Décisions
CA Grenoble, 2e ch., 18 juin 2024, n° 22/01738
GRENOBLE
Arrêt
Autre
N° RG 22/01738 - N° Portalis DBVM-V-B7G-LLD2
N° Minute :
C1
Copie exécutoire délivrée
le :
à
la SELARL GPS AVOCATS
la SCP DELOCHE
SCP FICHTER TAMBE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
2ÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 18 JUIN 2024
Appel d'un jugement (N° R.G. 16/03069) rendu par le tribunal judiciaire de Valence en date du 19 avril 2022, suivant déclaration d'appel du 28 avril 2022
APPELANT :
M. [E] [Z]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 6]
représenté par Me Florence SERPEGINI de la SELARL GPS AVOCATS, avocat au barreau de VALENCE
INTIM ÉS :
Mme [H] [F]
née le 08 Juin 1979 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Stéphanie DELOCHE de la SCP DELOCHE, avocat au barreau de VALENCE
M. [I] [A]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 2]
représenté par Me Julien TAMBE de la SCP FICHTER TAMBE, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Emmanuèle Cardona, présidente,
Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère,
Mme Ludivine Chetail, conseillère,
DÉBATS :
A l'audience publique du 9 avril 2024, Mme Ludivine Chetail, conseillère qui a fait son rapport, assistée de Mme Caroline Bertolo, greffière, a entendu seule les avocats en leurs conclusions, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Il en a été rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
M. [I] [A] et Mme [H] [F] ont réalisé en auto-construction des travaux d'agrandissement de leur maison d'habitation à [Localité 6] (Drôme), consistant en la création d'une extension comprenant une pièce à vivre et une terrasse couverte.
L'immeuble a été vendu à M. [E] [Z] et Mme [L] [V] le 15 mars 2013.
Ceux-ci ont constaté des désordres portant sur la toiture de l'agrandissement de la maison dans le courant de l'année 2013.
M. [E] [Z] a acquis la pleine propriété de l'immeuble par licitation ensuite de la séparation du couple.
Par ordonnance du 22 janvier 2015, le juge des référé a ordonné une expertise confiée à M. [T] [P].
M. [P] a déposé un rapport le 24 septembre 2015.
Par assignations en date du 16 et du 28 juillet 2016, M. [E] [Z] a saisi le tribunal judiciaire de Valence afin d'obtenir l'indemnisation de son préjudice.
Par jugement en date du 20 février 2018, le tribunal judiciaire de Valence a ordonné une contre-expertise confiée à M. [Y] [X] et sursis à statuer sur les prétentions des parties.
M. [X] a déposé un rapport le 4 mars 2020.
Par jugement en date du 19 avril 2022, le tribunal judiciaire de Valence a :
- débouté M. [E] [Z] de ses demandes, fins et prétentions ;
- débouté M. [I] [A] de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive ;
- débouté M. [I] [A] et Mme [H] [F] de leurs demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [E] [Z] aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise.
Par déclaration d'appel en date du 28 avril 2022, M. [E] [Z] a interjeté appel du jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes et condamné aux dépens.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 24 janvier 2024, l'appelant demande à la cour de :
- déclarer son appel recevable et bien fondé ;
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a :
débouté de ses demandes, fins et prétentions ;
condamné aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise ;
- en conséquence et statuant à nouveau, à titre principal, sur le fondement de la garantie décennale et des dommages intermédiaires et, à titre subsidiaire, sur le fondement de la garantie des vices cachés :
condamner solidairement Mme [F] et M. [A] à payer au concluant :
au titre des dommages intermédiaires ou des vices cachés : 7 205,65 euros TTC avec actualisation suivant l'évolution de l'indice BT01 depuis le 4 mars 2020 sur la somme de 6 435,65 euros TTC, date du dépôt du rapport d'expertise, et depuis le 22 août 2022 sur la somme de 770 euros TTC, date du devis [D] actualisé, jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir ;
au titre de la garantie décennale ou des vices cachés : 29 694,27 euros TTC avec actualisation suivant l'évolution de l'indice BT01 depuis le 4 mars 2020 sur la somme de 4 142,27 euros TTC et depuis le 30 juin 2023 sur la somme de 25 552 euros TTC, jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir ;
au titre du préjudice de jouissance la somme de 1500 euros TTC ;
au titre des frais d'assistance de techniciens : 1 527,37 euros ;
condamner solidairement Mme [F] et M. [A] aux entiers dépens comprenant les dépens de l'instance en référé et le coût des deux expertises judiciaires ;
condamner solidairement Mme [F] et M. [A] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral subi par M. [Z] ;
condamner solidairement Mme [F] et M. [A] à payer au concluant la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile tenant compte des deux expertises intervenues, du débat sur le fond en première instance puis en appel.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 octobre 2023, Mme [H] [F] demande à la cour de :
- à titre principal, confirmer le jugement déféré et débouter M. [E] [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- à titre subsidiaire, en cas de réformation du jugement de première instance :
débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
débouter M. [Z] de ses demandes en application de l'article 1792-1 du code civil, de l'article 1231-1 du code civil et des articles 1641 et suivants du code civil ;
déclarer prescrite la demande de M. [Z] au titre des articles 1641 et suivant du code civil ;
débouter M. [Z] de sa demande de condamnation solidaire de Mme [F] et de M. [A] ;
en cas de condamnation solidaire de M. [A] et de Mme [F], condamner M. [A] relever et garantir Mme [F] à hauteur de 65 % de sa condamnation, conformément aux droits de chacun des indivisaires sur le bien ;
débouter M. [Z] de toutes demandes de condamnation supérieures aux montants compris dans le rapport d'expertise de M. [P] (1 800 euros) et à défaut, dans le rapport d'expertise de M. [X] (8 964,36 euros) ;
- en tout état de cause :
débouter M. [Z] de sa demande au titre de l'article 700 de code procédure civile ;
débouter M. [Z] de sa demande de condamnation aux entiers dépens
condamner M. [Z] à verser à Mme [F] la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner M. [Z] aux entiers dépens qui seront distraits au profit de la SCPI Bouthier-Perrier- Deloche-Ninotta.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 24 octobre 2022, M. [I] [A] demande à la cour de :
- à titre principal, confirmer le jugement déféré et débouter M. [E] [Z] de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
- à titre subsidiaire, en cas de réformation du jugement de première instance :
débouter M. [E] [Z] de toutes ses demandes, fins et prétentions, en application de l'article 1792-1 du code civil, de l'article 1231-1 du code civil et des articles 1641 et suivants du code civil ;
homologuer le rapport de l'expert du 24 septembre 2015 ;
dire et juger que la condamnation est solidaire pour les vendeurs, et ne serait être supérieure à la somme de 1 800 euros ;
débouter M. [Z] de sa demande au titre de l'article 700 de code procédure civile ;
le débouter de sa demande de condamnation aux entiers dépens ;
- en tout état de cause :
condamner M. [Z] au paiement de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
condamner M. [Z] au paiement de la somme de 6 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
le condamner aux entiers dépens qui seront distraits au profit de Me De Roeck.
MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur la demande d'indemnisation de M. [Z] au titre de la garantie décennale
Moyens des parties
M. [E] [Z] soutient qu'en ce qui concerne les désordres relatifs à la toiture Mme [H] [F] et M. [I] [A] doivent une garantie décennale en qualité de vendeurs ayant eux-mêmes réalisé la construction.
Mme [H] [F] soutient que M. [A] et elle n'avaient pas la qualité de constructeur, l'immeuble n'étant pas achevé lors de la vente, et qu'ils ne doivent pas la garantie décennale aux motifs que les désordres évoqués étaient visibles lors de la vente et ne compromettent pas la solidité de l'ouvrage.
M. [I] [A] soutient que Mme [F] et lui n'avaient pas la qualité de constructeur, alors que l'immeuble n'était pas achevé en raison de l'absence de tout enduit de façade ayant pour fonction d'assurer l'étanchéité à l'eau et à l'air de l'ouvrage.
Réponse de la cour
En application de l'article 1792 du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.
Est réputé constructeur de l'ouvrage :
1° Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ;
2° Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire ;
3° Toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage.
La vente d'un immeuble inachevé ne permet pas l'application de l'article 1792 du code civil (Civ. 3ème, 9 juin 1999, n° 97-19.257).
La juridiction de première instance a jugé que M. [A] et Mme [F] n'avaient pas la qualité de constructeur au sens de l'article 1792-1 du code civil aux motifs suivants :
« Il est de principe, par référence aux dispositions de l'article R. 261-1 du code de la construction et de l'habitation, qu'un immeuble est réputé achevé s'il est normalement habitable, conformément à sa destination.
Dans le cas présent, l'absence de tout enduit de façade ayant pour fonction d'assurer l'étanchéité à l'eau et à l'air de l'ouvrage ne permet pas de considérer que celui-ci est achevé. C'est du reste ce qu'il ressort des énonciations de l'acte de vente dont les acquéreurs ont pris connaissance. En outre, il n'est pas sans intérêt de noter que dans ses conclusions, [E] [Z] indique également, au sujet de la question de la réception soulevée en défense, que 'l'acte de vente vaut déclaration de réception de l'immeuble inachevé' ».
Cette analyse correspond aux éléments du dossier et, en l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties ; il convient en conséquence de confirmer la décision déférée sur ce point en application de l'article 955 du code de procédure civile.
2. Sur la demande d'indemnisation de M. [Z] au titre de la responsabilité contractuelle
Moyens des parties
M. [Z] soutient qu'en ce qui concerne les désordres relatifs aux fenêtres et l'appui de la poutre de la terrasse de façade, Mme [H] [F] et M. [I] [A] engagent leur responsabilité en qualité de vendeurs ayant eux-mêmes réalisé la construction au titre des dommages intermédiaires sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour faute.
Mme [F] réplique qu'elle n'est pas responsable en ce que les travaux n'étaient pas achevés, les désordres étaient apparents au moment de la vente, et l'acte de vente comportait une clause de vente de l'immeuble en l'état et de l'absence de garantie contre les vendeurs.
M. [A] soutient que Mme [F] et lui ne peuvent être tenus à la réparation des dommages intermédiaires, non apparents à la réception de l'ouvrage et n'affectant pas sa solidité, dès lors qu'ils n'ont pas la qualité de constructeurs.
Réponse de la cour
Sur le fondement de l'article 1147 du code civil, devenu l'article 1231-1, après réception, la responsabilité contractuelle de droit commun d'un constructeur ne peut être engagée en raison de malfaçons, que sur le fondement d'une faute prouvée (Civ. 3ème, 11 mai 2004, n° 02-16.569).
En l'espèce, il est constant que la réception de l'ouvrage doit être fixée au jour de la vente.
Comme l'a relevé la juridiction de première instance, outre le fait que Mme [F] et M. [A] n'ont pas la qualité de constructeurs dès lors que l'immeuble n'était pas achevé, les désordres dont se plaint M. [Z] étaient apparents à la date de la vente et il a accepté l'immeuble en l'état ainsi que le stipule le contrat de vente qui comporte une clause d'exclusion de garantie.
Il convient donc de confirmer le jugement déféré de ce chef.
3. Sur la demande d'indemnisation de M. [Z] au titre des vices cachés
Moyens des parties
M. [Z] soutient à titre subsidiaire que Mme [F] et M. [A] doivent leur garantie au titre des vices cachés.
Mme [F] réplique que les désordres dont se prévaut M. [Z] étaient apparents et ne rendent pas l'immeuble impropres à son usage. Elle souligne que le montant des éventuels travaux de reprise retenus par les experts sont modiques par rapport au prix de vente du bien immobilier.
M. [A] répond que l'action en garantie des vices cachés ne saurait prospérer puis qu'il ressort tant du rapport d'expertise que de l'acte de vente que les acquéreurs avaient connaissance de le réalisation des travaux par les vendeurs et que ces travaux n'étaient pas terminés, ainsi que de la présence d'infiltrations d'eau sur la terrasse et de fuites d'eau en toiture de l'agrandissement.
Réponse de la cour
Selon l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
En l'espèce, il ressort de l'acte de vente que M. [Z] et sa compagne ont accepté le bien immobilier en l'état, et notamment alors que 'l'extension n'était pas terminée (enduit non fait) et non conforme aux plans'.
Du propre aveu réitéré de M. [Z] aux termes d'un message électronique du 30 septembre 2013 et lors de l'expertise réalisée par M. [P], il avait connaissance des désordres dont il se plaint avant l'acquisition du bien immobilier.
Par suite, il n'est pas établi que les vices dont se plaint M. [Z] étaient cachés au jour de l'acquisition du bien immobilier.
Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [Z] de son action fondée sur l'existence de vices cachés.
4. Sur la demande d'indemnisation de M. [A] pour procédure abusive
Moyens des parties
M. [A] demande la condamnation de M. [Z] à lui verser la somme de 3 000 euros à titre d'indemnisation de son préjudice en raison de la procédure abusive 'pour les raisons ci-dessus évoquées'.
M. [Z] ne répond pas sur ce point.
Réponse de la cour
En application de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Selon l'article 32-1 du code civil, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Il appartient au juge de caractériser l'existence d'une faute faisant dégénérer en abus de droit le droit d'agir en justice et d'exercer une voie de recours (Civ. 1ère, 23 mars 2022, n° 20-21.186).
En l'espèce, il n'est ni justifié ni allégué l'existence d'une faute imputable à M. [Z], l'échec dans l'exercice d'une voie de droit n'étant pas de nature à laisser penser que l'action engagée était abusive ou téméraire.
Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [A] de sa demande d'indemnisation à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi :
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant :
Condamne M. [E] [Z] à verser à Mme [H] [F] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne M. [E] [Z] à verser à M. [I] [A] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne M. [E] [Z] aux dépens de l'instance d'appel ;
Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, la SCPI Bouthier-Perrier-Deloche-Ninotta et Me De Roeck, avocats, à recouvrer directement contre la partie condamnée, ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, présidente de la deuxième chambre civile et par Mme Caroline Bertolo, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE
N° Minute :
C1
Copie exécutoire délivrée
le :
à
la SELARL GPS AVOCATS
la SCP DELOCHE
SCP FICHTER TAMBE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
2ÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 18 JUIN 2024
Appel d'un jugement (N° R.G. 16/03069) rendu par le tribunal judiciaire de Valence en date du 19 avril 2022, suivant déclaration d'appel du 28 avril 2022
APPELANT :
M. [E] [Z]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 6]
représenté par Me Florence SERPEGINI de la SELARL GPS AVOCATS, avocat au barreau de VALENCE
INTIM ÉS :
Mme [H] [F]
née le 08 Juin 1979 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Stéphanie DELOCHE de la SCP DELOCHE, avocat au barreau de VALENCE
M. [I] [A]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 2]
représenté par Me Julien TAMBE de la SCP FICHTER TAMBE, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Emmanuèle Cardona, présidente,
Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère,
Mme Ludivine Chetail, conseillère,
DÉBATS :
A l'audience publique du 9 avril 2024, Mme Ludivine Chetail, conseillère qui a fait son rapport, assistée de Mme Caroline Bertolo, greffière, a entendu seule les avocats en leurs conclusions, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Il en a été rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
M. [I] [A] et Mme [H] [F] ont réalisé en auto-construction des travaux d'agrandissement de leur maison d'habitation à [Localité 6] (Drôme), consistant en la création d'une extension comprenant une pièce à vivre et une terrasse couverte.
L'immeuble a été vendu à M. [E] [Z] et Mme [L] [V] le 15 mars 2013.
Ceux-ci ont constaté des désordres portant sur la toiture de l'agrandissement de la maison dans le courant de l'année 2013.
M. [E] [Z] a acquis la pleine propriété de l'immeuble par licitation ensuite de la séparation du couple.
Par ordonnance du 22 janvier 2015, le juge des référé a ordonné une expertise confiée à M. [T] [P].
M. [P] a déposé un rapport le 24 septembre 2015.
Par assignations en date du 16 et du 28 juillet 2016, M. [E] [Z] a saisi le tribunal judiciaire de Valence afin d'obtenir l'indemnisation de son préjudice.
Par jugement en date du 20 février 2018, le tribunal judiciaire de Valence a ordonné une contre-expertise confiée à M. [Y] [X] et sursis à statuer sur les prétentions des parties.
M. [X] a déposé un rapport le 4 mars 2020.
Par jugement en date du 19 avril 2022, le tribunal judiciaire de Valence a :
- débouté M. [E] [Z] de ses demandes, fins et prétentions ;
- débouté M. [I] [A] de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive ;
- débouté M. [I] [A] et Mme [H] [F] de leurs demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [E] [Z] aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise.
Par déclaration d'appel en date du 28 avril 2022, M. [E] [Z] a interjeté appel du jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes et condamné aux dépens.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 24 janvier 2024, l'appelant demande à la cour de :
- déclarer son appel recevable et bien fondé ;
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a :
débouté de ses demandes, fins et prétentions ;
condamné aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise ;
- en conséquence et statuant à nouveau, à titre principal, sur le fondement de la garantie décennale et des dommages intermédiaires et, à titre subsidiaire, sur le fondement de la garantie des vices cachés :
condamner solidairement Mme [F] et M. [A] à payer au concluant :
au titre des dommages intermédiaires ou des vices cachés : 7 205,65 euros TTC avec actualisation suivant l'évolution de l'indice BT01 depuis le 4 mars 2020 sur la somme de 6 435,65 euros TTC, date du dépôt du rapport d'expertise, et depuis le 22 août 2022 sur la somme de 770 euros TTC, date du devis [D] actualisé, jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir ;
au titre de la garantie décennale ou des vices cachés : 29 694,27 euros TTC avec actualisation suivant l'évolution de l'indice BT01 depuis le 4 mars 2020 sur la somme de 4 142,27 euros TTC et depuis le 30 juin 2023 sur la somme de 25 552 euros TTC, jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir ;
au titre du préjudice de jouissance la somme de 1500 euros TTC ;
au titre des frais d'assistance de techniciens : 1 527,37 euros ;
condamner solidairement Mme [F] et M. [A] aux entiers dépens comprenant les dépens de l'instance en référé et le coût des deux expertises judiciaires ;
condamner solidairement Mme [F] et M. [A] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral subi par M. [Z] ;
condamner solidairement Mme [F] et M. [A] à payer au concluant la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile tenant compte des deux expertises intervenues, du débat sur le fond en première instance puis en appel.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 octobre 2023, Mme [H] [F] demande à la cour de :
- à titre principal, confirmer le jugement déféré et débouter M. [E] [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- à titre subsidiaire, en cas de réformation du jugement de première instance :
débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
débouter M. [Z] de ses demandes en application de l'article 1792-1 du code civil, de l'article 1231-1 du code civil et des articles 1641 et suivants du code civil ;
déclarer prescrite la demande de M. [Z] au titre des articles 1641 et suivant du code civil ;
débouter M. [Z] de sa demande de condamnation solidaire de Mme [F] et de M. [A] ;
en cas de condamnation solidaire de M. [A] et de Mme [F], condamner M. [A] relever et garantir Mme [F] à hauteur de 65 % de sa condamnation, conformément aux droits de chacun des indivisaires sur le bien ;
débouter M. [Z] de toutes demandes de condamnation supérieures aux montants compris dans le rapport d'expertise de M. [P] (1 800 euros) et à défaut, dans le rapport d'expertise de M. [X] (8 964,36 euros) ;
- en tout état de cause :
débouter M. [Z] de sa demande au titre de l'article 700 de code procédure civile ;
débouter M. [Z] de sa demande de condamnation aux entiers dépens
condamner M. [Z] à verser à Mme [F] la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner M. [Z] aux entiers dépens qui seront distraits au profit de la SCPI Bouthier-Perrier- Deloche-Ninotta.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 24 octobre 2022, M. [I] [A] demande à la cour de :
- à titre principal, confirmer le jugement déféré et débouter M. [E] [Z] de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
- à titre subsidiaire, en cas de réformation du jugement de première instance :
débouter M. [E] [Z] de toutes ses demandes, fins et prétentions, en application de l'article 1792-1 du code civil, de l'article 1231-1 du code civil et des articles 1641 et suivants du code civil ;
homologuer le rapport de l'expert du 24 septembre 2015 ;
dire et juger que la condamnation est solidaire pour les vendeurs, et ne serait être supérieure à la somme de 1 800 euros ;
débouter M. [Z] de sa demande au titre de l'article 700 de code procédure civile ;
le débouter de sa demande de condamnation aux entiers dépens ;
- en tout état de cause :
condamner M. [Z] au paiement de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
condamner M. [Z] au paiement de la somme de 6 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
le condamner aux entiers dépens qui seront distraits au profit de Me De Roeck.
MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur la demande d'indemnisation de M. [Z] au titre de la garantie décennale
Moyens des parties
M. [E] [Z] soutient qu'en ce qui concerne les désordres relatifs à la toiture Mme [H] [F] et M. [I] [A] doivent une garantie décennale en qualité de vendeurs ayant eux-mêmes réalisé la construction.
Mme [H] [F] soutient que M. [A] et elle n'avaient pas la qualité de constructeur, l'immeuble n'étant pas achevé lors de la vente, et qu'ils ne doivent pas la garantie décennale aux motifs que les désordres évoqués étaient visibles lors de la vente et ne compromettent pas la solidité de l'ouvrage.
M. [I] [A] soutient que Mme [F] et lui n'avaient pas la qualité de constructeur, alors que l'immeuble n'était pas achevé en raison de l'absence de tout enduit de façade ayant pour fonction d'assurer l'étanchéité à l'eau et à l'air de l'ouvrage.
Réponse de la cour
En application de l'article 1792 du code civil, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.
Est réputé constructeur de l'ouvrage :
1° Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ;
2° Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire ;
3° Toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage.
La vente d'un immeuble inachevé ne permet pas l'application de l'article 1792 du code civil (Civ. 3ème, 9 juin 1999, n° 97-19.257).
La juridiction de première instance a jugé que M. [A] et Mme [F] n'avaient pas la qualité de constructeur au sens de l'article 1792-1 du code civil aux motifs suivants :
« Il est de principe, par référence aux dispositions de l'article R. 261-1 du code de la construction et de l'habitation, qu'un immeuble est réputé achevé s'il est normalement habitable, conformément à sa destination.
Dans le cas présent, l'absence de tout enduit de façade ayant pour fonction d'assurer l'étanchéité à l'eau et à l'air de l'ouvrage ne permet pas de considérer que celui-ci est achevé. C'est du reste ce qu'il ressort des énonciations de l'acte de vente dont les acquéreurs ont pris connaissance. En outre, il n'est pas sans intérêt de noter que dans ses conclusions, [E] [Z] indique également, au sujet de la question de la réception soulevée en défense, que 'l'acte de vente vaut déclaration de réception de l'immeuble inachevé' ».
Cette analyse correspond aux éléments du dossier et, en l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties ; il convient en conséquence de confirmer la décision déférée sur ce point en application de l'article 955 du code de procédure civile.
2. Sur la demande d'indemnisation de M. [Z] au titre de la responsabilité contractuelle
Moyens des parties
M. [Z] soutient qu'en ce qui concerne les désordres relatifs aux fenêtres et l'appui de la poutre de la terrasse de façade, Mme [H] [F] et M. [I] [A] engagent leur responsabilité en qualité de vendeurs ayant eux-mêmes réalisé la construction au titre des dommages intermédiaires sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour faute.
Mme [F] réplique qu'elle n'est pas responsable en ce que les travaux n'étaient pas achevés, les désordres étaient apparents au moment de la vente, et l'acte de vente comportait une clause de vente de l'immeuble en l'état et de l'absence de garantie contre les vendeurs.
M. [A] soutient que Mme [F] et lui ne peuvent être tenus à la réparation des dommages intermédiaires, non apparents à la réception de l'ouvrage et n'affectant pas sa solidité, dès lors qu'ils n'ont pas la qualité de constructeurs.
Réponse de la cour
Sur le fondement de l'article 1147 du code civil, devenu l'article 1231-1, après réception, la responsabilité contractuelle de droit commun d'un constructeur ne peut être engagée en raison de malfaçons, que sur le fondement d'une faute prouvée (Civ. 3ème, 11 mai 2004, n° 02-16.569).
En l'espèce, il est constant que la réception de l'ouvrage doit être fixée au jour de la vente.
Comme l'a relevé la juridiction de première instance, outre le fait que Mme [F] et M. [A] n'ont pas la qualité de constructeurs dès lors que l'immeuble n'était pas achevé, les désordres dont se plaint M. [Z] étaient apparents à la date de la vente et il a accepté l'immeuble en l'état ainsi que le stipule le contrat de vente qui comporte une clause d'exclusion de garantie.
Il convient donc de confirmer le jugement déféré de ce chef.
3. Sur la demande d'indemnisation de M. [Z] au titre des vices cachés
Moyens des parties
M. [Z] soutient à titre subsidiaire que Mme [F] et M. [A] doivent leur garantie au titre des vices cachés.
Mme [F] réplique que les désordres dont se prévaut M. [Z] étaient apparents et ne rendent pas l'immeuble impropres à son usage. Elle souligne que le montant des éventuels travaux de reprise retenus par les experts sont modiques par rapport au prix de vente du bien immobilier.
M. [A] répond que l'action en garantie des vices cachés ne saurait prospérer puis qu'il ressort tant du rapport d'expertise que de l'acte de vente que les acquéreurs avaient connaissance de le réalisation des travaux par les vendeurs et que ces travaux n'étaient pas terminés, ainsi que de la présence d'infiltrations d'eau sur la terrasse et de fuites d'eau en toiture de l'agrandissement.
Réponse de la cour
Selon l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
En l'espèce, il ressort de l'acte de vente que M. [Z] et sa compagne ont accepté le bien immobilier en l'état, et notamment alors que 'l'extension n'était pas terminée (enduit non fait) et non conforme aux plans'.
Du propre aveu réitéré de M. [Z] aux termes d'un message électronique du 30 septembre 2013 et lors de l'expertise réalisée par M. [P], il avait connaissance des désordres dont il se plaint avant l'acquisition du bien immobilier.
Par suite, il n'est pas établi que les vices dont se plaint M. [Z] étaient cachés au jour de l'acquisition du bien immobilier.
Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [Z] de son action fondée sur l'existence de vices cachés.
4. Sur la demande d'indemnisation de M. [A] pour procédure abusive
Moyens des parties
M. [A] demande la condamnation de M. [Z] à lui verser la somme de 3 000 euros à titre d'indemnisation de son préjudice en raison de la procédure abusive 'pour les raisons ci-dessus évoquées'.
M. [Z] ne répond pas sur ce point.
Réponse de la cour
En application de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Selon l'article 32-1 du code civil, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Il appartient au juge de caractériser l'existence d'une faute faisant dégénérer en abus de droit le droit d'agir en justice et d'exercer une voie de recours (Civ. 1ère, 23 mars 2022, n° 20-21.186).
En l'espèce, il n'est ni justifié ni allégué l'existence d'une faute imputable à M. [Z], l'échec dans l'exercice d'une voie de droit n'étant pas de nature à laisser penser que l'action engagée était abusive ou téméraire.
Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [A] de sa demande d'indemnisation à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi :
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant :
Condamne M. [E] [Z] à verser à Mme [H] [F] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne M. [E] [Z] à verser à M. [I] [A] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne M. [E] [Z] aux dépens de l'instance d'appel ;
Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, la SCPI Bouthier-Perrier-Deloche-Ninotta et Me De Roeck, avocats, à recouvrer directement contre la partie condamnée, ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, présidente de la deuxième chambre civile et par Mme Caroline Bertolo, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE