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Décisions

CA Caen, 2e ch. civ., 20 juin 2024, n° 23/00250

CAEN

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Pharmacie de l'Odon (SELARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Emily

Conseillers :

Mme Courtade, M. Gouarin

Avocats :

Me Pieuchot, Me Mac Grath, Me Thill

TJ Caen, du 13 janv. 2023, n° 21/00009

13 janvier 2023

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS

Selon acte notarié du 4 juillet 2011, M. [E] [H] et Mme [L] [P], épouse [H], aux droits desquels vient Mme [U] [H], et cette dernière ont donné à bail commercial à la SELARL Pharmacie de l'Odon un local situé [Adresse 2], cadastré section [Cadastre 3], moyennant un loyer annuel de 32.098 euros indexé sur l'indice trimestrielle du coût de la construction, et ce pour neuf années à partir du 4 juillet 2011.

La destination des lieux loués est l'exploitation d'une officine de pharmacie et/ou toute activité médicale ou paramédicale, une activité informatique étant précédemment exploitée dans ces locaux.

Les locaux loués étaient décrits comme un immeuble constitué d'un bâtiment unique à usage commercial, comprenant en simple rez-de-chaussée : bureaux, sanitaires, salle de réunion et salle d'ordinateurs, le tout sur une superficie d'environ 320 m2.

Le bailleur a autorisé le preneur à faire réaliser à ses frais, sous sa responsabilité et sous réserve des autorisations administratives nécessaires, les travaux d'agencement intérieurs figurant sur un plan annexé au bail.

Le 4° du bail stipule que tous les travaux, décors et embellissements quelconques, ainsi que toutes canalisations d'eau, de gaz et d'électricité qui seront faits par le preneur resteront, en fin de bail, de quelque manière et à quelque époque qu'elle arrive, la propriété du bailleur, sans aucune indemnité à sa charge, à moins que ce dernier ne préfère demander au preneur de rétablir à ses frais les lieux loués dans leur état primitif.

Par avenant du 21 octobre 2011, les parties ont convenu de résilier partiellement ce bail en ce qu'il porte sur un local d'une superficie d'environ 40 m2 situé au rez-de-chaussée à gauche du bâtiment loué, s'accédant par l'extérieur, le loyer étant ramené à la somme annuelle de 29.098 euros à compter du 24 octobre 2011 et les locaux loués étant désormais désignés comme suit : dans un immeuble constitué d'un bâtiment unique à usage commercial, un local situé au rez-de-chaussée comprenant un grand magasin, réserves, bureaux et sanitaires, cour et parkings. Le local objet de la résiliation partielle est désormais exploité par un médecin généraliste.

Le 19 mai 2020, le preneur a fait signifier au bailleur une demande de renouvellement du bail à compter du 4 juillet 2020 avec fixation d'un loyer annuel de hors taxes et charges de 17.270 euros.

Le 19 juin 2020, le bailleur a déclaré consentir au renouvellement du bail mais sollicité la fixation du loyer du bail renouvelé à la somme annuelle de 32.589 euros hors taxes et charges, les autres clauses du bail étant inchangées.

Faute d'accord entre les parties, le preneur a, par acte d'huissier du 20 janvier 2022, saisi le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Caen afin, notamment, de voir fixer le loyer annuel des locaux litigieux à la somme de 17.270 euros hors taxes et charges.

Par jugement du 13 janvier 2023, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Caen a :

- constaté que les parties sont d'accord sur le renouvellement du bail commercial des locaux situés [Adresse 2] à compter du 4 juillet 2020,

- ordonné avant dire droit sur la fixation du prix du bail commercial à compter du 4 juillet 2020 une expertise,

- commis pour y procéder M. [W] [I], expert près la cour d'appel de Caen, avec pour mission de donner son avis sur la valeur locative des locaux en cause à la date du 4 juillet 2020,

- dit que les travaux d'aménagement visés dans l'acte notarié du 21 octobre 2011 ne constituent pas une modification des caractéristiques des locaux de nature à entraîner un déplafonnement du prix du loyer,

- dit que l'évaluation de la valeur locative doit être réalisée sur la base de la configuration des locaux tels que visés dans l'acte de résiliation partielle du bail commercial du 21 octobre 2011,

- mis à la charge du preneur la consignation de la somme de 2.000 euros à valoir sur la rémunération de l'expert,

- dit que le prix du loyer sera maintenu pendant la durée de l'instance au montant du dernier loyer contractuel,

- réservé l'examen des dépens et frais irrépétibles.

Selon déclaration du 30 janvier 2023, Mme [H] a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions du 18 octobre 2023, l'appelante demande à la cour de déclarer son appel recevable et bien fondé, d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a dit que les travaux d'aménagement visés dans l'acte notarié du 21 octobre 2011 ne constituent pas une modification des caractéristiques des locaux de nature à entraîner un déplafonnement du prix du loyer, statuant à nouveau de ce chef, de dire qu'il existe un motif de déplafonnement du prix du loyer du bail renouvelé notamment lié à la modification des caractéristiques des locaux, de débouter l'intimée de toutes ses demandes et de condamner celle-ci à lui verser la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de son conseil.

Par dernières conclusions du 18 juillet 2023, la Pharmacie de l'Odon demande à la cour de rejeter l'appel de Mme [H], de débouter cette dernière de toutes ses demandes, de confirmer le jugement attaqué sauf en ce qu'il a jugé que l'évaluation de la valeur locative devait être réalisée sur la base de la configuration des locaux tels que visés dans l'acte notarié de résiliation partielle du bail commercial du 21 octobre 2011, statuant à nouveau de ce chef, de juger que l'évaluation de la valeur locative ne pourra être menée que sur la base de la configuration des locaux avant travaux d'adaptation à la destination contractuelle et de juger que la clause d'accession ne peut jouer qu'en fin de jouissance et qu'en conséquence le bailleur ne peut se prévaloir de la réalisation des travaux à l'appui d'une demande de déplafonnement, de confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions non contraires au présent dispositif et, en tout état de cause, de condamner l'appelante au paiement de la somme de 8.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens.

La mise en état a été clôturée le 20 mars 2024.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il est référé aux dernières écritures des parties.

MOTIFS

1. Sur le déplafonnement du loyer du bail renouvelé et la prise en compte des travaux effectués par le preneur en cours de bail pour la détermination de la valeur locative

Aux termes de l'article L. 145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.

À défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :

1° les caractéristiques du local considéré,

2° la destination des lieux,

3° les obligations respectives des parties,

4° les facteurs locaux de commercialité,

5° les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

Ces éléments s'apprécient dans les conditions fixées aux articles R. 145-3 à R. 145-11.

En application de l'article R. 145-3, les caractéristiques propres au local s'apprécient en considération :

1° De sa situation dans l'immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de l'accès pour le public ;

2° De l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ;

3° De ses dimensions, de la conformation de caque partie et de son adaptation à la forme d'activité qui y est exercée ;

4° De l'état d'entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail ;

5° De la nature et de l'état des équipements et des moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire.

Selon l'article R. 145-8, les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge.

Selon l'article L. 145-34 du code de commerce, à moins d'une modification notables des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de 'article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'INSEE.

Il résulte des dispositions précitées que le statut des baux commerciaux comporte une règle de plafonnement du loyer du bail renouvelé sous la seule réserve de la variation des indices légaux.

Des dérogations à la règle du plafonnement sont prévues.

D'une part, lorsqu'au sens de l'article L. 145-34 du code du commerce des travaux ont été réalisés au cours du bail renouvelé entraînant une modification notable des caractéristiques des locaux loués, le déplafonnement du loyer peut être obtenu par le bailleur lors du premier renouvellement du bail suivant celui durant lequel les travaux ont été exécutés et à cette occasion seulement.

D'autre part, lorsque conformément à l'article R. 145-8 du code de commerce des améliorations ont été apportées aux lieux loués au cours du bail, celles-ci peuvent être prises en considération lors du premier renouvellement si le bailleur en a assumé directement ou indirectement la charge et lors du deuxième renouvellement si c'est le preneur qui les a pris en charge.

Si les travaux constituent à la fois une modification notable et une amélioration des locaux loués, le régime des améliorations prévaut et s'applique.

Dans les deux cas, le bailleur ne peut invoquer les travaux exécutés par le preneur que s'il en est devenu propriétaire par accession.

Si la clause d'accession figurant au bail prévoit que les ouvrages réalisés par le preneur accéderont au bailleur 'en fin de bail', les ouvrages deviennent la propriété du bailleur dès l'expiration du bail au cours duquel les travaux ont été exécutés, le bail renouvelé étant un nouveau bail.

L'appelante fait grief au premier juge d'avoir dit que les travaux d'aménagement visés dans l'acte notarié du 21 octobre 2011 ne constituaient pas une modification des caractéristiques des locaux de nature à entraîner un déplafonnement du prix du loyer, alors, d'une part, que les travaux d'aménagement extérieurs et intérieurs effectués par le preneur sur autorisation du bailleur consistent en le réaménagement de l'espace de vente par son cloisonnement, la création de zones de stockage ou de salles d'examen, l'installation d'un robot de stockage et de distribution des médicaments, d'une porte automatique avec sas d'entrée, d'un bandeau lumineux en façade ainsi que d'une enseigne lumineuse double face en forme de croix sur mât et constituent une modification notable des caractéristiques du local loué justifiant le déplafonnement du loyer du bail renouvelé, d'autre part, que la restitution d'une partie des locaux initialement loués, d'une superficie de 40 m2, constitue également une modification notable des caractéristiques du bien loué fondant un déplafonnement du loyer.

En réplique, l'intimée fait valoir que les travaux effectués dans les locaux par le preneur peuvent être qualifiés soit de modification des caractéristiques des locaux au sens de l'article R. 145-3 du code de commerce, soit de travaux d'amélioration au sens de l'article R. 145-8, que la jurisprudence dominante tend à faire prévaloir le régime des améliorations lorsque les travaux ont à la fois modifié les caractéristiques des locaux et amélioré l'utilisation commerciale du fonds, qu'en l'occurrence les travaux de remaniement complet des locaux loués pour un montant de 300.230,87 euros TTC avaient pour objet d'adapter ceux-ci, antérieurement exploités comme bureaux, à leur nouvelle destination contractuelle, à savoir l'exploitation d'une officine de pharmacie doivent être considérés comme des travaux d'amélioration ne justifiant pas le déplafonnement du loyer, d'autre part, que la clause d'accession en fin de bail prévue au contrat liant les parties fait obstacle à ce que ces travaux, quelle que soit leur qualification, entraînent un déplafonnement du loyer.

Par ailleurs, l'intimée fait grief au premier juge d'avoir dit que l'évaluation de la valeur locative doit être réalisée sur la base de la configuration des locaux tels que visés dans l'acte de résiliation partielle du bail commercial du 21 octobre 2011, alors que la clause d'accession en fin de bail prévue au contrat liant les parties fait obstacle à ce que ces travaux effectués en cours de bail soient pris en compte pour la fixation du loyer du bail renouvelé.

Le preneur soutient que la diminution de la surface commerciale résultant de l'avenant du 24 octobre 2011, assortie d'une réduction proportionnelle du montant du loyer, aboutit à une restriction de son droit de jouissance et non à une modification notable des caractéristiques du bien loué justifiant un déplafonnement du loyer.

En l'espèce, il ressort du bail commercial du 4 juillet 2011, du plan y annexé, de l'acte de résiliation partielle du 21 octobre suivant et du plan y annexé ainsi que des rapports d'expertise amiables établis à la demande des parties que le preneur a réalisé sur autorisation du bailleur des travaux d'aménagement extérieurs et intérieurs consistant en le réaménagement de l'espace de vente par son cloisonnement, la création de zones de stockage ou de bureaux et d'une salle d'attente, d'un sas de livraison, d'un préparatoire, l'installation d'un robot de stockage et de distribution des médicaments, d'une porte automatique avec sas d'entrée, d'un bandeau lumineux en façade ainsi que d'une enseigne lumineuse double face en forme de croix sur mât et la création d'un parking.

Ces travaux, destinés à adapter les locaux loués à l'activité d'officine de pharmacie exercée par le preneur, ont non seulement modifié de manière notable les caractéristiques des lieux loués mais constituent également des améliorations significatives des locaux loués en ce qu'ils améliorent les conditions d'exploitation par la modification du cloisonnement intérieur et de la circulation au sein de l'espace de vente et la création d'espaces de soin, qu'ils rendent les locaux plus fonctionnels, mieux adaptés, plus visibles et accessibles pour la clientèle.

Les travaux en cause constituant à la fois une modification notable et une amélioration des locaux, le régime des améliorations s'applique.

La clause d'accession prévue au 4° du bail conclu par les parties stipule : 'Tous les travaux, décors et embellissements quelconques, ainsi que toutes canalisations d'eau, de gaz et d'électricité qui seront faits par le preneur resteront, en fin de bail, de quelque manière et à quelque époque qu'elle arrive, la propriété du bailleur, sans aucune indemnité à sa charge, à moins que ce dernier ne préfère demander au preneur de rétablir à ses frais les lieux loués dans leur état primitif'.

Au regard de la faculté ainsi offerte au bailleur d'exiger la remise des locaux loués dans leur état initial et de l'accord du bailleur sur le principe du renouvellement du bail, il doit être considéré que, le renouvellement du bail étant incompatible avec la remise des lieux dans leur état primitif, la clause d'accession litigieuse ne peut jouer qu'à la fin des relations contractuelles et non à la fin du bail à renouveler.

En outre, les travaux litigieux ont été réalisés par le preneur à ses frais, sans diminution de loyer.

Il s'ensuit que le bailleur ne peut se prévaloir des améliorations apportées aux locaux loués pour obtenir le déplafonnement du loyer lors du premier renouvellement du bail en cause le 4 juillet 2020.

Ainsi, les travaux d'aménagement réalisés par le preneur ne peuvent constituer un motif de déplafonnement du loyer du bail renouvelé le 4 juillet 2020 et ces travaux n'ont pas à être pris en compte dans la détermination de la valeur locative.

À ces motifs, le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a dit que les travaux d'aménagement visés dans l'acte notarié du 21 octobre 2011 ne constituent pas une modification des caractéristiques des locaux de nature à entraîner un déplafonnement du prix du loyer du bail renouvelé le 4 juillet 2020 mais infirmé en ce qu'il a dit que l'évaluation de la valeur locative doit être réalisée sur la base de la configuration des locaux tels que visés dans l'acte de résiliation partielle du bail commercial du 21 octobre 2011 et, la cour statuant à nouveau de ce chef, il sera dit que les travaux d'aménagement réalisés par le preneur au cours du bail ayant expiré le 3 juillet 2020 n'ont pas à être pris en compte dans la détermination de la valeur locative.

2. Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance, fondées sur une exacte appréciation, seront confirmées.

Mme [H], qui succombe en ses principales prétentions, sera condamnée aux dépens d'appel, déboutée de sa demande d'indemnité de procédure et condamnée à payer à la Pharmacie de l'Odon la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que les travaux d'aménagement visés dans l'acte notarié du 21 octobre 2011 ne constituent pas une modification des caractéristiques des locaux de nature à entraîner un déplafonnement du prix du loyer du bail renouvelé le 4 juillet 2020 ;

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que l'évaluation de la valeur locative doit être réalisée sur la base de la configuration des locaux tels que visés dans l'acte de résiliation partielle du bail commercial du 21 octobre 2011 ;

La cour statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

Dit que les travaux d'aménagement réalisés par la SELARL Pharmacie de l'Odon au cours du bail ayant expiré le 3 juillet 2020 n'ont pas à être pris en compte dans la détermination de la valeur locative des locaux loués ;

Condamne Mme [U] [H] aux dépens d'appel et à payer à la SELARL Pharmacie de l'Odon la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.