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Cass. com., 26 juin 2024, n° 23-13.535

COUR DE CASSATION

Autre

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Maisons du monde France (SAS)

Défendeur :

Auchan e-commerce France (SAS), Auchan hypermarché (SAS), Inter@ction Consulting (SAS), Kitchen Accessories Table et Surprises (SARL), Ekip' (SELARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Comte

Avocat général :

Mme Texier

Avocats :

Me Le Guerer, Bouniol-Brochier, Me Marlange et de La Burgade

Rennes, du 20 janv. 2023

20 janvier 2023

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 20 janvier 2023), rendu sur renvoi après cassation (Com., 5 janvier 2022, pourvoi n° 19-23.701), courant 2013, les sociétés Auchan e-commerce France et Auchan hypermarché (les sociétés Auchan) ont commercialisé des tasses et des bols comportant des images de type « vintage », commandés à la société Kitchen Accessories Tables et Surprises (la société KATS), qui en avait fait concevoir les dessins par la société Inter@ction Consulting (la société Inter@ction).

2. Soutenant que ces objets reproduisaient un décor créé par son bureau d'étude de style en 2010 et commercialisé sous forme de tableau sur support toile dénommé « Pub 50's », la société Maisons du monde France (la société Maisons du monde) a assigné les sociétés Auchan et KATS en paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme. La société Inter@ction est intervenue volontairement à la procédure.

3. La société KATS ayant été mise en liquidation judiciaire, la société Maisons du monde a appelé en intervention forcée la société Ekip', en sa qualité de liquidateur judiciaire.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société Maisons du monde fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts pour actes de parasitisme et le surplus de ses demandes à ce titre, alors :

« 1°/ que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis, indépendamment de tout risque de confusion ; qu'il suppose l'existence d'un simple risque d'évocation, dans l'esprit du public, avec le produit imité, et non d'un risque d'évocation d'un univers caractéristique" de l'entreprise parasitée ; qu'en retenant que les faits litigieux ne deviendraient fautifs qu'à la condition qu'il soit démontré que les sociétés Auchan et KATS aient commercialisé leurs produits dans le but de profiter de la notoriété ou des investissements de la société Maisons du monde en évoquant un univers caractéristique qui lui serait associé dans l'esprit du public", et en retenant, pour écarter le parasitisme, que la commercialisation de la toile de la société Maisons du monde n'est attestée que sur une période limitée, et celle-ci n'a jamais été mise en avant comme un produit emblématique de sa collection ‘vintage', genre alors en vogue mais qu'elle n'était pas seule à exploiter, et qui n'était pas même caractéristique de l'univers de ses produits puisqu'elle développait simultanément d'autres collections ‘folk', ‘Bovary' et ‘rétro'" et que cette toile n'avait jamais été mise en avant comme emblématique de l'univers de sa marque", la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

2°/ que pour justifier de ses efforts de conception de la toile Pub 50's", la société Maisons du monde soulignait, en particulier, qu'elle avait conçu un décor constitué de la combinaison de plusieurs caractéristiques (à savoir, une sélection spécifique d'objets iconiques des années 1950 associés à la photographie détourée et grisée d'un personnage féminin pouvant évoquer cette époque ; des jeux particuliers de couleurs et de graphismes ; un agencement particulier ; la présence d'un fond gris clair donnant un aspect vieilli), qui ne se retrouvait pas sur les autres produits présents sur le marché et qui conférait à sa toile une forte attractivité sur le marché ; qu'en relevant, pour retenir simplement que l'investissement de la société [Maisons du monde] est, dans une certaine mesure, avéré", qu'il ressortait de l'attestation de la styliste de Maisons du monde que celle-ci a conçu seule un décor constitué d'images cultes" évocatrices du style de vie américain des années cinquante et disponibles sur internet, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le travail de conception du bureau de styles de Maisons du monde n'avait pas permis le lancement d'une toile présentant une combinaison de caractéristiques ne se retrouvant pas sur le marché et lui conférant ainsi une attractivité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

3°/ que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ; qu'en l'espèce, la société Maisons du monde n'invoquait pas seulement les investissements qu'elle a consentis pour concevoir la toile Pub 50's", mais également les importants efforts qu'elle a mis en œuvre pour promouvoir la toile Pub 50's" dans des ambiances attractives au sein de ses magasins et sur son site internet ; qu'en se fondant, pour retenir que l'investissement de la société Maisons du monde est, dans une certaine mesure, avéré", sur les seuls investissements consentis pour sa conception, sans s'expliquer, comme elle y était invitée, sur les efforts promotionnels également invoqués par la société Maisons du monde, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

4°/ que le comportement du tiers qui, en imitant les caractéristiques de la prestation d'autrui, tire indûment profit des efforts consentis par l'entreprise qui l'exploite, demeure fautif, quand bien même la réalisation de cette imitation aurait nécessité la mise en œuvre d'efforts ou d'investissements particuliers ; que, tout en relevant que la société Intera@ction s'était inspirée du contenu et de l'agencement de la toile de Maisons du monde, la cour d'appel a retenu, pour écarter tout profit indûment tiré des efforts et du savoir-faire de la société Maisons du monde, que les sociétés Auchan ont commandé et payé la création d'articles pour leur opération vintage" à la société KATS, qui a à son tour commandé et payé un décor à la société Inter@ction, laquelle a recherché et acquis, sur internet, des images évocatrices des années 50 pour les retravailler, et qu'ainsi, rien ne démontre que la société Inter@ction ait conçu son décor avec une réelle économie de coût" ; qu'en se déterminant par de tels motifs impropres à exclure l'existence d'un profit indûment tiré des investissements de la société Maisons du monde, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

5°/ que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ; qu'il est indifférent, pour la caractérisation d'une telle faute, que l'auteur des agissements parasitaires ait ou non conscience de causer un préjudice à l'entreprise victime de ceux-ci ; qu'en relevant que les sociétés intimées pouvaient légitimement penser qu'elles ne causeraient aucun préjudice à la société Maisons du monde en acquérant d'autres images d'objets et de personnages similaires disponibles librement sur internet afin de décliner une combinaison de ces éléments d'esprit vintage" inspirée du tableau sans toutefois le copier servilement, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant, en violation de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

6°/ que l'action fondée sur le parasitisme étant ouverte à celui qui ne peut se prévaloir de droits privatifs, l'originalité des éléments dont la reprise est invoquée n'est pas une condition de son bien-fondé ; qu'en relevant, par motifs propres, que le tableau" de la société Maisons du monde constituerait une combinaison banale d'images préexistantes" et, par motifs éventuellement adoptés, que la société Maisons du monde ne démontrait pas que l'originalité de son tableau lui conférait un avantage concurrentiel certain dont le groupe Auchan aurait bénéficié, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

5. Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (Com., 16 février 2022, pourvoi n° 20-13.542 ; Com., 10 juillet 2018, pourvoi n° 16-23.694, Bull. 2018, IV, n° 87 ; Com., 27 juin 1995, pourvoi n° 93-18.601, Bulletin 1995, IV, n° 193).

6. Il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme d'identifier la valeur économique individualisée qu'il invoque (Com., 26 juin 2024, pourvoi n° 23-13.535 ; Com., 20 septembre 2016, pourvoi n° 14-25.131, Bull. 2016, IV, n° 116), ainsi que la volonté d'un tiers de se placer dans son sillage (Com., 3 juillet 2001, pourvoi n° 98-23.236, 99-10.406, Bull. 2001, IV, n° 132).

7. Le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser une valeur économique identifiée et individualisée ne peuvent se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit (Com., 5 juillet 2016, pourvoi n° 14-10.108, Bull. 2016, IV, n° 101) et, les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en oeuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme (1re Civ., 22 juin 2017, pourvoi n° 14-20.310, Bull. 2017, I, n° 152).

8. Après avoir relevé que le tableau sur toile dénommé « Pub 50's », commercialisé par la société Maisons du monde, était composé de différents clichés, disponibles en droit libre sur internet, qui ont été acquis, reproduits et agencés sur la toile, et considéré que les décors des tasses et bols commercialisés par les sociétés Auchan n'étaient pas des copies serviles de ces clichés, l'arrêt relève, d'abord, que la toile « Pub 50's » a été commercialisée sur une période limitée, qu'elle n'a jamais été mise en avant comme étant emblématique de la collection « vintage », genre alors en vogue, et que la société Maisons du monde n'était pas la seule à exploiter, et qu'elle n'était pas même caractéristique de l'univers des produits de cette société, qui développait simultanément d'autres collections « folk », « Bovary » et « rétro ». Elle retient, ensuite, qu'il ressort de l'attestation de la styliste de la société Maisons du monde que celle-ci a conçu seule un décor constitué « d'images cultes » évocatrices du style de vie américain des années cinquante, disponibles sur internet, et que la société Maisons du monde n'avait aucun droit de propriété intellectuelle sur les éléments de ces décors, que le décor du tableau y figurant n'a pas ensuite été décliné sur d'autres produits et qu'il constituait une combinaison banale d'images préexistantes qui n'avait jamais été mise en avant comme emblématique de l'univers de sa marque.

9. En l'état de ces seules constatations et appréciations souveraines, desquelles il ressort qu'en créant et commercialisant la toile « Pub 50's », la société Maisons du monde n'a pas produit une valeur économique identifiée et individualisée, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise visée à la deuxième branche, a, par une motivation suffisante, exactement retenu qu'aucun acte de parasitisme n'avait été commis.

10. Le moyen, inopérant en ses première, quatrième, cinquième et sixième branches, qui critiquent des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Maisons du monde France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Maisons du monde France et la condamne à payer aux sociétés Auchan e-commerce France et Auchan hypermarché la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six juin deux mille vingt-quatre.