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Décisions

Cass. com., 26 juin 2024, n° 23-14.085

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Défendeur :

Ucar location (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Bellino

Avocats :

SCP Alain Bénabent, SCP Célice, Texidor, Périer

T. com. Paris, du 10 juin 2020, n° 20190…

10 juin 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 janvier 2023), le 12 juin 2013, la société Ucar location (la société Ucar), animateur d'un réseau de franchise ayant pour activité la location de courte durée de véhicules, a conclu avec la société Rouen Sud avenir location, ayant pour associés Mme [I] et M. [W], un contrat de franchise pour une durée de cinq années.

2. Par jugement du 23 mai 2017, une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l'encontre de la société Rouen Sud avenir location, laquelle a cessé toute activité le 2 juin 2017.

3. Mme [I] et M. [W] ont assigné la société Ucar pour obtenir, à titre principal, la nullité du contrat de franchise, subsidiairement, sa résiliation aux torts exclusifs de la société Ucar et, en tout état de cause, la condamnation de cette dernière à leur payer des dommages et intérêts. La société Ucar a opposé l'irrecevabilité de l'action.

Examen des moyens

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. Mme [I] et M. [W] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, en ce compris celles tendant à condamner la société Ucar à leur payer des dommages et intérêts d'un montant total de 349 896,90 euros en réparation des différents préjudices qu'ils ont subis, alors « que la fourniture d'un document d'information précontractuelle conforme aux exigences de l'article L. 330-3 du code de commerce ne suffit pas à écarter tout manquement commis par le franchiseur lors de la période précédant la conclusion dudit contrat, notamment la réticence dolosive ; qu'en se bornant à contrôler la sincérité des informations effectivement transmises aux consorts [I] et [W], sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Ucar n'avait pas sciemment gardé le silence sur d'autres informations déterminantes du consentement du franchisé, la cour d'appel a violé les articles 1116 et 1382 du code civil dans leur rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1116 et 1382 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

5. Aux termes du premier de ces textes, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Selon le second, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

6. Pour rejeter les demandes de Mme [I] et M. [W], l'arrêt relève que le document d'information précontractuel (DIP) remis par la société Ucar à Mme [I] le 8 octobre 2012 est conforme aux dispositions des articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce, qu'il présente l'état général du marché de la location courte durée de véhicules de façon suffisante, que la société Ucar y a, de surcroît, mentionné le nombre d'entreprises ayant, dans les douze mois antérieurs, cessé de faire partie du réseau en raison de l'expiration ou de la résiliation des contrats ou de la cession du fonds de commerce, ainsi qu'en raison d'une procédure collective, et que le DIP contient enfin, outre les investissements prévisibles avant le commencement de l'exploitation, le chiffre d'affaires moyen par véhicule déclaré par les agences franchisées, le coût mensuel moyen de la flotte déclaré par les agences franchisées et le parc de véhicules à financer. Il retient que Mme [I] et M. [W] ne démontrent donc pas en quoi ils auraient eu communication d'informations insincères du franchiseur, ne leur permettant pas d'apprécier la pertinence économique de l'opération, ce qui leur aurait causé préjudice.

7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Ucar n'avait pas gardé intentionnellement le silence sur les procédures collectives survenues dans le réseau après la remise du DIP et avant la signature du contrat de franchise et si cette information n'aurait pas dissuadé la société Rouen Sud avenir location de contracter, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident éventuel, qui est préalable

Enoncé du moyen

8. La société Ucar fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré Mme [I] et M. [W] irrecevables en leurs demandes indemnitaires et de rejeter la fin de non-recevoir qu'elle a soulevée en ce sens, alors « qu'un associé n'est pas recevable à agir en réparation d'un préjudice qui n'est que le corollaire d'un dommage subi en premier rang par sa société ; que lorsque cette société a été placée en liquidation judiciaire, seul le liquidateur a qualité pour poursuivre la réparation de ce dommage et pour reconstituer de la sorte l'actif social dans l'intérêt collectif des créanciers, les associés n'étant recevables à poursuivre l'indemnisation que des préjudices qui leur sont strictement personnels et qui ne sont pas le reflet d'un préjudice subi par la société ; qu'en l'espèce, la société Ucar faisait valoir que les préjudices que Mme [I] et M. [W] prétendaient avoir subis en raison des manquements qui lui étaient imputés, qui consistaient par exemple dans la perte de leur apport en capital ou dans la perte d'une chance de mieux investir leurs fonds, n'étaient que la conséquence d'un dommage que la société Rouen Sud avenir location avait subi en premier rang, de sorte qu'ils étaient irrecevables à agir aux fins d'obtenir l'indemnisation de tels préjudices, ainsi que l'avaient d'ailleurs retenu les premiers juges ; qu'en rejetant cette fin de non-recevoir au motif que "l'intérêt à agir n'est pas subordonnée à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action et l'existence du droit invoqué par les parties n'est pas une condition de recevabilité de leur action mais de leur succès" et que "Madame [I] et Monsieur [W] pouv[aient] donc invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, les manquements de la société Ucar qui sont, selon eux, directement à l'origine des préjudices propres qu'ils estiment avoir subi", cependant que l'argumentation soutenue par la société Ucar était de nature à justifier le constat de l'irrecevabilité des demandes de Mme [I] et de M. [W] pour défaut de qualité et qu'il lui appartenait par conséquent d'analyser les préjudices allégués par ces derniers pour déterminer s'ils n'étaient pas que les corollaires d'un préjudice subi en premier rang par la société franchisée, la cour d‘appel a violé l'article 31 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 641-4 et L. 622-20 du code de commerce, dans leur rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 31 du code de procédure civile et L. 622-20 et L. 641-4 du code de commerce :

9. Selon le premier de ces textes, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

10. Il résulte des deux derniers que seul le représentant des créanciers, dont les attributions sont ensuite dévolues au liquidateur, ayant qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers, un associé ou un créancier ne sont pas recevables à agir individuellement en réparation d'un préjudice qui ne constitue qu'une fraction du passif collectif dont l'apurement est assuré par le gage commun des créanciers, qu'il appartient au seul mandataire de reconstituer.

11. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de Mme [I] et M. [W], l'arrêt retient que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action et que l'existence du droit invoqué par les parties n'est pas une condition de recevabilité de leur action mais de leur succès, de sorte que Mme [I] et M. [W] peuvent valablement invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, les manquements de la société Ucar qui sont, selon eux, directement à l'origine des préjudices propres qu'ils estiment avoir subi.

12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les préjudices allégués n'étaient pas, en partie ou en totalité, qu'une fraction du préjudice collectif subi par l'ensemble des créanciers, dont la réparation relevait du monopole d'action du liquidateur, et si, par conséquent, Mme [I] et M. [W] n'étaient pas sans qualité à agir individuellement en réparation desdits préjudices, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal et sur le second moyen du pourvoi incident, qui n'a été soulevé qu'à titre subsidiaire, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la fin de non-recevoir des demandes indemnitaires prise du défaut de qualité de Mme [I] et M. [W] à agir en responsabilité délictuelle contre la société Ucar location, en ce qu'il rejette les demandes de Mme [I] et de M. [W] et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 4 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.