le 29 décembre 2023, les intimées entendent voir :
- confirmer l'ordonnance rendu par le tribunal de commerce de Mâcon en date du 22 septembre 2023 en toutes ses dispositions,
en conséquence,
- débouter les sociétés 2CB, Limoge Revillon, Thalie, Financière de Rozier et En'Go de l'ensemble de leurs demandes en toutes fins qu'elles comportent,
- condamner les sociétés 2CB, Limoge Revillon, Thalie, Financière de Rozier et En'Go au paiement de la somme de 6.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.
Les sociétés Okwind considèrent que les prétentions des appelantes relatives à une indemnisation excèdent les pouvoirs du juge de la rétractation et ne peuvent prospérer ; que le président du tribunal de commerce était compétent pour connaître de leur requête fondée sur des faits de concurrence déloyale et de parasitisme, les dispositions de l'article L.331-1 du code de la propriété intellectuelle n'étant pas applicables, en l'absence de brevet protégeant la propriété intellectuelle sur le tracker solaire et la contrefaçon n'étant pas invoquée.
Elles soutiennent que l'ordonnance en visant la requête en a adopté les motifs et que l'exigence de motivation doit s'apprécier au regard des deux éléments, que la requête précise les motifs de dérogation au principe de la contradiction, notamment par le risque de destruction des documents recherchés.
Elles font valoir qu'il existe bien un litige en germe pouvant l'opposer aux sociétés du Groupe En'Go compte tenu des actes de concurrence déloyale et de parasitisme dont elles les soupçonnent et que le succès d'une action future est inopérant à ce stade.
Elles invoquent au titre du motif légitime :
- le développement par la société Thalie d'un tracker abouti dans un temps incompatible avec celui de l'effort de recherche et de développement nécessaire,
- la concommitance entre leur entrée en relation avec la société 2CB, la création de la société Thalie et la mise sur le marché d'un équipement qui présentent des ressemblances de structure avec le leur et met en 'uvre les mêmes choix techniques d'optimisation,
- la recherche par la société 2CB dès août 2021, d'informations techniques sans lien avec le projet de partenariat lequel ne tenait qu'à la fabrication de mâts en béton pour les trackers solaires Okwind,
- les contacts pris par la société 2CB avec des clients et des fournisseurs du Groupe Okwind.
Elles contestent toute disproportion des mesures autorisées limitées à la recherche de documents émanant de la société Okwind et par la mise en 'uvre de mots-clés tous en relation avec les sociétés Okwind et Groupe Okwind.
MOTIFS DE LA DECISION
En application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout interessé sur requête ou en référé.
Selon l'article 493 du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse, en présence de circonstances autorisant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction.
En vertu de l'article 875 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut ordonner, sur requête, toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement.
1°) sur la compétence du président du tribunal de commerce de Mâcon
Dans leur requête soumise au président du tribunal de commerce de Mâcon le 27 janvier 2023, les sociétés Groupe Okwind et Okwind font grief aux sociétés 2CB, En'Go Bourgogne, Limoge-Revillon et Thalie d'avoir, au travers d'une commande de deux trackers solaires et de discussions relatives à un projet de partenariat menées sous couvert d'un accord de confidentialité, obtenu de leur part communication d'informations techniques leur permettant de s'approprier leur technologie aux fins de développer une offre similaire de vente de trackers solaires.
Elles allèguent ainsi de faits de parasitisme par appropriation du résultat de leurs efforts de recherche.
Elles sollicitent notamment l'autorisation de « procéder à la copie du code source concernant le pilotage du tracker de la société Thalie et ce aux fins de sequestre afin de permettre la comparaison du code source en question avec le code source de la société Okwind dans le cadre d'une expertise ultérieure ».
Si la société Thalie se prévaut de la procédure de saisie contrefaçon au titre de la protection de propriété intellectuelle sur le logiciel dont il s'agit, il n'est justifié, ni même allégué d'aucune protection, ni d'aucun droit privatif sur la technologie mise en 'uvre.
En conséquence, les mesures d'investigations requises ne visent pas à assurer la protection de la propriété intellectuelle des sociétés Okwind et Groupe Okwind et ne relèvent pas du régime spécifique de la saisie-contrefaçon, ni de la compétence exclusive des tribunaux judiciaires désignés par voie règlementaire pour en connaître.
Le président du tribunal de commerce de Mâcon était donc compétent pour connaître de la requête et pour autoriser les mesures d'investigations.
2°) sur l'existence d'un motif légitime
La requête que le président du tribunal de commerce de Mâcon a expressément visée dans son ordonnance, fait état de soupçons de parasitisme ayant conduit la société Thalie à disposer en un temps très bref d'une technologie de haut niveau sans avoir supporté des coûts de recherche, relevant la concomitance entre d'une part l'obtention par les sociétés 2CB et Limoge-Revillon des informations technologiques relatives aux trackers développés et commercialisés par les sociétés Okwind et Groupe Okwind ; d'autre part, la mise sur le marché par la société Thalie, membre du même groupe que les premières, de trackers solaires présentant des caractéristiques techniques similaires.
Il est constant que le 22 juin 2020, la société Okwind a établi au profit de la société 2CB, une offre commerciale portant sur la fourniture de deux trackers solaires de 117 m² 21000 Wc Biface, leur système de communication et leur coffret de raccordement.
Par ailleurs, le Groupe Okwind et le Groupe En'Go ont signé, le 13 juillet 2020, un accord de confidentialité faisant état de :
- pourparlers en vue d'un accord commercial d'approvisionnement de composants électriques (codeurs) équipant les trackers du Groupe Okwind,
- l'existence d'un projet de développement en partenariat d'un produit de type tracker solaire,
- échanges de documents et d'informations confidentiels notamment de nature technique.
Il doit être relevé que la société Thalie a été immatriculée le 5 juin 2021 au titre d'une activité d'étude, construction, aménagement de toutes installations de production d'énergie et qu'elle fait partie du même groupe que les sociétés 2CB, Limoge-Revillon et En'Go Bourgogne, lesquelles ont toutes pour président la société Financière de Rozier.
Or, selon des publications de presse du mois de septembre 2022, elle a entamé, après deux années de développement, la commercialisation de trackers solaires, dont elle assure la conception et la production de la structure, à compter du mois de février 2022, soit huit mois après sa création, sans qu'aucune des activités déclarées au registre du commerce et des sociétés par les autres sociétés du groupe auquel elle appartient ne leur permettent de revendiquer de compétence, ni de savoir-faire dans ce domaine.
Dans ces articles, la société Thalie met néanmoins en avant l'utilisation des compétences internes au groupe En'Go et précise avoir fait appel à un bureau d'études externe pour la partie calcul et technologie des installations.
Il est précisé dans ces articles qu'à leur date, soit février 2022, la société Thalie a déjà installé une dizaine de trackers solaires et que dix autres sont en cours de fabrication.
Les trackers sont décrits comme étant constitués de 54 panneaux solaires bifaces, soit plus de 120 m²de surface, s'orientant grâce à deux axes, horizontal et vertical, réagissant aux conditions climatiques et pouvant notamment se positionner automatiquement à plat en cas de vents violents.
La société Thalie indique que le tracker : « embarque un automate et une intelligence permettant de suivre le soleil au fil de la journée » et que : « il sera également possible de suivre la production du tracker grâce à notre plateforme développée sur mesure. Cette plateforme de suivi que nous mettons à disposition est l'outil idéal pour mesurer l'impact du tracker sur le mix énergétique. Un site web et une application mobile donnent accès en temps réel à toutes les informations relatives à l'installation ».
La fiche de spécifications technologiques du tracker solaire developpé par les sociétés Okwind permet de constater qu'ils présentent des caractéristiques tout à fait similaires à celles des matériels fabriqués par la société Thalie s'agissant d'ensembles de 54 panneaux photovoltaïques bifaces, orientables sur deux axes, équipés d'un dispositif de sécurité permettant de les placer à l'horizontale en cas de rafales de vents supérieures à 40 km/h, ainsi que d'un outil de supervision en temps réel de leurs performances énergétiques.
Ces similitudes techniques alliées à la concommitance entre l'entrée en relations d'affaires du groupe En'Go avec les sociétés Okwind au premier semestre 2020 et le démarrage en 2020 de la période de développement du produit de la société Thalie, ainsi que la rapidité de la mise sur le marché par cette dernière d'un produit fini et opérationnel, dans un domaine à forte technologie auquel le secteur d'activité des sociétés du groupe En'Go ne la préparait pas, sont de nature à nourrir des soupçons de parasitisme constituant un motif légitime pour les sociétés Okwind de solliciter des mesures d'instruction in futurum.
3°) sur la dérogation au principe contradictoire
Selon la requête, les informations recherchées sont constituées de données numériques qui peuvent être aisément supprimées, altérées ou transférées sur des supports mobiles, afin de les soustraire aux mesures d'investigations si elles devaient être préalablement débattues dans le cadre d'une instance contradictoire.
La nature même de ces informations justifiait donc qu'il soit dérogé temporairement au principe de la contradiction et en se référant expressément aux termes de la requête et aux pièces qui l'étayent, qu'il s'est ainsi appropriées, le président du tribunal de commerce de Mâcon a suffisamment motivé sa décision.
4°) sur la légalité des mesures ordonnées
L'exercice du droit à la preuve, reconnu par l'article 6 de la CEDH, en ce qu'il poursuit un objectif de protection du droit d'une partie de bénéficier d'une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions ne la plaçant pas dans une situation de net désavantage par rapport à l'autre partie, permet une atteinte au secret des affaires dès lors qu'elle s'avère nécessaire et qu'elle n'est pas disproportionnée.
Il est ainsi de principe que constituent des mesures d'instruction légalement admissibles, les mesures circonscrites dans le temps, dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi.
Les mesures ordonnées ont été limitées à la recherche de données informatiques en rapport direct avec les faits de parasitisme suspectés, par l'emploi de mots clefs relatifs aux dénominations des sociétés concernées, à des éléments techniques précis, à des noms de fournisseurs, aux dénominations des fichiers échangés sous le sceau de la confidentialité ainsi qu'au code de pilotage du tracker aux seules fins de comparaison technique par un tiers dans le cadre d'une expertise.
Elles se révèlent strictement nécessaires à l'établissement de la preuve éventuelle que la société Thalie et les sociétés du groupe En'Go, pour parvenir à la conception de leur propre tracker solaire, ont indûment tiré profit des efforts d'investissements techniques et financiers déjà réalisés par les sociétés Okwind et de leur savoir-faire dans ce domaine.
Elles sont par ailleurs nécessairement limitées dans le temps dès lors qu'elles ne couvrent que la période courant depuis l'entrée des sociétés en relation d'affaires en 2020 et leur date de réalisation le 24 avril 2023.
En conséquence, la décision du président du tribunal de commerce refusant de rétracter l'ordonnance sera confirmée.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Mâcon en date du 22 septembre 2023,
Y ajoutant,
Condamne in solidum les SAS 2CB, Limoge Revillon, Thalie, Financière de Rozier et En'Go Bourgogne aux dépens de l'instance d'appel,
Condamne in solidum les SAS 2CB, Limoge Revillon, Thalie, Financière de Rozier et En'Go Bourgogne à verser aux SAS Okwind et Groupe Okwind la somme complémentaire de 3 000 euros en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile.