DĂ©cisions

CJUE, 1re ch., 27 juin 2024, n° C-201/19 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

ArrĂȘt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Servier SAS, Servier Laboratories Ltd, Laboratoires Servier SAS

DĂ©fendeur :

Commission européenne, Royaume-Uni de Grande-Bretagne, Irlande du Nord

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

PrĂ©sident :

M. Arabadjiev (rapporteur)

Juges :

M. Xuereb, M. Kumin, M. Ziemele, M. Lenaerts

Avocat gĂ©nĂ©ral :

Mme Kokott

Avocats :

Me de Juvigny, Me Jourdan, Me Reymond, Me Robert, Me Killick, Me Carlin

LA COUR (premiĂšre chambre),

1 Par leur pourvoi, Servier SAS, Servier Laboratories Ltd et Les Laboratoires Servier SAS demandent l’annulation partielle de l’arrĂȘt du Tribunal de l’Union europĂ©enne du 12 dĂ©cembre 2018, Servier e.a./Commission (T 691/14, ci-aprĂšs l’« arrĂȘt attaquĂ© », EU:T:2018:922), par lequel celui-ci a partiellement rejetĂ© leur recours tendant Ă  l’annulation de la dĂ©cision C(2014) 4955 final de la Commission, du 9 juillet 2014, relative Ă  une procĂ©dure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 102 [TFUE] [affaire AT.39612 – PĂ©rindopril (Servier)] (ci-aprĂšs la « dĂ©cision litigieuse »), en tant qu’elle les concerne, et, Ă  titre subsidiaire, Ă  la rĂ©duction du montant de l’amende qui leur a Ă©tĂ© infligĂ©e par cette dĂ©cision.

I. Le cadre juridique

A. Le rĂšglement (CE) no 1/2003

2 L’article 2 du rĂšglement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 dĂ©cembre 2002, relatif Ă  la mise en Ɠuvre des rĂšgles de concurrence prĂ©vues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), intitulĂ© « Charge de la preuve », dispose :

« Dans toutes les procĂ©dures nationales et communautaires d’application des articles [101] et [102 TFUE], la charge de la preuve d’une violation de l’article [101], paragraphe 1, ou de l’article [102 TFUE] incombe Ă  la partie ou Ă  l’autoritĂ© qui l’allĂšgue. En revanche, il incombe Ă  l’entreprise ou Ă  l’association d’entreprises qui invoque le bĂ©nĂ©fice des dispositions de l’article [101], paragraphe 3, [TFUE] d’apporter la preuve que les conditions de ce paragraphe sont remplies. »

B. Les lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2004

3 Le point 209 des lignes directrices de la Commission europĂ©enne, du 27 avril 2004, relatives Ă  l’application de l’article [101 TFUE] aux accords de transfert de technologie (JO 2004, C 101, p. 2, ci-aprĂšs les « lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2004 »), prĂ©voit :

« Dans le cadre d’un accord de rĂšglement et de non-revendication, des clauses de non-contestation sont gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ©es comme ne relevant pas de l’article [101, paragraphe 1, TFUE]. Une caractĂ©ristique propre Ă  de tels accords est que les parties conviennent de ne pas contester a posteriori les droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle qu’ils couvrent. En effet, le vĂ©ritable objectif de l’accord est de rĂ©gler les litiges existants et/ou d’éviter des litiges futurs. »

C. Les lignes directrices concernant l’application de l’article 101 [TFUE] Ă  des catĂ©gories d’accords de transfert de technologie

4 Les points 242 et 243 des lignes directrices concernant l’application de l’article 101 [TFUE] Ă  des catĂ©gories d’accords de transfert de technologie (JO 2014, C 89, p. 3) prĂ©voient :

« Clauses de non-contestation dans les accords de rÚglement

242. Dans le cadre d’un accord de rĂšglement, des clauses de non-contestation sont gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ©es comme ne relevant pas de l’article 101, paragraphe 1, [TFUE]. Une caractĂ©ristique propre Ă  de tels accords est que les parties conviennent de ne pas contester a posteriori les droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle qui Ă©taient au cƓur du litige. En effet, le vĂ©ritable objectif de l’accord est de rĂ©gler les litiges existants et/ou d’éviter des litiges futurs.

243. Cependant, les clauses de non-contestation contenues dans les accords de rĂšglement peuvent, dans des circonstances spĂ©cifiques, ĂȘtre anticoncurrentielles et tomber sous le coup de l’article 101, paragraphe 1, [TFUE]. La limitation de la libertĂ© de contester un droit de propriĂ©tĂ© intellectuelle ne fait pas partie de l’objet spĂ©cifique d’un droit de propriĂ©tĂ© intellectuelle et peut restreindre la concurrence. Par exemple, une clause de non-contestation est susceptible d’ĂȘtre contraire Ă  l’article 101, paragraphe 1, lorsqu’un droit de propriĂ©tĂ© intellectuelle a Ă©tĂ© accordĂ© Ă  la suite de la fourniture d’indications inexactes ou dĂ©naturĂ©es [...] L’examen de ces clauses peut Ă©galement ĂȘtre nĂ©cessaire si le donneur, outre la concession des droits sur technologie, incite le preneur, financiĂšrement ou par un autre moyen, Ă  accepter de ne pas contester la validitĂ© des droits sur technologie ou si ceux-ci sont un facteur nĂ©cessaire pour la production du preneur [...] »

II. Les antécédents du litige

5 Les antĂ©cĂ©dents du litige, tels qu’ils ressortent, notamment, des points 1 Ă  73 de l’arrĂȘt attaquĂ©, peuvent ĂȘtre rĂ©sumĂ©s comme suit.

A. Le périndopril

6 Servier SAS est la société mÚre du groupe pharmaceutique Servier qui comprend Les Laboratoires Servier SAS et Servier Laboratories Ltd (ci-aprÚs, prises individuellement ou ensemble, « Servier »). La société Les Laboratoires Servier est spécialisée dans le développement de médicaments princeps, sa filiale Biogaran SAS dans celui des médicaments génériques.

7 Servier a mis au point le pĂ©rindopril, un mĂ©dicament principalement destinĂ© Ă  lutter contre l’hypertension et l’insuffisance cardiaque. Ce mĂ©dicament fait partie des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine. Le principe actif du pĂ©rindopril se prĂ©sente sous la forme d’un sel. Le sel utilisĂ© initialement Ă©tait l’erbumine.

8 Le brevet EP0049658, relatif au principe actif du pĂ©rindopril, a Ă©tĂ© dĂ©posĂ© par une sociĂ©tĂ© du groupe Servier devant l’Office europĂ©en des brevets (OEB) le 29 septembre 1981. Ce brevet devait arriver Ă  expiration le 29 septembre 2001, mais sa protection a Ă©tĂ© Ă©tendue dans plusieurs États membres, notamment au Royaume-Uni, jusqu’au 22 juin 2003. En France, la protection dudit brevet a Ă©tĂ© Ă©tendue jusqu’au 22 mars 2005 et, en Italie, jusqu’au 13 fĂ©vrier 2009.

9 Le 16 septembre 1988, Servier a dĂ©posĂ© devant l’OEB plusieurs brevets relatifs aux procĂ©dĂ©s de fabrication du principe actif du pĂ©rindopril qui expiraient le 16 septembre 2008, Ă  savoir : les brevets EP0308339 (ci-aprĂšs, le « brevet 339 »), EP0308340 (ci-aprĂšs, le « brevet 340 »), EP0308341 (ci-aprĂšs, le « brevet 341 ») et EP0309324.

10 Le 6 juillet 2001, Servier a dĂ©posĂ© auprĂšs de l’OEB le brevet EP1296947 (ci-aprĂšs le « brevet 947 »), relatif Ă  la forme cristalline alpha du pĂ©rindopril erbumine et Ă  son procĂ©dĂ© de fabrication, lequel a Ă©tĂ© dĂ©livrĂ© par l’OEB le 4 fĂ©vrier 2004.

11 Le 6 juillet 2001, Servier a, en outre, dĂ©posĂ© des demandes de brevets nationaux dans plusieurs États membres avant que ceux-ci ne soient parties Ă  la convention sur la dĂ©livrance de brevets europĂ©ens, signĂ©e Ă  Munich le 5 octobre 1973 et entrĂ©e en vigueur le 7 octobre 1977. Servier a, par exemple, dĂ©posĂ© des demandes de brevets correspondant au brevet 947 en Bulgarie (BG 107 532), en RĂ©publique tchĂšque (PV2003-357), en Estonie (P200300001), en Hongrie (HU225340), en Pologne (P348492) et en Slovaquie (PP0149-2003). Ces brevets ont Ă©tĂ© dĂ©livrĂ©s le 16 mai 2006 en Bulgarie, le 17 aoĂ»t 2006 en Hongrie, le 23 janvier 2007 en RĂ©publique tchĂšque, le 23 avril 2007 en Slovaquie et le 24 mars 2010 en Pologne.

B. Les litiges relatifs au périndopril

12 Entre l’annĂ©e 2003 et l’annĂ©e 2009, plusieurs litiges ont opposĂ© Servier Ă  des fabricants s’apprĂȘtant Ă  commercialiser une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril.

1. Les dĂ©cisions de l’OEB

13 Au cours de l’annĂ©e 2004, dix fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques, dont Niche Generics Ltd (ci-aprĂšs « Niche »), KRKA, tovarna zdravil, d.d. (ci-aprĂšs « Krka »), Lupin Ltd et Norton Healthcare Ltd, filiale d’Ivax Europe, qui a fusionnĂ© ultĂ©rieurement avec Teva Pharmaceutical Industries Ltd, sociĂ©tĂ© mĂšre du groupe Teva, spĂ©cialisĂ© dans la fabrication de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques, ont formĂ© opposition contre le brevet 947 devant l’OEB, en vue d’obtenir sa rĂ©vocation, en invoquant des motifs tirĂ©s du manque de nouveautĂ© et d’activitĂ© inventive ainsi que du caractĂšre insuffisant de l’exposĂ© de l’invention.

14 Le 27 juillet 2006, la division d’opposition de l’OEB a confirmĂ© la validitĂ© du brevet 947 (ci-aprĂšs la « dĂ©cision de l’OEB du 27 juillet 2006 »). Cette dĂ©cision a Ă©tĂ© contestĂ©e devant la chambre de recours technique de l’OEB. AprĂšs avoir conclu un accord de rĂšglement amiable avec Servier, Niche s’est dĂ©sistĂ©e de la procĂ©dure d’opposition le 9 fĂ©vrier 2005. Krka et Lupin se sont dĂ©sistĂ©es de la procĂ©dure devant la chambre de recours technique de l’OEB, respectivement, le 11 janvier et le 5 fĂ©vrier 2007.

15 Par une dĂ©cision du 6 mai 2009, la chambre de recours technique de l’OEB a annulĂ© la dĂ©cision de l’OEB du 27 juillet 2006 et rĂ©voquĂ© le brevet 947. La requĂȘte en rĂ©vision dĂ©posĂ©e par Servier contre cette dĂ©cision de la chambre de recours technique a Ă©tĂ© rejetĂ©e le 19 mars 2010.

2. Les décisions des juridictions nationales

16 La validitĂ© du brevet 947 a Ă©tĂ© contestĂ©e devant certaines juridictions nationales par des fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques et Servier a introduit des actions en contrefaçon ainsi que des demandes d’injonctions provisoires contre ces fabricants. La plupart de ces procĂ©dures ont Ă©tĂ© clĂŽturĂ©es avant que les juridictions saisies n’aient pu statuer dĂ©finitivement sur la validitĂ© du brevet 947 en raison d’accords de rĂšglement amiable conclus, entre l’annĂ©e 2005 et l’annĂ©e 2007, par Servier avec Niche, Matrix Laboratories Ltd (ci-aprĂšs « Matrix »), Teva, Krka et Lupin.

17 Au Royaume-Uni, seul le litige opposant Servier Ă  Apotex Inc. a donnĂ© lieu Ă  la constatation, par voie judiciaire, de l’invaliditĂ© du brevet 947. En effet, le 1er aoĂ»t 2006, Servier a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets), Royaume-Uni], d’une action en contrefaçon du brevet 947 contre Apotex, qui avait commencĂ© Ă  commercialiser une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril sur le marchĂ© du Royaume-Uni. Le 8 aoĂ»t 2006, Servier a obtenu le prononcĂ© d’une injonction provisoire contre Apotex. Le 6 juillet 2007, Ă  la suite d’une demande reconventionnelle d’Apotex, cette injonction provisoire a Ă©tĂ© levĂ©e et le brevet 947 a Ă©tĂ© invalidĂ©, permettant ainsi Ă  cette entreprise de mettre sur le marchĂ© au Royaume-Uni une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril. Le 9 mai 2008, la dĂ©cision d’invalidation du brevet 947 a Ă©tĂ© confirmĂ©e en appel.

18 Aux Pays-Bas, le 13 novembre 2007, Katwijk Farma BV, une filiale d’Apotex, a saisi une juridiction de cet État membre d’une demande d’invalidation du brevet 947. Servier a saisi cette juridiction d’une demande d’injonction provisoire, laquelle a Ă©tĂ© rejetĂ©e le 30 janvier 2008. Ladite juridiction, par une dĂ©cision du 11 juin 2008 dans une procĂ©dure introduite le 15 aoĂ»t 2007 par Pharmachemie BV, une sociĂ©tĂ© du groupe Teva, a invalidĂ© le brevet 947 pour les Pays-Bas. À la suite de cette dĂ©cision, Servier et Katwijk Farma se sont dĂ©sistĂ©es de leurs demandes.

C. Les accords de rÚglement amiable des litiges relatifs au périndopril

1. Les accords Niche et Matrix

19 Niche est une filiale d’Unichem Laboratories Ltd (ci-aprĂšs « Unichem »), sociĂ©tĂ© de droit indien spĂ©cialisĂ©e dans la fabrication de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques. Le 26 mars 2001, les sociĂ©tĂ©s aux droits desquels Niche et Matrix ont succĂ©dĂ© ont conclu un accord de coopĂ©ration pour le dĂ©veloppement d’une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril. Aux termes de cet accord, la sociĂ©tĂ© aux droits desquels Matrix est venue Ă©tait chargĂ©e de la production du principe actif de ce mĂ©dicament, l’autre sociĂ©tĂ© partie audit accord Ă©tant responsable de l’obtention des autorisations de mise sur le marchĂ© et de la distribution dudit mĂ©dicament.

20 Le 25 juin 2004, Servier a introduit une action en contrefaçon des brevets 339, 340 et 341 devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)] contre Niche, qui, par voie reconventionnelle, a demandĂ© l’invalidation du brevet 947. Matrix a participĂ© Ă  cette procĂ©dure en effectuant des dĂ©positions. La date de l’audience dans ladite procĂ©dure avait Ă©tĂ© fixĂ©e aux 7 et 8 fĂ©vrier 2005.

21 Le 8 fĂ©vrier 2005, Servier a conclu deux accords de rĂšglement amiable de ces litiges ainsi que des procĂ©dures devant l’OEB relatives au brevet 947, le premier avec Niche et Unichem (ci-aprĂšs l’« accord Niche ») et le second avec Matrix (ci-aprĂšs l’« accord Matrix »).

22 Chacun de ces accords contenait, d’une part, des clauses dites de « non-commercialisation », par lesquelles ces entreprises s’engageaient, jusqu’à l’expiration des brevets pertinents de Servier relatifs au pĂ©rindopril, Ă  s’abstenir de fabriquer, de fournir ou de commercialiser toute forme gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril fabriquĂ© selon les procĂ©dĂ©s protĂ©gĂ©s par ces brevets et, d’autre part, des clauses dites de « non-contestation », par lesquelles lesdites entreprises s’engageaient Ă  s’abstenir et Ă  se dĂ©sister de toute action tendant Ă  contester la validitĂ© desdits brevets ou Ă  obtenir des dĂ©clarations de non-contrefaçon.

23 En contrepartie, Servier s’engageait, d’une part, Ă  ne pas introduire d’actions en contrefaçon contre lesdites entreprises et, d’autre part, Ă  les indemniser pour les coĂ»ts pouvant rĂ©sulter de la cessation de leur programme de dĂ©veloppement d’une version du pĂ©rindopril fabriquĂ© selon les procĂ©dĂ©s protĂ©gĂ©s par les brevets de Servier. Cette indemnisation devait donner lieu Ă  deux paiements en faveur, pour le premier, de Niche et, pour le second, de Matrix, de la somme de 11,8 millions de livres sterling (GBP) chacun. Ces accords couvraient, notamment, tous les États membres de l’Espace Ă©conomique europĂ©en (EEE) dans lesquels les brevets 339, 340, 341 et 947 Ă©taient en vigueur.

24 Aux termes d’un troisiĂšme accord, Ă©galement conclu le 8 fĂ©vrier 2005, Niche s’est engagĂ©e Ă  transfĂ©rer Ă  Biogaran des dossiers d’autorisations de mise sur le marchĂ© pour trois mĂ©dicaments autres que le pĂ©rindopril, ainsi qu’une autorisation de mise sur le marchĂ© obtenue en France pour l’un de ces trois mĂ©dicaments (ci-aprĂšs l’« accord Biogaran »). En contrepartie, Biogaran devait verser Ă  Niche la somme de 2,5 millions de GBP, laquelle n’était pas remboursable, mĂȘme en cas de non-obtention de ces autorisations de mise sur le marchĂ©.

2. L’accord Teva

25 Le 9 aoĂ»t 2005, Ivax a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)] d’une action tendant Ă  l’invalidation du brevet 947. Cette procĂ©dure a Ă©tĂ© suspendue dans l’attente de l’adoption de la dĂ©cision mettant un terme Ă  la procĂ©dure devant l’OEB relative Ă  la rĂ©vocation de ce brevet.

26 Le 13 juin 2006, Servier et Teva UK Limited ont conclu un accord de rĂšglement amiable (ci-aprĂšs l’« accord Teva »). Cet accord, qui couvrait uniquement le Royaume-Uni, avait une durĂ©e de trois ans, renouvelable pour une durĂ©e supplĂ©mentaire de deux ans. Aux termes dudit accord, Teva s’engageait Ă  s’approvisionner exclusivement auprĂšs de Servier pour le pĂ©rindopril destinĂ© Ă  ĂȘtre distribuĂ© au Royaume-Uni. Outre cette clause d’approvisionnement exclusif, le mĂȘme accord contenait Ă©galement une clause de non-contestation des brevets 339, 340, 341 et 947, dont Servier Ă©tait titulaire, ainsi qu’une clause de non-commercialisation, ayant pour champ d’application le territoire du Royaume-Uni. En vertu de cette derniĂšre clause, Teva Ă©tait tenue de s’abstenir de produire ou de commercialiser dans cet ancien État membre toute forme gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril que Servier considĂ©rait comme constituant une contrefaçon de ses brevets. En contrepartie, Servier a versĂ© Ă  Teva la somme de 5 millions de GBP.

27 L’accord Teva contenait par ailleurs une clause d’indemnitĂ© forfaitaire. Selon cette clause, si Servier ne parvenait pas Ă  fournir du pĂ©rindopril Ă  Teva Ă  compter du 1er aoĂ»t 2006, elle serait alors tenue de verser une indemnitĂ© forfaitaire d’un montant de 500 000 GBP par mois Ă  Teva, cette derniĂšre ne disposant alors d’aucun droit de recours contre Servier ni du droit de rĂ©silier l’accord Teva.

28 Faute d’avoir fourni Teva en pĂ©rindopril Ă  la date du 1er aoĂ»t 2006, conformĂ©ment Ă  l’accord Teva, Servier a versĂ© Ă  Teva une indemnitĂ© forfaitaire d’un montant de 5,5 millions de GBP, portant ainsi le montant total des paiements effectuĂ©s en exĂ©cution de l’accord Teva Ă  10,5 millions de GBP.

29 Le 23 fĂ©vrier 2007, Servier et Teva ont conclu un avenant Ă  l’accord Teva. Tout en confirmant la clause d’approvisionnement exclusif, cet avenant prĂ©voyait que Teva pourrait commencer Ă  distribuer le pĂ©rindopril de Servier soit Ă  une date fixĂ©e par cette derniĂšre, soit Ă  la date de rĂ©vocation ou d’expiration du brevet 947, soit Ă  la date Ă  partir de laquelle Apotex commencerait Ă  distribuer une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril au Royaume-Uni.

3. Les accords Krka

30 Le 3 octobre 2006, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)] a, dans le cadre d’actions en contrefaçon des brevets 340 et 947, Ă©mis une injonction provisoire contre Krka et rejetĂ© la demande de procĂ©dure sommaire par laquelle cette derniĂšre contestait, par voie reconventionnelle, la validitĂ© du brevet 947.

31 À la suite de cette dĂ©cision et de la dĂ©cision de l’OEB du 27 juillet 2006, Servier et Krka ont conclu trois accords (ci-aprĂšs les « accords Krka »). Le 27 octobre 2006, elles ont conclu un accord de rĂšglement amiable des litiges relatifs aux brevets 340 et 947 ainsi qu’un accord de licence, et, le 5 janvier 2007, un accord de cession et de licence.

32 Par cet accord de rĂšglement amiable, Servier s’est dĂ©sistĂ©e de ses actions en contrefaçon de ces brevets contre Krka et cette derniĂšre a renoncĂ© Ă  contester la validitĂ© desdits brevets dans le monde entier et Ă  commercialiser une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril contrefaisant le brevet 947.

33 Par l’accord de licence, Servier a concĂ©dĂ© Ă  Krka une licence exclusive et irrĂ©vocable sur le brevet 947 en RĂ©publique tchĂšque, en Lettonie, en Lituanie, en Hongrie, en Pologne, en SlovĂ©nie et en Slovaquie. En contrepartie, Krka Ă©tait tenue de verser Ă  Servier une redevance de 3 % du montant net de ses ventes sur l’ensemble de ces territoires.

34 En vertu de l’accord de cession et de licence, Krka a transfĂ©rĂ© deux demandes de brevets Ă  Servier relatives au pĂ©rindopril. En contrepartie de cette cession, Servier a versĂ© Ă  Krka la somme de 30 millions d’euros.

4. L’accord Lupin

35 Le 18 octobre 2006, Lupin a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)] d’une action en invalidation du brevet 947 et en dĂ©claration de non-contrefaçon de ce brevet par la version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril qu’elle entendait commercialiser au Royaume-Uni.

36 Le 30 janvier 2007, Servier et Lupin ont mis fin Ă  ce litige et Ă  la procĂ©dure les opposant devant l’OEB relative au brevet 947, par un accord de rĂšglement amiable (ci-aprĂšs l’« accord Lupin »).

37 Cet accord contenait une clause dite de « non-contestation », par laquelle Lupin s’engageait Ă  ne pas remettre en cause les brevets de Servier relatifs au pĂ©rindopril. Il contenait Ă©galement une clause dite de « non-commercialisation ». En vertu de cette derniĂšre clause, Lupin s’est engagĂ©e Ă  s’abstenir de vendre une version gĂ©nĂ©rique du « pĂ©rindopril erbumine [...] et tout sel de celui-ci ». Il ressort du point 54 de l’arrĂȘt attaquĂ© que « Lupin Ă©tait cependant autorisĂ©e Ă  commercialiser des produits fournis par Servier ou son propre pĂ©rindopril dans les pays oĂč une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril autorisĂ©e par Servier Ă©tait sur le marchĂ© ou en cas d’expiration de tous les brevets pertinents de Servier ou dans les pays dans lesquels un tiers avait mis sur le marchĂ© une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril et dans lesquels Servier n’avait introduit aucune demande d’injonction tendant Ă  l’interdiction de sa vente ». Ces clauses de non-contestation et de non-commercialisation s’appliquaient aux territoires de tous les États membres de l’EEE.

38 L’accord Lupin contenait en outre une clause de cession et de licence, en vertu de laquelle Lupin cĂ©dait Ă  Servier des droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle couverts par trois demandes de brevets portant sur des procĂ©dĂ©s de prĂ©paration du pĂ©rindopril, droits que Servier s’engageait Ă  rĂ©trocĂ©der en licence Ă  Lupin. En contrepartie de cette cession, Servier a versĂ© Ă  Lupin 40 millions d’euros.

39 Enfin, l’accord Lupin prĂ©voyait que Servier et Lupin feraient usage de « tous les moyens raisonnables » afin de conclure un accord d’approvisionnement par lequel Servier fournirait du pĂ©rindopril Ă  Lupin.

III. La décision litigieuse

40 Le 9 juillet 2014, la Commission a adoptĂ© la dĂ©cision litigieuse. La Commission a considĂ©rĂ©, d’une part, que les accords Niche, Matrix, Teva, Krka et Lupin constituaient des restrictions de la concurrence par objet et par effet. En consĂ©quence, elle a qualifiĂ© ces accords d’infractions Ă  l’article 101 TFUE. La Commission a considĂ©rĂ©, d’autre part, que la conclusion desdits accords, en conjonction avec d’autres agissements comme l’acquisition de technologies relatives au principe actif du pĂ©rindopril, constituait, de la part de Servier, une stratĂ©gie visant Ă  retarder l’entrĂ©e de versions gĂ©nĂ©riques sur le marchĂ© de ce mĂ©dicament, sur lequel cette entreprise dĂ©tenait une position dominante. La Commission a considĂ©rĂ© que cet abus de position dominante constituait une infraction Ă  l’article 102 TFUE.

41 Aux articles 1er Ă  5 de cette dĂ©cision, la Commission a constatĂ© que Servier avait enfreint l’article 101 TFUE, en participant aux accords Niche, Matrix, Teva, Krka et Lupin. En particulier, aux articles 1er et 2 de ladite dĂ©cision, la Commission a soulignĂ© que l’accord Niche et l’accord Matrix avaient chacun constituĂ© une infraction couvrant tous les États qui Ă©taient membres de l’Union europĂ©enne Ă  la date d’adoption de la mĂȘme dĂ©cision, Ă  l’exception de l’Italie et de la Croatie, que ces infractions avaient commencĂ© le 8 fĂ©vrier 2005, sauf en ce qui concerne la Lettonie, oĂč elles avaient commencĂ© le 1er juillet 2005, la Bulgarie et la Roumanie, oĂč elles avaient commencĂ© le 1er janvier 2007, et Malte, oĂč elles avaient commencĂ© le 1er mars 2007, et que lesdites infractions avaient pris fin le 15 septembre 2008, sauf en ce qui concerne le Royaume-Uni, oĂč elles avaient pris fin le 6 juillet 2007, et les Pays-Bas, oĂč elles avaient pris fin le 12 dĂ©cembre 2007.

42 À l’article 3 de la dĂ©cision litigieuse, la Commission a constatĂ© que l’accord Teva constituait une infraction couvrant le Royaume-Uni, qui avait commencĂ© le 13 juin 2006 et pris fin le 6 juillet 2007.

43 À l’article 5 de la dĂ©cision litigieuse, la Commission a constatĂ© que l’accord Lupin constituait une infraction couvrant tous les États qui Ă©taient alors membres de l’Union, Ă  l’exception de la Croatie. La Commission a indiquĂ© que cette infraction avait commencĂ© le 30 janvier 2007, sauf en ce qui concerne Malte, oĂč elle avait commencĂ© le 1er mars 2007, et l’Italie, oĂč elle avait commencĂ© le 13 fĂ©vrier 2009, que ladite infraction avait pris fin le 6 mai 2009, sauf en ce qui concerne le Royaume-Uni, oĂč elle avait pris fin le 6 juillet 2007, les Pays-Bas, oĂč elle avait pris fin le 12 dĂ©cembre 2007, et la France, oĂč elle avait pris fin le 16 septembre 2008.

44 À l’article 7, paragraphes 1 Ă  5, de la dĂ©cision litigieuse, la Commission a fixĂ© le montant total des amendes infligĂ©es Ă  Servier pour les infractions Ă  l’article 101 TFUE Ă  289 727 200 euros, dont 131 532 600 euros au titre de sa participation Ă  l’accord Niche, 79 121 700 euros au titre de sa participation Ă  l’accord Matrix, 4 309 000 euros au titre de sa participation Ă  l’accord Teva, 37 661 800 euros au titre de sa participation aux accords Krka et 37 102 100 euros au titre de sa participation Ă  l’accord Lupin.

IV. La procĂ©dure devant le Tribunal et l’arrĂȘt attaquĂ©

45 Par acte dĂ©posĂ© au greffe du Tribunal le 21 septembre 2014, Servier a introduit un recours tendant, Ă  titre principal, Ă  l’annulation de la dĂ©cision litigieuse et, Ă  titre subsidiaire, Ă  la rĂ©duction du montant de l’amende qui lui avait Ă©tĂ© infligĂ©e par cette dĂ©cision.

46 Par acte introduit le 2 février 2015, la European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (EFPIA) a demandé à intervenir au soutien des conclusions de Servier. Il a été fait droit à cette demande par une ordonnance du président de la deuxiÚme chambre du Tribunal du 14 octobre 2015.

47 Dans son recours en premiĂšre instance, Servier soulevait 17 moyens Ă  l’appui de ses conclusions tendant Ă  l’annulation de la dĂ©cision litigieuse.

48 S’agissant des infractions Ă  l’article 101 TFUE, le Tribunal a accueilli les moyens dirigĂ©s contre la constatation de l’infraction rĂ©sultant des accords Krka. Il a Ă©cartĂ© ceux relatifs au caractĂšre infractionnel des accords Niche, Matrix, Teva et Lupin (ci-aprĂšs les « accords litigieux »). Il a rejetĂ© les conclusions subsidiaires de Servier tendant Ă  l’annulation ou Ă  la rĂ©duction des amendes qui lui avaient Ă©tĂ© infligĂ©es en raison de sa participation aux accords Niche, Teva et Lupin. En revanche, il a rĂ©duit le montant de l’amende infligĂ©e Ă  Servier en raison de sa participation Ă  l’accord Matrix Ă  55 385 190 euros.

V. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

49 Par acte déposé au greffe de la Cour le 28 février 2019, Servier a introduit le présent pourvoi.

50 Par acte dĂ©posĂ© au greffe de la Cour le 22 mai 2019, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a demandĂ© Ă  intervenir dans la prĂ©sente affaire au soutien des conclusions de la Commission. Par dĂ©cision du 16 juin 2019, le prĂ©sident de la Cour a fait droit Ă  cette demande.

51 La Cour a invitĂ© les parties Ă  prĂ©senter leurs observations Ă©crites pour le 4 octobre 2021 sur les arrĂȘts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C 307/18, EU:C:2020:52), du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C 591/16 P, EU:C:2021:243), du 25 mars 2021, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (C 586/16 P, EU:C:2021:241), du 25 mars 2021, Generics (UK)/Commission (C 588/16 P, EU:C:2021:242), du 25 mars 2021, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (C 601/16 P, EU:C:2021:244), et du 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (C 611/16 P, EU:C:2021:245). Servier, la Commission et le Royaume-Uni ont dĂ©fĂ©rĂ© Ă  cette demande dans le dĂ©lai imparti.

52 Par son pourvoi, Servier demande Ă  la Cour :

– Ă  titre principal, d’annuler les points 4 Ă  6 du dispositif de l’arrĂȘt attaquĂ© ;

– d’annuler l’article 1er, sous b), l’article 2, sous b), l’article 3, sous b), l’article 5, sous b) et, en consĂ©quence, l’article 7, paragraphe 1, sous b), l’article 7, paragraphe 2, sous b), l’article 7, paragraphe 3, sous b), et l’article 7, paragraphe 5, sous b), de la dĂ©cision litigieuse ou, Ă  dĂ©faut, de renvoyer l’affaire au Tribunal afin qu’il statue sur les effets des accords litigieux ;

– Ă  titre subsidiaire, d’annuler les points 4 et 5 du dispositif de l’arrĂȘt attaquĂ© en ce qu’ils confirment les constatations opĂ©rĂ©es dans la dĂ©cision litigieuse concernant l’existence d’infractions distinctes et d’amendes cumulatives pour les accords Niche et Matrix ainsi que, en consĂ©quence, d’annuler l’article 1er, sous b), l’article 2, sous b), l’article 7, paragraphe 1, sous b), et l’article 7, paragraphe 2, sous b), de cette dĂ©cision ;

– Ă  titre trĂšs subsidiaire, d’annuler les points 4 et 5 du dispositif de l’arrĂȘt attaquĂ© ainsi que l’article 7, paragraphe 1, sous b), l’article 7, paragraphe 2, sous b), l’article 7, paragraphe 3, sous b), et l’article 7, paragraphe 5, sous b), de la dĂ©cision litigieuse au vu du moyen concernant la violation des principes de lĂ©galitĂ© des dĂ©lits et des peines ainsi que de proportionnalitĂ© dans le cadre de la dĂ©termination du montant de l’amende ;

– d’annuler le point 5 du dispositif de l’arrĂȘt attaquĂ© ainsi que l’article 5, sous b), et l’article 7, paragraphe 5, sous b), de la dĂ©cision litigieuse au vu du moyen concernant la durĂ©e de l’infraction allĂ©guĂ©e et le calcul du montant de l’amende relative Ă  l’accord Lupin et de fixer, en consĂ©quence, le montant de l’amende dans l’exercice de sa compĂ©tence de pleine juridiction, et

– de condamner la Commission aux dĂ©pens.

53 La Commission demande Ă  la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner les requĂ©rantes aux dĂ©pens relatifs Ă  la procĂ©dure tant devant le Tribunal que devant la Cour.

54 L’EFPIA demande à la Cour :

– d’annuler les points 4 Ă  6 du dispositif de l’arrĂȘt attaquĂ© ;

– d’annuler l’article 1er, sous b), l’article 2, sous b), l’article 3, sous b), et l’article 5, sous b), de la dĂ©cision litigieuse et, en consĂ©quence, l’article 7, paragraphe 1, sous b), l’article 7, paragraphe 2, sous b), l’article 7, paragraphe 3, sous b), et l’article 7, paragraphe 5, sous b), de celle-ci ou, Ă  dĂ©faut, de renvoyer l’affaire au Tribunal et

– de condamner la Commission aux dĂ©pens du pourvoi et Ă  ceux de la procĂ©dure en premiĂšre instance.

55 Le Royaume-Uni demande Ă  la Cour de faire droit aux conclusions de la Commission.

VI. Sur le pourvoi

56 Au soutien de son pourvoi, Servier soulĂšve sept moyens. Le premier moyen est pris d’erreurs de droit concernant la notion de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Le deuxiĂšme moyen est tirĂ© d’erreurs de droit concernant la concurrence potentielle exercĂ©e par les fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques sur Servier. Les troisiĂšme Ă  cinquiĂšme moyens portent sur les constatations opĂ©rĂ©es par le Tribunal concernant les accords Niche, Matrix, Teva et Lupin. À titre subsidiaire, Servier fait valoir, par son sixiĂšme moyen, des erreurs de droit quant Ă  la qualification des accords Niche et Matrix en tant qu’infractions distinctes. À titre trĂšs subsidiaire, Servier fait valoir, par son septiĂšme moyen, la violation du principe de lĂ©galitĂ© des dĂ©lits et des peines ainsi que du principe de proportionnalitĂ©, s’agissant des amendes qui lui ont Ă©tĂ© infligĂ©es au titre de l’article 101 TFUE.

A. Observations liminaires sur la recevabilité

57 Dans la mesure oĂč la Commission conteste la recevabilitĂ© de certains des moyens et arguments du pourvoi, reprochant, notamment, Ă  Servier de ne pas avoir identifiĂ© les motifs de l’arrĂȘt attaquĂ© qu’ils visent, d’avoir formulĂ© des assertions de portĂ©e gĂ©nĂ©rale qui seraient Ă©trangĂšres aux griefs et au raisonnement exposĂ©s dans la dĂ©cision litigieuse et dans l’arrĂȘt attaquĂ©, d’avoir rĂ©itĂ©rĂ© certains de ses arguments invoquĂ©s en premiĂšre instance sans expliquer en quoi ils Ă©tabliraient des erreurs de droit commises par le Tribunal et de contester des apprĂ©ciations factuelles de ce dernier, il convient de rappeler d’emblĂ©e les limites du contrĂŽle juridictionnel exercĂ© par la Cour sur pourvoi.

58 À cet Ă©gard, il convient, tout d’abord, de souligner qu’il ressort de l’article 256, paragraphe 1, TFUE et de l’article 58, premier alinĂ©a, du statut de la Cour de justice de l’Union europĂ©enne que le pourvoi est limitĂ© aux questions de droit et que le Tribunal est, dĂšs lors, seul compĂ©tent pour constater et apprĂ©cier les faits pertinents ainsi que les Ă©lĂ©ments de preuve (arrĂȘt du 10 juillet 2019, VG/Commission, C 19/18 P, EU:C:2019:578, point 47 et jurisprudence citĂ©e).

59 En revanche, lorsque le Tribunal a constatĂ© ou apprĂ©ciĂ© des faits, la Cour est compĂ©tente pour exercer son contrĂŽle, dĂšs lors que le Tribunal a qualifiĂ© leur nature juridique et en a fait dĂ©couler des consĂ©quences en droit. Le pouvoir de contrĂŽle de la Cour s’étend, notamment, Ă  la question de savoir si le Tribunal a appliquĂ© des critĂšres juridiques corrects lors de son apprĂ©ciation des faits (voir, en ce sens, arrĂȘt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a., C 425/19 P, EU:C:2021:154, point 53 ainsi que jurisprudence citĂ©e).

60 Ensuite, il importe de rappeler que sont recevables, au stade du pourvoi, des griefs relatifs Ă  la constatation des faits et Ă  leur apprĂ©ciation dans la dĂ©cision attaquĂ©e lorsqu’il est allĂ©guĂ© que le Tribunal a effectuĂ© des constatations dont l’inexactitude matĂ©rielle rĂ©sulte des piĂšces du dossier ou qu’il a dĂ©naturĂ© les Ă©lĂ©ments de preuve qui lui ont Ă©tĂ© soumis (arrĂȘt du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C 229/05 P, EU:C:2007:32, point 35).

61 Une dĂ©naturation doit apparaĂźtre de façon manifeste des piĂšces du dossier, sans qu’il soit nĂ©cessaire de procĂ©der Ă  une nouvelle apprĂ©ciation des faits et des preuves (arrĂȘt du 28 janvier 2021, Qualcomm et Qualcomm Europe/Commission, C 466/19 P, EU:C:2021:76, point 43). Si une telle dĂ©naturation peut consister dans une interprĂ©tation d’un document contraire au contenu de celui-ci, elle doit ressortir de façon manifeste du dossier et elle suppose que le Tribunal ait manifestement outrepassĂ© les limites d’une apprĂ©ciation raisonnable de ces Ă©lĂ©ments de preuve. À cet Ă©gard, il ne suffit pas de montrer qu’un document pourrait faire l’objet d’une interprĂ©tation diffĂ©rente de celle retenue par le Tribunal (arrĂȘt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C 403/18 P, EU:C:2019:870, point 64 ainsi que jurisprudence citĂ©e).

62 Enfin, il importe de rappeler qu’il rĂ©sulte de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinĂ©a, du statut de la Cour de justice de l’Union europĂ©enne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du rĂšglement de procĂ©dure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon prĂ©cise les Ă©lĂ©ments critiquĂ©s de l’arrĂȘt ou de l’ordonnance dont l’annulation est demandĂ©e ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de maniĂšre spĂ©cifique cette demande (voir, en ce sens, arrĂȘt du 20 septembre 2016, Mallis e.a./Commission et BCE, C 105/15 P Ă  C 109/15 P, EU:C:2016:702, EU:C:2016:702, points 33 et 34). Selon la jurisprudence constante de la Cour, ne rĂ©pond pas Ă  cette exigence le pourvoi qui se limite Ă  reproduire les moyens et les arguments dĂ©jĂ  prĂ©sentĂ©s devant le Tribunal. En effet, un tel pourvoi constitue en rĂ©alitĂ© une demande visant Ă  obtenir un simple rĂ©examen de la requĂȘte prĂ©sentĂ©e devant le Tribunal, ce qui Ă©chappe Ă  la compĂ©tence de la Cour (arrĂȘt du 24 mars 2022, Hermann Albers/Commission, C 656/20 P, EU:C:2022:222, point 35 et jurisprudence citĂ©e).

63 Cependant, dĂšs lors qu’un requĂ©rant conteste l’interprĂ©tation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinĂ©s en premiĂšre instance peuvent ĂȘtre Ă  nouveau discutĂ©s au cours d’un pourvoi. En effet, si un requĂ©rant ne pouvait pas fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments dĂ©jĂ  utilisĂ©s devant le Tribunal, la procĂ©dure de pourvoi serait privĂ©e d’une partie de son sens (arrĂȘt du 24 mars 2022, Hermann Albers/Commission, C 656/20 P, EU:C:2022:222, point 36 et jurisprudence citĂ©e).

B. Sur les premier et deuxiĂšme moyens, relatifs aux critĂšres d’apprĂ©ciation des notions de restriction de la concurrence par objet et de concurrence potentielle

64 Par ses premier et deuxiĂšme moyens, Servier soutient que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’interprĂ©tation et dans l’application des notions de restriction de la concurrence par objet et de concurrence potentielle.

1. Sur la recevabilité

65 La Commission fait valoir que les premier et deuxiĂšme moyens sont partiellement irrecevables. Cette institution dĂ©plore le caractĂšre gĂ©nĂ©ral et abstrait d’une partie de l’argumentation de Servier, qui n’aurait pas exposĂ© avec le degrĂ© de prĂ©cision requis les motifs de l’arrĂȘt attaquĂ© qu’elle critique et les erreurs de droit qu’elle invoque. Servier se bornerait par ailleurs Ă  rĂ©pĂ©ter des arguments invoquĂ©s en premiĂšre instance sans expliquer quelles seraient les erreurs de droit que le Tribunal aurait commises en Ă©cartant ces arguments. Il s’ensuivrait que les premier et deuxiĂšme moyens ne seraient recevables que dans la mesure oĂč l’argumentation de Servier est liĂ©e Ă  un grief spĂ©cifique aux accords Niche, Matrix, Teva ou Lupin, identifie avec prĂ©cision le motif de l’arrĂȘt attaquĂ© qui fait l’objet de ses critiques et expose l’erreur de droit prĂ©tendument commise par le Tribunal.

66 En l’occurrence, il est vrai que les premier et deuxiĂšme moyens soulevĂ©s par Servier visent Ă  remettre en cause de maniĂšre gĂ©nĂ©rale et abstraite la validitĂ© des critĂšres juridiques sur le fondement desquels le Tribunal a statuĂ© sur la qualification des accords litigieux de restriction de la concurrence par objet. Il est Ă©galement vrai que, dans le cadre de ces moyens, le pourvoi n’indique pas systĂ©matiquement de maniĂšre prĂ©cise les points de l’arrĂȘt attaquĂ© faisant l’objet de critiques ni les arguments juridiques visant Ă  dĂ©montrer l’existence d’erreurs de droit et se limite occasionnellement Ă  rĂ©pĂ©ter des arguments invoquĂ©s en premiĂšre instance.

67 Toutefois, ainsi que la Commission le reconnaĂźt expressĂ©ment, cette argumentation, en dĂ©pit de son caractĂšre gĂ©nĂ©ral, recoupe et complĂšte celle que dĂ©veloppe Servier de maniĂšre spĂ©cifique Ă  l’égard de chacun des accords litigieux, dans le cadre des troisiĂšme Ă  sixiĂšme moyens de son pourvoi. Le fait que Servier a choisi de scinder son argumentation juridique relative au caractĂšre infractionnel des accords litigieux en deux parties, l’une gĂ©nĂ©rale et pertinente aux fins de l’examen de tous ces accords, l’autre spĂ©cifique et propre Ă  chacun desdits accords pris individuellement, ne la rend pas irrecevable au regard des principes rappelĂ©s aux points 58 Ă  63 du prĂ©sent arrĂȘt. En effet, il ressort d’une lecture combinĂ©e de l’ensemble de ces moyens que le pourvoi permet d’identifier de maniĂšre suffisamment prĂ©cise tant les points de l’arrĂȘt attaquĂ© contestĂ©s par Servier que les arguments juridiques invoquĂ©s Ă  l’appui de ses critiques.

68 Les premier et deuxiĂšme moyens du pourvoi Ă©tant suffisamment clairs et prĂ©cis pour permettre Ă  la Commission de se dĂ©fendre et Ă  la Cour d’exercer son contrĂŽle, ces moyens sont recevables. La Cour statuera sur les autres fins de non-recevoir soulevĂ©es de maniĂšre plus spĂ©cifique par la Commission dans le cadre de l’examen des troisiĂšme Ă  sixiĂšme moyens du pourvoi.

2. Sur le fond

a) Observations liminaires

69 Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, sont incompatibles avec le marchĂ© intĂ©rieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes dĂ©cisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertĂ©es, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empĂȘcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence Ă  l’intĂ©rieur du marchĂ© intĂ©rieur.

70 Ainsi, pour tomber sous l’interdiction de principe prĂ©vue Ă  l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un comportement d’entreprises doit rĂ©vĂ©ler l’existence d’une collusion entre elles, Ă  savoir un accord entre entreprises, une dĂ©cision d’association d’entreprises ou une pratique concertĂ©e [voir, en ce sens, arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 31 ainsi que jurisprudence citĂ©e].

71 Cette derniĂšre exigence suppose, s’agissant d’accords de coopĂ©ration horizontale conclus entre des entreprises opĂ©rant Ă  un mĂȘme niveau de la chaĂźne de production ou de distribution, que ladite collusion intervienne entre des entreprises se trouvant en situation de concurrence si ce n’est actuelle du moins potentielle [arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 32].

72 En outre, il est nĂ©cessaire, conformĂ©ment aux termes mĂȘmes de cette disposition, de dĂ©montrer soit que ce comportement a pour objet d’empĂȘcher, de restreindre ou de fausser la concurrence, soit que ce comportement a un tel effet (arrĂȘt du 21 dĂ©cembre 2023, European Superleague Company, C 333/21, EU:C:2023:1011, point 158). Il en dĂ©coule que cette disposition, telle qu’interprĂ©tĂ©e par la Cour, procĂšde Ă  une distinction nette entre la notion de restriction par objet et celle de restriction par effet, chacune Ă©tant soumise Ă  un rĂ©gime probatoire diffĂ©rent [arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 63].

73 Ainsi, s’agissant des pratiques qualifiĂ©es de restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en dĂ©montrer les effets sur la concurrence, dans la mesure oĂč l’expĂ©rience montre que de tels comportements entraĂźnent des rĂ©ductions de la production et des hausses de prix, aboutissant Ă  une mauvaise rĂ©partition des ressources au dĂ©triment, en particulier, des consommateurs (voir, en ce sens, arrĂȘts du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C 286/13 P, EU:C:2015:184, point 115, ainsi que du 21 dĂ©cembre 2023, European Superleague Company, C 333/21, EU:C:2023:1011, point 159).

74 En revanche, lorsque l’objet anticoncurrentiel d’un accord, d’une dĂ©cision d’une association d’entreprises ou d’une pratique concertĂ©e n’est pas Ă©tabli, il convient d’en examiner les effets afin de rapporter la preuve que le jeu de la concurrence a Ă©tĂ©, en fait, soit empĂȘchĂ©, soit restreint, soit faussĂ© de façon sensible (voir, en ce sens, arrĂȘt du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C 345/14, EU:C:2015:784, point 17).

75 Cette distinction tient Ă  la circonstance que certaines formes de collusion entre entreprises peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es, par leur nature mĂȘme, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (arrĂȘts du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C 209/07, EU:C:2008:643, point 17, et du 14 mars 2013, Allianz HungĂĄria BiztosĂ­tĂł e.a., C 32/11, EU:C:2013:160, point 35). La notion de restriction de la concurrence par objet doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e de maniĂšre stricte et ne peut ĂȘtre appliquĂ©e qu’à certains accords entre entreprises rĂ©vĂ©lant, en eux-mĂȘmes et compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’ils visent ainsi que du contexte Ă©conomique et juridique dans lequel ils s’insĂšrent, un degrĂ© suffisant de nocivitĂ© Ă  l’égard de la concurrence pour qu’il puisse ĂȘtre considĂ©rĂ© que l’examen de leurs effets n’est pas nĂ©cessaire (voir, en ce sens, arrĂȘts du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C 345/14, EU:C:2015:784, point 20, et du 21 dĂ©cembre 2023, European Superleague Company, C 333/21, EU:C:2023:1011, points 161 et 162 ainsi que jurisprudence citĂ©e).

76 À cet Ă©gard, s’agissant du contexte Ă©conomique et juridique dans lequel s’inscrit le comportement en cause, il y a lieu de prendre en considĂ©ration la nature des produits ou des services concernĂ©s ainsi que les conditions rĂ©elles qui caractĂ©risent la structure et le fonctionnement du ou des secteurs ou marchĂ©s en question. En revanche, il n’est en aucune maniĂšre nĂ©cessaire d’examiner et Ă  plus forte raison de dĂ©montrer les effets de ce comportement sur la concurrence, qu’ils soient rĂ©els ou potentiels et nĂ©gatifs ou positifs (arrĂȘt du 21 dĂ©cembre 2023, European Superleague Company, C 333/21, EU:C:2023:1011, point 166).

77 Quant aux buts poursuivis par le comportement en cause, il y a lieu de dĂ©terminer les buts objectifs que ce comportement vise Ă  atteindre Ă  l’égard de la concurrence. En revanche, la circonstance que les entreprises impliquĂ©es ont agi sans avoir l’intention d’empĂȘcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs lĂ©gitimes ne sont pas dĂ©terminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrĂȘt du 21 dĂ©cembre 2023, European Superleague Company, C 333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citĂ©e).

78 La mise en Ɠuvre des principes qui viennent d’ĂȘtre rappelĂ©s Ă  l’égard de pratiques collusoires prenant la forme d’accords de coopĂ©ration horizontale entre entreprises, tels que les accords litigieux, implique de dĂ©terminer, dans un premier stade, si ces pratiques peuvent ĂȘtre qualifiĂ©es de restriction de la concurrence par des entreprises se trouvant dans une situation de concurrence, ne serait-ce que potentielle. Si tel est le cas, il y a lieu de vĂ©rifier, dans un second stade, si, eu Ă©gard Ă  leurs caractĂ©ristiques Ă©conomiques, lesdites pratiques relĂšvent de la qualification de restriction de la concurrence par objet.

79 S’agissant du premier stade de cette analyse, la Cour a dĂ©jĂ  jugĂ© que, dans le contexte spĂ©cifique de l’ouverture du marchĂ© d’un mĂ©dicament aux fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques, il convient de dĂ©terminer, afin d’apprĂ©cier si l’un de ces fabricants, bien qu’absent d’un marchĂ©, se trouve dans un rapport de concurrence potentielle avec un fabricant de mĂ©dicaments princeps prĂ©sent sur ce marchĂ©, s’il existe des possibilitĂ©s rĂ©elles et concrĂštes que le premier intĂšgre ledit marchĂ© et concurrence le second [voir, en ce sens, arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 36 ainsi que jurisprudence citĂ©e].

80 Ainsi, il y a lieu d’apprĂ©cier, premiĂšrement, si, Ă  la date de conclusion de tels accords, le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques avait effectuĂ© des dĂ©marches prĂ©paratoires suffisantes lui permettant d’accĂ©der au marchĂ© concernĂ© dans un dĂ©lai Ă  mĂȘme de faire peser une pression concurrentielle sur le fabricant de mĂ©dicaments princeps. De telles dĂ©marches permettent d’établir l’existence de la dĂ©termination ferme ainsi que de la capacitĂ© propre d’un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques d’accĂ©der au marchĂ© d’un mĂ©dicament contenant un principe actif tombĂ© dans le domaine public, mĂȘme en prĂ©sence de brevets de procĂ©dĂ© dĂ©tenus par le fabricant de mĂ©dicaments princeps. DeuxiĂšmement, il doit ĂȘtre vĂ©rifiĂ© que l’entrĂ©e sur le marchĂ© d’un tel fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques ne se heurte pas Ă  des barriĂšres Ă  l’entrĂ©e prĂ©sentant un caractĂšre insurmontable [voir, en ce sens, arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 43 Ă  45].

81 La Cour a dĂ©jĂ  jugĂ© que d’éventuels brevets protĂ©geant un mĂ©dicament princeps ou l’un de ses procĂ©dĂ©s de fabrication font incontestablement partie du contexte Ă©conomique et juridique caractĂ©risant les rapports de concurrence entre les titulaires de ces brevets et les fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques. Toutefois, l’apprĂ©ciation des droits confĂ©rĂ©s par un brevet ne doit pas consister en un examen de la force du brevet ou de la probabilitĂ© avec laquelle un litige entre son titulaire et un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques pourrait aboutir au constat que le brevet est valide et contrefait. Cette apprĂ©ciation doit davantage porter sur la question de savoir si, malgrĂ© l’existence de ce brevet, le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques dispose de possibilitĂ©s rĂ©elles et concrĂštes d’intĂ©grer le marchĂ© au moment pertinent [arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 50].

82 Par ailleurs, le constat d’une concurrence potentielle entre un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques et un fabricant de mĂ©dicaments princeps peut ĂȘtre corroborĂ© par des Ă©lĂ©ments supplĂ©mentaires, tels que la conclusion d’un accord entre eux lorsque le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques n’était pas prĂ©sent sur le marchĂ© concernĂ©, ou l’existence de transferts de valeur au profit de ce fabricant en contrepartie du report de son entrĂ©e sur le marchĂ© [voir, en ce sens, arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 54 Ă  56].

83 Dans un second stade de ladite analyse, afin de dĂ©terminer si un report de l’entrĂ©e sur le marchĂ© de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques, rĂ©sultant d’un accord de rĂšglement amiable de litige en matiĂšre de brevets, en contrepartie de transferts de valeur du fabricant de mĂ©dicaments princeps au profit du fabricant de ces mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme Ă©tant une pratique collusoire constitutive d’une restriction de la concurrence par objet, il y a lieu d’examiner d’abord si ces transferts de valeur peuvent se justifier de maniĂšre intĂ©grale par la nĂ©cessitĂ© de compenser des frais ou des dĂ©sagrĂ©ments liĂ©s Ă  ce litige, tels que les frais et honoraires des conseils de ce dernier fabricant, ou par celle de rĂ©munĂ©rer la fourniture effective et avĂ©rĂ©e de biens ou de services de celui-ci au fabricant du mĂ©dicament princeps. Si tel n’est pas le cas, il importe de vĂ©rifier si ces transferts de valeur s’expliquent uniquement par l’intĂ©rĂȘt commercial de ces fabricants de mĂ©dicaments Ă  ne pas se livrer une concurrence par les mĂ©rites. Aux fins de cet examen, il convient, dans chaque cas d’espĂšce, d’apprĂ©cier si le solde positif net des transferts de valeur Ă©tait suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques Ă  renoncer Ă  entrer sur le marchĂ© concernĂ© et, partant, Ă  ne pas concurrencer par ses mĂ©rites le fabricant de mĂ©dicaments princeps, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nĂ©cessairement supĂ©rieur aux bĂ©nĂ©fices que ce fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques aurait rĂ©alisĂ©s s’il avait obtenu gain de cause dans la procĂ©dure en matiĂšre de brevets [voir, en ce sens, arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 84 Ă  94].

84 À cet Ă©gard, il y a lieu de rappeler que la contestation de la validitĂ© et de la portĂ©e d’un brevet fait partie du jeu normal de la concurrence dans les secteurs dans lesquels existent des droits d’exclusivitĂ© sur des technologies, de sorte que des accords de rĂšglement amiable par lesquels un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques candidat Ă  l’entrĂ©e sur un marchĂ© reconnaĂźt, au moins temporairement, la validitĂ© d’un brevet dĂ©tenu par un fabricant de mĂ©dicaments princeps et s’engage, de ce fait, Ă  ne pas le contester pas plus qu’à entrer sur ce marchĂ© sont susceptibles de restreindre la concurrence [voir, en ce sens, arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 81 et jurisprudence citĂ©e].

85 C’est au regard des considĂ©rations qui prĂ©cĂšdent qu’il y a lieu de vĂ©rifier si c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a statuĂ© sur l’argumentation de Servier invoquĂ©e en particulier dans le cadre du quatriĂšme moyen de premiĂšre instance, pris d’erreurs de droit dans la dĂ©finition des critĂšres juridiques applicables Ă  l’analyse de l’objet et des effets des accords litigieux au regard de l’article 101 TFUE ainsi que celle dĂ©veloppĂ©e de maniĂšre plus spĂ©cifique, Ă  l’égard de l’application de ces critĂšres Ă  chacun de ces accords.

86 Ainsi, une fois Ă©tablie l’existence des Ă©lĂ©ments relatifs Ă  la concurrence potentielle, qui font l’objet des critiques d’ordre gĂ©nĂ©ral formulĂ©es dans le cadre du deuxiĂšme moyen du pourvoi, il y a lieu, dans ce second stade de la mĂȘme analyse, de vĂ©rifier si c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a constatĂ© que les accords litigieux restreignaient la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Il convient Ă©galement de vĂ©rifier si le Tribunal a examinĂ©, dans ce contexte, les objectifs de ces accords et, plus particuliĂšrement, la question de savoir si les transferts de valeur par Servier en faveur des fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques Ă©taient suffisamment importants pour inciter ces derniers Ă  renoncer, ne serait-ce que temporairement, Ă  entrer sur le marchĂ© du pĂ©rindopril.

87 En outre, il convient de s’assurer que le Tribunal a pris en considĂ©ration, au besoin, les intentions des entreprises impliquĂ©es pour vĂ©rifier si elles correspondaient Ă  son analyse, au vu des Ă©lĂ©ments visĂ©s au point prĂ©cĂ©dent, des buts objectifs que ces entreprises visaient Ă  atteindre Ă  l’égard de la concurrence, Ă©tant cependant prĂ©cisĂ© que, conformĂ©ment Ă  la jurisprudence visĂ©e au point 77 du prĂ©sent arrĂȘt, la circonstance que lesdites entreprises ont agi sans avoir l’intention d’empĂȘcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs lĂ©gitimes ne sont pas dĂ©terminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Seule est pertinente l’apprĂ©ciation du degrĂ© de nocivitĂ© Ă©conomique de cette pratique sur le bon fonctionnement de la concurrence dans le marchĂ© concernĂ©. Cette apprĂ©ciation doit reposer sur des considĂ©rations objectives, au besoin Ă  l’issue d’une analyse dĂ©taillĂ©e de ladite pratique, ainsi que de ses objectifs et du contexte Ă©conomique et juridique dans lequel elle s’insĂšre [voir, en ce sens, arrĂȘts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85, ainsi que du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C 591/16 P, EU:C:2021:243, point 131].

88 C’est pourquoi, afin de dĂ©terminer si une pratique collusoire peut ĂȘtre qualifiĂ©e de restriction de la concurrence par objet, il convient d’examiner son contenu, sa genĂšse, ainsi que son contexte Ă©conomique et juridique, en particulier les caractĂ©ristiques spĂ©cifiques du marchĂ© dans lequel se produiront concrĂštement ses effets. Le fait que les termes d’un accord destinĂ© Ă  mettre en Ɠuvre cette pratique ne dĂ©voilent pas un objet anticoncurrentiel n’est pas, en soi, dĂ©terminant (voir, en ce sens, arrĂȘts du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96/82 Ă  102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, EU:C:1983:310, points 23 Ă  25, ainsi que du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, EU:C:1984:130, point 26).

89 En l’espĂšce, dans une partie de l’arrĂȘt attaquĂ© consacrĂ©e aux erreurs de droit prĂ©tendument commises par la Commission relatives Ă  la notion de restriction de la concurrence par objet, le Tribunal a d’abord examinĂ© de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, aux points 219 Ă  307 de cet arrĂȘt, les critĂšres permettant de considĂ©rer que des accords de rĂšglement amiable de litiges en matiĂšre de brevets relĂšvent de cette notion, avant d’exposer, aux points 316 Ă  386 dudit arrĂȘt, les critĂšres d’apprĂ©ciation de la concurrence potentielle. Ce faisant, il a inversĂ© l’ordre dans lequel il convient, en principe, d’examiner ces deux Ă©lĂ©ments, prĂ©sentĂ©s au point 78 du prĂ©sent arrĂȘt, car il n’est pas nĂ©cessaire d’examiner la question de savoir si des accords ont pour objet de restreindre la concurrence si les entreprises en cause ne sont pas dans un rapport de concurrence. Toutefois, cette inversion est en soi sans consĂ©quence pour le bien-fondĂ© de l’analyse de ces deux Ă©lĂ©ments effectuĂ©e par le Tribunal en l’espĂšce. En effet, lorsqu’il s’est ensuite agi de se prononcer de maniĂšre spĂ©cifique sur les moyens de premiĂšre instance concernant le caractĂšre infractionnel au regard de l’article 101 TFUE des accords litigieux, le Tribunal a suivi cet ordre, puisqu’il a systĂ©matiquement examinĂ© la question de l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre les parties Ă  ces accords avant d’analyser leur qualification de restriction de la concurrence par objet.

90 Compte tenu de ce qui prĂ©cĂšde, dans la mesure oĂč le deuxiĂšme moyen se rapporte aux critĂšres relatifs Ă  la concurrence potentielle, il convient de statuer d’abord sur ce moyen, puis d’examiner le premier moyen, relatif aux critĂšres de qualification d’une restriction de la concurrence par objet.

b) Sur les critĂšres relatifs Ă  la concurrence potentielle (deuxiĂšme moyen)

1) Argumentation des parties

91 Par son deuxiĂšme moyen, qui s’articule en trois branches, Servier fait valoir que l’arrĂȘt attaquĂ© repose sur une conception extensive de la notion de concurrence potentielle et opĂšre un renversement de la charge de la preuve qui incombe Ă  la Commission. Elle fait valoir, Ă  titre liminaire, que la seule conclusion d’un accord de rĂšglement amiable de litiges en matiĂšre de brevets ne permet pas de dĂ©duire qu’il existe, entre les parties Ă  cet accord, une concurrence potentielle. Par ailleurs, au point 386 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal aurait jugĂ© qu’il suffisait pour Ă©tablir l’existence d’un rapport de concurrence potentielle que la Commission, en l’absence de preuves contraires relatives Ă  des difficultĂ©s techniques, rĂ©glementaires ou financiĂšres, Ă©tablisse un faisceau d’indices concordants attestant de dĂ©marches visant Ă  la production et Ă  la commercialisation du produit en cause dans un dĂ©lai suffisamment court pour peser sur l’opĂ©rateur prĂ©sent sur le marchĂ© concernĂ©. Cette apprĂ©ciation aurait conduit le Tribunal Ă  commettre trois erreurs de droit.

92 Par la premiĂšre branche de son deuxiĂšme moyen, Servier soutient que le Tribunal a fait abstraction des obstacles brevetaires. Il aurait considĂ©rĂ©, aux points 384, 444 et 728 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que, en l’absence d’une dĂ©cision dĂ©finitive d’une autoritĂ© sur l’existence d’actes de contrefaçon et sur la validitĂ© d’un brevet, l’apprĂ©ciation par les parties des chances de succĂšs d’une action contentieuse ne pouvait ĂȘtre prise en compte qu’au titre de l’intention des parties. Le Tribunal aurait ainsi exclu que, avant l’adoption d’une telle dĂ©cision, la perception par les parties de la validitĂ© d’un brevet puisse ĂȘtre prise en considĂ©ration afin de dĂ©terminer si les fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques avaient la capacitĂ© d’entrer sur le marchĂ© concernĂ©. Dans la mesure oĂč, par dĂ©finition, un accord de rĂšglement amiable d’un litige ne peut ĂȘtre conclu qu’avant l’adoption d’une telle dĂ©cision, le Tribunal aurait ainsi exigĂ© une condition impossible Ă  satisfaire et inadaptĂ©e au contexte des litiges en matiĂšre de brevets pharmaceutiques. Par ailleurs, Servier reproche au Tribunal d’avoir Ă©cartĂ©, aux points 366, 367, 591 et 592 de l’arrĂȘt attaquĂ©, la prise en compte des injonctions judiciaires dans ce contexte en raison de leur caractĂšre provisoire.

93 Selon Servier, mĂȘme en l’absence d’une telle dĂ©cision, la capacitĂ© d’un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques d’entrer sur le marchĂ© peut ĂȘtre remise en cause par l’existence d’un brevet si celui-ci est perçu comme Ă©tant suffisamment fort pour dissuader ce fabricant d’effectuer une entrĂ©e dite « Ă  risque », compte tenu de la possibilitĂ© de faire l’objet d’une action en contrefaçon de la part du fabricant du mĂ©dicament princeps. Servier souligne, Ă  cet Ă©gard, que le Tribunal a expressĂ©ment constatĂ© un tel effet dissuasif dĂ©coulant de la perception, par Krka, de la validitĂ© du brevet 947. Le Tribunal aurait ainsi commis une erreur de droit de nature Ă  vicier la qualification de Niche, de Matrix, de Teva et de Lupin de concurrents potentiels de Servier.

94 Par la deuxiĂšme branche de son deuxiĂšme moyen, Servier fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considĂ©rant, au point 386 de l’arrĂȘt attaquĂ©, qu’un faisceau d’indices attestant de l’existence de simples dĂ©marches visant Ă  la production et Ă  la commercialisation d’un mĂ©dicament gĂ©nĂ©rique, dont les chances de succĂšs dans un bref dĂ©lai sont inconnues, suffisait Ă  dĂ©montrer une capacitĂ© rĂ©elle et concrĂšte d’entrer sur le marchĂ©. Selon Servier, de telles dĂ©marches attestent – tout au plus – d’une volontĂ© d’entrer sur le marchĂ©, mais ne suffisent pas Ă  Ă©tablir, en prĂ©sence de trĂšs fortes barriĂšres Ă  l’entrĂ©e, la probabilitĂ© concrĂšte d’une entrĂ©e sur le marchĂ© suffisamment rapide, laquelle dĂ©pendrait du stade du dĂ©veloppement du mĂ©dicament gĂ©nĂ©rique et de la capacitĂ© pour le fabricant de ce mĂ©dicament d’obtenir une autorisation de mise sur le marchĂ©. Dans ces conditions, le Tribunal ne pouvait exclure, au point 340 de cet arrĂȘt, que des retards dans le processus d’entrĂ©e sur le marchĂ© subis par les fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques puissent porter atteinte Ă  leur capacitĂ© d’intĂ©grer ce marchĂ©. Servier invoque, par ailleurs, plusieurs erreurs relatives Ă  l’apprĂ©ciation de la concurrence potentielle, s’agissant des accords litigieux.

95 Par la troisiĂšme branche de son deuxiĂšme moyen, Servier, soutenue par l’EFPIA, critique le Tribunal pour avoir jugĂ© que, afin de remettre en cause les indices de l’existence de rapports de concurrence potentielle invoquĂ©s par la Commission, il appartenait aux entreprises responsables des infractions constatĂ©es par la dĂ©cision litigieuse de prouver que l’arrivĂ©e de nouveaux entrants sur le marchĂ© se heurtait Ă  des obstacles insurmontables. Ce faisant, le Tribunal aurait renversĂ© la charge de la preuve qui incombe Ă  la Commission et imposĂ© Ă  ces entreprises une preuve impossible Ă  rapporter (probatio diabolica). Afin de remettre en cause les indices de l’existence d’une concurrence potentielle, Servier estime qu’il suffit de dĂ©montrer que les allĂ©gations de la Commission sont douteuses ou erronĂ©es.

96 De surcroĂźt, au point 386 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal n’aurait pas pu, sans enfreindre le principe de bonne administration, imposer Ă  Servier la charge de dĂ©montrer que les fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques Ă©taient confrontĂ©s Ă  des obstacles insurmontables puisque, selon cette entreprise, seuls ces fabricants disposent des informations pertinentes Ă  cet Ă©gard. Or, en refusant d’utiliser ses pouvoirs d’enquĂȘte pour recueillir ces informations, la Commission aurait enfreint le principe de bonne administration.

97 La Commission, soutenue par le Royaume-Uni, conteste cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

98 S’agissant des critĂšres permettant de constater l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre deux entreprises, le Tribunal a considĂ©rĂ©, en substance, aux points 318 Ă  321 de l’arrĂȘt attaquĂ©, qu’un concurrent potentiel est celui qui dispose de possibilitĂ©s rĂ©elles et concrĂštes d’intĂ©grer le marchĂ© en cause. Une telle constatation doit reposer, selon cette juridiction, sur deux critĂšres, Ă  savoir, d’une part, la capacitĂ© et, d’autre part, l’intention d’intĂ©grer ce marchĂ©, Ă©tant prĂ©cisĂ© que le premier de ces critĂšres est essentiel. Il a, en outre, considĂ©rĂ©, aux points 334 Ă  341 de cet arrĂȘt, que, pour qu’une entreprise puisse ĂȘtre qualifiĂ©e de concurrent potentiel, son entrĂ©e sur ledit marchĂ© doit pouvoir se faire suffisamment rapidement aux fins de peser et ainsi d’exercer une pression concurrentielle sur les entreprises prĂ©sentes sur le mĂȘme marchĂ©.

99 Aux points 342 Ă  348 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal a soulignĂ© que la preuve de l’existence d’une concurrence potentielle peut ĂȘtre confortĂ©e par la perception, par les entreprises prĂ©sentes sur le marchĂ©, de la menace concurrentielle que reprĂ©sente la possibilitĂ© de l’arrivĂ©e d’un nouvel entrant sur ce marchĂ©. Il a relevĂ©, Ă  cet Ă©gard, en se rĂ©fĂ©rant Ă  sa propre jurisprudence, que la conclusion d’un accord entre ces entreprises peut constituer un indice de cette perception de nature Ă  corroborer l’existence d’une concurrence potentielle.

100 Lorsque, sur le fondement de ces critĂšres, il peut ĂȘtre Ă©tabli que des fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques ont des possibilitĂ©s rĂ©elles et concrĂštes d’entrer sur le marchĂ©, une telle constatation ne peut, selon le Tribunal, pour les motifs exposĂ©s aux points 319 Ă  324 de l’arrĂȘt attaquĂ©, ĂȘtre remise en cause par l’existence d’obstacles Ă  cette entrĂ©e, tels que des brevets ou l’obligation d’obtenir une autorisation de mise sur le marchĂ©, que si ces obstacles sont insurmontables.

101 À cet Ă©gard, le Tribunal a jugĂ©, en substance, aux points 355 Ă  368 et 384 de cet arrĂȘt, que, en l’absence d’une dĂ©cision judiciaire dĂ©finitive ayant constatĂ© l’existence d’une contrefaçon, l’existence d’un brevet en cours de validitĂ© n’empĂȘche pas le dĂ©ploiement d’une concurrence potentielle. En effet, selon le Tribunal, le droit exclusif confĂ©rĂ© par un brevet ne s’oppose pas Ă  ce que des fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques entament des dĂ©marches pour ĂȘtre en mesure d’entrer sur le marchĂ© du mĂ©dicament princeps Ă  l’expiration de ce brevet et ainsi, exercent une pression concurrentielle sur le titulaire dudit brevet avant cette expiration.

102 En particulier, le Tribunal, aux points 359 Ă  361 dudit arrĂȘt, a prĂ©cisĂ© que, si le brevet jouit d’une prĂ©somption de validitĂ© Ă  compter de son enregistrement, la contrefaçon ne se prĂ©sume pas, mais doit ĂȘtre Ă©tablie par la voie judiciaire. De mĂȘme, selon cette juridiction, en l’absence d’une constatation de contrefaçon, une dĂ©claration de validitĂ© d’un brevet, telle que celle rĂ©sultant de la dĂ©cision de l’OEB du 27 juillet 2006, n’exclut pas la possibilitĂ© d’une concurrence potentielle.

103 Le Tribunal a Ă©galement soulignĂ©, au point 358 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que la lĂ©gislation relative Ă  l’octroi des autorisations de mise sur le marchĂ© de mĂ©dicaments ne constitue pas un obstacle insurmontable au dĂ©ploiement d’une concurrence potentielle, dans la mesure oĂč cette lĂ©gislation permet aux autoritĂ©s compĂ©tentes d’accorder une telle autorisation pour un mĂ©dicament gĂ©nĂ©rique alors mĂȘme que le mĂ©dicament de rĂ©fĂ©rence est protĂ©gĂ© par un brevet.

104 Il rĂ©sulte de ce qui prĂ©cĂšde que, contrairement Ă  ce que prĂ©tend Servier, c’est sans commettre d’erreur de droit et en statuant d’une maniĂšre conforme Ă  ce qui est rappelĂ© aux points 79 Ă  82 du prĂ©sent arrĂȘt que le Tribunal a exposĂ© les critĂšres permettant de conclure Ă  l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre un fabricant de mĂ©dicaments princeps et un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques. En effet, les critĂšres appliquĂ©s par le Tribunal correspondent, en substance, Ă  ceux appliquĂ©s par la Cour aux points 36 Ă  57 de l’arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C 307/18, EU:C:2020:52).

105 S’agissant, en particulier, des deux critĂšres tenant Ă  la capacitĂ© et Ă  l’intention d’intĂ©grer le marchĂ© en cause, visĂ©s au point 318 de l’arrĂȘt attaquĂ©, il y a lieu de constater qu’ils correspondent Ă  ceux appliquĂ©s par la Cour, notamment, au point 44 de l’arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C 307/18, EU:C:2020:52), tenant Ă  la dĂ©termination ferme ainsi qu’à la capacitĂ© propre d’un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques d’accĂ©der au marchĂ© d’un mĂ©dicament contenant un principe actif tombĂ© dans le domaine public, mĂȘme en prĂ©sence de brevets de procĂ©dĂ© dĂ©tenus par le fabricant de mĂ©dicaments princeps.

106 En ce qui concerne le grief Ă©noncĂ© Ă  titre liminaire dans le cadre du deuxiĂšme moyen, il est vrai, comme l’affirme en substance Servier, que l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre deux entreprises opĂ©rant Ă  un mĂȘme niveau de la chaĂźne de production et dont l’une n’est pas prĂ©sente sur le marchĂ© ne peut ĂȘtre dĂ©duite du seul fait que ces entreprises ont conclu un accord de rĂšglement amiable de litiges. Toutefois, la conclusion d’un tel accord constitue un indice fort de l’existence d’une relation concurrentielle entre lesdites entreprises [voir, en ce sens, arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C-307/18, EU:C:2020:52, point 55 ainsi que jurisprudence citĂ©e]. Ainsi, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en invoquant l’existence mĂȘme des accords litigieux Ă  l’appui de la conclusion selon laquelle Servier et les fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques en cause Ă©taient dans un rapport de concurrence potentielle.

107 S’agissant de la premiĂšre branche du deuxiĂšme moyen, Servier n’est pas fondĂ©e Ă  soutenir que le Tribunal a commis une erreur de droit en refusant d’admettre que la perception par un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques de la force d’un brevet, dont la validitĂ© n’a pas Ă©tĂ© dĂ©finitivement Ă©tablie par voie judiciaire, puisse ĂȘtre prise en considĂ©ration afin de dĂ©terminer si les fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques avaient la capacitĂ© d’entrer sur le marchĂ©.

108 En l’occurrence, le Tribunal n’a pas considĂ©rĂ©, notamment aux points 384, 444 et 728 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que la perception par un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques de la force d’un brevet, dont la validitĂ© n’a pas Ă©tĂ© dĂ©finitivement Ă©tablie par voie judiciaire, est totalement dĂ©nuĂ©e de pertinence pour apprĂ©cier l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre Servier et les fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques. En revanche, il a constatĂ© que, si cette perception peut ĂȘtre pertinente pour dĂ©terminer si un tel fabricant avait l’intention d’entrer sur le marchĂ© en cause, elle n’a aucun rĂŽle Ă  jouer dans la dĂ©termination de sa capacitĂ© d’effectuer une telle entrĂ©e.

109 Il convient de rappeler, Ă  cet Ă©gard, que l’existence d’un brevet qui protĂšge le procĂ©dĂ© de fabrication d’un principe actif tombĂ© dans le domaine public ne saurait, en tant que telle, ĂȘtre regardĂ©e comme une barriĂšre insurmontable et n’empĂȘche pas de qualifier de concurrent potentiel du fabricant du mĂ©dicament princeps concernĂ© un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques qui a effectivement la dĂ©termination ferme ainsi que la capacitĂ© propre d’entrer sur le marchĂ© et qui, par ses dĂ©marches, se montre prĂȘt Ă  contester la validitĂ© de ce brevet et Ă  assumer le risque de se voir, lors de son entrĂ©e sur le marchĂ©, confrontĂ© Ă  une action en contrefaçon introduite par le titulaire de ce brevet [arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 46].

110 Il y a lieu de constater que le raisonnement du Tribunal, rĂ©sumĂ© au point 108 du prĂ©sent arrĂȘt, n’est entachĂ© d’aucune erreur de droit au regard de cette jurisprudence et de celle rappelĂ©e au point 81 du prĂ©sent arrĂȘt. En effet, il rĂ©sulte notamment de ladite jurisprudence que, si elle fait incontestablement partie du contexte pertinent, l’existence d’un brevet protĂ©geant un mĂ©dicament princeps ou l’un de ses procĂ©dĂ©s de fabrication dont la validitĂ© n’a pas Ă©tĂ© dĂ©finitivement Ă©tablie par voie judiciaire, et donc Ă  plus forte raison la perception de la force d’un tel brevet que peut avoir un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques, n’est pas en soi dĂ©cisive dans le cadre de l’apprĂ©ciation d’un Ă©ventuel rapport de concurrence potentielle existant entre ce fabricant et le titulaire de ce brevet.

111 Par ailleurs, si la perception par un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques de la force d’un brevet, telle qu’elle ressort non pas de ses propres dires, mais d’élĂ©ments de preuve contemporains et fiables, constitue l’un des facteurs pertinents parmi d’autres, tels que les dĂ©marches prĂ©paratoires entreprises en vue d’une entrĂ©e sur le marchĂ©, pour apprĂ©cier les intentions de ce fabricant et, partant, son Ă©ventuelle dĂ©termination ferme d’effectuer une telle entrĂ©e, cette perception qui est, par dĂ©finition, subjective, n’est pas pertinente, en principe, pour apprĂ©cier la capacitĂ© propre d’un tel fabricant d’entrer effectivement sur le marchĂ©, ni d’ailleurs l’existence objective d’obstacles insurmontables Ă  une telle entrĂ©e.

112 S’agissant de l’argument par lequel Servier reproche au Tribunal d’avoir Ă©cartĂ© la pertinence des injonctions provisoires prononcĂ©es par une juridiction nationale et interdisant Ă  un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques d’accĂ©der au marchĂ© d’un mĂ©dicament contenant un principe actif tombĂ© dans le domaine public, la Cour a dĂ©jĂ  soulignĂ© l’importance relative de telles injonctions pour apprĂ©cier l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre un tel fabricant et le titulaire du brevet, dĂšs lors qu’il s’agit d’une mesure provisoire qui ne prĂ©juge en rien le caractĂšre fondĂ© d’une action en contrefaçon [arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 53]. D’ailleurs, contrairement Ă  l’argumentation de Servier, le Tribunal n’a pas Ă©cartĂ© la prise en compte de telles injonctions provisoires aux points 366, 367, 591 et 592 de l’arrĂȘt attaquĂ©, mais s’est bornĂ©, conformĂ©ment Ă  cette jurisprudence, Ă  juger que leur octroi, et Ă  plus forte raison le simple risque d’un tel octroi, ne pouvait permettre en tant que tel d’exclure la qualitĂ© de concurrent potentiel d’un tel fabricant.

113 Servier fait nĂ©anmoins valoir que les motifs de l’arrĂȘt attaquĂ© relatifs Ă  l’importance Ă  accorder Ă  la perception par le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques de la force du brevet sont contradictoires. Elle relĂšve, ainsi qu’il est exposĂ© au point 93 du prĂ©sent arrĂȘt, que le Tribunal a, en substance, admis que la reconnaissance par Krka de la validitĂ© du brevet 947 avait pour consĂ©quence d’exclure que les accords conclus avec ce fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques soient qualifiĂ©s de restriction de la concurrence par objet, alors qu’il a jugĂ© le contraire Ă  l’égard des accords litigieux.

114 Toutefois, il suffit de constater qu’il ressort notamment du point 304 de l’arrĂȘt prononcĂ© ce jour dans l’affaire Commission/Servier e.a. (C 176/19 P), que des erreurs de droit commises par le Tribunal affectent l’ensemble du raisonnement relatif Ă  la qualification de restriction de la concurrence par objet des accords de rĂšglement amiable et de licence conclus avec Krka, exposĂ© aux points 943 Ă  1032 de l’arrĂȘt attaquĂ©. En particulier, il ressort des points 294 et 295 de l’arrĂȘt de ce jour dans l’affaire Commission/Servier e.a. (C 176/19 P), que le Tribunal a vĂ©rifiĂ© la qualification de la pratique infractionnelle imputĂ©e Ă  Servier et Ă  Krka de restriction de la concurrence par objet sur la base de critĂšres erronĂ©s, au regard desquels il a accordĂ© une importance dĂ©terminante Ă  la reconnaissance par Krka de la validitĂ© du brevet 947, alors que cet Ă©lĂ©ment n’était pas, en soi, dĂ©cisif.

115 Le pourvoi de la Commission dans l’affaire C 176/19 P ayant Ă©tĂ© partiellement accueilli, la Cour a annulĂ© le point 1 du dispositif de l’arrĂȘt attaquĂ©, par lequel le Tribunal avait annulĂ© l’article 4 de la dĂ©cision litigieuse constatant le caractĂšre infractionnel des accords Krka au regard de l’article 101 TFUE. ConformĂ©ment Ă  l’article 61, premier alinĂ©a, du statut de la Cour de justice de l’Union europĂ©enne, la Cour a dĂ©finitivement statuĂ©, en particulier, sur le neuviĂšme moyen, pris en sa premiĂšre branche, du recours de Servier dans l’affaire T 691/14.

116 Pour les motifs exposĂ©s aux points 427 Ă  440 de son arrĂȘt de ce jour dans l’affaire Commission/Servier e.a. (C 176/19 P), la Cour a rejetĂ© l’argumentation par laquelle Servier contestait l’existence d’une concurrence potentielle exercĂ©e par Krka. Au point 441 de cet arrĂȘt, la Cour a rejetĂ© un grief par lequel Servier soutenait que, en raison, notamment, de la dĂ©cision de l’OEB du 27 juillet 2006, Krka ne disposait plus de la capacitĂ© ni de la dĂ©termination ferme d’entrer sur les marchĂ©s principaux de Servier, et ne constituait donc plus une source de concurrence potentielle. La Cour a en effet dĂ©finitivement jugĂ© que ce grief n’était pas fondĂ© au regard, notamment, de la jurisprudence rappelĂ©e aux points 81 et 109 du prĂ©sent arrĂȘt.

117 Il dĂ©coule de ces Ă©lĂ©ments que la contradiction de motifs invoquĂ©e par Servier dans le cadre de la premiĂšre branche du deuxiĂšme moyen du prĂ©sent pourvoi repose sur des motifs de l’arrĂȘt attaquĂ© qui ont Ă©tĂ© dĂ©finitivement invalidĂ©s par la Cour. En l’absence de la contradiction allĂ©guĂ©e, il y a lieu de rejeter le grief de Servier pris d’une contradiction de motifs et, en consĂ©quence, la premiĂšre branche du deuxiĂšme moyen.

118 S’agissant de la deuxiĂšme branche du deuxiĂšme moyen, contrairement Ă  ce que prĂ©tend Servier, le fait d’avoir accompli des dĂ©marches administratives en vue d’obtenir une autorisation de mise sur le marchĂ© d’un mĂ©dicament gĂ©nĂ©rique peut ĂȘtre pris en compte afin de dĂ©montrer que le fabricant de ce mĂ©dicament avait des possibilitĂ©s rĂ©elles et concrĂštes d’intĂ©grer le marchĂ© du mĂ©dicament princeps. En effet, conformĂ©ment aux Ă©lĂ©ments visĂ©s au point 80 du prĂ©sent arrĂȘt, des dĂ©marches de cette nature sont pertinentes aux fins de prouver tant la dĂ©termination ferme que la capacitĂ© propre d’un tel fabricant de parvenir Ă  entrer sur ce marchĂ©.

119 Servier soutient Ă©galement que le Tribunal a commis une erreur de droit en refusant de considĂ©rer, au point 340 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que les retards dans le processus d’entrĂ©e sur le marchĂ© subis par un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques puissent porter atteinte Ă  la capacitĂ© de celui-ci d’intĂ©grer ledit marchĂ©.

120 Toutefois, ainsi qu’il rĂ©sulte, en substance, de ce point 340, et comme Mme l’avocate gĂ©nĂ©rale l’a relevĂ©, en substance, au point 103 de ses conclusions, un report d’entrĂ©e causĂ© par de tels retards ne suffit pas, en soi, Ă  remettre en cause la qualitĂ© de concurrent potentiel d’un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques, notamment s’il entreprend des dĂ©marches pour rĂ©soudre les difficultĂ©s ayant causĂ© ces retards. En effet, ce qui importe Ă  cet Ă©gard est de dĂ©terminer si ce fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques continue d’exercer une pression concurrentielle sur le fabricant de mĂ©dicaments princeps du fait de sa dĂ©termination ferme et de sa capacitĂ© propre de parvenir Ă  effectuer une telle entrĂ©e. Ainsi qu’il rĂ©sulte du point 80 du prĂ©sent arrĂȘt, il convient, aux fins de vĂ©rifier si ces conditions sont rĂ©unies, d’apprĂ©cier si ledit fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques a effectuĂ© des dĂ©marches prĂ©paratoires suffisantes lui permettant d’accĂ©der au marchĂ© dans un dĂ©lai Ă  mĂȘme de faire peser une pression concurrentielle sur le fabricant de mĂ©dicaments princeps, sans pour autant, ainsi que la Cour a dĂ©jĂ  eu l’occasion de le prĂ©ciser, qu’il soit pertinent de savoir si les dĂ©marches entreprises Ă  cette fin seront effectivement finalisĂ©es en temps voulu ou seront couronnĂ©es de succĂšs (arrĂȘt du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C 591/16 P, EU:C:2021:243, point 84).

121 Il s’ensuit que, en jugeant, au point 340 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que, dans la dĂ©cision litigieuse, la Commission a pu considĂ©rer que « les retards dans le processus d’entrĂ©e sur le marchĂ© Ă©ventuellement subis par les sociĂ©tĂ©s de gĂ©nĂ©riques ne suffisaient pas Ă  eux seuls pour exclure leur qualitĂ© de concurrent potentiel lorsqu’elles continuent Ă  exercer une telle pression du fait de leur capacitĂ© Ă  entrer », le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit.

122 Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de rejeter la deuxiÚme branche du deuxiÚme moyen.

123 S’agissant de la troisiĂšme branche du deuxiĂšme moyen, contrairement Ă  ce qu’allĂšgue Servier, le Tribunal n’a pas procĂ©dĂ©, au point 386 de l’arrĂȘt attaquĂ©, Ă  un renversement de la charge de la preuve. À ce point 386, le Tribunal s’est limitĂ© Ă  considĂ©rer que, en l’absence de preuves contraires relatives Ă  des difficultĂ©s techniques, rĂ©glementaires, commerciales ou financiĂšres, la Commission pouvait Ă©tablir la capacitĂ© et l’intention des fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques d’entrer sur le marchĂ©, et ainsi leurs possibilitĂ©s rĂ©elles et concrĂštes d’y entrer, si elle avait rĂ©uni un faisceau d’indices concordants attestant, Ă  tout le moins, de dĂ©marches visant Ă  la production et Ă  la commercialisation du mĂ©dicament en cause dans un dĂ©lai suffisamment court pour peser sur le fabricant de mĂ©dicaments princeps. Or, selon la jurisprudence constante de la Cour, en matiĂšre de responsabilitĂ© pour une infraction aux rĂšgles de la concurrence, les Ă©lĂ©ments factuels qu’une partie invoque peuvent ĂȘtre de nature Ă  obliger l’autre partie Ă  fournir une explication ou une justification, faute de quoi il est permis de conclure que la charge de la preuve a Ă©tĂ© satisfaite (arrĂȘts du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C 407/08 P, EU:C:2010:389, point 80, et du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C 591/16 P, EU:C:2021:243, point 79).

124 ConformĂ©ment Ă  cette jurisprudence, si la Commission parvient Ă  Ă©tablir l’existence d’une concurrence potentielle entre deux entreprises, sur la base d’un faisceau d’indices concordants, et sans ignorer les Ă©ventuelles preuves contraires dont elle a effectivement eu connaissance dans le cadre de l’enquĂȘte qu’elle a menĂ©e Ă  charge et Ă  dĂ©charge, notamment celles relatives Ă  d’éventuels obstacles potentiels Ă  une entrĂ©e sur le marchĂ©, il incombe alors Ă  ces entreprises de rĂ©futer l’existence d’une telle concurrence en rapportant la preuve contraire, ce qu’elles peuvent faire soit dans le cadre de la procĂ©dure administrative soit, pour la premiĂšre fois, dans le cadre du recours dont le Tribunal est saisi (voir, Ă  ce dernier Ă©gard, arrĂȘt du 21 janvier 2016, Galp EnergĂ­a España e.a./Commission, C 603/13 P, EU:C:2016:38, point 72). Une telle charge ne constitue ni un renversement indu de la charge de la preuve ni une probatio diabolica, car il suffit aux entreprises en cause de rapporter des preuves relatives Ă  un fait positif, Ă  savoir l’existence de difficultĂ©s techniques, rĂ©glementaires, commerciales ou financiĂšres qui constituent, selon elles, des obstacles insurmontables Ă  l’entrĂ©e de l’une d’elles sur le marchĂ©. Une fois une telle preuve rapportĂ©e, il incombe Ă  la Commission de vĂ©rifier si elle infirme son analyse relative Ă  l’existence d’une concurrence potentielle.

125 Si, au contraire, il appartenait Ă  la Commission d’établir, de maniĂšre nĂ©gative, l’absence de telles difficultĂ©s, et, partant, celle de toute barriĂšre insurmontable, quelle qu’elle soit, Ă  l’entrĂ©e de l’une des entreprises en cause sur le marchĂ©, une telle charge de la preuve reprĂ©senterait une probatio diabolica pour cette institution. D’ailleurs, c’est Ă  juste titre que le Tribunal a relevĂ©, au point 386 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que les preuves relatives Ă  l’existence de la concurrence potentielle sont souvent des donnĂ©es internes aux entreprises en cause, que ces derniĂšres sont mieux placĂ©es pour recueillir.

126 De mĂȘme, il ne saurait ĂȘtre considĂ©rĂ© que la charge de la preuve dĂ©crite au point 124 du prĂ©sent arrĂȘt constitue une violation du principe de bonne administration, au motif qu’elle reviendrait Ă  exiger de la part du fabricant de mĂ©dicaments princeps qu’il produise, pour sa dĂ©fense, des Ă©lĂ©ments de preuve qui ne sont pas en sa possession, mais en celle des fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques. En effet, ce grief fait abstraction du droit d’accĂšs au dossier dans les affaires de concurrence dont l’objet est de permettre aux destinataires de la communication des griefs de prendre connaissance, dĂšs la procĂ©dure administrative, des Ă©lĂ©ments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu’ils puissent se dĂ©fendre. Ce droit d’accĂšs au dossier implique que la Commission donne Ă  l’entreprise concernĂ©e la possibilitĂ© de procĂ©der Ă  un examen de la totalitĂ© des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’ĂȘtre pertinents pour la dĂ©fense de cette entreprise. Ceux-ci comprennent tant les piĂšces Ă  charge que celles Ă  dĂ©charge, sous rĂ©serve des secrets d’affaires des autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles (arrĂȘt du 14 mai 2020, NKT Verwaltungs et NKT/Commission, C 607/18 P, EU:C:2020:385, points 261 et 262 ainsi que jurisprudence citĂ©e). Ainsi, tous les Ă©lĂ©ments dont la Commission a connaissance au stade de la procĂ©dure administrative, y compris ceux qui sont produits par les fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques et qui sont potentiellement Ă  dĂ©charge, doivent figurer au dossier auquel le fabricant de mĂ©dicaments princeps a, en principe, accĂšs, de sorte que ce fabricant a la possibilitĂ© d’identifier d’éventuels obstacles insurmontables Ă  l’égard de ces fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques, s’ils existent, et de les invoquer pendant la procĂ©dure administrative ou devant le Tribunal.

127 Il convient, dĂšs lors, de rejeter la troisiĂšme branche du deuxiĂšme moyen et, partant, le deuxiĂšme moyen dans son ensemble.

c) Sur les critĂšres relatifs Ă  la qualification de restriction de la concurrence par objet (premier moyen)

1) Argumentation des parties

128 Par son premier moyen, Servier conteste les critÚres sur le fondement desquels le Tribunal a considéré que les accords litigieux constituaient des restrictions de la concurrence par objet. Ce moyen se divise en trois branches.

129 Par la premiĂšre branche de son premier moyen, Servier soutient que, conformĂ©ment aux conclusions de l’avocat gĂ©nĂ©ral Wahl dans l’affaire CB/Commission (C 67/13 P, EU:C:2014:1958, point 56), la notion de restriction de la concurrence par objet, qui doit faire l’objet d’une interprĂ©tation stricte, est rĂ©servĂ©e aux comportements dont le caractĂšre nocif est, au vu de l’expĂ©rience acquise et de la science Ă©conomique, avĂ©rĂ© et facilement dĂ©celable.

130 Or, selon Servier, cette expĂ©rience faisait dĂ©faut Ă  la date de la dĂ©cision litigieuse. En effet, en l’absence de dĂ©cisions antĂ©rieures de cette institution ou des juridictions de l’Union, la prĂ©sente affaire relevait d’un cas de figure alors inĂ©dit. Servier soutient, Ă  cet Ă©gard, que l’arrĂȘt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C 209/07, EU:C:2008:643), n’est pas pertinent, car il ne concerne pas un accord de rĂšglement amiable de litiges en matiĂšre de brevets pharmaceutiques. La demande de dĂ©cision prĂ©judicielle ayant donnĂ© lieu Ă  l’arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C 307/18, EU:C:2020:52), dĂ©montrerait que la qualification de restriction de la concurrence par objet pour ce type d’accord de rĂšglement amiable demeurait incertaine et dĂ©battue. La prĂ©sente affaire diffĂ©rerait Ă©galement de celle ayant donnĂ© lieu Ă  l’arrĂȘt du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C 591/16 P, EU:C:2021:243), postĂ©rieure aux faits de l’espĂšce, dans laquelle les accords en cause n’avaient pas rĂ©ellement pour objet de rĂ©gler un litige.

131 En outre, Servier conteste le caractĂšre aisĂ©ment dĂ©celable des infractions Ă  l’article 101, paragraphe 1, TFUE qui lui ont Ă©tĂ© imputĂ©es. La Commission, le Tribunal, la jurisprudence des juridictions des États-Unis d’AmĂ©rique et la doctrine antĂ©rieure Ă  l’adoption de la dĂ©cision litigieuse admettraient qu’un accord de rĂšglement amiable de litiges en matiĂšre de brevets pharmaceutiques n’est pas, en soi, anticoncurrentiel. Il aurait d’ailleurs fallu plusieurs centaines de pages Ă  la Commission pour articuler son raisonnement sur ce point.

132 Par la deuxiĂšme branche de son premier moyen, Servier, soutenue par l’EFPIA, reproche au Tribunal de n’avoir tirĂ© aucune consĂ©quence de la rĂšgle, Ă©noncĂ©e au point 304 de l’arrĂȘt attaquĂ© et au point 56 des conclusions de l’avocat gĂ©nĂ©ral Wahl dans l’affaire CB/Commission (C 67/13 P, EU:C:2014:1958), selon laquelle ne relĂšvent pas de la notion de restriction de la concurrence par objet des accords qui prĂ©sentent des effets potentiels ambivalents sur le marchĂ© ou qui sont nĂ©cessaires Ă  la poursuite d’un objectif principal non restrictif de la concurrence.

133 À cet Ă©gard, des accords qui mettent fin Ă  un litige relatif Ă  un brevet, sans excĂ©der la portĂ©e de ce brevet, seraient lĂ©gitimes et conformes Ă  l’intĂ©rĂȘt public. En l’espĂšce, Servier fait observer que, si trois des dix opposants au brevet 947 se sont dĂ©sistĂ©s de la procĂ©dure devant l’OEB aprĂšs avoir conclu un accord de rĂšglement amiable avec Servier, une telle circonstance est restĂ©e sans effet, puisque cette procĂ©dure a suivi son cours. En outre, parmi les accords litigieux, les accords Teva et Lupin auraient pu avoir comme effet proconcurrentiel d’avancer la date de l’entrĂ©e sur le marchĂ© de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques non contrefaisants.

134 Par la troisiĂšme branche de son premier moyen, Servier soutient que le Tribunal a omis de prendre en considĂ©ration le contexte Ă©conomique et juridique des accords litigieux. Le Tribunal se serait bornĂ©, au point 272 de l’arrĂȘt attaquĂ©, Ă  considĂ©rer qu’une telle qualification est encourue lorsqu’un accord, d’une part, comporte un paiement ou un avantage incitatif Ă  l’égard d’un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques ainsi que des clauses de non-contestation et de non-commercialisation et, d’autre part, est conclu entre des entreprises en situation de concurrence potentielle, cette situation Ă©tant dĂ©finie de maniĂšre large.

135 Servier fait observer, Ă  titre liminaire, que tout accord limitant la libertĂ© commerciale d’un concurrent n’est pas nĂ©cessairement restrictif de la concurrence. Une telle qualification serait exclue lorsque cette restriction est accessoire Ă  un accord lĂ©gitime, notamment s’agissant des clauses de non-contestation prĂ©vues par un accord de rĂšglement amiable de litiges en matiĂšre de brevets. Servier invoque Ă  cet Ă©gard le point 209 des lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2004.

136 Servier soutient, en premier lieu, que le Tribunal a commis une erreur de droit en considĂ©rant, aux points 269 Ă  271 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que l’existence d’un paiement dit « inversĂ© », c’est-Ă -dire un paiement du fabricant de mĂ©dicaments princeps en faveur du fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques destinĂ© Ă  inciter ce dernier Ă  transiger permet de qualifier un tel accord de restriction de la concurrence par objet. Or, en raison du caractĂšre excessivement abstrait de cette apprĂ©ciation, le Tribunal aurait ignorĂ© les singularitĂ©s ainsi que les effets rĂ©els et concrets des accords litigieux.

137 En l’espĂšce, les Ă©lĂ©ments de contexte pertinents dĂ©montreraient que l’entrĂ©e de fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques sur le marchĂ© du pĂ©rindopril a Ă©tĂ© retardĂ©e non pas Ă  cause des accords litigieux, mais en raison du brevet 947. Tous les fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques qui se sont opposĂ©s Ă  ce brevet auraient Ă©tĂ© contraints d’attendre l’expiration dudit brevet pour entrer sur ce marchĂ©.

138 Servier souligne Ă  cet Ă©gard que le Tribunal a jugĂ© que les accords Krka ne constituaient pas une infraction Ă  l’article 101, paragraphe 1, TFUE, aprĂšs avoir pris en considĂ©ration les effets de ces accords et la reconnaissance, par cette entreprise, de la validitĂ© du brevet 947. Il aurait ainsi confirmĂ© que les clauses de non-contestation et de non-commercialisation ne sont pas intrinsĂšquement nocives pour la concurrence.

139 En second lieu, Servier soutient que, contrairement Ă  ce qui ressort du point 267 de l’arrĂȘt attaquĂ©, un paiement inversĂ© n’est pas, en soi, anticoncurrentiel, mais peut s’expliquer par la force du brevet concernĂ©. En effet, un brevet fort inciterait les fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques Ă  transiger. ConformĂ©ment Ă  la jurisprudence issue de l’arrĂȘt du 25 fĂ©vrier 1986, Windsurfing International/Commission (193/83, EU:C:1986:75, point 26), le Tribunal aurait dĂ» prendre en considĂ©ration un tel Ă©lĂ©ment objectif. En l’occurrence, la force du brevet 947 aurait Ă©tĂ© reconnue dans la dĂ©cision de l’OEB du 27 juillet 2006 et par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], qui a prononcĂ© des injonctions provisoires contre Apotex et Krka, ce que le Tribunal aurait d’ailleurs pris en considĂ©ration au point 971 de l’arrĂȘt attaquĂ©, en jugeant qu’elles avaient constituĂ© « un des Ă©lĂ©ments dĂ©clencheurs » aboutissant aux accords Krka.

140 En affirmant, au point 280 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que l’objet anticoncurrentiel d’un accord de rĂšglement amiable peut ĂȘtre prĂ©sumĂ© lorsque ce paiement excĂšde les frais inhĂ©rents au rĂšglement amiable de litiges en matiĂšre de brevets, sans que la Commission soit tenue de dĂ©montrer qu’ils correspondent au moins aux bĂ©nĂ©fices escomptĂ©s par le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques, le Tribunal se serait appuyĂ© sur une conception extensive de la notion de restriction de la concurrence par objet. Or, cette conception extensive non seulement s’écarterait des principes reconnus par la jurisprudence, mais elle reviendrait, en outre, Ă  exonĂ©rer la Commission de la charge de la preuve de l’infraction dont elle allĂšgue l’existence.

141 La Commission, soutenue par le Royaume-Uni, conteste cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

142 S’agissant des critĂšres permettant de qualifier un accord de rĂšglement amiable de litiges en matiĂšre de brevets de restriction de la concurrence par objet, Servier soutient, en substance, par les trois branches soulevĂ©es Ă  l’appui de son premier moyen, qu’il convient d’examiner ensemble, que cette qualification est rĂ©servĂ©e aux accords dont le caractĂšre nocif est avĂ©rĂ© et facilement dĂ©celable. Elle serait inapplicable Ă  ceux dont les effets potentiels sur le marchĂ© sont ambivalents ou qui sont nĂ©cessaires Ă  la poursuite d’un objectif principal non restrictif de la concurrence. Or, faute d’avoir appliquĂ© ces critĂšres, le Tribunal aurait commis des erreurs de droit.

143 Il convient de relever d’emblĂ©e que, eu Ă©gard aux critĂšres rappelĂ©s aux points 69 Ă  77 du prĂ©sent arrĂȘt, sur le fondement desquels un accord entre entreprises peut ĂȘtre qualifiĂ© de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, cette argumentation doit ĂȘtre rejetĂ©e.

144 Servier n’est pas fondĂ©e Ă  soutenir que cette qualification doit ĂȘtre Ă©cartĂ©e au motif, en particulier, de l’absence de pratique dĂ©cisionnelle antĂ©rieure de la Commission relative Ă  de tels accords. En effet, il n’est nullement requis que le mĂȘme type d’accords ait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© sanctionnĂ© par la Commission pour que ceux-ci puissent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme Ă©tant restrictifs de la concurrence par objet, et ce quand bien mĂȘme ceux-ci interviendraient dans un contexte spĂ©cifique tel que celui des droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle. Seules importent les caractĂ©ristiques propres de ces accords, dont doit ĂȘtre dĂ©duite l’éventuelle nocivitĂ© particuliĂšre pour la concurrence, au besoin Ă  l’issue d’une analyse dĂ©taillĂ©e de ces accords, de leurs objectifs ainsi que du contexte Ă©conomique et juridique dans lequel ils s’insĂšrent [arrĂȘts du 25 mars 2021, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission, C 586/16 P, EU:C:2021:241, points 85 Ă  87, ainsi que du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C 591/16 P, EU:C:2021:243, points 130 et 131].

145 De mĂȘme, Servier ne saurait reprocher au Tribunal de ne pas avoir pris en compte des effets positifs ou du moins ambivalents sur la concurrence auxquels les accords litigieux seraient susceptibles de donner lieu, selon elle, dĂšs lors que, conformĂ©ment Ă  la jurisprudence rappelĂ©e aux points 76 et 77 du prĂ©sent arrĂȘt, l’examen des effets de ces accords n’est pas nĂ©cessaire, ni mĂȘme pertinent, aux fins de dĂ©terminer s’ils peuvent ĂȘtre qualifiĂ©s de restriction de la concurrence par objet.

146 En outre, force est de constater que, en l’espĂšce, le Tribunal a Ă©noncĂ©, aux points 219 Ă  222 de l’arrĂȘt attaquĂ©, des rĂšgles et principes qui correspondent, en substance, Ă  ceux dĂ©crits aux points 69 Ă  77 du prĂ©sent arrĂȘt. DĂšs lors, ces points de l’arrĂȘt attaquĂ© ne sont pas entachĂ©s d’une erreur de droit.

147 S’agissant de l’argumentation tirĂ©e de la jurisprudence de la Cour relative aux restrictions accessoires Ă  des accords lĂ©gitimes, il convient de relever que le Tribunal a estimĂ©, aux points 282 Ă  291 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que c’était Ă  bon droit que la Commission avait pu ne pas examiner s’il y avait lieu de faire application de cette jurisprudence.

148 À cet Ă©gard, il importe de souligner que, si une opĂ©ration ou une activitĂ© dĂ©terminĂ©e ne relĂšve pas du principe d’interdiction prĂ©vu Ă  l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en raison de sa neutralitĂ©, en ce sens qu’elle n’implique aucune restriction de la concurrence, une restriction accessoire Ă  l’autonomie commerciale d’un ou de plusieurs des participants Ă  cette opĂ©ration ou Ă  cette activitĂ© ne relĂšve pas non plus de ce principe d’interdiction si cette restriction est objectivement nĂ©cessaire Ă  la mise en Ɠuvre de ladite opĂ©ration ou de ladite activitĂ© et proportionnĂ©e aux objectifs de l’une ou de l’autre (voir, en ce sens, arrĂȘt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C 382/12 P, EU:C:2014:2201, point 89 ainsi que jurisprudence citĂ©e).

149 En effet, lorsqu’il n’est pas possible de dissocier une telle restriction accessoire de l’opĂ©ration ou de l’activitĂ© principale sans en compromettre l’existence et les objets, il y a lieu d’examiner la compatibilitĂ© avec l’article 101 TFUE de cette restriction conjointement avec la compatibilitĂ© de l’opĂ©ration ou de l’activitĂ© principale dont elle constitue l’accessoire, et cela bien que, prise isolĂ©ment, pareille restriction puisse paraĂźtre, Ă  premiĂšre vue, relever du principe d’interdiction de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrĂȘt du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C 179/16, EU:C:2018:25, point 70).

150 Lorsqu’il s’agit de dĂ©terminer si une restriction peut Ă©chapper Ă  la prohibition prĂ©vue Ă  l’article 101, paragraphe 1, TFUE, au motif qu’elle constitue l’accessoire d’une opĂ©ration principale dĂ©pourvue d’un tel caractĂšre anticoncurrentiel, il convient de rechercher si la rĂ©alisation de cette opĂ©ration serait impossible en l’absence de la restriction en question. Le fait que ladite opĂ©ration soit simplement rendue plus difficilement rĂ©alisable, voire moins profitable, en l’absence de la restriction en cause ne saurait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme confĂ©rant Ă  cette restriction le caractĂšre objectivement nĂ©cessaire requis afin de pouvoir ĂȘtre qualifiĂ©e d’« accessoire ». En effet, une telle interprĂ©tation reviendrait Ă  Ă©tendre cette notion Ă  des restrictions qui ne sont pas strictement indispensables Ă  la rĂ©alisation de l’opĂ©ration principale. Un tel rĂ©sultat porterait atteinte Ă  l’effet utile de la prohibition prĂ©vue Ă  l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrĂȘt du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C 179/16, EU:C:2018:25, point 71).

151 En l’occurrence, le Tribunal a considĂ©rĂ©, au point 291 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que les restrictions de la concurrence issues des clauses de non-contestation et de non-commercialisation prĂ©vues par les accords litigieux ne reposaient pas sur une reconnaissance de la validitĂ© des brevets de Servier, mais sur un transfert de valeur de celle-ci en faveur du fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques en cause constituant une incitation, pour ce fabricant, Ă  renoncer Ă  exercer une pression concurrentielle sur Servier. Ainsi, il a Ă©cartĂ© l’application de la jurisprudence rappelĂ©e au point 148 du prĂ©sent arrĂȘt en raison du fait que les accords litigieux constituaient des restrictions de la concurrence par objet qui ne sauraient ĂȘtre qualifiĂ©es d’« opĂ©rations dĂ©pourvues de caractĂšre anticoncurrentiel » en raison de leur prĂ©tendue neutralitĂ© sur le plan de la concurrence. Par ailleurs, il a relevĂ© que les clauses de non-contestation et de non-commercialisation ne pouvaient ĂȘtre l’accessoire nĂ©cessaire que d’un accord de rĂšglement amiable fondĂ© sur une reconnaissance de la validitĂ© du brevet en cause par les parties Ă  cet accord, ce qui n’était pas le cas en l’espĂšce. Dans ces conditions, c’est Ă  bon droit que le Tribunal a jugĂ©, au point 291 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que la Commission avait valablement pu s’abstenir d’examiner l’application de cette jurisprudence relative aux restrictions accessoires.

152 Aux points 296 Ă  307 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal a examinĂ© les griefs par lesquels Servier soutenait que les effets des accords litigieux sur la concurrence Ă©tant par nature ambivalents, ces accords ne pouvaient pas ĂȘtre qualifiĂ©s de restriction de la concurrence par objet.

153 Dans ce contexte, au point 304 de cet arrĂȘt, le Tribunal a considĂ©rĂ© que la Commission et le juge ne peuvent, lors de l’examen du caractĂšre restrictif de l’objet d’un accord et, en particulier, dans le cadre de la prise en compte de son contexte Ă©conomique et juridique, ignorer complĂštement les effets potentiels de cet accord, de sorte que ne peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme Ă©tant restrictifs de la concurrence par objet les accords qui, au vu du contexte dans lequel ils s’insĂšrent, prĂ©sentent des effets potentiels ambivalents sur le marchĂ©.

154 Toutefois, ce motif est contraire Ă  la jurisprudence rappelĂ©e aux points 73, 76 et 77 du prĂ©sent arrĂȘt, selon laquelle, s’agissant de pratiques qualifiĂ©es de restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en dĂ©montrer les effets sur la concurrence, qu’ils soient rĂ©els ou potentiels et nĂ©gatifs ou positifs.

155 Sur le fondement de cette erreur de droit, le Tribunal a dĂ©cidĂ©, aux points 305 et 306 de l’arrĂȘt attaquĂ©, de statuer sur les griefs de Servier pris des effets ambivalents des accords litigieux dans le cadre de l’examen des moyens spĂ©cifiques Ă  chacun de ces accords. Il convient de relever, toutefois, sans prĂ©judice de l’examen qui suit des arguments de Servier relatifs Ă  chacun desdits accords, invoquĂ©s dans le cadre de ses troisiĂšme Ă  cinquiĂšme moyens de pourvoi, que ladite erreur de droit n’a aucune consĂ©quence, en principe, sur la lĂ©galitĂ© de l’arrĂȘt attaquĂ©, car, en tout Ă©tat de cause, le Tribunal a Ă©cartĂ© l’ensemble des arguments relatifs aux effets prĂ©tendument proconcurrentiels ou ambivalents des accords litigieux, invoquĂ©s par Servier en premiĂšre instance, pour d’autres raisons.

156 Servier soutient, en substance, Ă  cet Ă©gard, que le Tribunal a refusĂ© de prendre en considĂ©ration le fait que les accords litigieux avaient pour objet non pas de porter atteinte Ă  la concurrence, mais de mettre un terme aux litiges qui l’opposaient aux fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques, dĂšs lors que ces derniers reconnaissaient la force du brevet 947. L’accord Lupin aurait eu, en outre, pour objet une entrĂ©e anticipĂ©e de Lupin sur le marchĂ© et l’accord Teva aurait eu pour objectif essentiel l’approvisionnement de Teva en pĂ©rindopril. Servier souligne, dans ce contexte, que le Tribunal a cependant pris en considĂ©ration la reconnaissance par Krka de la validitĂ© de ce brevet et considĂ©rĂ© que les accords conclus avec cette entreprise ne constituaient pas une infraction Ă  l’article 101 TFUE.

157 Toutefois, il suffit de rappeler que, si les buts objectifs que des accords visent Ă  atteindre Ă  l’égard de la concurrence sont certes pertinents pour apprĂ©cier leur Ă©ventuel objet anticoncurrentiel, la circonstance que les entreprises impliquĂ©es ont agi sans avoir l’intention d’empĂȘcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs lĂ©gitimes ne sont pas dĂ©terminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrĂȘt du 21 dĂ©cembre 2023, European Superleague Company, C 333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citĂ©e). Ainsi, le fait qu’une stratĂ©gie commerciale consistant pour des entreprises opĂ©rant Ă  un mĂȘme niveau de la chaĂźne de production de nĂ©gocier de tels accords entre elles pour mettre fin Ă  un litige relatif Ă  la validitĂ© d’un brevet soit Ă©conomiquement rationnelle du point de vue de ces entreprises ne dĂ©montre aucunement que la poursuite de cette stratĂ©gie soit justifiable du point de vue du droit de la concurrence.

158 En outre, le grief de Servier consistant Ă  invoquer une contradiction entre les apprĂ©ciations portĂ©es par le Tribunal Ă  l’égard des accords litigieux et celles portĂ©es Ă  l’égard des accords Krka doit ĂȘtre rejetĂ©e pour les raisons exposĂ©es aux points 114 Ă  117 du prĂ©sent arrĂȘt. En effet, aux points 442 Ă  474 de l’arrĂȘt de ce jour dans l’affaire Commission/Servier e.a. (C 176/19 P), la Cour, aprĂšs avoir partiellement accueilli le pourvoi de la Commission, a dĂ©finitivement rejetĂ© l’argumentation de Servier visant Ă  contester la qualification des accords de rĂšglement amiable et de licence conclus avec Krka de restrictions de la concurrence par objet. En l’absence de la contradiction allĂ©guĂ©e, il y a lieu de rejeter ce grief.

159 S’agissant de l’importance qu’il convient d’accorder aux paiements inversĂ©s aux fins de la qualification de restriction de la concurrence par objet d’accords de rĂšglement amiable de litiges en matiĂšre de brevets, le Tribunal, aux points 256 Ă  273 de l’arrĂȘt attaquĂ©, a exposĂ©, en substance, que la prĂ©sence, dans ce type d’accords, de clauses restrictives de la concurrence, telles que des clauses de non-contestation et de non-commercialisation, lorsqu’elle est associĂ©e Ă  un paiement inversĂ©, peut donner lieu Ă  une telle qualification, si ce paiement n’est pas justifiĂ© par une autre contrepartie que celle consistant, dans l’engagement par le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques, Ă  renoncer Ă  concurrencer le fabricant de mĂ©dicaments princeps titulaire du ou des brevets concernĂ©s.

160 Aux points 277 Ă  280 de cet arrĂȘt, le Tribunal a considĂ©rĂ©, en substance, que, afin de dĂ©terminer si cette condition est remplie, il convient d’examiner si ce paiement inversĂ© vise Ă  compenser les coĂ»ts inhĂ©rents au rĂšglement amiable supportĂ©s par le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques. Le Tribunal a prĂ©cisĂ© que ces coĂ»ts incluent, notamment, les frais supportĂ©s dans le cadre des litiges faisant l’objet de l’accord de rĂšglement amiable, Ă  condition que ces frais aient Ă©tĂ© Ă©tablis par les parties Ă  cet accord et qu’ils ne soient pas disproportionnĂ©s par rapport au montant des frais objectivement indispensables Ă  la procĂ©dure contentieuse. En revanche, selon l’arrĂȘt attaquĂ©, ces coĂ»ts n’incluent ni la valeur du stock de mĂ©dicaments contrefaisants ni les frais de recherche et de dĂ©veloppement exposĂ©s pour mettre au point ces mĂ©dicaments. Ces coĂ»ts excluent Ă©galement, en principe, les montants dus Ă  titre d’indemnitĂ©, notamment de rĂ©siliation, au titre de contrats conclus par le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques avec des tiers.

161 Par son argumentation rĂ©sumĂ©e aux points 139 et 140 du prĂ©sent arrĂȘt, Servier conteste ce raisonnement, soutenant que ce dernier revient Ă  considĂ©rer comme Ă©tant constitutif d’un paiement inversĂ© tout paiement qui excĂšde le montant des frais inhĂ©rents au rĂšglement amiable du litige, quand bien mĂȘme ce montant serait infĂ©rieur Ă  celui des bĂ©nĂ©fices que le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques pouvait s’attendre Ă  retirer de son entrĂ©e sur le marchĂ©.

162 Par ailleurs, Servier soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 280 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que ne font, en principe, pas partie des frais inhĂ©rents au rĂšglement d’un litige en matiĂšre de brevets les indemnitĂ©s qu’un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques pourrait devoir verser Ă  des tiers en raison du prĂ©judice que ces derniers auraient subi en consĂ©quence de la dĂ©cision de ce fabricant de renoncer Ă  la commercialisation du mĂ©dicament gĂ©nĂ©rique faisant l’objet de ce litige.

163 À cet Ă©gard, il convient de rappeler que, conformĂ©ment Ă  la jurisprudence, un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques peut, aprĂšs avoir Ă©valuĂ© ses chances d’obtenir gain de cause dans la procĂ©dure juridictionnelle qui l’oppose au fabricant du mĂ©dicament princeps concernĂ©, dĂ©cider de renoncer Ă  entrer sur le marchĂ© en cause et de conclure avec ce dernier un accord de rĂšglement amiable de cette procĂ©dure. Un tel accord ne saurait ĂȘtre considĂ©rĂ©, dans tous les cas, comme une restriction par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Le fait qu’un tel accord est assorti de transferts de valeur par le fabricant de mĂ©dicaments princeps au profit d’un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques ne constitue pas un motif suffisant pour le qualifier de restriction de la concurrence par objet, ces transferts de valeur pouvant s’avĂ©rer justifiĂ©s. Tel peut ĂȘtre le cas lorsque le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques perçoit du fabricant de mĂ©dicaments princeps des sommes correspondant effectivement Ă  la compensation de frais ou de dĂ©sagrĂ©ments liĂ©s au litige qui les oppose ou correspondant Ă  une rĂ©munĂ©ration pour la fourniture effective de biens ou de services au fabricant de mĂ©dicaments princeps [voir, en ce sens, arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 84 Ă  86].

164 Par consĂ©quent, dĂšs lors qu’un accord de rĂšglement amiable d’un litige relatif Ă  la validitĂ© d’un brevet opposant un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques Ă  un fabricant de mĂ©dicaments princeps, titulaire de ce brevet, est assorti de transferts de valeur du fabricant de mĂ©dicaments princeps au profit du fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques, il y a lieu de vĂ©rifier, dans un premier temps, si le solde net positif de ces transferts peut se justifier de maniĂšre intĂ©grale, ainsi que cela est envisagĂ© au point prĂ©cĂ©dent, par la nĂ©cessitĂ© de compenser des frais ou des dĂ©sagrĂ©ments liĂ©s Ă  ce litige, tels que les frais et honoraires des conseils de ce dernier fabricant, ou par celle de rĂ©munĂ©rer la fourniture effective et avĂ©rĂ©e de biens ou de services de celui-ci au fabricant du mĂ©dicament princeps [voir, en ce sens, arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 92]. En effet, le rĂšglement amiable d’un tel litige implique que le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques reconnaisse la validitĂ© du brevet en cause, car il renonce Ă  la contester. Il s’ensuit que, au titre d’un paiement dit « inversĂ© », par le fabricant de mĂ©dicaments princeps en faveur du fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques, seule la prise en charge de tels frais ou la rĂ©munĂ©ration de tels biens ou services fournis peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme Ă©tant cohĂ©rente par rapport Ă  une telle reconnaissance et, partant, comme Ă©tant susceptible d’ĂȘtre justifiĂ©e Ă  l’égard de la concurrence.

165 Dans un second temps, si ce solde net positif des transferts n’est pas justifiĂ© de maniĂšre intĂ©grale par une telle nĂ©cessitĂ©, il importe de vĂ©rifier si, en l’absence d’une telle justification, ces transferts s’expliquent uniquement par l’intĂ©rĂȘt commercial de ces fabricants de mĂ©dicaments Ă  ne pas se livrer une concurrence par les mĂ©rites. Aux fins de cet examen, il y a lieu de dĂ©terminer si ledit solde, y compris d’éventuels frais justifiĂ©s, est suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques Ă  renoncer Ă  entrer sur le marchĂ© concernĂ©, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nĂ©cessairement supĂ©rieur aux bĂ©nĂ©fices qu’il aurait rĂ©alisĂ©s s’il avait obtenu gain de cause dans la procĂ©dure en matiĂšre de brevets [voir, en ce sens, arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 87 Ă  94].

166 Il s’ensuit que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en considĂ©rant, en substance, aux points 277 Ă  280 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que la prise en charge par Servier des frais contentieux supportĂ©s par un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques dans le cadre du litige les opposant qui a Ă©tĂ© rĂ©glĂ© Ă  l’amiable Ă©tait justifiĂ©e par l’« inhĂ©rence » de ces frais Ă  ce rĂšglement, Ă  condition qu’ils ne soient pas excessifs et, partant, disproportionnĂ©s, mais que d’autres frais trop « extĂ©rieurs » Ă  ce litige et Ă  son rĂšglement ne pouvaient pas ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme Ă©tant inhĂ©rents Ă  ceux-ci. En effet, cette approche prenant en considĂ©ration les circonstances dans lesquelles il est possible de justifier le paiement dit « inversĂ© » des frais afin de conclure Ă  l’absence d’un transfert de valeur incitatif, correspond, en substance, Ă  celle qui dĂ©coule de la jurisprudence rappelĂ©e aux points 163 et 164 du prĂ©sent arrĂȘt.

167 S’agissant spĂ©cifiquement de la prise en charge par le fabricant de mĂ©dicaments princeps des indemnitĂ©s que le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques pourrait Ă©ventuellement devoir verser Ă  des tiers, il convient de relever, Ă  l’instar de Mme l’avocate gĂ©nĂ©rale au point 159 de ses conclusions, dans la partie de celles-ci consacrĂ©e Ă  la situation de Niche, qu’un paiement de cette nature est la consĂ©quence directe non pas de la volontĂ© des fabricants de mĂ©dicaments de rĂ©gler Ă  l’amiable les litiges qui les opposent au sujet de brevets, mais de la renonciation du fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques Ă  entrer sur le marchĂ© du mĂ©dicament concernĂ©. Il s’ensuit que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit, au point 280 de l’arrĂȘt attaquĂ©, en jugeant, en substance, que le remboursement de telles indemnitĂ©s ne peut pas ĂȘtre considĂ©rĂ© comme Ă©tant inhĂ©rent Ă  un accord de rĂšglement amiable tel que les accords litigieux.

168 Compte tenu de ces Ă©lĂ©ments, et contrairement Ă  l’argumentation de Servier, le Tribunal n’a pas non plus procĂ©dĂ©, au point 280 de l’arrĂȘt attaquĂ©, Ă  un renversement de la charge de la preuve. Abstraction faite des termes employĂ©s Ă  ce point 280, le Tribunal s’est, en substance, limitĂ© Ă  considĂ©rer que des frais Ă©ventuellement dus Ă  des tiers par le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques Ă  titre d’indemnisation en raison de la dĂ©cision de ce dernier de renoncer Ă  entrer sur le marchĂ© concernĂ©, doivent, lorsqu’ils ont Ă©tĂ© pris en charge par le fabricant de mĂ©dicaments princeps, ĂȘtre inclus parmi les transferts de valeur au profit du fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques dont il convient d’analyser le solde net positif. En prĂ©cisant, audit point 280, qu’« il appartient alors aux parties Ă  l’accord, si elles souhaitent que le paiement de ces frais ne soit pas qualifiĂ© d’incitatif et de constitutif d’un indice de l’existence d’une restriction de concurrence par objet, de dĂ©montrer que ceux-ci sont inhĂ©rents au litige ou Ă  son rĂšglement, puis d’en justifier le montant », le Tribunal a fait une application exacte des rĂšgles relatives Ă  la rĂ©partition de la charge de la preuve qui ont Ă©tĂ© rappelĂ©es au point 123 du prĂ©sent arrĂȘt.

169 Eu Ă©gard aux Ă©lĂ©ments qui prĂ©cĂšde et compte tenu notamment du fait que, sous rĂ©serve des considĂ©rations exposĂ©es au point 155 du prĂ©sent arrĂȘt, dans le cadre de l’examen des troisiĂšme Ă  cinquiĂšme moyens, l’erreur de droit dont est entachĂ© le point 304 de l’arrĂȘt attaquĂ© est sans incidence sur la lĂ©galitĂ© de l’arrĂȘt attaquĂ©, le premier moyen doit ĂȘtre rejetĂ©.

C. Sur les troisiĂšme et sixiĂšme moyens, relatifs aux accords Niche et Matrix

1. Sur le troisiĂšme moyen

170 Par son troisiĂšme moyen, Servier conteste les apprĂ©ciations portĂ©es par le Tribunal sur l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, aux accords Niche et Matrix. Ce moyen comporte deux branches.

a) Sur la premiĂšre branche, relative Ă  la concurrence potentielle

1) Argumentation des parties

171 Par la premiÚre branche de son troisiÚme moyen, Servier soutient que, en considérant que Niche et Matrix étaient ses concurrents potentiels, le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit.

172 Par un premier grief, Servier fait valoir que le Tribunal a effectuĂ© une mauvaise apprĂ©ciation des obstacles Ă  l’entrĂ©e sur le marchĂ© du pĂ©rindopril rĂ©sultant de la force des brevets de Servier.

173 Tout d’abord, en rĂ©itĂ©rant, en substance, les arguments invoquĂ©s dans le cadre de son deuxiĂšme moyen, Servier reproche au Tribunal d’avoir Ă©cartĂ© par principe, au point 444 de l’arrĂȘt attaquĂ©, la pertinence de la perception que Niche et Matrix pouvaient avoir de ces obstacles brevetaires dans l’analyse de leur capacitĂ© d’entrer sur le marchĂ©, en jugeant que seule la constatation d’actes de contrefaçon par une dĂ©cision juridictionnelle pouvait constituer un obstacle insurmontable Ă  leur entrĂ©e sur le marchĂ©.

174 Ensuite, le Tribunal aurait omis de prendre en considĂ©ration tant le fait que des clients de Niche, et plus particuliĂšrement Sandoz, avaient rĂ©siliĂ© leurs accords avec cette entreprise en raison du risque de contrefaçon, que les tentatives de Matrix visant Ă  mettre au point une forme non contrefaisante de sa version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril. Or, selon Servier, ces Ă©lĂ©ments constituent des indices objectifs de l’existence d’obstacles brevetaires Ă  l’entrĂ©e de ces entreprises sur le marchĂ©.

175 Enfin, le Tribunal aurait omis de vĂ©rifier si Niche et Matrix avaient une possibilitĂ© rĂ©elle et concrĂšte d’entrer sur le marchĂ© Ă  brĂšve Ă©chĂ©ance. Or, selon Servier, Niche ne pouvait pas surmonter les obstacles brevetaires rapidement.

176 À titre surabondant, Servier soutient que, aux points 446 et 447 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal a dĂ©naturĂ© les faits en affirmant que Niche, par ses dĂ©marches auprĂšs de Servier, cherchait Ă  « ouvrir la voie » et Ă  entrer sur le marchĂ© du pĂ©rindopril malgrĂ© les obstacles brevetaires. En rĂ©alitĂ©, Niche, qui savait que son pĂ©rindopril Ă©tait contrefaisant, voulait Ă©viter un litige avec Servier.

177 Par un deuxiÚme grief, Servier soutient que, en jugeant que les démarches entreprises par Niche et Matrix suffisaient à démontrer que ces entreprises pouvaient entrer à brÚve échéance sur le marché du périndopril, le Tribunal a commis des erreurs de droit.

178 PremiĂšrement, le Tribunal aurait confondu la capacitĂ© d’entrer sur le marchĂ© avec l’intention d’entrer sur ce marchĂ©. La capacitĂ© d’entrer sur le marchĂ© dĂ©pendrait de l’existence d’obstacles rĂ©sultant de brevets. En revanche, des dĂ©marches telles que celles visant Ă  obtenir une autorisation de mise sur le marchĂ© ne suffiraient pas, en elles-mĂȘmes, Ă  prouver une telle capacitĂ©, ainsi qu’il ressortirait des points 458 et 476 de l’arrĂȘt attaquĂ©. Servier renvoie Ă  cet Ă©gard Ă  son argumentation dĂ©veloppĂ©e dans le cadre de la deuxiĂšme branche du deuxiĂšme moyen, rĂ©sumĂ©e au point 94 du prĂ©sent arrĂȘt.

179 DeuxiĂšmement, Servier fait valoir que, afin de dĂ©montrer que Niche et Matrix pouvaient entrer sur le marchĂ© du pĂ©rindopril, il appartenait Ă  la Commission d’analyser les difficultĂ©s techniques, rĂ©glementaires, brevetaires et financiĂšres auxquelles ces entreprises Ă©taient confrontĂ©es. Or, les Ă©lĂ©ments mis en avant par le Tribunal, aux points 461, 462 et 480 de l’arrĂȘt attaquĂ©, confirmeraient que la Commission avait seulement examinĂ© les dĂ©marches effectuĂ©es par lesdites entreprises. En ne censurant pas l’absence d’analyse des chances rĂ©elles et concrĂštes qu’avaient Niche et Matrix de surmonter les problĂšmes techniques et rĂ©glementaires, le Tribunal aurait manquĂ© Ă  son obligation de contrĂŽle juridictionnel et commis une erreur de droit.

180 Par un troisiĂšme grief, Servier soutient que, en lui imposant, aux points 463, 480, 483 Ă  486, 489 et 498 de l’arrĂȘt attaquĂ©, de dĂ©montrer que l’entrĂ©e de Niche et de Matrix sur le marchĂ© du pĂ©rindopril se heurtait Ă  des obstacles insurmontables, le Tribunal a renversĂ© la charge de la preuve qui incombe Ă  la Commission en vertu de l’article 2 du rĂšglement no 1/2003. Servier renvoie Ă  cet Ă©gard Ă  son argumentation invoquĂ©e dans le cadre de la troisiĂšme branche de son deuxiĂšme moyen.

181 Par un quatriĂšme grief, Servier fait valoir que le Tribunal a omis d’examiner si les obstacles rencontrĂ©s par Niche et Matrix pour entrer sur le marchĂ© du pĂ©rindopril, pris dans leur ensemble, empĂȘchaient de considĂ©rer que ces entreprises Ă©taient des concurrents potentiels pour elle. Le fait que chacun de ces obstacles, pris individuellement, Ă©tait surmontable, ne signifie pas que Niche et Matrix pouvaient surmonter l’ensemble desdits obstacles. Ce faisant, le Tribunal aurait violĂ© son obligation de contrĂŽle juridictionnel ainsi que son obligation d’examiner les preuves prises non pas sĂ©parĂ©ment, mais dans leur globalitĂ©.

182 Par un cinquiĂšme grief, Servier soutient que le Tribunal, au point 481 de l’arrĂȘt attaquĂ©, a fait une interprĂ©tation erronĂ©e du principe de bonne administration. En vertu de ce principe, la Commission serait tenue d’examiner tous les Ă©lĂ©ments pertinents pour analyser une situation donnĂ©e et, au besoin, de solliciter des informations supplĂ©mentaires afin de vĂ©rifier et d’étayer ses conclusions. Or, la Commission aurait refusĂ© de faire droit Ă  la demande formulĂ©e par Servier au cours de la procĂ©dure administrative et visant Ă  obtenir la production de la correspondance entre Niche ou ses partenaires et les autoritĂ©s nationales au sujet de demandes d’autorisation de mise sur le marchĂ© d’une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril. Le Tribunal, au point 481 de l’arrĂȘt attaquĂ©, aurait rejetĂ© le grief de Servier pris de la violation du principe de bonne administration au motif, notamment, que les documents demandĂ©s ne revĂȘtaient pas une « importance considĂ©rable ». Selon Servier, l’application d’un tel critĂšre Ă©tranger Ă  la jurisprudence de la Cour constitue une erreur de droit.

183 La Commission conteste cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

184 Par son premier grief, Servier reproche au Tribunal de ne pas avoir suffisamment pris en compte les obstacles brevetaires. Toutefois, les trois arguments invoquĂ©s Ă  titre principal Ă  l’appui de ce grief, visĂ©s aux points 173 Ă  175 du prĂ©sent arrĂȘt, font abstraction du fait que le Tribunal a bien pris en compte ces obstacles brevetaires et reposent, dans cette mesure, sur une lecture erronĂ©e de l’arrĂȘt attaquĂ©. En effet, ainsi qu’il est relevĂ© au point 108 du prĂ©sent arrĂȘt, le Tribunal n’a pas considĂ©rĂ©, notamment au point 444 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que la perception par un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques de la force d’un brevet est totalement dĂ©nuĂ©e de pertinence pour apprĂ©cier l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre Servier, d’une part, et Niche et Matrix, d’autre part, mais que cette perception peut ĂȘtre pertinente uniquement pour dĂ©terminer si Niche et Matrix avaient l’intention d’entrer sur le marchĂ© et non pour apprĂ©cier leur capacitĂ© d’effectuer une telle entrĂ©e. Or, ainsi qu’il est jugĂ© aux points 107 Ă  111 du prĂ©sent arrĂȘt, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit Ă  cet Ă©gard.

185 Quant Ă  l’omission du Tribunal de prendre en compte le fait que des clients de Niche, et plus particuliĂšrement Sandoz, avaient mis fin Ă  leur coopĂ©ration avec cette entreprise en ce qui concerne la commercialisation du pĂ©rindopril en raison du risque de contrefaçon, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motivation n’impose pas au Tribunal de fournir un exposĂ© qui suivrait, de maniĂšre exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulĂ©s par les parties au litige et que la motivation peut donc ĂȘtre implicite Ă  condition qu’elle permette aux intĂ©ressĂ©s de connaĂźtre les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit Ă  leurs arguments et Ă  la Cour de disposer des Ă©lĂ©ments suffisants pour exercer son contrĂŽle (arrĂȘt du 16 fĂ©vrier 2017, Tudapetrol Mineralölerzeugnisse Nils Hansen/Commission, C 94/15 P, EU:C:2017:124, point 21 et jurisprudence citĂ©e).

186 Certes, le Tribunal n’a pas explicitement rĂ©pondu Ă  cette argumentation de Servier, mais, comme le souligne la Commission et ainsi qu’il ressort du considĂ©rant 465 de la dĂ©cision litigieuse sans que Servier conteste cette circonstance, la dĂ©cision de Sandoz avait Ă©tĂ© prise au mois de janvier de l’annĂ©e 2004, soit avant celle de Niche et de Matrix de modifier leur procĂ©dĂ© de fabrication du pĂ©rindopril et, partant, avant les dĂ©marches prĂ©paratoires de Niche et de Matrix dĂ©crites aux points 433 Ă  440, 446 et 447 de l’arrĂȘt attaquĂ©, sur lesquelles le Tribunal s’est appuyĂ© pour Ă©tablir l’intention de ces entreprises d’entrer sur les marchĂ©s europĂ©ens du pĂ©rindopril. Dans ces conditions, la circonstance factuelle en question n’étant, en tout Ă©tat de cause, pas susceptible d’avoir une incidence sur les constatations du Tribunal, ce dernier n’a pas enfreint l’obligation de motiver ses arrĂȘts en ne rĂ©pondant pas explicitement Ă  l’argumentation de Servier Ă  cet Ă©gard.

187 S’agissant de l’argumentation tirĂ©e des tentatives de Matrix visant Ă  mettre au point une forme non contrefaisante de sa version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril, il suffit de constater qu’elle vise Ă  remettre en cause l’apprĂ©ciation des faits effectuĂ©e par le Tribunal au point 447 de l’arrĂȘt attaquĂ© et qu’elle doit donc ĂȘtre rejetĂ©e comme Ă©tant irrecevable.

188 En ce qui concerne l’argument selon lequel le Tribunal aurait omis de vĂ©rifier si Niche et Matrix avaient une possibilitĂ© rĂ©elle et concrĂšte d’entrer sur le marchĂ© Ă  brĂšve Ă©chĂ©ance, il convient de rappeler qu’il repose sur un critĂšre juridique erronĂ©, car, conformĂ©ment Ă  la jurisprudence rappelĂ©e au point 80 du prĂ©sent arrĂȘt, les dĂ©marches prĂ©paratoires du fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques doivent lui permettre d’accĂ©der au marchĂ© concernĂ© dans un dĂ©lai Ă  mĂȘme de faire peser une pression concurrentielle sur le fabricant de mĂ©dicaments princeps. En tout Ă©tat de cause, il ressort des points 442 Ă  499 de l’arrĂȘt attaquĂ© que le Tribunal a examinĂ© cette question de maniĂšre approfondie avant de conclure que la pression concurrentielle exercĂ©e par Niche et Matrix Ă©tait rĂ©elle.

189 Quant Ă  l’argument que Servier invoque Ă  titre surabondant Ă  l’appui de son premier grief, il y a lieu de constater qu’il est irrecevable. En effet, sous couvert d’une prĂ©tendue dĂ©naturation, Servier, en allĂ©guant, en particulier, que l’initiative de Niche d’« ouvrir la voie » Ă  une entrĂ©e sur le marchĂ© n’avait pas Ă©tĂ© prise de bonne foi, vise en rĂ©alitĂ© Ă  contester les apprĂ©ciations factuelles portĂ©es par le Tribunal au point 446 de l’arrĂȘt attaquĂ©, ce qui ne relĂšve pas de la compĂ©tence de la Cour dans le cadre de la procĂ©dure de pourvoi, ainsi qu’il est rappelĂ© au point 58 du prĂ©sent arrĂȘt.

190 Il s’ensuit que le premier grief de Servier, rĂ©sumĂ© au point 173 du prĂ©sent arrĂȘt, doit ĂȘtre rejetĂ©.

191 Par son deuxiĂšme grief, Servier conteste, par un premier argument, l’apprĂ©ciation du Tribunal selon laquelle les dĂ©marches effectuĂ©es afin d’obtenir des autorisations de mise sur le marchĂ© peuvent ĂȘtre prises en compte afin de dĂ©montrer l’existence d’une concurrence potentielle. Toutefois, cet argument doit ĂȘtre rejetĂ© pour les motifs exposĂ©s au point 118 du prĂ©sent arrĂȘt. En effet, des dĂ©marches telles que celles visant Ă  obtenir une autorisation de mise sur le marchĂ© d’un mĂ©dicament gĂ©nĂ©rique sont pertinentes aux fins de prouver tant la capacitĂ© que l’intention du fabricant de ce mĂ©dicament d’entrer sur le marchĂ© [voir, en ce sens, arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 44].

192 Par un deuxiÚme argument, Servier reproche, en substance, au Tribunal de ne pas avoir analysé la probabilité que Niche et Matrix parviennent à surmonter les difficultés techniques et réglementaires auxquelles elles étaient confrontées.

193 Cet argument ne saurait ĂȘtre accueilli.

194 Tout d’abord, ledit argument repose sur une prĂ©misse erronĂ©e en droit. En effet, contrairement Ă  ce que soutient Servier, sauf Ă  nier toute distinction entre concurrence rĂ©elle et concurrence potentielle, l’existence d’une concurrence potentielle n’exige pas de dĂ©montrer que les fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques seraient entrĂ©s avec certitude sur le marchĂ© et qu’une telle entrĂ©e aurait Ă©tĂ© couronnĂ©e de succĂšs, mais uniquement que ces fabricants disposaient de possibilitĂ©s rĂ©elles et concrĂštes Ă  cet effet (arrĂȘt du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C 591/16 P, EU:C:2021:243, point 63).

195 Ensuite, il y a lieu de relever que le Tribunal a procĂ©dĂ©, aux points 442 Ă  499 de l’arrĂȘt attaquĂ©, Ă  un examen circonstanciĂ© et dĂ©taillĂ© des obstacles prĂ©tendument insurmontables rencontrĂ©s par Niche et Matrix, sur les plans brevetaire, technique, rĂ©glementaire, ainsi que financier. Sur la base de cet examen et au terme d’une apprĂ©ciation des faits et des Ă©lĂ©ments de preuve qui lui ont Ă©tĂ© soumis, le Tribunal a rejetĂ© les allĂ©gations par lesquelles Servier contestait que Niche et Matrix avaient la capacitĂ© et l’intention d’entrer sur le marchĂ©. Or, compte tenu de ces Ă©lĂ©ments, Servier ne saurait soutenir que le Tribunal n’a pas procĂ©dĂ© Ă  une analyse complĂšte de l’ensemble des obstacles invoquĂ©s afin de contester l’existence d’un rapport de concurrence potentielle avec Niche et Matrix.

196 Enfin, dans la mesure oĂč Servier conteste les apprĂ©ciations factuelles ainsi portĂ©es par le Tribunal au titre de cette analyse, il suffit de constater qu’une telle argumentation est irrecevable dans le cadre d’une procĂ©dure de pourvoi.

197 Par son troisiĂšme grief, Servier soutient que le Tribunal a renversĂ© la charge de la preuve relative aux obstacles insurmontables Ă  l’entrĂ©e sur le marchĂ© concernĂ©. Toutefois, il suffit de rappeler que, pour les motifs exposĂ©s aux points 123 Ă  125 du prĂ©sent arrĂȘt, l’argumentation de Servier prise d’un renversement de la charge de la preuve et d’une probatio diabolica Ă  cet Ă©gard a Ă©tĂ© rejetĂ©e. Partant, ce troisiĂšme grief doit Ă©galement ĂȘtre rejetĂ©.

198 Par son quatriĂšme grief, Servier reproche au Tribunal d’avoir examinĂ© les obstacles rencontrĂ©s par Niche et Matrix non pas de maniĂšre globale, mais de maniĂšre sĂ©parĂ©e.

199 Contrairement Ă  ce que soutient la Commission, ce quatriĂšme grief n’est pas irrecevable en raison du fait qu’il n’a pas Ă©tĂ© invoquĂ© par Servier dans le cadre de son recours en premiĂšre instance. En effet, ce grief Ă©tant dirigĂ© contre l’application par le Tribunal des rĂšgles rĂ©gissant la charge et l’apprĂ©ciation des preuves, il peut ĂȘtre soulevĂ© dans le cadre de la procĂ©dure de pourvoi.

200 Quant au fond, il importe de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, la preuve d’une infraction en matiĂšre de droit de la concurrence peut ĂȘtre rapportĂ©e, par la Commission, au moyen d’un faisceau d’indices objectifs et concordants qui, apprĂ©ciĂ©s dans leur ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohĂ©rente, la preuve d’une telle infraction et ce quand bien mĂȘme l’un ou l’autre de ces indices ne serait, pris Ă  lui seul, pas suffisant Ă  ce titre (arrĂȘt du 18 mars 2021, Pometon/Commission, C 440/19 P, EU:C:2021:214, point 101 et jurisprudence citĂ©e).

201 S’agissant de la preuve de l’existence de la concurrence potentielle exercĂ©e par un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques sur un fabricant de mĂ©dicaments princeps, conformĂ©ment Ă  la jurisprudence rappelĂ©e au point prĂ©cĂ©dent du prĂ©sent arrĂȘt et ainsi qu’il est jugĂ© aux points 123 Ă  125 de ce dernier, si la Commission parvient Ă  Ă©tablir, sur la base d’un faisceau d’indices concordants et sans ignorer les Ă©ventuels obstacles Ă  une entrĂ©e sur le marchĂ© dont elle a connaissance, l’existence d’une concurrence potentielle, il incombe alors aux entreprises visĂ©es de rĂ©futer l’existence d’une telle concurrence en rapportant la preuve contraire.

202 S’il subsiste un doute dans l’esprit du juge, il doit profiter Ă  l’entreprise destinataire de la dĂ©cision constatant une infraction, eu Ă©gard Ă  la prĂ©somption d’innocence qui s’applique aux procĂ©dures relatives Ă  des violations des rĂšgles de concurrence susceptibles d’aboutir Ă  l’infliction d’amendes ou d’astreintes (arrĂȘt du 16 fĂ©vrier 2017, Hansen & Rosenthal et H&R Wax Company Vertrieb/Commission, C 90/15 P, EU:C:2017:123, point 18 ainsi que jurisprudence citĂ©e).

203 Or, en l’espĂšce, le Tribunal a exposĂ©, aux points 432 Ă  440 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que les indices rassemblĂ©s par la Commission et visĂ©s par la dĂ©cision litigieuse permettaient de considĂ©rer que Niche et Matrix Ă©taient des concurrents potentiels de Servier et, aux points 441 Ă  499 de cet arrĂȘt, il a examinĂ© l’ensemble des obstacles possibles Ă  leur entrĂ©e sur le marchĂ© dont il avait connaissance. En consĂ©quence, il a estimĂ©, sans commettre d’erreur de droit, qu’il incombait Ă  cette entreprise de rapporter la preuve contraire, en se fondant, le cas Ă©chĂ©ant, sur d’autres obstacles Ă  une telle entrĂ©e. Ainsi qu’il est soulignĂ© au point 195 du prĂ©sent arrĂȘt, au terme d’un examen complet, circonstanciĂ© et dĂ©taillĂ© de l’argumentation de Servier, le Tribunal a rejetĂ© les allĂ©gations visant Ă  contester que Niche et Matrix avaient la capacitĂ© et l’intention d’entrer sur le marchĂ©.

204 Au vu de ces Ă©lĂ©ments, il y a lieu de relever, par ailleurs, que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en examinant, un par un, les prĂ©tendus obstacles Ă  une entrĂ©e sur le marchĂ© de Niche et de Matrix, sans vĂ©rifier, par ailleurs, si, nonobstant le fait qu’aucun de ces obstacles n’était insurmontable Ă  lui seul, leur effet cumulatif donnait nĂ©anmoins lieu Ă  un obstacle insurmontable. En effet, un tel examen n’est, en principe, pas nĂ©cessaire et, comme Mme l’avocate gĂ©nĂ©rale l’a relevĂ© au point 91 de ses conclusions, Servier n’a pas expliquĂ©, que ce soit devant le Tribunal ou dans son pourvoi, en quoi aurait dĂ» consister l’examen des preuves qu’il reproche au Tribunal de ne pas avoir effectuĂ© Ă  cet Ă©gard.

205 Il rĂ©sulte des Ă©lĂ©ments qui prĂ©cĂšdent que le quatriĂšme grief doit ĂȘtre rejetĂ© comme Ă©tant non fondĂ©.

206 Par son cinquiĂšme grief, Servier reproche au Tribunal de ne pas avoir constatĂ© la violation, par la Commission, du principe de bonne administration en raison du fait que cette institution n’avait pas ordonnĂ© la production de la correspondance entre Niche ou ses partenaires et les autoritĂ©s nationales au sujet de demandes d’autorisation de mise sur le marchĂ© d’une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril.

207 Il y a lieu de constater que, conformĂ©ment Ă  ce qui est exposĂ© aux points 80 et 120 du prĂ©sent arrĂȘt s’agissant de la pertinence des dĂ©marches entreprises en vue de l’obtention d’autorisations de mise sur le marchĂ© aux fins de l’apprĂ©ciation de la concurrence potentielle, c’est Ă  juste titre que le Tribunal a rappelĂ©, au point 479 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que, aux fins de dĂ©terminer l’existence de la concurrence potentielle, la Commission pouvait s’appuyer sur le fait que le fabricant du mĂ©dicament gĂ©nĂ©rique avait demandĂ© une autorisation de mise sur le marchĂ© et participĂ© activement Ă  la procĂ©dure en vue de l’octroi d’une telle autorisation. Il appartient, en revanche, Ă  ce fabricant de fournir des Ă©lĂ©ments de preuve attestant de l’existence de problĂšmes empĂȘchant objectivement l’obtention de cette autorisation.

208 Toutefois, comme Mme l’avocate gĂ©nĂ©rale l’a relevĂ© au point 103 de ses conclusions, de la mĂȘme maniĂšre que l’issue probable d’un litige en cours relatif Ă  la validitĂ© d’un brevet n’est pas dĂ©terminante pour apprĂ©cier l’existence d’un rapport de concurrence potentielle, ainsi qu’il rĂ©sulte de la jurisprudence rappelĂ©e au point 81 du prĂ©sent arrĂȘt, il n’appartient pas non plus Ă  la Commission d’évaluer les chances de succĂšs ou l’issue probable d’une procĂ©dure d’autorisation de mise sur le marchĂ© introduite devant les autoritĂ©s nationales par un tel fabricant Ă  un moment oĂč cette procĂ©dure est, ou Ă©tait, en cours. Ainsi, en l’absence d’une dĂ©cision finale mettant fin Ă  une telle procĂ©dure, d’éventuels problĂšmes empĂȘchant objectivement l’obtention de l’autorisation sollicitĂ©e ne sauraient ĂȘtre Ă©tablis sur la base d’élĂ©ments relatifs Ă  des doutes exprimĂ©s par les autoritĂ©s nationales compĂ©tentes, sans prĂ©judice de leur dĂ©cision finale, quant aux chances de la procĂ©dure d’aboutir Ă  une autorisation.

209 Ayant relevĂ©, au point 480 de cet arrĂȘt, que Niche avait dĂ©posĂ© plusieurs demandes d’autorisation de mise sur le marchĂ© et participĂ© aux procĂ©dures en vue de leur obtention, le Tribunal a, au point 481 dudit arrĂȘt, estimĂ© qu’il ne pouvait ĂȘtre reprochĂ© Ă  la Commission d’avoir refusĂ© de faire droit Ă  la demande de production de l’ensemble de la correspondance Ă©changĂ©e entre Niche et les autoritĂ©s compĂ©tentes, en ce qui concerne ces procĂ©dures d’autorisation de mise sur le marchĂ©. Le Tribunal a, en substance, considĂ©rĂ© Ă  cet Ă©gard que Servier ayant disposĂ© dans le cadre de la procĂ©dure administrative d’un tableau rĂ©sumant le contenu de cette correspondance, le refus de la Commission d’ordonner la production des documents concernĂ©s Ă©tait justifiĂ©, ces documents ne revĂȘtant pas, pour la dĂ©fense de Servier, une « importance considĂ©rable ». Le Tribunal a notamment soulignĂ©, Ă  cet Ă©gard, le fait que Niche n’avait pas produit la correspondance en cause, que ce soit pendant la procĂ©dure administrative ou devant le Tribunal, au soutien de ses griefs visant Ă  remettre en cause sa propre qualitĂ© de concurrent potentiel de Servier.

210 En l’occurrence, au vu de ce qui est jugĂ© au point 208 du prĂ©sent arrĂȘt, il y a lieu de relever que l’accĂšs sollicitĂ© Ă  la correspondance en question n’était pas susceptible de mettre Servier en mesure de fournir des Ă©lĂ©ments de preuve attestant de l’existence de problĂšmes empĂȘchant objectivement l’obtention des autorisations de mise sur le marchĂ© sollicitĂ©es par Niche et Matrix. Ainsi, il y a lieu de constater que la Commission n’était pas obligĂ©e d’ordonner la production de cette correspondance et que le Tribunal n’a donc commis aucune erreur de droit en l’espĂšce en ne constatant pas une violation, par la Commission, du principe de bonne administration. Partant, il y a lieu de rejeter le cinquiĂšme grief comme Ă©tant non fondĂ©.

211 Eu Ă©gard Ă  tout ce qui prĂ©cĂšde, la premiĂšre branche du troisiĂšme moyen doit ĂȘtre rejetĂ©e.

b) Sur la seconde branche, relative Ă  la qualification de restriction de la concurrence par objet

1) Argumentation des parties

212 Par la seconde branche du troisiĂšme moyen, Servier reproche au Tribunal d’avoir confirmĂ© la qualification des accords Niche et Matrix de restriction de la concurrence par objet.

213 À titre liminaire, Servier se rĂ©fĂšre Ă  son argumentation dĂ©veloppĂ©e dans le cadre de son premier moyen, exposĂ©e aux points 129 Ă  140 du prĂ©sent arrĂȘt, par laquelle elle soutient que le Tribunal a appliquĂ©, aux points 526, 552, 555, 557 et 558 de l’arrĂȘt attaquĂ©, des critĂšres juridiques contraires Ă  la jurisprudence relative Ă  la notion de restriction de la concurrence par objet.

214 Par un premier grief, Servier soutient que le Tribunal a erronĂ©ment jugĂ© que les paiements de 11,8 millions de GBP versĂ©s Ă  Niche et Ă  Matrix Ă©taient la contrepartie de la renonciation de ces entreprises Ă  lui livrer concurrence. En effet, il ressortirait du libellĂ© de l’accord Niche que cette somme Ă©tait la contrepartie des coĂ»ts et des indemnitĂ©s qui pourraient ĂȘtre mis Ă  la charge de Niche et d’Unichem du fait de la cessation de leur programme de dĂ©veloppement d’une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril constituant une contrefaçon des brevets de Servier. Le Tribunal aurait, Ă  tort, considĂ©rĂ©, au point 537 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que ces coĂ»ts et ces indemnitĂ©s n’étaient pas inhĂ©rents Ă  l’accord de rĂšglement amiable, alors que cet accord exposait Niche et Matrix Ă  un fort risque de voir leur responsabilitĂ© mise en jeu. Le Tribunal aurait, Ă  tort, considĂ©rĂ©, au point 539 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que les coĂ»ts et les indemnitĂ©s effectivement payĂ©s par Niche et par Matrix Ă©taient d’un montant infĂ©rieur aux 11,8 millions de GBP qu’elles avaient chacune perçus de Servier. En effet, il s’agirait d’élĂ©ments postĂ©rieurs Ă  la date de conclusion des accords Niche et Matrix, date Ă  laquelle le risque encouru par ces entreprises ne pouvait ĂȘtre prĂ©cisĂ©ment Ă©valuĂ©.

215 Par un second grief, Servier soutient, en substance, que le Tribunal, en confirmant que les paiements d’un montant de 11,8 millions de GBP perçus par Niche et Matrix ont constituĂ© la contrepartie des clauses de non-contestation et de non-commercialisation souscrites par ces derniĂšres, a commis trois erreurs.

216 PremiĂšrement, le Tribunal aurait refusĂ©, au point 541 de l’arrĂȘt attaquĂ©, d’examiner le caractĂšre incitatif de ces paiements en comparant leur montant aux profits que Niche et Matrix pouvaient chacune escompter de leur entrĂ©e sur le marchĂ© du pĂ©rindopril. Selon Servier, cette comparaison Ă©tait non pas inutile, comme l’a jugĂ© le Tribunal, mais nĂ©cessaire. La Commission aurait d’ailleurs effectuĂ© une telle comparaison au considĂ©rant 1338 de la dĂ©cision litigieuse, dont Servier a contestĂ© la validitĂ© dans le cadre de son recours en premiĂšre instance. Le Tribunal aurait ainsi substituĂ© ses propres motifs Ă  ceux de la Commission.

217 DeuxiĂšmement, en jugeant que Servier n’avait pas Ă©tabli que la somme de 11,8 millions de GBP Ă©tait insuffisante pour constituer une incitation Ă  renoncer Ă  entrer sur le marchĂ© concernĂ©, le Tribunal aurait renversĂ© la charge de la preuve et violĂ© le principe de la prĂ©somption d’innocence.

218 TroisiĂšmement, au point 563 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal aurait omis de prendre en compte, au titre du contexte des accords Niche, Matrix et Biogaran, les obstacles brevetaires, rĂ©glementaires, techniques et financiers auxquels Niche et Matrix Ă©taient confrontĂ©es. Il se serait bornĂ© Ă  examiner ce contexte dans le cadre de son analyse de la concurrence potentielle, alors que, selon Servier, ces obstacles constituent la vĂ©ritable cause de l’acceptation des clauses de non-contestation et de non-commercialisation.

219 S’agissant plus particuliĂšrement de l’accord Biogaran, Servier conteste que la somme de 2,5 millions de GBP versĂ©e Ă  Niche au titre de cet accord dĂ©passait la valeur des dossiers d’autorisation de mise sur le marchĂ© transfĂ©rĂ©s Ă  Biogaran. Quand bien mĂȘme tel serait le cas, Servier estime que cela n’aurait pas suffi Ă  Ă©tablir le caractĂšre incitatif de ce paiement en l’absence d’une prise en compte du contexte de cet accord. Servier souligne que le montant dudit paiement, qui n’a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© par la dĂ©cision litigieuse que comme Ă©tant une incitation complĂ©mentaire, Ă©tait trop faible pour avoir incitĂ© Niche Ă  transiger.

220 La Commission conteste cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

221 Par ses arguments liminaires, Servier rĂ©itĂšre que le Tribunal a appliquĂ© des critĂšres juridiques erronĂ©s pour apprĂ©cier l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, en renvoyant Ă  l’argumentation invoquĂ©e Ă  l’appui de son premier moyen. Ces arguments liminaires doivent ĂȘtre Ă©cartĂ©s pour les mĂȘmes raisons que celles exposĂ©es aux points 142 Ă  169 du prĂ©sent arrĂȘt.

222 Par son premier grief, Servier conteste l’apprĂ©ciation du Tribunal selon laquelle ses paiements d’un montant de 11,8 millions de GBP en faveur de Niche et de Matrix ont Ă©tĂ© effectuĂ©s en contrepartie de la renonciation de ces derniĂšres Ă  entrer sur le marchĂ©. Toutefois, force est de constater que cette argumentation repose intĂ©gralement sur la prĂ©misse selon laquelle les indemnitĂ©s qu’un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques pourrait devoir verser Ă  des tiers en raison du prĂ©judice que ces derniers auraient subi en consĂ©quence de la dĂ©cision de ce fabricant de renoncer Ă  la commercialisation du mĂ©dicament gĂ©nĂ©rique faisant l’objet de ce litige font, en principe, partie des frais inhĂ©rents au rĂšglement amiable d’un litige en matiĂšre de brevets. Or, pour les motifs exposĂ©s au point 167 du prĂ©sent arrĂȘt, cette prĂ©misse est erronĂ©e. Le premier grief doit donc ĂȘtre rejetĂ©.

223 Par son second grief, Servier soutient, par un premier argument, que le Tribunal aurait dĂ» comparer les paiements d’un montant de 11,8 millions de GBP versĂ©s Ă  Niche et Ă  Matrix aux profits que ces derniĂšres pouvaient escompter tirer de leur entrĂ©e sur le marchĂ© du pĂ©rindopril. Cet argument n’est toutefois pas fondĂ©. Il suffit en effet de rappeler que, conformĂ©ment Ă  ce qui est jugĂ© au point 165 du prĂ©sent arrĂȘt, afin de vĂ©rifier si les transferts de valeur du fabricant de mĂ©dicaments princeps au profit du fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques constituent la contrepartie de la renonciation, par ce dernier, Ă  entrer sur le marchĂ© concernĂ©, il y a lieu de dĂ©terminer si le solde positif net de ces transferts de valeur est suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques Ă  une telle renonciation, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nĂ©cessairement supĂ©rieur aux bĂ©nĂ©fices qu’il aurait rĂ©alisĂ©s s’il avait obtenu gain de cause dans la procĂ©dure en matiĂšre de brevets [voir, en ce sens, arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 87 Ă  94].

224 Par un deuxiĂšme argument, Servier reproche au Tribunal d’avoir renversĂ© la charge de la preuve en ce qui concerne la comparaison visĂ©e au point prĂ©cĂ©dent du prĂ©sent arrĂȘt. Toutefois, il rĂ©sulte de ce point que cet argument est inopĂ©rant dĂšs lors que ce prĂ©tendu renversement de la charge de la preuve se rapporte Ă  une comparaison qu’il n’était pas nĂ©cessaire d’effectuer.

225 Par un troisiĂšme argument, Servier reproche au Tribunal de ne pas avoir pris en compte les obstacles auxquels Niche et Matrix Ă©taient confrontĂ©es. Il y a lieu de constater que, par cet argument, Servier conteste le caractĂšre anticoncurrentiel de l’objet poursuivi par les accords Niche, Matrix et Biogaran, soutenant que ces entreprises souhaitaient transiger en raison non pas de l’incitation rĂ©sultant d’un paiement inversĂ© offert par Servier, mais des obstacles auxquels se heurtait leur projet d’entrer sur le marchĂ© du pĂ©rindopril. Elle invoque ainsi l’intention de ces entreprises et le fait qu’elles poursuivaient un but non pas anticoncurrentiel, mais lĂ©gitime.

226 À cet Ă©gard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort des points 159 Ă  168 du prĂ©sent arrĂȘt, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit aux points 277 Ă  280 de l’arrĂȘt attaquĂ©, aux termes desquels son apprĂ©ciation de la situation de Niche et de Matrix, effectuĂ©e aux points 527 Ă  547 de cet arrĂȘt, en ce qui concerne le caractĂšre incitatif des transferts de valeur effectuĂ©s en leur faveur par Servier et par sa filiale Biogaran, est entachĂ©e d’illĂ©galitĂ©. Pour le surplus, pour autant que Servier cherche Ă  remettre en cause les apprĂ©ciations factuelles effectuĂ©es par la Commission Ă  cet Ă©gard, ses griefs sont irrecevables.

227 Quant aux arguments de Servier tirĂ©s des obstacles brevetaires Ă  l’entrĂ©e de Niche et de Matrix sur le marchĂ©, force est de constater qu’ils se recoupent avec les arguments invoquĂ©s dans le contexte de la concurrence potentielle que la Cour a rejetĂ©s aux points 184 Ă  211 du prĂ©sent arrĂȘt. En effet, dans la mesure oĂč la Cour a jugĂ© que le Tribunal n’avait commis aucune erreur de droit entachant d’illĂ©galitĂ© son apprĂ©ciation selon laquelle ces obstacles ne constituaient pas des obstacles insurmontables Ă  une telle entrĂ©e, il n’y a aucune raison de considĂ©rer, en l’absence de tels obstacles, que ces derniers seraient susceptibles de remettre en cause le caractĂšre incitatif des transferts de valeur constatĂ©s en constituant la vĂ©ritable cause de la dĂ©cision de Niche et de Matrix de renoncer Ă  entrer sur le marchĂ© du pĂ©rindopril dans l’Union.

228 Dans la mesure oĂč Servier invoque l’absence d’intention anticoncurrentielle des parties aux accords Niche et Matrix, il convient de rappeler que, ainsi qu’il rĂ©sulte du point 157 du prĂ©sent arrĂȘt, la circonstance que ces entreprises ont agi sans avoir l’intention d’empĂȘcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs lĂ©gitimes ne sont pas dĂ©terminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrĂȘt du 21 dĂ©cembre 2023, European Superleague Company, C 333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citĂ©e). Ainsi, le fait qu’une stratĂ©gie commerciale consistant pour des entreprises opĂ©rant Ă  un mĂȘme niveau de la chaĂźne de production de nĂ©gocier de tels accords entre elles pour mettre fin Ă  un litige relatif Ă  la validitĂ© d’un brevet soit Ă©conomiquement rationnelle du point de vue de ces entreprises ne dĂ©montre aucunement que la poursuite de cette stratĂ©gie soit justifiable du point de vue du droit de la concurrence. Le troisiĂšme argument de Servier n’est donc pas fondĂ©.

229 Eu Ă©gard aux considĂ©rations qui prĂ©cĂšdent, la seconde branche du troisiĂšme moyen doit ĂȘtre rejetĂ©e et, partant, ce troisiĂšme moyen doit ĂȘtre rejetĂ© dans son intĂ©gralitĂ©.

2. Sur le sixiùme moyen, relatif à la qualification des accords Niche et Matrix d’infractions distinctes

230 Par le sixiÚme moyen de son pourvoi, Servier conteste les motifs par lesquels le Tribunal a refusé de considérer que les accords Niche et Matrix constituaient une infraction unique.

a) Argumentation des parties

231 Selon Servier, en confirmant, au point 1302 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que les accords Niche et Matrix constituaient deux infractions distinctes, pour chacune desquelles la Commission a pu imposer une amende individuelle Ă  Niche et Ă  Matrix, le Tribunal a commis une erreur de droit.

232 En premier lieu, Servier fait valoir qu’un comportement continu, caractĂ©risĂ© par plusieurs agissements ayant un objectif commun, constitue une infraction unique. Or, les accords Niche et Matrix, signĂ©s le mĂȘme jour, au mĂȘme endroit et par le mĂȘme reprĂ©sentant de Servier, partageaient le mĂȘme objectif, ainsi qu’il ressort du point 1296 de l’arrĂȘt attaquĂ©. Contrairement Ă  la constatation opĂ©rĂ©e par le Tribunal au point 1280 de cet arrĂȘt, ces accords auraient entraĂźnĂ© une coordination du comportement de Niche et de Matrix face Ă  Servier. En raison de la complĂ©mentaritĂ© desdits accords, le Tribunal aurait dĂ» accueillir le moyen par lequel Servier soutenait que les mĂȘmes accords constituaient une infraction unique.

233 En deuxiĂšme lieu, Servier soutient que le Tribunal a Ă©cartĂ© la qualification d’infraction unique en s’appuyant sur des critĂšres juridiquement erronĂ©s. Elle relĂšve Ă  cet Ă©gard que, aux points 1296, 1297 et 1300 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal semble avoir Ă©cartĂ© la qualification d’infraction unique au motif que Niche et Matrix ne partageaient pas la mĂȘme intention. Cependant, un tel critĂšre subjectif serait Ă©tranger Ă  la jurisprudence du Tribunal qui exige que cette qualification repose non pas sur l’intention subjective des parties, mais sur des Ă©lĂ©ments objectifs (arrĂȘt du 3 mars 2011, Siemens/Commission, T 110/07, EU:T:2011:68, point 246). Le Tribunal ayant considĂ©rĂ©, sur la base des Ă©lĂ©ments visĂ©s au point 1296 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que les accords Niche et Matrix poursuivaient le mĂȘme objectif, il aurait dĂ» en dĂ©duire l’existence d’une infraction unique, nonobstant certaines divergences d’intentions entre ces entreprises.

234 Servier relĂšve en outre que, au point 1298 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal s’est rĂ©fĂ©rĂ© au fait qu’il n’existait pas entre Niche et Matrix de « communautĂ© d’intĂ©rĂȘts ». Or, ce critĂšre ne serait ni pertinent ni requis au regard de la jurisprudence. En toute hypothĂšse, cette apprĂ©ciation du Tribunal reposerait sur une dĂ©naturation des faits, dans la mesure oĂč ces entreprises avaient conclu un accord oral de partage de profits et un accord de partage des responsabilitĂ©s Ă  l’égard des distributeurs, ainsi que cela ressort du point 1299 de cet arrĂȘt.

235 En troisiĂšme lieu, le Tribunal ne pouvait pas, selon Servier, se fonder sur les diffĂ©rences mineures entre les accords Niche et Matrix relevĂ©es au point 1298 de l’arrĂȘt attaquĂ© pour remettre en cause l’existence d’un objectif commun poursuivi par ces entreprises.

236 En quatriĂšme lieu, le Tribunal n’aurait pas pu s’appuyer sur des dĂ©saccords entre Niche et Matrix lors de la mise en Ɠuvre de leurs accords avec Servier, pour rejeter, au point 1299 de l’arrĂȘt attaquĂ©, l’existence d’une infraction unique. En effet, ces dĂ©saccords seraient postĂ©rieurs Ă  la conclusion de ces accords.

237 En cinquiĂšme lieu, le fait que Matrix n’a pas Ă©tĂ© impliquĂ©e dĂšs le dĂ©but des nĂ©gociations entre Niche et Servier ou qu’elle ignorait l’existence de l’accord Biogaran ne serait pas de nature Ă  remettre en cause l’existence d’une infraction unique.

238 La Commission conteste cette argumentation.

b) Appréciation de la Cour

239 Par son argumentation, Servier fait valoir que le Tribunal a appliquĂ© un critĂšre juridique erronĂ© pour dĂ©terminer si Niche et Matrix avaient commis deux infractions distinctes. Elle dĂ©nonce une dĂ©naturation des faits dans l’énoncĂ© du sixiĂšme moyen et conteste, en substance, la qualification juridique des faits retenue par le Tribunal dans l’arrĂȘt attaquĂ©.

240 Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour qu’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE peut rĂ©sulter non seulement d’un acte isolĂ©, mais Ă©galement d’une sĂ©rie d’actes ou bien encore d’un comportement continu, quand bien mĂȘme un ou plusieurs Ă©lĂ©ments de cette sĂ©rie d’actes ou de ce comportement continu pourraient Ă©galement constituer, en eux-mĂȘmes et pris isolĂ©ment, une violation de cette disposition. Ainsi, lorsque les diffĂ©rents comportements s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence Ă  l’intĂ©rieur du marchĂ© intĂ©rieur, la Commission est en droit d’imputer la responsabilitĂ© de ces comportements en fonction de la participation Ă  l’infraction considĂ©rĂ©e dans son ensemble (voir, en ce sens, arrĂȘt du 6 dĂ©cembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C 441/11 P, EU:C:2012:778, point 41 et jurisprudence citĂ©e).

241 Une entreprise ayant participĂ© Ă  une telle infraction unique et continue par des comportements qui lui Ă©taient propres, qui relevaient des notions d’« accord » ou de « pratique concertĂ©e » ayant un objet anticoncurrentiel, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, et qui visaient Ă  contribuer Ă  la rĂ©alisation de l’infraction dans son ensemble, peut ainsi ĂȘtre Ă©galement tenue pour responsable des comportements mis en Ɠuvre par d’autres entreprises dans le cadre de cette infraction pour toute la pĂ©riode de sa participation Ă  ladite infraction (voir, en ce sens, arrĂȘt du 6 dĂ©cembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C 441/11 P, EU:C:2012:778, point 42 et jurisprudence citĂ©e).

242 À cet Ă©gard, il convient de rappeler que, aux fins de qualifier diffĂ©rents comportements d’infraction unique et continue, il n’y a pas lieu de vĂ©rifier s’ils prĂ©sentent un lien de complĂ©mentaritĂ©, en ce sens que chacun d’entre eux est destinĂ© Ă  faire face Ă  une ou Ă  plusieurs consĂ©quences du jeu normal de la concurrence, et contribuent, par une interaction, Ă  la rĂ©alisation de l’ensemble des effets anticoncurrentiels voulus par leurs auteurs, dans le cadre d’un plan global visant un objectif unique. En revanche, la condition tenant Ă  la notion d’« objectif unique » implique qu’il doit ĂȘtre vĂ©rifiĂ© s’il n’existe pas d’élĂ©ments caractĂ©risant les diffĂ©rents comportements faisant partie de l’infraction qui soient susceptibles d’indiquer que les comportements matĂ©riellement mis en Ɠuvre par d’autres entreprises participantes ne partagent pas le mĂȘme objet ou le mĂȘme effet anticoncurrentiel et ne s’inscrivent par consĂ©quent pas dans un « plan d’ensemble » en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence au sein du marchĂ© intĂ©rieur (arrĂȘt du 26 janvier 2017, Villeroy & Boch/Commission, C 644/13 P, EU:C:2017:59, point 50 ainsi que jurisprudence citĂ©e).

243 Il y a lieu de relever, en outre, que, comme l’a fait observer Mme l’avocate gĂ©nĂ©rale, en substance, aux points 239 et 240 de ses conclusions, afin de qualifier des comportements d’infractions distinctes ou d’infraction unique, la Commission doit Ă©tablir objectivement, sur la base des Ă©lĂ©ments du dossier et sous le contrĂŽle du juge de l’Union, que les critĂšres Ă©tablis pour qualifier un comportement de l’une ou de l’autre maniĂšre sont remplis. En effet, comme le Tribunal l’a jugĂ© au point 1294 de l’arrĂȘt attaquĂ©, s’il est dĂ©montrĂ© que la Commission a commis une erreur en effectuant cette qualification juridique des faits, la dĂ©cision d’infraction doit ĂȘtre annulĂ©e et le montant de l’amende fixĂ© doit ĂȘtre recalculĂ©.

244 En l’espĂšce, le Tribunal a rappelĂ©, en substance, les Ă©lĂ©ments jurisprudentiels visĂ©s au point 242 du prĂ©sent arrĂȘt en indiquant, au point 1295 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que, « aux fins de constater l’existence d’une infraction unique, il appartient Ă  la Commission d’établir que les accords en cause s’inscrivent dans un plan d’ensemble mis en Ɠuvre sciemment par les entreprises concernĂ©es en vue de la rĂ©alisation d’un objectif anticoncurrentiel unique et qu’elle est tenue d’examiner, Ă  cet Ă©gard, tous les Ă©lĂ©ments factuels susceptibles d’établir ou de remettre en cause ledit plan d’ensemble ». Il convient de constater que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en ce qui concerne le critĂšre juridique applicable aux fins d’identifier une infraction unique.

245 S’agissant de l’apprĂ©ciation des faits de l’affaire, le Tribunal a considĂ©rĂ©, aux points 1296 et 1297 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que, s’il Ă©tait vrai que Servier avait poursuivi un seul et mĂȘme objectif lors de la conclusion des accords Niche et Matrix, cette circonstance ne permettait pas d’établir que, de leur cĂŽtĂ©, Niche et Matrix avaient poursuivi ensemble un mĂȘme objectif attestant d’un plan commun, ni Ă  plus forte raison qu’elles partageaient ce plan avec Servier. Ce faisant, le Tribunal a fait une exacte application des critĂšres Ă©noncĂ©s aux points 240 Ă  242 du prĂ©sent arrĂȘt, selon lesquels la qualification d’« infraction unique » exige que chacun des comportements anticoncurrentiels concernĂ©s s’inscrive dans le cadre d’un mĂȘme plan d’ensemble, en raison de leur objet anticoncurrentiel identique.

246 Aux points 1298 et 1299 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal a considĂ©rĂ© que la conclusion des accords Niche et Matrix le mĂȘme jour, au mĂȘme endroit et par le mĂȘme reprĂ©sentant n’était pas une circonstance suffisante pour Ă©tablir l’existence d’un plan commun entre Niche et Matrix. Il a relevĂ© l’existence de plusieurs diffĂ©rences entre les stipulations de ces accords, a Ă©cartĂ© les indices de l’existence d’un accord oral entre Niche et Matrix sur la mise en Ɠuvre desdits accords et en a dĂ©duit que ces entreprises n’avaient pas de « plan commun » permettant de qualifier leur comportement d’« infraction unique ».

247 Quant aux circonstances factuelles entourant la conclusion des accords Niche et Matrix, le Tribunal a considĂ©rĂ©, au point 1300 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que celles-ci dĂ©montraient que Matrix avait davantage cherchĂ© Ă  saisir une opportunitĂ© offerte par Servier qu’agi de concert avec Niche dans le cadre d’un plan commun visant Ă  mettre un terme Ă  leur projet concernant le pĂ©rindopril. La participation de Matrix aux pourparlers ayant conduit Ă  la conclusion des accords Niche et Matrix, dont elle n’a Ă©tĂ© informĂ©e que tardivement, a Ă©tĂ© limitĂ©e, selon le Tribunal, Ă  la nĂ©gociation du transfert de valeur de Servier en sa faveur. Par ailleurs, le Tribunal a relevĂ©, au point 1301 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que l’accord Biogaran avait Ă©tĂ© conclu Ă  l’insu de Matrix.

248 Servier fait cependant valoir que le Tribunal a accordĂ© une trop grande importance Ă  l’intention des parties, alors que la jurisprudence exigerait une Ă©valuation objective du rattachement des comportements anticoncurrentiels Ă  un plan d’ensemble.

249 Toutefois, ainsi que Mme l’avocate gĂ©nĂ©rale l’a relevĂ© au point 248 de ses conclusions, afin de pouvoir constater une infraction unique, il doit ĂȘtre Ă©tabli que les comportements d’entreprises font partie d’un plan d’ensemble en raison de leur contribution Ă  la rĂ©alisation d’un objectif Ă©conomique commun (voir, en ce sens, arrĂȘt du 16 juin 2022, Toshiba Samsung Storage Technology et Toshiba Samsung Storage Technology Korea/Commission, C 700/19 P, EU:C:2022:484, point 107 ainsi que jurisprudence citĂ©e). La preuve d’un tel objectif commun peut donc ĂȘtre Ă©tablie, notamment, sur la base d’élĂ©ments relatifs Ă  l’intention des parties, car la notion de plan d’ensemble implique que les parties avaient l’intention de collaborer afin de mettre en Ɠuvre ce plan et leurs intentions Ă  l’égard de cette collaboration sont donc pertinentes, Ă  condition qu’elles soient Ă©tablies sur la base d’élĂ©ments objectifs et fiables, pour dĂ©terminer si leur comportement relĂšve d’une infraction unique.

250 Dans ces conditions, Servier n’est pas fondĂ©e Ă  soutenir que la qualification juridique des faits Ă  laquelle le Tribunal a procĂ©dĂ© repose sur un critĂšre juridique erronĂ©. Elle n’a pas Ă©tabli non plus une dĂ©naturation des faits par le Tribunal.

251 Il y a lieu, en conséquence, de rejeter le sixiÚme moyen.

D. Sur le quatriùme moyen, relatif à l’accord Teva

252 Par son quatriĂšme moyen, Servier conteste les apprĂ©ciations portĂ©es par le Tribunal sur l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE Ă  l’accord Teva. Ce moyen comporte deux branches.

1. Sur la premiĂšre branche, relative Ă  la concurrence potentielle

a) Argumentation des parties

253 Par la premiĂšre branche de son quatriĂšme moyen, Servier soutient que l’analyse de la concurrence potentielle opĂ©rĂ©e par le Tribunal est entachĂ©e de plusieurs erreurs de droit. Sur le fondement de l’argumentation dĂ©veloppĂ©e dans le cadre du deuxiĂšme moyen, Servier reproche, de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, au Tribunal de lui avoir imposĂ©, aux points 589, 591, 592, 600, 601 et 603 de l’arrĂȘt attaquĂ©, la charge de dĂ©montrer que l’entrĂ©e de Teva sur le marchĂ© se heurtait Ă  des obstacles insurmontables afin d’établir l’absence de concurrence potentielle.

254 Par un premier grief, Servier conteste l’apprĂ©ciation, effectuĂ©e aux points 589, 591, 592 et 596 de l’arrĂȘt attaquĂ©, selon laquelle ses brevets, ainsi que la perception que pouvaient en avoir les parties, et plus particuliĂšrement le risque qu’une injonction provisoire soit octroyĂ©e sur le fondement de ces brevets, ne constituaient pas des obstacles insurmontables Ă  une telle entrĂ©e.

255 Par un deuxiĂšme grief, Servier reproche au Tribunal d’avoir jugĂ©, au point 599 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que des retards dans les procĂ©dures d’autorisation de mise sur le marchĂ© ne suffisent pas Ă  exclure la qualitĂ© de concurrent potentiel d’un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques. Le Tribunal n’aurait pas analysĂ© l’effet de ces retards, alors que Servier avait Ă©tabli que ceux-ci avaient mis en pĂ©ril le projet de Teva. Le Tribunal aurait en outre Ă©cartĂ© l’importance, pour les fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques, d’ĂȘtre parmi les premiers Ă  entrer sur le marchĂ© concernĂ©, alors que la Commission avait reconnu expressĂ©ment cette importance au considĂ©rant 1126 de la dĂ©cision litigieuse.

256 Par un troisiÚme grief, Servier invoque plusieurs dénaturations.

257 D’une part, aux points 586 et 609 Ă  612 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal aurait dĂ©naturĂ© les preuves produites par Servier dĂ©montrant que Teva n’avait pas de stock de pĂ©rindopril bĂ©nĂ©ficiant d’une autorisation de mise sur le marchĂ©.

258 D’autre part, Servier soutient que, au point 594 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal a dĂ©naturĂ© la requĂȘte en premiĂšre instance en affirmant que Servier n’avait pas contestĂ© la dĂ©claration par laquelle Teva se disait prĂȘte Ă  assumer le risque de faire l’objet d’une action en contrefaçon en raison de son entrĂ©e sur le marchĂ© du pĂ©rindopril.

259 Par un quatriĂšme grief, Servier reproche au Tribunal d’avoir refusĂ©, au point 610 de l’arrĂȘt attaquĂ©, de tenir compte des preuves concernant les dĂ©fauts du pĂ©rindopril gĂ©nĂ©rique produit Ă  partir du principe actif fourni par Hetero Drugs Ltd (ci-aprĂšs « Hetero »), au motif qu’elles Ă©taient postĂ©rieures Ă  la conclusion de l’accord Teva. Or, ces preuves Ă©tant antĂ©rieures Ă  l’enquĂȘte de la Commission, elles auraient une forte valeur probante. En considĂ©rant, au point 611 de cet arrĂȘt, que le courriel adressĂ© par Teva Ă  Hetero le 15 octobre 2007 visait « clairement Ă  mettre en Ɠuvre » l’accord Teva, le Tribunal aurait dĂ©naturĂ© ce courriel.

260 La Commission conteste cette argumentation.

b) Appréciation de la Cour

261 Les arguments liminaires et le premier grief, relatifs Ă  la charge de la preuve de l’existence d’obstacles insurmontables Ă  l’entrĂ©e sur le marchĂ©, reposent sur une conception erronĂ©e des critĂšres juridiques applicables Ă  l’apprĂ©ciation de la concurrence potentielle, ainsi qu’il est jugĂ© aux points 81, 107 Ă  111 et 123 Ă  125 du prĂ©sent arrĂȘt. Ces arguments et grief doivent, dĂšs lors, ĂȘtre rejetĂ©s pour les mĂȘmes motifs que ceux exposĂ©s Ă  ces points.

262 De la mĂȘme maniĂšre, dans la mesure oĂč ce grief est tirĂ© plus particuliĂšrement du risque qu’une injonction provisoire soit octroyĂ©e sur le fondement de ces brevets, il convient de rappeler, ainsi qu’il est jugĂ© au point 112 du prĂ©sent arrĂȘt, que leur octroi, et Ă  plus forte raison le simple risque d’un tel octroi, ne saurait permettre en tant que tel d’exclure la qualitĂ© de concurrent potentiel d’un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques.

263 S’agissant du deuxiĂšme grief, il convient de rappeler que, conformĂ©ment Ă  ce qui est jugĂ© au point 120 du prĂ©sent arrĂȘt, un retard dans les procĂ©dures d’autorisation de mise sur le marchĂ© ne suffit pas, en soi, Ă  remettre en cause la qualitĂ© de concurrent potentiel. Il convient, dĂšs lors, de rejeter ce grief pour les mĂȘmes motifs que ceux Ă©noncĂ©s Ă  ce point 120. Quant Ă  la rĂ©fĂ©rence faite, au considĂ©rant 1126 de la dĂ©cision litigieuse, Ă  l’avantage dit du « premier entrant » dont bĂ©nĂ©ficierait le premier fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques Ă  lancer son produit, il ne ressort aucunement de cette rĂ©fĂ©rence que seul un fabricant qui est en mesure de lancer son produit le premier peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme Ă©tant un concurrent potentiel du fabricant de mĂ©dicaments princeps. Pour le surplus, il suffit de constater que Servier conteste des apprĂ©ciations factuelles du Tribunal relatives Ă  un tel retard et que son argumentation est donc irrecevable.

264 Quant Ă  la prĂ©tendue dĂ©naturation des preuves de l’absence de stocks de pĂ©rindopril de Teva couverts par une autorisation de mise sur le marchĂ©, il convient de relever, Ă  l’instar de la Commission, que, faute pour Servier d’identifier avec prĂ©cision les preuves dont elle allĂšgue la dĂ©naturation, la Commission n’est pas en mesure de rĂ©pondre Ă  ce grief et la Cour ne peut procĂ©der Ă  son contrĂŽle, de sorte que ledit grief doit ĂȘtre rejetĂ© comme Ă©tant irrecevable.

265 S’agissant de la dĂ©naturation de la requĂȘte de Servier en premiĂšre instance figurant au point 594 de l’arrĂȘt attaquĂ©, en ce que le Tribunal relĂšve que Servier n’aurait pas contestĂ© sur le plan factuel l’affirmation qui ressort d’une dĂ©claration de Teva selon laquelle celle-ci Ă©tait prĂȘte Ă  lancer son pĂ©rindopril malgrĂ© le risque d’actions en contrefaçon, il y a lieu de constater que le Tribunal a rĂ©pondu Ă  l’argumentation de Servier sur le fond, en tout Ă©tat de cause, en rappelant, au point 591 de cet arrĂȘt, que les risques pour Teva de faire l’objet d’actions en contrefaçon et d’injonctions provisoires Ă  la suite de son entrĂ©e sur le marchĂ© du pĂ©rindopril ne permettaient pas « d’exclure l’existence de possibilitĂ©s rĂ©elles et concrĂštes de Teva de surmonter les obstacles liĂ©s aux brevets en cause ». En outre, il dĂ©coule de ce point 594 que, alors que Teva Ă©tait consciente des risques de contrefaçon et d’octroi d’injonctions provisoires dĂšs le mois de fĂ©vrier de l’annĂ©e 2006, elle a nĂ©anmoins continuĂ© Ă  entreprendre ses dĂ©marches prĂ©paratoires ainsi que cela rĂ©sulte du point 598 de cet arrĂȘt.

266 Par ailleurs, ainsi qu’il est rappelĂ© au point 109 du prĂ©sent arrĂȘt, l’existence d’un brevet qui protĂšge le procĂ©dĂ© de fabrication d’un principe actif tombĂ© dans le domaine public ne saurait, en tant que telle, ĂȘtre regardĂ©e comme Ă©tant un obstacle insurmontable Ă  l’entrĂ©e sur le marchĂ© et n’empĂȘche pas de qualifier de concurrent potentiel du fabricant du mĂ©dicament princeps concernĂ© un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques qui a effectivement la dĂ©termination ferme ainsi que la capacitĂ© propre d’entrer sur le marchĂ© et qui, par ses dĂ©marches, se montre prĂȘt Ă  contester la validitĂ© de ce brevet et Ă  assumer le risque de se voir, lors de son entrĂ©e sur ledit marchĂ©, confrontĂ© Ă  une action en contrefaçon introduite par le titulaire dudit brevet [arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 46].

267 Il ressort donc des Ă©lĂ©ments rappelĂ©s au point 265 du prĂ©sent arrĂȘt que, sans avoir besoin de s’appuyer sur le fait que Servier n’aurait pas contestĂ© l’intention de Teva d’entrer sur le marchĂ© Ă  risque, le Tribunal a examinĂ© les arguments de Servier au fond et a motivĂ© Ă  suffisance de droit, au regard de la jurisprudence citĂ©e au point 266 du prĂ©sent arrĂȘt, sa conclusion selon laquelle l’existence des brevets de Servier ne constituait pas un obstacle insurmontable Ă  l’entrĂ©e potentielle de Teva sur le marchĂ©.

268 Il s’ensuit que le grief de dĂ©naturation dirigĂ© contre le point 594 de l’arrĂȘt attaquĂ© est inopĂ©rant, car il vise un motif surabondant de l’arrĂȘt attaquĂ©.

269 Par son quatriĂšme grief, Servier conteste l’apprĂ©ciation du courriel d’Hetero du 15 octobre 2007 sous couvert d’en invoquer la dĂ©naturation. Or, un grief de cette nature ne relĂšve pas, conformĂ©ment Ă  la jurisprudence rappelĂ©e au point 58 du prĂ©sent arrĂȘt, de la compĂ©tence de la Cour dans le cadre de la procĂ©dure de pourvoi.

270 Compte tenu de ces Ă©lĂ©ments, la premiĂšre branche du quatriĂšme moyen doit ĂȘtre rejetĂ©e.

2. Sur la seconde branche, relative Ă  la qualification de restriction de la concurrence par objet

271 Par la seconde branche de son quatriĂšme moyen, Servier reproche au Tribunal d’avoir, aux points 698, 700 et 704 de l’arrĂȘt attaquĂ©, confirmĂ© la qualification de l’accord Teva de restriction de la concurrence par objet. À cet Ă©gard, Servier, tout en rĂ©itĂ©rant l’argumentation exposĂ©e dans le cadre du premier moyen, fait valoir que le fait que l’accord Teva contienne des clauses restrictives de la concurrence et un paiement incitant Teva Ă  se soumettre Ă  de telles clauses ne serait pas suffisant pour qualifier cet accord de restriction de la concurrence par objet alors que, notamment, ledit accord favorisait Ă©galement une entrĂ©e anticipĂ©e de Teva sur le marchĂ© et produisait donc des effets proconcurrentiels.

272 Avant d’aborder les griefs spĂ©cifiques soulevĂ©s par Servier dans ce contexte, il convient de rappeler d’emblĂ©e que, conformĂ©ment Ă  la jurisprudence rappelĂ©e aux points 73, 76 et 77 du prĂ©sent arrĂȘt, les Ă©ventuels effets proconcurrentiels d’un accord sont dĂ©nuĂ©s de pertinence dans le contexte de l’examen de son objet anticoncurrentiel, y compris aux fins de la vĂ©rification de son Ă©ventuelle nocivitĂ©. Il y a Ă©galement lieu de souligner que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelĂ©e notamment au point 83 du prĂ©sent arrĂȘt, un report de l’entrĂ©e sur le marchĂ© de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques en contrepartie de transferts de valeur du fabricant de mĂ©dicaments princeps au profit du fabricant de ces mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme Ă©tant constitutif d’une restriction de la concurrence par objet si ces transferts de valeur s’expliquent uniquement par l’intĂ©rĂȘt commercial de ces fabricants de mĂ©dicaments Ă  ne pas se livrer une concurrence par les mĂ©rites.

a) Sur les objectifs de l’accord Teva

1) Argumentation des parties

273 Servier soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en omettant de prendre en considĂ©ration les buts objectivement poursuivis par l’accord Teva, au seul motif que cet accord contenait des clauses restrictives de la concurrence. Selon Servier, le Tribunal a mĂ©connu le fait que l’approvisionnement de Teva en pĂ©rindopril Ă©tait l’objectif essentiel dudit accord. Le rĂšglement amiable des litiges relatifs aux brevets de Servier n’aurait constituĂ© qu’un objectif « secondaire », dont la portĂ©e Ă©tait limitĂ©e, puisqu’elle ne s’étendait pas Ă  la procĂ©dure pendante devant l’OEB relative Ă  la validitĂ© du brevet 947. Selon Servier, ces objectifs ne sont pas, en soi, nocifs pour la concurrence.

274 En outre, l’analogie opĂ©rĂ©e par le Tribunal au point 704 de l’arrĂȘt attaquĂ© entre l’accord Teva et les circonstances de l’affaire ayant donnĂ© lieu Ă  l’arrĂȘt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C 209/07, EU:C:2008:643), ne serait pas fondĂ©e, puisque ces circonstances se rapportaient non pas Ă  l’entrĂ©e d’un nouveau concurrent sur le marchĂ©, mais Ă  la sortie d’entreprises concurrentes dĂ©jĂ  prĂ©sentes sur ce marchĂ©.

275 La Commission conteste cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

276 Servier conteste l’existence d’une restriction de la concurrence par objet en s’appuyant sur la prĂ©tendue lĂ©gitimitĂ© de certains des objectifs affichĂ©s par l’accord Teva et celle de l’intention des parties Ă  cet Ă©gard. Selon Servier, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de ces objectifs et de cette intention, dans le cadre de la qualification de l’accord Teva de restriction de la concurrence par objet.

277 Toutefois, il convient de rappeler que, pour qualifier un comportement de restriction de la concurrence par objet, il y a lieu de dĂ©terminer les buts objectifs que ce comportement vise Ă  atteindre Ă  l’égard de la concurrence. En revanche, ainsi qu’il est jugĂ© au point 87 du prĂ©sent arrĂȘt, la circonstance que les entreprises ont agi sans avoir l’intention d’empĂȘcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs lĂ©gitimes ne sont pas dĂ©terminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Seule est pertinente l’apprĂ©ciation du degrĂ© de nocivitĂ© Ă©conomique de cette pratique sur le bon fonctionnement de la concurrence dans le marchĂ© concernĂ©. Cette apprĂ©ciation doit reposer sur des considĂ©rations objectives, au besoin Ă  l’issue d’une analyse dĂ©taillĂ©e de ladite pratique, ainsi que de ses objectifs et du contexte Ă©conomique et juridique dans lequel elle s’insĂšre [voir, en ce sens, arrĂȘts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85, ainsi que du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C 591/16 P, EU:C:2021:243, point 131].

278 En outre, pour autant que Servier, en soulignant que l’accord Teva avait pour objectif « essentiel » l’approvisionnement de Teva en pĂ©rindopril et pour objectif « secondaire » le rĂšglement amiable de litiges, cherche Ă  se prĂ©valoir de la jurisprudence relative aux restrictions accessoires, il y a lieu de considĂ©rer, pour les motifs exposĂ©s aux points 148 Ă  151 du prĂ©sent arrĂȘt, que cette jurisprudence n’est pas applicable Ă  une situation telle que celle prĂ©sentĂ©e par l’accord Teva. En effet, premiĂšrement, la clause de l’accord Teva prĂ©voyant l’approvisionnement de Teva en pĂ©rindopril n’est pas neutre Ă  l’égard de la concurrence en raison de l’existence de paiements inversĂ©s constitutifs de transferts de valeur et, deuxiĂšmement, compte tenu de l’existence de ces paiements, les restrictions de la concurrence dĂ©coulant des clauses de non-contestation et de non-commercialisation ne sauraient ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme Ă©tant objectivement nĂ©cessaires Ă  cette clause d’approvisionnement ni au rĂšglement amiable de litiges, et ce Ă  plus forte raison lorsque les clauses de non-contestation et de non-commercialisation sont lues Ă  la lumiĂšre du caractĂšre exclusif de la clause d’approvisionnement.

279 DĂšs lors, sans qu’il soit besoin de statuer sur la pertinence de l’arrĂȘt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C 209/07, EU:C:2008:643), il y a lieu de rejeter le grief soulevĂ© par Servier.

b) Sur l’ambivalence des effets de l’accord Teva

1) Argumentation des parties

280 Servier soutient que, Ă  la date de conclusion de l’accord Teva, les effets potentiels de cet accord, pris dans leur ensemble et dans la mesure oĂč ils Ă©taient identifiables Ă  cette date, Ă©taient ambivalents, de telle sorte que la qualification de l’accord Teva de restriction de la concurrence par objet est exclue, ainsi qu’il ressort de son argumentation invoquĂ©e au titre du premier moyen. Le Tribunal aurait dĂ©naturĂ© les faits relatifs au contexte de cet accord, notamment aux points 644 et 667 de l’arrĂȘt attaquĂ©, et aurait ignorĂ© les effets proconcurrentiels de celui-ci.

281 La Commission conteste cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

282 Servier ne saurait se prĂ©valoir d’effets positifs ou du moins ambivalents sur la concurrence auxquels l’accord Teva serait susceptible de donner lieu, dĂšs lors que, conformĂ©ment Ă  la jurisprudence rappelĂ©e aux points 73, 76 et 77 du prĂ©sent arrĂȘt, l’examen de tels effets, qu’ils soient rĂ©els ou potentiels et nĂ©gatifs ou positifs, n’est pas nĂ©cessaire aux fins de dĂ©terminer si cet accord peut ĂȘtre qualifiĂ© de restriction de la concurrence par objet. Ainsi, indĂ©pendamment du fait que les prĂ©tendus effets positifs rĂ©sultant d’une entrĂ©e anticipĂ©e de Teva sur le marchĂ© n’étaient pas certains de se produire, dĂšs lors que Servier disposait du droit contractuel de bloquer une telle entrĂ©e moyennant un paiement inversĂ© supplĂ©mentaire, cette argumentation ne saurait, en tout Ă©tat de cause, prospĂ©rer. Il y a donc lieu de rejeter ce grief.

c) Sur la nocivitĂ© des clauses de l’accord Teva

1) Argumentation des parties

283 S’agissant de la clause de non-contestation de l’accord Teva, Servier rĂ©itĂšre l’argumentation dĂ©veloppĂ©e dans le cadre de son premier moyen, selon laquelle ce type de clause usuelle n’est pas, en soi, nocif pour la concurrence. Aux points 648 et 649 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal aurait mĂ©connu la jurisprudence issue de l’arrĂȘt du 25 fĂ©vrier 1986, Windsurfing International/Commission (193/83, EU:C:1986:75), et aurait commis une erreur en considĂ©rant que le fait que cette clause n’incluait pas la procĂ©dure devant l’OEB Ă©tait dĂ©nuĂ© de pertinence.

284 S’agissant de la clause de non-commercialisation de l’accord Teva, aux points 663 et 664 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal aurait fait abstraction du fait que le champ d’application de cette clause Ă©tait limitĂ© au pĂ©rindopril contrefaisant les brevets de Servier, laissant Teva libre de dĂ©velopper une forme non contrefaisante de ce mĂ©dicament. Le Tribunal aurait Ă©galement Ă©cartĂ© Ă  tort, au point 666 de cet arrĂȘt, des preuves relatives au dĂ©veloppement par Teva d’une version non contrefaisante dudit mĂ©dicament. Le Tribunal aurait en outre commis l’erreur de ne pas prendre en compte le fait que l’approvisionnement de Teva en pĂ©rindopril gĂ©nĂ©rique attĂ©nuait, voire supprimait, les effets restrictifs Ă©ventuels de ladite clause. Or, le Tribunal aurait pourtant admis, au point 954 dudit arrĂȘt, que le caractĂšre restrictif de la concurrence de l’accord de rĂšglement amiable conclu avec Krka pouvait ĂȘtre compensĂ© par les effets proconcurrentiels de l’accord de licence conclu avec cette derniĂšre entreprise.

285 S’agissant de la clause d’approvisionnement exclusif, Servier invoque trois griefs.

286 Tout d’abord, le Tribunal aurait dĂ©naturĂ© cette clause. Contrairement Ă  ce que le Tribunal a affirmĂ© au point 662 de l’arrĂȘt attaquĂ©, ladite clause n’aurait pas interdit Ă  Teva de s’approvisionner auprĂšs d’autres fournisseurs. Teva serait donc restĂ©e libre de s’approvisionner auprĂšs de tiers produisant un pĂ©rindopril autre que celui composĂ© de la forme cristalline alpha de l’erbumine protĂ©gĂ©e par le brevet 947. Le Tribunal aurait Ă  tort dĂ©duit, au point 663 de cet arrĂȘt, que l’accord Teva allait au-delĂ  des brevets de Servier.

287 Ensuite, Servier soutient que le Tribunal a, au point 672 de l’arrĂȘt attaquĂ©, affirmĂ© Ă  tort et sans motivation que la clause d’approvisionnement exclusif Ă©tait inhabituelle. Or, ce type de clause serait licite et frĂ©quemment utilisĂ©, notamment par Teva.

288 Enfin, Servier fait valoir que la clause d’approvisionnement exclusif aurait dĂ» ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e dans son contexte, eu Ă©gard au jeu de la concurrence tel qu’il se serait produit en l’absence de cette clause. Dans la mesure oĂč l’accord Teva aurait permis Ă  Teva d’entrer sur le marchĂ© du pĂ©rindopril, la qualification de restriction de la concurrence par objet serait exclue.

289 La Commission conteste tant la recevabilité que le bien-fondé de cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

290 Par cette argumentation, Servier conteste l’apprĂ©ciation portĂ©e par le Tribunal sur la qualification de l’accord Teva de restriction de la concurrence par objet faisant valoir, en substance, que ni la clause de non-contestation de cet accord ni la clause de non-commercialisation ou la clause d’approvisionnement exclusif de celui-ci ne pouvaient causer des effets anticoncurrentiels.

291 Or, ainsi qu’il est rappelĂ© au point 88 du prĂ©sent arrĂȘt, afin de dĂ©terminer si une pratique collusoire peut ĂȘtre qualifiĂ©e de restriction de la concurrence par objet, il convient d’examiner son contenu, sa genĂšse, ainsi que son contexte Ă©conomique et juridique, en particulier les caractĂ©ristiques spĂ©cifiques du marchĂ© dans lequel se produiront concrĂštement ses effets. Le fait que les termes d’un accord destinĂ© Ă  mettre en Ɠuvre cette pratique ne dĂ©voilent pas un objet anticoncurrentiel n’est pas, en soi, dĂ©terminant.

292 En effet, la qualification de restriction de la concurrence par objet ne dĂ©pend ni de la forme des contrats ou autres instruments juridiques destinĂ©s Ă  mettre en Ɠuvre une telle pratique collusoire ni de la perception subjective que les parties peuvent avoir de l’issue du litige qui les oppose quant Ă  la validitĂ© d’un brevet. Seule est pertinente l’apprĂ©ciation du degrĂ© de nocivitĂ© Ă©conomique de cette pratique sur le bon fonctionnement de la concurrence dans le marchĂ© concernĂ©. Cette apprĂ©ciation doit reposer sur des considĂ©rations objectives, au besoin Ă  l’issue d’une analyse dĂ©taillĂ©e de ladite pratique, ainsi que de ses objectifs et du contexte Ă©conomique et juridique dans lequel elle s’insĂšre [voir, en ce sens, arrĂȘts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85, ainsi que du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C 591/16 P, EU:C:2021:243, point 131].

293 Ainsi, des accords de rĂšglement amiable par lesquels un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques candidat Ă  l’entrĂ©e sur un marchĂ© reconnaĂźt, au moins temporairement, la validitĂ© d’un brevet dĂ©tenu par un fabricant de mĂ©dicaments princeps et s’engage, de ce fait, Ă  ne pas la contester pas plus qu’à entrer sur ce marchĂ© sont susceptibles d’emporter des effets restrictifs de concurrence, dĂšs lors que la contestation de la validitĂ© et de la portĂ©e d’un brevet fait partie du jeu normal de la concurrence dans les secteurs dans lesquels existent des droits d’exclusivitĂ© sur des technologies [arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 81].

294 Comme le Tribunal l’a, en substance, soulignĂ© au point 305 de l’arrĂȘt attaquĂ©, il y a donc lieu, afin de dĂ©terminer si un accord peut ĂȘtre qualifiĂ© de restriction de la concurrence par objet, d’analyser non pas chacune de ses clauses de maniĂšre sĂ©parĂ©e, mais d’évaluer si cet accord, pris comme un tout, prĂ©sente un degrĂ© de nocivitĂ© Ă©conomique sur le bon fonctionnement de la concurrence dans le marchĂ© concernĂ© qui justifie une telle qualification. En raison des liens Ă©troits entre les clauses de non-contestation, de non-commercialisation et d’approvisionnement exclusif de l’accord Teva, il Ă©tait donc indispensable d’examiner ces clauses comme formant un tout.

295 En outre, l’argumentation de Servier ne tient pas compte de la jurisprudence rappelĂ©e au point 83 du prĂ©sent arrĂȘt dont il ressort que le critĂšre permettant de vĂ©rifier si un accord de rĂšglement amiable tel que l’accord Teva constitue une restriction de la concurrence par objet consiste Ă  vĂ©rifier si les transferts de valeur du fabricant de mĂ©dicaments princeps au profit du fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques constituent la contrepartie de la renonciation, par ce dernier, Ă  entrer sur le marchĂ© concernĂ© [voir, en ce sens, arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 87 Ă  94].

296 En l’espĂšce, aux points 644 et 645 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal a Ă©cartĂ© la pertinence des effets potentiellement neutres ou proconcurrentiels de l’accord Teva ainsi que l’applicabilitĂ© de la jurisprudence relative aux restrictions accessoires, sans commettre d’erreurs de droit susceptibles de remettre en cause la conclusion Ă  laquelle il Ă©tait arrivĂ© Ă  ces points, ainsi qu’il ressort des motifs Ă©noncĂ©s aux points 76 et 77, 148 Ă  151, 272 et 278 du prĂ©sent arrĂȘt.

297 S’agissant des restrictions imposĂ©es Ă  Teva quant Ă  son comportement sur le marchĂ©, le Tribunal a, en substance, confirmĂ© les constatations opĂ©rĂ©es dans la dĂ©cision litigieuse. Pour les motifs exposĂ©s aux points 647 Ă  678 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal a constatĂ©, premiĂšrement, que la clause de non-contestation interdisait Ă  Teva d’établir que son pĂ©rindopril ne contrefaisait pas les brevets de Servier et de contester leur validitĂ© au Royaume-Uni. DeuxiĂšmement, il a constatĂ© que la clause de non-commercialisation imposait Ă  Teva de s’abstenir au Royaume-Uni de toute production ou commercialisation de son propre pĂ©rindopril que Servier estimait contrefaisant ou de toute version que Servier pouvait estimer contrefaisante. TroisiĂšmement, il a constatĂ© que la clause d’approvisionnement exclusif, qui Ă©tait Ă©troitement liĂ©e Ă  la prĂ©cĂ©dente, laissait Teva face Ă  une alternative consistant soit Ă  distribuer le pĂ©rindopril de Servier composĂ© de la forme cristalline alpha de l’erbumine soit, en cas de dĂ©faut d’approvisionnement par Servier, de recevoir une indemnitĂ© forfaitaire d’un montant de 500 000 GBP par mois. L’effet conjoint de cette alternative et de la combinaison de ces clauses Ă©tait, en pratique, de permettre Ă  Servier d’empĂȘcher Teva de commercialiser au Royaume-Uni, sans son accord, une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril composĂ© de la forme cristalline alpha de l’erbumine.

298 Or, Servier reproche au Tribunal une dĂ©naturation de la clause d’approvisionnement exclusif et de la clause de non-commercialisation. Contrairement Ă  ce qu’il ressortirait des points 662 et 663 de l’arrĂȘt attaquĂ©, ces clauses, premiĂšrement, n’auraient couvert que la version du pĂ©rindopril composĂ©e de la forme cristalline alpha de l’erbumine, de sorte que Teva serait demeurĂ©e libre d’acheter d’autres formes de pĂ©rindopril auprĂšs de tiers ainsi que de les commercialiser et, deuxiĂšmement, la portĂ©e de ces clauses n’aurait pas dĂ©passĂ© le champ d’application des brevets de Servier.

299 À cet Ă©gard, s’agissant du point 663 de l’arrĂȘt attaquĂ©, il ressort du point 6 de cet arrĂȘt que le brevet 947 concerne spĂ©cifiquement la version du pĂ©rindopril composĂ©e de la forme cristalline alpha de l’erbumine et ses procĂ©dĂ©s de fabrication, sans que ledit arrĂȘt contienne d’autres explications mettant en doute cette circonstance. Or, il rĂ©sulte des termes de l’accord Teva que les clauses de non-commercialisation et d’approvisionnement exclusif de celui-ci s’appliquaient Ă©galement au seul pĂ©rindopril composĂ© de la forme cristalline alpha de l’erbumine, lequel tombait donc nĂ©cessairement dans le champ d’application de ce brevet. Ainsi, la constatation opĂ©rĂ©e au point 663 de l’arrĂȘt attaquĂ©, selon laquelle ces clauses s’étendaient au-delĂ  du champ d’application des brevets de Servier visĂ©s par l’accord Teva, repose sur une dĂ©naturation de cet accord.

300 Toutefois, le Tribunal a pris en compte correctement et sans Ă©quivoque la limitation de l’application desdites clauses au pĂ©rindopril composĂ© de la forme cristalline alpha de l’erbumine dans le cadre de son analyse de l’objet des mĂȘmes clauses d’un point de vue concurrentiel, aux points 665 et 666 de l’arrĂȘt attaquĂ©. Il ressort donc d’une lecture d’ensemble des points 662, 665 et 666 de cet arrĂȘt que le Tribunal n’a commis aucune dĂ©naturation Ă  cet Ă©gard. Par ailleurs, ainsi que Mme l’avocate gĂ©nĂ©rale l’a relevĂ© au point 175 de ses conclusions, le Tribunal a Ă©cartĂ© l’argumentation de Servier comme Ă©tant dĂ©pourvue de pertinence au motif que la forme du pĂ©rindopril que Teva envisageait de commercialiser, Ă  la date de la signature de l’accord Teva, Ă©tait prĂ©cisĂ©ment celle qui faisait l’objet des clauses de non-commercialisation et d’approvisionnement exclusif figurant dans cet accord. Dans ces conditions, la circonstance que le champ d’application de ces clauses Ă©tait limitĂ© Ă  cette forme de pĂ©rindopril ne remet pas en cause leur caractĂšre restrictif de la concurrence tel qu’analysĂ© par le Tribunal. Ainsi, la dĂ©naturation desdites clauses constatĂ©e au point 299 du prĂ©sent arrĂȘt n’infirme pas la conclusion tirĂ©e par le Tribunal quant au caractĂšre anticoncurrentiel de celles-ci et porte, en dĂ©finitive, sur un motif surabondant de l’arrĂȘt attaquĂ©. De mĂȘme, l’argument de Servier relatif au caractĂšre prĂ©tendument usuel des mĂȘmes clauses ne saurait prospĂ©rer, car il ne remet aucunement en cause ce caractĂšre anticoncurrentiel.

301 Pour le surplus, il y a lieu de rejeter les autres arguments de Servier relatifs Ă  la prĂ©tendue absence de nocivitĂ© des clauses de non-contestation et de non-commercialisation dans la mesure oĂč, ainsi que la Commission le fait valoir, ils visent, en rĂ©alitĂ©, Ă  contester les apprĂ©ciations portĂ©es par le Tribunal sur les preuves qui lui Ă©taient soumises ainsi que sur les Ă©lĂ©ments factuels pertinents aux fins de l’interprĂ©tation de l’accord Teva.

d) Sur le paiement inversé

1) Argumentation des parties

302 À titre liminaire, Servier rĂ©itĂšre que la stipulation, dans un accord de rĂšglement amiable de litiges en matiĂšre de brevets, d’un paiement inversĂ©, n’est pas, en soi, anticoncurrentielle. Il en irait de mĂȘme, Ă  plus forte raison, lorsque ce type de paiement est prĂ©vu dans le cadre d’un accord d’approvisionnement tel que l’accord Teva. Servier renvoie Ă  cet Ă©gard Ă  son argumentation exposĂ©e dans le cadre de la troisiĂšme branche du premier moyen, rĂ©sumĂ©e aux points 139 et 140 du prĂ©sent arrĂȘt.

303 S’agissant de la clause d’indemnitĂ© forfaitaire prĂ©vue par l’accord Teva, Servier soutient que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit aux points 660 et 699 de l’arrĂȘt attaquĂ© en considĂ©rant que cette indemnitĂ© faisait partie du paiement inversĂ© sur le fondement duquel cet accord avait Ă©tĂ© qualifiĂ© de restriction de la concurrence par objet. Le Tribunal aurait Ă  tort Ă©cartĂ©, au point 685 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le caractĂšre usuel de ce type de clause. Quand bien mĂȘme ladite indemnitĂ© aurait visĂ© Ă  compenser Teva en contrepartie de sa renonciation Ă  entrer sur le marchĂ© du pĂ©rindopril, cela ne suffirait pas Ă  la qualifier de paiement inversĂ©. En effet, ladite indemnitĂ© forfaitaire serait liĂ©e non pas au rĂšglement amiable de litiges en matiĂšre de brevets, mais Ă  l’inexĂ©cution de l’obligation d’approvisionnement exclusif prĂ©vue par l’accord Teva. Par nature, le paiement d’une telle indemnitĂ© forfaitaire Ă©tait incertain. DĂšs lors, cette indemnitĂ© n’aurait pas dĂ» ĂȘtre prise en compte dans le cadre de la comparaison avec les coĂ»ts inhĂ©rents au rĂšglement amiable de litiges en matiĂšre de brevets.

304 Quant au paiement de la somme de 5 millions de GBP Ă  Teva, Servier renvoie Ă  son argumentation dans le cadre du premier moyen, pour contester la pertinence de ce paiement aux fins de la qualification de restriction de la concurrence par objet. Selon Servier, ledit paiement visait Ă  couvrir les coĂ»ts supportĂ©s par Teva en raison de la rĂ©siliation de ses accords avec Hetero et avec Alembic Pharmaceuticals Ltd de la fabrication d’une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril, de la destruction des stocks existants ainsi que des frais de justice. Or, ces coĂ»ts dĂ©couleraient directement de l’accord Teva.

305 Servier reproche au Tribunal d’avoir dĂ©naturĂ© ses arguments relatifs Ă  la cause du paiement d’un montant de 5 millions de GBP, en ayant affirmĂ©, au point 697 de l’arrĂȘt attaquĂ©, qu’elle avait soutenu que ce paiement visait Ă  « sĂ©curiser » la clause d’approvisionnement exclusif prĂ©vue par l’accord Teva, alors qu’elle avait fait valoir que cet accord avait pour but, de son point de vue, de s’assurer les services de Teva comme distributeur de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques au Royaume-Uni. Or, le Tribunal aurait omis de vĂ©rifier cet Ă©lĂ©ment.

306 La Commission conteste tant la recevabilité que le bien-fondé de cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

307 L’argument selon lequel les paiements de Servier en faveur de Teva ne devraient pas ĂȘtre assimilĂ©s Ă  un paiement inversĂ© au motif que l’accord Teva est non pas un accord de rĂšglement amiable, mais un accord d’approvisionnement exclusif, ne saurait ĂȘtre accueilli. En effet, cette circonstance ne change rien au fait que, ainsi qu’il ressort des points 290 Ă  300 du prĂ©sent arrĂȘt, cet accord contenait des restrictions de la concurrence par objet et, partant, ainsi qu’il est rappelĂ©, notamment, au point 272 du prĂ©sent arrĂȘt, le fait pour Servier de verser des sommes d’argent en contrepartie de l’acceptation de ces restrictions par Teva est susceptible de constituer un tel paiement.

308 Par ailleurs, pour relever de l’interdiction prĂ©vue Ă  l’article 101, paragraphe 1, TFUE, une pratique collusoire doit remplir diverses conditions dĂ©pendant non pas de la nature juridique de cette pratique ou des instruments juridiques destinĂ©s Ă  la mettre en Ɠuvre, mais de ses rapports avec le jeu de la concurrence, ainsi qu’il est rappelĂ© au point 292 du prĂ©sent arrĂȘt. L’application de cette disposition reposant sur l’évaluation des rĂ©percussions Ă©conomiques de la pratique en cause, ladite disposition ne saurait ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme instituant quelque prĂ©jugĂ© que ce soit Ă  l’égard d’une catĂ©gorie d’accords dĂ©terminĂ©e par sa nature juridique, tout accord devant ĂȘtre apprĂ©ciĂ© au regard de son contenu spĂ©cifique et de son contexte Ă©conomique, et notamment Ă  la lumiĂšre de la situation du marchĂ© concernĂ© (voir, en ce sens, arrĂȘts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, EU:C:1966:38, p. 358, ainsi que du 17 novembre 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries/Commission, 142/84 et 156/84, EU:C:1987:490, point 40). Au demeurant, l’effectivitĂ© du droit de la concurrence de l’Union serait gravement compromise si les parties Ă  des accords anticoncurrentiels pouvaient se soustraire Ă  l’application de l’article 101 TFUE simplement en faisant prendre certaines formes Ă  ces accords.

309 Les arguments par lesquels Servier allĂšgue que ni le paiement initial d’un montant de 5 millions de GBP ni l’indemnitĂ© forfaitaire d’un montant de 5,5 millions de GBP ne doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme faisant partie d’un paiement inversĂ© doivent Ă©galement ĂȘtre rejetĂ©s. En effet, ainsi qu’il ressort des points 161 Ă  167 du prĂ©sent arrĂȘt, il y a lieu de vĂ©rifier si le solde net positif de ces transferts peut se justifier de maniĂšre intĂ©grale par la nĂ©cessitĂ© de compenser des frais ou des dĂ©sagrĂ©ments liĂ©s Ă  ce litige et, si tel n’est pas le cas, d’apprĂ©cier si ce solde positif net de ces transferts de valeur Ă©tait suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques Ă  renoncer Ă  entrer sur le marchĂ© concernĂ©.

310 Or, il rĂ©sulte d’une lecture des points 687 Ă  699 de l’arrĂȘt attaquĂ© que le Tribunal a analysĂ© de maniĂšre circonstanciĂ©e la question de savoir si les deux paiements en cause Ă©taient nĂ©cessaires, conformĂ©ment aux conditions qui dĂ©coulent de la jurisprudence rappelĂ©e aux points 161 Ă  167 du prĂ©sent arrĂȘt, et celle de savoir si ces deux paiements, eu Ă©gard notamment Ă  leur importance, avaient incitĂ© Teva Ă  accepter les restrictions de la concurrence prĂ©vues dans l’accord Teva. Servier n’étant pas parvenue Ă  prĂ©senter des Ă©lĂ©ments susceptibles de remettre en cause les constatations opĂ©rĂ©es par la Commission dans la dĂ©cision litigieuse, le Tribunal a, au terme des considĂ©rations Ă©noncĂ©es aux points 687 Ă  699 de l’arrĂȘt attaquĂ©, jugĂ© sans commettre d’erreur de droit que la somme de 10,5 millions de GBP que Servier a versĂ©e Ă  Teva avait incitĂ© cette derniĂšre Ă  renoncer Ă  entrer sur le marchĂ©.

311 L’argumentation de Servier relative au paiement inversĂ© doit donc ĂȘtre rejetĂ©e, ainsi que le quatriĂšme moyen dans son ensemble.

E. Sur le cinquiùme moyen, relatif à l’accord Lupin

312 Par son cinquiĂšme moyen, Servier conteste les apprĂ©ciations portĂ©es par le Tribunal sur l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE Ă  l’accord Lupin. Ce moyen comporte trois branches.

1. Sur la premiĂšre branche, relative Ă  la concurrence potentielle

a) Argumentation des parties

313 Par la premiĂšre branche de son cinquiĂšme moyen, Servier reproche au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit dans l’application du critĂšre juridique permettant de qualifier Lupin de concurrent potentiel et renvoie, Ă  cet Ă©gard, Ă  son argumentation dĂ©veloppĂ©e dans le cadre de son deuxiĂšme moyen.

314 En premier lieu, Servier soutient que l’arrĂȘt attaquĂ© est entachĂ© de plusieurs dĂ©naturations.

315 S’agissant des faits, le Tribunal aurait, d’une part, affirmĂ©, aux points 729 et 730 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que, aprĂšs la dĂ©cision de l’OEB du 27 juillet 2006, les Ă©lĂ©ments de preuve figurant au dossier ne mentionnent ni mĂȘme ne suggĂšrent que Lupin avait envisagĂ© de renoncer Ă  contester la validitĂ© du brevet 947. Or, cette affirmation serait inexacte et le Tribunal aurait commis une dĂ©naturation des faits Ă  cet Ă©gard. Lupin aurait interjetĂ© appel de cette dĂ©cision et introduit une demande d’invalidation du brevet 947 auprĂšs d’une juridiction au Royaume-Uni qui a Ă©tĂ© jointe Ă  celles d’Apotex et de Krka, mais elle n’était pas confiante en ses chances de succĂšs, contrairement Ă  ce qui ressortirait du considĂ©rant 1016 de la dĂ©cision litigieuse.

316 D’autre part, le Tribunal aurait dĂ©naturĂ© les faits en considĂ©rant, aux points 748 et 749 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que Lupin Ă©tait, Ă  la date de conclusion de l’accord Lupin, engagĂ©e dans des nĂ©gociations avancĂ©es avec des partenaires commerciaux pour la distribution d’une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril. Servier considĂšre toutefois que ces nĂ©gociations Ă©taient limitĂ©es et n’ont jamais abouti.

317 Le Tribunal aurait Ă©galement dĂ©naturĂ© la requĂȘte en premiĂšre instance en affirmant, au point 736 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que Servier ne contestait pas, s’agissant de Lupin, les critĂšres d’apprĂ©ciation appliquĂ©s par la Commission pour Ă©tablir l’existence d’une concurrence potentielle.

318 En second lieu, Servier reproche au Tribunal de ne pas avoir suffisamment pris en considération la situation brevetaire et commerciale à laquelle Lupin était confrontée.

319 S’agissant de la situation brevetaire, au point 728 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal aurait Ă  tort jugĂ© que la perception par Lupin de cette situation n’était pertinente que pour apprĂ©cier l’intention de cette entreprise d’entrer sur le marchĂ©.

320 S’agissant des difficultĂ©s commerciales, Servier reproche au Tribunal d’avoir considĂ©rĂ©, au point 749 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que Lupin avait des possibilitĂ©s rĂ©elles et concrĂštes de commercialiser sa version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril dans toute l’Union, alors qu’elle n’était prĂ©sente qu’au Royaume-Uni. À cet Ă©gard, Servier reproche au Tribunal d’avoir dĂ©naturĂ© son argumentation en affirmant qu’elle s’était bornĂ©e Ă  invoquer des obstacles commerciaux insurmontables, alors qu’elle avait relevĂ© que Lupin, faute de disposer de partenaires commerciaux, ne pouvait pas entrer Ă  brĂšve Ă©chĂ©ance sur le marchĂ©, ce qui aurait Ă©tĂ© ultĂ©rieurement confirmĂ© dans les faits.

321 La Commission conteste cette argumentation.

b) Appréciation de la Cour

322 Force est de constater que, sous couvert d’invoquer l’inexactitude matĂ©rielle de certains faits au regard des piĂšces du dossier ou la dĂ©naturation de preuves, Servier conteste en rĂ©alitĂ© l’apprĂ©ciation de ces faits et de ces preuves par le Tribunal aux points 730, 748 et 749 de l’arrĂȘt attaquĂ©, ce qui ne relĂšve pas de la compĂ©tence de la Cour dans le cadre de la procĂ©dure de pourvoi, conformĂ©ment Ă  la jurisprudence rappelĂ©e au point 58 du prĂ©sent arrĂȘt.

323 S’agissant de l’allĂ©gation selon laquelle le Tribunal aurait dĂ©naturĂ© la requĂȘte en premiĂšre instance de Servier, il importe de relever qu’il ressort des termes clairs et prĂ©cis du point 108 de cette requĂȘte que Servier contestait les critĂšres juridiques appliquĂ©s par la Commission. Servier soutenait en effet que cette institution avait fait une application inexacte de la jurisprudence relative Ă  l’apprĂ©ciation de la concurrence potentielle. En considĂ©rant dans la dĂ©cision litigieuse que l’absence d’obstacles insurmontables rencontrĂ©s par les fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques Ă©quivalait Ă  admettre l’existence de possibilitĂ©s rĂ©elles et concrĂštes d’intĂ©grer le marchĂ©, la Commission aurait vidĂ© de leur substance les termes « rĂ©elles et concrĂštes » et « retenu un critĂšre juridique contraire Ă  la jurisprudence ».

324 Toutefois, abstraction faite de cette dĂ©naturation, force est de constater que le Tribunal ne s’est pas bornĂ© Ă  examiner la seule question de l’existence d’éventuels obstacles insurmontables Ă  une entrĂ©e de Lupin sur le marchĂ©, mais a Ă©galement examinĂ© en dĂ©tail, plus particuliĂšrement aux points 718 Ă  724 de l’arrĂȘt attaquĂ©, les dĂ©marches prĂ©paratoires entreprises par cette entreprise en vue d’une entrĂ©e sur le marchĂ© et permettant de conclure, conformĂ©ment Ă  ce qui est jugĂ© aux points 79, 80 et 104 Ă  111 du prĂ©sent arrĂȘt, que Lupin avait l’intention, la capacitĂ© et, partant, des possibilitĂ©s rĂ©elles et concrĂštes d’effectuer une telle entrĂ©e. En outre, conformĂ©ment Ă  ce qui est jugĂ© aux points 118, 120 et 121 du prĂ©sent arrĂȘt, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en jugeant, pour les motifs exposĂ©s aux points 736 Ă  743 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que les arguments de Servier relatifs aux difficultĂ©s rencontrĂ©es par Lupin dans le cadre des procĂ©dures d’autorisation de mise sur le marchĂ© n’étaient pas de nature Ă  remettre en cause sa qualitĂ© de concurrent potentiel. La dĂ©naturation ainsi constatĂ©e est donc sans incidence sur la validitĂ© du dispositif de l’arrĂȘt attaquĂ©.

325 Par ailleurs, il y a lieu de constater que les arguments de Servier concernant l’apprĂ©ciation de la situation brevetaire Ă  l’égard de Lupin font abstraction du fait que le Tribunal a bien pris en compte les obstacles brevetaires et reposent, dans cette mesure, sur une lecture erronĂ©e de l’arrĂȘt attaquĂ©. En effet, ainsi qu’il est relevĂ© au point 108 du prĂ©sent arrĂȘt, le Tribunal n’a pas considĂ©rĂ©, notamment au point 728 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que la perception par un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques de la force d’un brevet Ă©tait totalement dĂ©nuĂ©e de pertinence pour apprĂ©cier l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre Servier, d’une part, et Lupin, d’autre part, mais que cette perception pouvait ĂȘtre pertinente uniquement pour dĂ©terminer si Lupin avait l’intention d’entrer sur le marchĂ© et non pas pour apprĂ©cier sa capacitĂ© d’effectuer une telle entrĂ©e. Or, ainsi qu’il est jugĂ© aux points 107 Ă  111 du prĂ©sent arrĂȘt, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit Ă  cet Ă©gard. Ces arguments doivent donc ĂȘtre rejetĂ©s.

326 Quant aux griefs de Servier relatifs aux obstacles rĂ©glementaires et commerciaux auxquels Lupin devait faire face, notamment ceux liĂ©s Ă  la nĂ©cessitĂ© de trouver des partenaires commerciaux, ainsi qu’à la prĂ©tendue dĂ©naturation de l’argumentation de premiĂšre instance de Servier concernant de telles difficultĂ©s commerciales, Servier cherche en rĂ©alitĂ© Ă  remettre en cause des apprĂ©ciations factuelles, effectuĂ©es par le Tribunal aux points 736 Ă  742 et 744 Ă  749 de l’arrĂȘt attaquĂ©, ce qui ne relĂšve pas de la compĂ©tence de la Cour dans le cadre de la procĂ©dure de pourvoi, conformĂ©ment Ă  la jurisprudence rappelĂ©e au point 58 du prĂ©sent arrĂȘt.

327 Il s’ensuit que la premiĂšre branche du cinquiĂšme moyen doit ĂȘtre rejetĂ©e.

2. Sur la deuxiĂšme branche, relative Ă  la qualification de restriction de la concurrence par objet

328 Par la deuxiĂšme branche de son cinquiĂšme moyen, Servier, en rĂ©itĂ©rant l’argumentation dĂ©veloppĂ©e dans le cadre de son premier moyen, reproche au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit en qualifiant l’accord Lupin de restriction de la concurrence par objet.

a) Sur le paiement inversé

1) Argumentation des parties

329 Tout en se rĂ©fĂ©rant Ă  l’argumentation dĂ©veloppĂ©e dans le cadre de son premier moyen, Servier conteste le raisonnement du Tribunal selon lequel un accord commercial concomitant Ă  un accord de rĂšglement amiable de litiges en matiĂšre de brevets constitue un paiement inversĂ© rendant cet accord de rĂšglement amiable anticoncurrentiel par objet lorsque ledit accord n’a pas Ă©tĂ© conclu aux conditions de marchĂ©.

330 Servier s’oppose Ă  la constatation opĂ©rĂ©e par le Tribunal, au point 827 de l’arrĂȘt attaquĂ©, selon laquelle le versement d’une somme de 40 millions d’euros Ă  Lupin constituait un paiement inversĂ©. La comparaison effectuĂ©e par le Tribunal, au point 816 de l’arrĂȘt attaquĂ©, entre cette somme et les profits escomptĂ©s par Lupin ne serait pas pertinente dĂšs lors que ladite somme reprĂ©senterait la contrepartie de brevets et que Lupin aurait non pas renoncĂ© Ă  entrer sur le marchĂ©, mais soumis cette entrĂ©e au respect de certaines conditions. Quand bien mĂȘme la mĂȘme somme aurait excĂ©dĂ© la valeur des profits rĂ©alisĂ©s par Lupin au cours de deux annĂ©es, la Commission n’aurait pas Ă©tabli que cette valeur Ă©tait suffisante pour inciter Lupin Ă  renoncer indĂ©finiment Ă  entrer sur le marchĂ© du pĂ©rindopril.

331 La Commission conteste cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

332 Il y a lieu de relever que l’argumentation de Servier consiste, en substance, Ă  faire valoir que, Ă  la diffĂ©rence de ce qu’aurait jugĂ© le Tribunal, le versement d’une somme de 40 millions d’euros qu’elle a effectuĂ© en faveur de Lupin en Ă©change de la cession des droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle relatifs Ă  trois demandes de brevets ne constitue pas un paiement inversĂ©, mais la contrepartie lĂ©gitime de l’acquisition de ces droits.

333 À cet Ă©gard, il convient de rappeler que, si, ainsi qu’il ressort des points 163 et 166 du prĂ©sent arrĂȘt, des montants correspondant Ă  une rĂ©munĂ©ration pour la fourniture de biens ou de services au fabricant de mĂ©dicaments princeps peuvent s’avĂ©rer justifiĂ©s, tel n’est pas le cas s’ils sont excessifs et, partant, non nĂ©cessaires Ă  cette fin. Dans cette hypothĂšse, ainsi qu’il est jugĂ© au point 165 du prĂ©sent arrĂȘt, il y a lieu de vĂ©rifier si le solde net positif de ces montants, y compris d’éventuels frais justifiĂ©s, est suffisamment important pour inciter effectivement un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques Ă  renoncer Ă  entrer sur le marchĂ© concernĂ©, sans qu’il soit requis que ce solde soit nĂ©cessairement supĂ©rieur aux bĂ©nĂ©fices qu’il aurait rĂ©alisĂ©s s’il avait obtenu gain de cause dans la procĂ©dure en matiĂšre de brevets qui a Ă©tĂ© rĂ©glĂ©e Ă  l’amiable.

334 En l’espĂšce, le Tribunal a constatĂ©, en substance, aux points 814 Ă  824 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que le paiement par Servier d’une somme de 40 millions d’euros Ă  Lupin en contrepartie de la cession de trois demandes de brevets dĂ©posĂ©es par cette derniĂšre devait ĂȘtre pris en compte parmi les transferts de valeur permettant de dĂ©terminer l’existence d’un paiement inversĂ© constituant la contrepartie de la renonciation de Lupin Ă  entrer sur le marchĂ©. À cet Ă©gard, le Tribunal a constatĂ©, au point 825 de cet arrĂȘt, que Servier n’était pas parvenue Ă  produire des Ă©lĂ©ments permettant de conclure que ce paiement correspondait Ă  une transaction effectuĂ©e aux conditions normales du marchĂ©. Estimant ainsi, en substance, que la technologie cĂ©dĂ©e ne justifiait pas l’importance d’un tel montant, le Tribunal a conclu, au point 827 dudit arrĂȘt, au caractĂšre incitatif dudit paiement dans le contexte du rĂšglement amiable des litiges en matiĂšre de brevets opposant Servier Ă  Lupin. Or, eu Ă©gard aux critĂšres rappelĂ©s au point prĂ©cĂ©dent du prĂ©sent arrĂȘt, ces apprĂ©ciations du Tribunal ne sont entachĂ©es d’aucune erreur de droit.

335 En l’absence d’erreurs de droit invoquĂ©es par Servier permettant de remettre en cause la validitĂ© de ces apprĂ©ciations portĂ©es par le Tribunal, il convient, pour le surplus, de rejeter l’argumentation de Servier dans la mesure oĂč celle-ci vise, en rĂ©alitĂ©, Ă  demander Ă  la Cour de procĂ©der Ă  une nouvelle apprĂ©ciation des faits et des preuves, ce qui ne relĂšve pas de sa compĂ©tence dans le cadre de la procĂ©dure de pourvoi, conformĂ©ment Ă  la jurisprudence rappelĂ©e au point 58 du prĂ©sent arrĂȘt.

336 L’argumentation de Servier doit, dĂšs lors, ĂȘtre rejetĂ©e.

b) Sur la nocivitĂ© des clauses de l’accord Lupin

1) Argumentation des parties

337 S’agissant de la clause de non-contestation prĂ©vue par l’accord Lupin, Servier reproche au Tribunal d’avoir, au point 836 de l’arrĂȘt attaquĂ©, considĂ©rĂ© que cette clause constituait une restriction Ă©vidente de la concurrence, sans examiner le contexte dans lequel s’inscrivait ladite clause. De l’avis de Servier, l’accord Lupin n’a pas eu d’effet sur la contestation de la validitĂ© du brevet 947 par des tiers tels qu’Apotex, ce que le Tribunal aurait d’ailleurs relevĂ© Ă  l’égard des accords conclus entre Servier et Krka. S’agissant des autres brevets de Servier, cette derniĂšre affirme que Lupin n’avait ni l’intention ni la capacitĂ© de les contester, ce que le Tribunal aurait omis d’examiner.

338 S’agissant de la clause de non-commercialisation prĂ©vue par l’accord Lupin, Servier conteste que celle-ci ait pu limiter la concurrence. Le Tribunal, aux points 843 et 844 de l’arrĂȘt attaquĂ©, aurait omis de prendre en compte le contexte de cette clause, dont il ressortirait que l’entrĂ©e de Lupin sur le marchĂ© au Royaume-Uni Ă©tait bloquĂ©e par le brevet 947 et les injonctions judiciaires obtenues par Servier ainsi que par le fait que Lupin ne disposait, dans cet ancien État membre, ni d’autorisations de mise sur le marchĂ© ni de partenaires commerciaux.

339 En revanche, l’accord Lupin aurait prĂ©vu que Lupin conservait la possibilitĂ© d’entrer sur le marchĂ© du pĂ©rindopril couvert par les brevets de Servier, Ă  la condition que cette derniĂšre ait prĂ©alablement autorisĂ© un tiers Ă  entrer sur ce marchĂ© au moyen d’une licence de ses brevets. Or, une telle possibilitĂ© d’entrĂ©e anticipĂ©e s’opposerait Ă  la qualification de l’accord Lupin de restriction de la concurrence par objet. Au point 954 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal aurait expressĂ©ment reconnu que les effets anticoncurrentiels d’une clause de non-commercialisation pouvaient ĂȘtre neutralisĂ©s par l’octroi d’une licence de brevet.

340 Cependant, le Tribunal aurait exclu, au point 852 de l’arrĂȘt attaquĂ©, une telle possibilitĂ© en raison du caractĂšre incertain d’une telle entrĂ©e anticipĂ©e. Une telle raison ne figurerait pas dans la dĂ©cision litigieuse. Servier soutient que, en substituant ainsi ses propres motifs Ă  ceux de la Commission, le Tribunal a mĂ©connu la limite de ses compĂ©tences et violĂ© le principe du contradictoire. En tout Ă©tat de cause, ces motifs seraient manifestement erronĂ©s et dĂ©natureraient les faits.

341 S’agissant de la clause envisageant la conclusion d’un accord d’approvisionnement en pĂ©rindopril, Servier soutient qu’elle est proconcurrentielle, contrairement Ă  ce que le Tribunal a jugĂ© aux points 858 et 859 de l’arrĂȘt attaquĂ©, puisque cette clause permettait Ă  Lupin d’entrer sur le marchĂ© du pĂ©rindopril. Ce caractĂšre proconcurrentiel ne serait remis en cause ni par le fait que l’engagement de Servier de conclure un accord d’approvisionnement avec Lupin Ă©tait soumis Ă  des conditions, ni par le fait qu’aucun accord de ce type n’a finalement Ă©tĂ© conclu. Quant Ă  l’absence de sanction explicite en cas d’inexĂ©cution de cet engagement, Servier souligne qu’un tel motif Ă©tait absent de la dĂ©cision litigieuse. Servier fait valoir que la seule raison pour laquelle aucun accord d’approvisionnement n’a Ă©tĂ© conclu en dĂ©finitive provient du fait que Lupin est parvenue Ă  obtenir une autorisation de mise sur le marchĂ© pour son pĂ©rindopril.

342 S’agissant de la clause de cession et de licence prĂ©vue par l’accord Lupin, Servier estime qu’elle pouvait ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme Ă©tant une licence implicite sur ses propres brevets, clause dont les effets seraient proconcurrentiels. Servier reproche au Tribunal d’avoir Ă©cartĂ© cet argument au motif que le contenu de cette clause Ă©tait obscur et incertain. Or, le premier de ces motifs, relatif au caractĂšre obscur du contenu de ladite clause, serait non fondĂ© et ne figurerait pas dans la dĂ©cision litigieuse. Le second desdits motifs, pris du caractĂšre incertain de la possibilitĂ© que Servier octroie une licence de brevet Ă  Lupin en raison des conditions rappelĂ©es au point 339 du prĂ©sent arrĂȘt, ne remettrait pas en cause la nature proconcurrentielle de la clause de cession et de licence.

343 La Commission conteste cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

344 Le Tribunal a constatĂ©, aux points 836 et 837 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que le caractĂšre restrictif de la concurrence de la clause de non-contestation prĂ©vue par l’accord Lupin Ă©tait « Ă©vident », dans la mesure oĂč cette clause prĂ©voyait que Lupin Ă©tait tenue de renoncer Ă  contester dans tous les États membres de l’EEE la validitĂ© des brevets de Servier protĂ©geant le pĂ©rindopril.

345 Aux points 839 Ă  864 de cet arrĂȘt, le Tribunal a constatĂ© que la clause de non-commercialisation prĂ©vue par l’accord Lupin interdisait Ă  Lupin de commercialiser une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril sur tout marchĂ© national couvert par cet accord, sauf dans trois hypothĂšses : premiĂšrement, lorsque les brevets de Servier arrivaient Ă  expiration, Ă©taient dĂ©clarĂ©s invalides ou Ă©taient rĂ©voquĂ©s, deuxiĂšmement, si Servier autorisait la commercialisation par un tiers d’une version gĂ©nĂ©rique produite par elle ou, troisiĂšmement, si Servier renonçait Ă  demander ou ne parvenait pas Ă  obtenir une injonction contre un tiers commercialisant une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril qui n’était pas produite par elle.

346 Le Tribunal a considĂ©rĂ© que, malgrĂ© les ambiguĂŻtĂ©s de certaines clauses de l’accord Lupin sur la question de savoir si la portĂ©e de cet accord s’étendait Ă  d’autres formes du pĂ©rindopril que celle composĂ©e de la forme cristalline alpha de l’erbumine visĂ©e par le brevet 947, la consĂ©quence pratique de ces clauses Ă©tait d’interdire Ă  Lupin d’entrer sur le marchĂ© du pĂ©rindopril aussi longtemps que les brevets de Servier demeuraient en vigueur, Ă  moins que Servier n’ait prĂ©alablement autorisĂ© l’entrĂ©e de tiers sur ce marchĂ© ou que ces brevets ne permettent pas Ă  Servier de s’opposer Ă  une telle entrĂ©e.

347 Aux points 858 Ă  860 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal a Ă©cartĂ© la pertinence du fait que l’accord Lupin prĂ©voyait l’adoption future d’un accord d’approvisionnement entre Servier et Lupin, en substance, parce que Servier n’était pas obligĂ©e de conclure un tel accord et que l’absence d’une telle adoption n’emporterait pas de consĂ©quences juridiques importantes pour les parties.

348 Pour les motifs Ă©noncĂ©s aux points 865 Ă  887 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal a jugĂ© que les restrictions ainsi apportĂ©es au comportement de Lupin avaient pu valablement ĂȘtre qualifiĂ©es par la Commission de restriction de la concurrence par objet.

349 Par son argumentation, Servier soutient que les clauses de non-contestation, de non-commercialisation, de cession et de licence, ainsi que celle envisageant la conclusion d’un accord d’approvisionnement, prĂ©vues par l’accord Lupin, n’étaient pas anticoncurrentielles. Il y a lieu de constater que cette argumentation ne tient pas compte de la jurisprudence rappelĂ©e au point 83 du prĂ©sent arrĂȘt dont il ressort que le critĂšre permettant de vĂ©rifier si un accord tel que l’accord Lupin constitue une restriction de la concurrence par objet consiste Ă  vĂ©rifier si les transferts de valeur du fabricant de mĂ©dicaments princeps au profit du fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques constituent la contrepartie de la renonciation, par ce dernier, Ă  entrer sur le marchĂ© concernĂ©. Or, ainsi qu’il ressort des points 332 Ă  336 du prĂ©sent arrĂȘt, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugĂ© que l’accord Lupin prĂ©voyait un paiement inversĂ© d’un montant de 40 millions d’euros.

350 Il ressort, en outre, du point 293 du prĂ©sent arrĂȘt que des accords de rĂšglement amiable par lesquels un fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques candidat Ă  l’entrĂ©e sur un marchĂ© reconnaĂźt, au moins temporairement, la validitĂ© d’un brevet dĂ©tenu par un fabricant de mĂ©dicaments princeps et s’engage, de ce fait, Ă  ne pas la contester, pas plus qu’à entrer sur ce marchĂ©, sont susceptibles d’emporter des effets restrictifs de concurrence, dĂšs lors que la contestation de la validitĂ© et de la portĂ©e d’un brevet fait partie du jeu normal de la concurrence dans les secteurs dans lesquels existent des droits d’exclusivitĂ© sur des technologies [arrĂȘt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 81]. Par ailleurs, le fait pour un accord de limiter les possibilitĂ©s pour un concurrent potentiel de livrer concurrence au titulaire d’un brevet sans, toutefois, exclure toute possibilitĂ© d’une concurrence de la part de ce concurrent ne saurait infirmer la conclusion selon laquelle un tel accord constitue une restriction de la concurrence par objet.

351 Ainsi, le Tribunal n’ayant commis aucune erreur de droit dans les motifs de l’arrĂȘt attaquĂ© rĂ©sumĂ©s aux points 344 Ă  348 du prĂ©sent arrĂȘt, cette argumentation doit ĂȘtre rejetĂ©e.

352 Pour le surplus, s’agissant des arguments de Servier rĂ©sumĂ©s aux points 339 Ă  342 du prĂ©sent arrĂȘt, relatifs aux effets prĂ©tendument proconcurrentiels de l’accord Lupin, il suffit de rappeler que, conformĂ©ment Ă  la jurisprudence citĂ©e aux points 73, 76 et 77 du prĂ©sent arrĂȘt, de tels effets ne sont pas pertinents dans le cadre de l’examen de l’existence d’une restriction de la concurrence par objet.

c) Sur le champ d’application de l’accord Lupin

1) Argumentation des parties

353 Servier conteste l’apprĂ©ciation du Tribunal, effectuĂ©e aux points 875 Ă  877 de l’arrĂȘt attaquĂ©, selon laquelle la Commission Ă©tait fondĂ©e Ă  considĂ©rer que le champ d’application des clauses restrictives de la concurrence prĂ©vues par l’accord Lupin s’étendait Ă  d’autres produits que le pĂ©rindopril composĂ© de la forme cristalline alpha de l’erbumine visĂ©e par le brevet 947, lequel faisait l’objet des litiges qui ont Ă©tĂ© rĂ©glĂ©s Ă  l’amiable par cet accord, et pouvait, en consĂ©quence, justifier la qualification dudit accord de restriction de la concurrence par objet.

354 En souscrivant ainsi Ă  l’interprĂ©tation de l’accord Lupin la plus dĂ©favorable Ă  Servier, le Tribunal aurait violĂ© le principe de la prĂ©somption d’innocence ainsi que la jurisprudence selon laquelle l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter Ă  l’entreprise destinataire de la dĂ©cision constatant une infraction.

355 Servier soutient en outre que l’apprĂ©ciation, au point 877 de l’arrĂȘt attaquĂ©, selon laquelle des clauses de non-commercialisation et de non-contestation prĂ©vues dans un accord de rĂšglement amiable de litiges en matiĂšre de brevets peuvent ĂȘtre qualifiĂ©es de restriction de la concurrence par objet au seul motif qu’elles excĂšdent le champ d’application d’un « brevet distinctement identifiĂ© » est erronĂ©e en droit. En effet, un accord de ce type pourrait licitement couvrir un ensemble de brevets afin d’éviter des litiges futurs. En l’occurrence, l’accord Lupin n’aurait nullement empĂȘchĂ© Lupin de commercialiser des versions du pĂ©rindopril non contrefaisantes du brevet 947.

356 La Commission conteste cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

357 Au point 877 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal a relevĂ© que la prĂ©sence, dans un accord de rĂšglement amiable d’un litige relatif Ă  un brevet, de clauses de non-contestation et de non-commercialisation dont la portĂ©e s’étend au-delĂ  du champ d’application de ce brevet « prĂ©sente de maniĂšre Ă©vidente un degrĂ© de nocivitĂ© pour le bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence suffisant pour que l’insertion de ces clauses soit qualifiĂ©e de restriction par objet, sans qu’il soit mĂȘme besoin de dĂ©montrer, en sus, l’existence d’une incitation ».

358 Au point 878 de cet arrĂȘt, le Tribunal a exposĂ© que, Ă  supposer mĂȘme que la Commission ait commis une erreur en considĂ©rant que la portĂ©e de l’accord Lupin s’étendait au-delĂ  du champ d’application du brevet 947, une telle erreur ne serait pas susceptible de remettre en cause la constatation par la Commission d’une restriction de la concurrence par objet, dans la mesure oĂč cette constatation repose essentiellement sur l’existence d’un paiement inversĂ© ayant incitĂ© Lupin Ă  renoncer Ă  entrer sur le marchĂ© concernĂ©. Il rĂ©sulte donc de cette apprĂ©ciation, ainsi que du fait que les griefs de Servier visant Ă  contester l’existence d’un tel paiement en l’espĂšce ont Ă©tĂ© rejetĂ©s aux points 329 Ă  336 du prĂ©sent arrĂȘt, que les considĂ©rations exposĂ©es au point 877 de l’arrĂȘt attaquĂ© ont un caractĂšre surabondant. Il s’ensuit que les griefs de Servier dirigĂ©s contre ce point 877 sont inopĂ©rants et doivent ĂȘtre rejetĂ©s.

359 Il rĂ©sulte des Ă©lĂ©ments qui prĂ©cĂšdent que la deuxiĂšme branche du cinquiĂšme moyen doit ĂȘtre rejetĂ©e.

3. Sur la troisiùme branche, relative à la date de fin de l’infraction

a) Argumentation des parties

360 Par la troisiĂšme branche de son cinquiĂšme moyen, Servier reproche au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit concernant la dĂ©termination de la date de fin de l’infraction relative Ă  l’accord Lupin.

361 Servier rappelle qu’elle a contestĂ©, dans le cadre de son recours en premiĂšre instance, la dĂ©termination de cette date en arguant de l’incohĂ©rence et de l’absence de motivation de la dĂ©cision litigieuse Ă  cet Ă©gard. S’agissant de la France, la Commission aurait fixĂ© la fin de l’infraction Ă  la date de l’entrĂ©e d’un autre fabricant de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques, Sandoz AG, sur ce marchĂ© au mois de septembre de l’annĂ©e 2008. En revanche, s’agissant de la Belgique, la RĂ©publique tchĂšque, l’Irlande et la Hongrie, elle aurait Ă©cartĂ© la date de l’entrĂ©e de Sandoz sur ces marchĂ©s et considĂ©rĂ© que ladite infraction avait pris fin avec l’adoption de la dĂ©cision de l’OEB du 6 mai 2009.

362 En ne censurant pas cette incohĂ©rence et cette erreur manifeste d’apprĂ©ciation, le Tribunal aurait commis une erreur de droit. Le Tribunal se serait fondĂ©, au point 898 de l’arrĂȘt attaquĂ©, sur l’ambiguĂŻtĂ© du libellĂ© de l’accord Lupin, et, notamment aux points 899 et 903 de cet arrĂȘt, sur la circonstance que les parties auraient continuĂ© d’appliquer l’accord Lupin aprĂšs l’entrĂ©e de Sandoz sur le marchĂ© du pĂ©rindopril. Or, ces motifs ne figureraient pas dans la dĂ©cision litigieuse. Le Tribunal aurait ainsi substituĂ© ses propres motifs Ă  ceux de la Commission. Or, de l’avis de Servier, les motifs retenus par le Tribunal sont inexacts. Si Lupin n’est pas entrĂ©e sur le marchĂ©, ce serait parce qu’elle n’aurait pas disposĂ© des autorisations requises Ă  cette fin.

363 Servier soutient que, conformĂ©ment aux termes de l’accord Lupin, l’entrĂ©e de Sandoz sur le marchĂ© a eu pour effet de libĂ©rer Lupin de son obligation de non-commercialisation, ainsi qu’il ressort du considĂ©rant 2127 de la dĂ©cision litigieuse s’agissant du marchĂ© en France. Pour la mĂȘme raison, le Tribunal aurait dĂ» reconnaĂźtre que l’entrĂ©e de Sandoz avait Ă©galement eu pour effet de mettre fin Ă  l’infraction relative Ă  l’accord Lupin en Belgique au mois de juillet de l’annĂ©e 2008, en RĂ©publique tchĂšque au mois de janvier de l’annĂ©e 2009, en Irlande au mois de juin de l’annĂ©e 2008 et en Hongrie au mois de dĂ©cembre de l’annĂ©e 2008.

364 Servier demande Ă  la Cour d’annuler l’article 7, paragraphe 5, sous b), de la dĂ©cision litigieuse et de rĂ©duire le montant de l’amende qui lui a Ă©tĂ© infligĂ©e de 37 102 100 euros Ă  34 745 100 euros en consĂ©quence.

365 La Commission conteste cette argumentation.

366 Selon cette institution, l’interprĂ©tation de la clause de non-commercialisation prĂ©vue par l’accord Lupin, qui a Ă©tĂ© exposĂ©e au considĂ©rant 1039 de la dĂ©cision litigieuse, repose sur les dĂ©clarations de Servier. ConformĂ©ment Ă  cette interprĂ©tation, cette clause aurait continuĂ© de produire ses effets aprĂšs l’entrĂ©e sur les marchĂ©s en Belgique, en RĂ©publique tchĂšque, en Irlande et en Hongrie d’une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril produite par Sandoz.

367 AprĂšs le lancement, le 17 septembre 2008, par Sandoz de ce mĂ©dicament qui ne comprenait aucun des cristaux protĂ©gĂ©s par le brevet 947, Lupin aurait demandĂ© Ă  Servier de confirmer s’il pouvait lancer son mĂ©dicament gĂ©nĂ©rique. Dans sa rĂ©ponse du 31 mars 2009, Servier n’aurait pas rĂ©pondu de maniĂšre positive Ă  cette demande. Dans ces conditions, l’entrĂ©e de Lupin sur le marchĂ© ne serait devenue possible qu’à compter de la dĂ©cision de l’OEB du 6 mai 2009.

b) Appréciation de la Cour

368 Par son argumentation, Servier soutient, en substance, que, en refusant de considĂ©rer que l’infraction relative Ă  l’accord Lupin avait pris fin sur les marchĂ©s en Belgique, en RĂ©publique tchĂšque, en Irlande et en Hongrie Ă  la date de l’entrĂ©e sur ces marchĂ©s d’une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril produite par Sandoz, comme elle l’avait fait pour le marchĂ© français, la Commission a entachĂ© la dĂ©cision litigieuse d’une contradiction de motifs et d’une erreur manifeste d’apprĂ©ciation que le Tribunal aurait dĂ» censurer.

369 À cet Ă©gard, il ressort du considĂ©rant 3136 de la dĂ©cision litigieuse que la Commission a considĂ©rĂ© que les infractions Ă  l’article 101 TFUE avaient commencĂ© Ă  la date de conclusion des accords litigieux et pris fin Ă  « la date Ă  partir de laquelle les concurrents gĂ©nĂ©riques [avaient] Ă©tĂ© Ă  mĂȘme d’adopter un comportement concurrentiel ». Selon l’article 5 de cette dĂ©cision, l’infraction relative Ă  l’accord Lupin a dĂ©butĂ© le 30 janvier 2007 et pris fin le 6 mai 2009, date d’adoption de la dĂ©cision par laquelle l’OEB a rĂ©voquĂ© le brevet 947, Ă  l’exception toutefois de cinq marchĂ©s nationaux. Parmi ces marchĂ©s figure le marchĂ© français, pour lequel la Commission a estimĂ© que cette infraction avait pris fin le 16 septembre 2008, date de l’entrĂ©e sur ce marchĂ© d’une version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril produite par Sandoz.

370 Or, au considĂ©rant 410 de la dĂ©cision litigieuse, la Commission a relevĂ© que Sandoz avait lancĂ© son pĂ©rindopril gĂ©nĂ©rique en Belgique au mois de juillet de l’annĂ©e 2008, en RĂ©publique tchĂšque au mois de janvier de l’annĂ©e 2009, en Irlande au mois de juin de l’annĂ©e 2008 et en Hongrie au mois de dĂ©cembre de l’annĂ©e 2008.

371 Dans le cadre d’un moyen de premiĂšre instance relatif aux amendes qui lui avaient Ă©tĂ© infligĂ©es au titre de l’article 101 TFUE, Servier a contestĂ© la durĂ©e de l’infraction relative Ă  l’accord Lupin. Elle faisait valoir que la Commission aurait dĂ», comme elle l’avait fait pour le marchĂ© français, conclure que cette infraction avait pris fin en Belgique, en RĂ©publique tchĂšque, en Irlande et en Hongrie Ă  la date de l’entrĂ©e de Sandoz sur ces marchĂ©s.

372 Le Tribunal a considĂ©rĂ©, au point 894 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que cet accord pouvait ĂȘtre interprĂ©tĂ© en ce sens qu’il permettait « une entrĂ©e sur le marchĂ© de Lupin avec ses propres produits lorsqu’un “produit” gĂ©nĂ©rique qui n’est pas fabriquĂ© par Servier est entrĂ© sur le marchĂ© sans violation d’une injonction et sans qu’une demande d’injonction prĂ©sentĂ©e par Servier ait encore Ă©tĂ© rejetĂ©e ».

373 Toutefois, en raison du libellĂ© ambigu de la dĂ©finition du terme « produit » utilisĂ©e dans l’accord Lupin, le Tribunal a considĂ©rĂ© qu’il n’existait pas de rĂ©ponse claire Ă  la question de savoir si l’entrĂ©e de Sandoz sur un marchĂ© avec un produit qui n’était pas composĂ© de la forme cristalline alpha de l’erbumine protĂ©gĂ©e par le brevet 947 pouvait avoir pour effet de mettre fin aux effets de la clause de non-commercialisation. Selon le Tribunal, ces incertitudes Ă©taient de nature Ă  dissuader Lupin d’entrer sur les marchĂ©s concernĂ©s, et ce malgrĂ© l’arrivĂ©e de la version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril de Sandoz sur ces marchĂ©s.

374 Le Tribunal a considĂ©rĂ©, au point 902 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que « la circonstance que la clause de non-commercialisation [...] soit demeurĂ©e en vigueur, marquant ainsi le maintien d’un accord de volontĂ© entre les parties – Ă©ventuellement en contradiction avec l’interprĂ©tation des conditions d’application de la clause, qui, a posteriori, pourrait ĂȘtre retenue, notamment, par un juge du contrat –, suffisait pour permettre Ă  la Commission de constater que l’accord de volontĂ© entre Servier et Lupin et donc l’infraction se poursuivaient malgrĂ© les entrĂ©es sur le marchĂ© de Sandoz ».

375 Enfin, le Tribunal a relevĂ©, au point 903 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que, « [e]n tout Ă©tat de cause, [...] la clause de non-commercialisation continuait Ă  ĂȘtre appliquĂ©e par Servier et Lupin aprĂšs les entrĂ©es successives de Sandoz sur les quatre marchĂ©s en cause ». Or, la poursuite d’une infraction pouvant ĂȘtre constatĂ©e au-delĂ  de la pĂ©riode pendant laquelle un accord est formellement en vigueur lorsque les entreprises concernĂ©es ont continuĂ© Ă  adopter un comportement interdit, le Tribunal, pour les motifs exposĂ©s aux points 905 et 906 de cet arrĂȘt, a Ă©cartĂ© l’argumentation de Servier.

376 En l’occurrence, ainsi qu’il est rappelĂ© au point 369 du prĂ©sent arrĂȘt, la Commission a retenu, dans la dĂ©cision litigieuse, comme critĂšre pour dĂ©terminer la fin de la pĂ©riode infractionnelle, non pas la date Ă  partir de laquelle les comportements infractionnels avaient cessĂ© en tant que tels, mais « la date Ă  partir de laquelle les concurrents gĂ©nĂ©riques [avaient] Ă©tĂ© Ă  mĂȘme d’adopter un comportement concurrentiel ». Par consĂ©quent, en l’absence de toute indication en sens contraire fournie dans les motifs de l’arrĂȘt attaquĂ©, il y a lieu de considĂ©rer que la situation rĂ©sultant de l’arrivĂ©e sur les marchĂ©s nationaux de la version gĂ©nĂ©rique du pĂ©rindopril produite par Sandoz soulevait, dans tous les marchĂ©s concernĂ©s, la question de savoir si la clause de non-commercialisation concernĂ©e continuait Ă  produire ses effets.

377 Toutefois, le Tribunal n’a apportĂ© aucune explication, dans l’arrĂȘt attaquĂ©, quant aux raisons pour lesquelles le marchĂ© français avait Ă©tĂ© traitĂ© diffĂ©remment, au considĂ©rant 2127 de la dĂ©cision litigieuse, des marchĂ©s belge, tchĂšque, irlandais et hongrois. Certes, le Tribunal a fait Ă©tat, au point 900 de l’arrĂȘt attaquĂ©, d’incertitudes mĂȘme en ce qui concerne le marchĂ© français, quant Ă  la date Ă  laquelle Lupin Ă©tait libre d’entrer sur ce marchĂ© en raison de l’entrĂ©e de Sandoz sur celui-ci, mais il n’en a tirĂ© aucune consĂ©quence en ce qui concerne la date Ă  laquelle l’infraction a pris fin sur ce marchĂ©. Ainsi, l’arrĂȘt attaquĂ© ne permet pas de comprendre pourquoi la Commission n’aurait commis aucune illĂ©galitĂ©, selon le Tribunal, en traitant le marchĂ© français diffĂ©remment des quatre autres marchĂ©s susmentionnĂ©s.

378 En effet, si cette question, liĂ©e Ă  la situation rĂ©sultant de l’arrivĂ©e de Sandoz sur le marchĂ©, se posait donc en des termes comparables en France, en Belgique, en RĂ©publique tchĂšque, en Irlande et en Hongrie, le Tribunal n’a pas accueilli le moyen d’annulation de Servier tirĂ© d’une contradiction de motifs de la dĂ©cision litigieuse.

379 Eu Ă©gard Ă  ces Ă©lĂ©ments, il y a lieu de constater que l’arrĂȘt attaquĂ© est entachĂ© d’une erreur de droit et que la troisiĂšme branche du cinquiĂšme moyen doit ĂȘtre accueillie.

F. Sur le septiĂšme moyen, relatif aux amendes

380 Par son septiĂšme moyen, Servier conteste les apprĂ©ciations portĂ©es par le Tribunal sur ses demandes tendant Ă  l’annulation des amendes qui lui ont Ă©tĂ© infligĂ©es ainsi que sur le calcul de leurs montants. Ce moyen comporte deux branches.

1. Sur la premiÚre branche, relative à la violation du principe de légalité des délits et des peines

a) Argumentation des parties

381 Selon Servier, en jugeant au point 1660 de l’arrĂȘt attaquĂ© que Servier « aurait dĂ» s’attendre, au besoin aprĂšs avoir recouru Ă  des conseils Ă©clairĂ©s, Ă  ce que son comportement pĂ»t ĂȘtre dĂ©clarĂ© incompatible avec les rĂšgles de concurrence du droit de l’Union », le Tribunal aurait enfreint le principe de lĂ©galitĂ© des dĂ©lits et des peines consacrĂ© Ă  l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union europĂ©enne, manquĂ© Ă  son obligation de motivation et statuĂ© selon un motif contradictoire par rapport Ă  celui Ă©noncĂ© au point 1666 de cet arrĂȘt, selon lequel « le caractĂšre infractionnel [des accords visĂ©s par la dĂ©cision litigieuse] pouvait ne pas apparaĂźtre, de maniĂšre claire, Ă  un observateur extĂ©rieur tel que la Commission ou des juristes spĂ©cialisĂ©s dans les domaines en cause ».

382 Servier considĂšre en effet que, en vertu de ce principe, la Commission ne peut pas infliger d’amendes dans une situation nouvelle, caractĂ©risĂ©e par une absence de dĂ©cisions ou de jurisprudence antĂ©rieures, et complexe. Or, la prĂ©sente affaire Ă©tait, selon Servier, Ă  la fois nouvelle et complexe. La nouveautĂ© de cette affaire serait attestĂ©e par une dĂ©claration du chef d’unitĂ© responsable de l’enquĂȘte de la Commission ayant abouti Ă  l’adoption de la dĂ©cision litigieuse, par les considĂ©rants 3091, 3092 et 3107 de cette dĂ©cision, ainsi que par les apprĂ©ciations portĂ©es par le Tribunal au point 1660 de l’arrĂȘt attaquĂ©.

383 Quant Ă  la complexitĂ© des questions Ă©conomiques et juridiques soulevĂ©es, elle ressortirait notamment de la longueur exceptionnelle de la dĂ©cision litigieuse ainsi que des dĂ©clarations en ce sens faites par la Commission au greffier du Tribunal dans le cadre de la procĂ©dure en premiĂšre instance. Cette complexitĂ© aurait conduit la Commission, au cours de l’annĂ©e 2014, Ă  modifier les lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2004, afin de prĂ©ciser que des accords de rĂšglement amiable de litiges pouvaient ĂȘtre prohibĂ©s au titre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

384 Servier critique l’arrĂȘt attaquĂ© au motif que le Tribunal aurait dĂ©naturĂ© les faits en laissant entendre qu’il aurait suffi de recourir Ă  des conseils Ă©clairĂ©s pour identifier le caractĂšre infractionnel de son comportement au regard de l’article 101 TFUE.

385 La Commission conteste cette argumentation.

b) Appréciation de la Cour

386 Selon la jurisprudence de la Cour, le principe de lĂ©galitĂ© des dĂ©lits et des peines exige que la loi dĂ©finisse clairement les infractions et les peines qui les rĂ©priment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, Ă  partir du libellĂ© de la disposition pertinente et au besoin Ă  l’aide de l’interprĂ©tation qui en est donnĂ©e par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilitĂ© pĂ©nale (arrĂȘt du 22 mai 2008, Evonik Degussa/Commission, C 266/06 P, EU:C:2008:295, point 39 et jurisprudence citĂ©e).

387 Le principe de lĂ©galitĂ© des dĂ©lits et des peines ne saurait dĂšs lors ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme proscrivant la clarification graduelle des rĂšgles de la responsabilitĂ© pĂ©nale par l’interprĂ©tation judiciaire d’une affaire Ă  l’autre, Ă  condition que le rĂ©sultat soit raisonnablement prĂ©visible au moment oĂč l’infraction a Ă©tĂ© commise, au vu notamment de l’interprĂ©tation retenue Ă  cette Ă©poque dans la jurisprudence relative Ă  la disposition lĂ©gale en cause (arrĂȘt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C 194/14 P, EU:C:2015:717, point 41 et jurisprudence citĂ©e).

388 La portĂ©e de la notion de prĂ©visibilitĂ© dĂ©pend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualitĂ© de ses destinataires. La prĂ©visibilitĂ© de la loi ne s’oppose pas Ă  ce que la personne concernĂ©e soit amenĂ©e Ă  recourir Ă  des conseils Ă©clairĂ©s pour Ă©valuer, Ă  un degrĂ© raisonnable dans les circonstances de l’affaire, les consĂ©quences pouvant rĂ©sulter d’un acte dĂ©terminĂ©. Il en va spĂ©cialement ainsi des professionnels, habituĂ©s Ă  devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur mĂ©tier. Aussi peut–on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier Ă  Ă©valuer les risques qu’il comporte (arrĂȘt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C 194/14 P, EU:C:2015:717, point 42 et jurisprudence citĂ©e).

389 En l’occurrence, aux points 1656 Ă  1658 de l’arrĂȘt attaquĂ©, le Tribunal a rappelĂ© cette jurisprudence de la Cour. Aux points 1659 Ă  1665 de cet arrĂȘt, il a, en substance, soulignĂ© que, compte tenu de la portĂ©e de l’interdiction prĂ©vue Ă  l’article 101, paragraphe 1, TFUE, Servier ne pouvait ignorer que, en rĂ©tribuant les fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques pour qu’ils n’entrent pas sur le marchĂ© du pĂ©rindopril, elle adoptait un comportement prohibĂ© par cette disposition. Il convient, Ă  cet Ă©gard, de souligner que, pour les motifs Ă©noncĂ©s au point 144 du prĂ©sent arrĂȘt, le caractĂšre prĂ©tendument inĂ©dit de la dĂ©marche consistant Ă  qualifier de restrictions de la concurrence par objet les comportements Ă  l’origine des infractions constatĂ©es n’est pas de nature Ă  remettre en cause une telle qualification.

390 Par ailleurs, ainsi que le Tribunal l’a soulignĂ©, aux points 1666 et 1667 de l’arrĂȘt attaquĂ©, la circonstance que les accords litigieux et leur contexte Ă©taient complexes et avaient pu susciter certaines difficultĂ©s lors de la procĂ©dure administrative, justifiant ainsi la longueur de cette procĂ©dure et de la dĂ©cision litigieuse, n’est pas de nature Ă  remettre en cause le fait que les entreprises impliquĂ©es ne pouvaient ignorer le caractĂšre infractionnel de ces accords. En effet, ainsi qu’il ressort d’une lecture d’ensemble de l’arrĂȘt attaquĂ©, l’objet mĂȘme de ces accords Ă©tait d’écarter du marchĂ© du pĂ©rindopril les concurrents potentiels de Servier qu’étaient les fabricants de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques par le versement de paiements inversĂ©s, moyen Ă©tranger au libre jeu de la concurrence.

391 Dans ces conditions, la premiĂšre branche du septiĂšme moyen doit ĂȘtre rejetĂ©e.

2. Sur la seconde branche, relative à la violation du principe de proportionnalité

a) Argumentation des parties

392 Par la seconde branche de son septiĂšme moyen, Servier critique l’arrĂȘt attaquĂ© en ce qu’il a rejetĂ© son moyen de premiĂšre instance tirĂ© de la violation du principe de proportionnalitĂ©, par lequel elle contestait la fixation du montant de base de l’amende pour l’infraction Ă  l’article 101 TFUE Ă  11 % de la valeur de ses ventes.

393 Le Tribunal aurait omis de prendre en considĂ©ration la nature complexe et nouvelle de la situation en cause, ainsi que plusieurs autres Ă©lĂ©ments de contexte qui auraient justifiĂ© une rĂ©duction du montant de l’amende infligĂ©e Ă  Servier.

394 En Ă©cartant, au point 1797 de l’arrĂȘt attaquĂ©, la pertinence des dĂ©cisions judiciaires ayant reconnu la validitĂ© du brevet 947, le Tribunal aurait fait abstraction du contexte brevetaire de l’affaire. Servier aurait Ă©tĂ© paradoxalement sanctionnĂ©e plus lourdement en raison du fait que la dĂ©cision de l’OEB du 27 juillet 2006 lui avait donnĂ© gain de cause, prolongeant ainsi la durĂ©e de la procĂ©dure relative Ă  la validitĂ© du brevet 947. Servier considĂšre qu’elle n’aurait pas dĂ» ĂȘtre sanctionnĂ©e aussi sĂ©vĂšrement que si ce brevet avait Ă©tĂ© fictif.

395 Afin d’apprĂ©cier la gravitĂ© des infractions, la Commission se serait fondĂ©e, au considĂ©rant 3130 de la dĂ©cision litigieuse, sur l’importance des parts de marchĂ© dĂ©tenues par Servier, qu’elle a estimĂ©e Ă  plus de 90 %. Le Tribunal aurait jugĂ©, au point 1602 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que cette estimation, qui reposait sur une fausse dĂ©finition du marchĂ© pertinent, Ă©tait erronĂ©e. Le Tribunal aurait cependant omis de tirer les consĂ©quences de cette erreur sur le calcul du montant de l’amende. Il se serait bornĂ©, au point 1954 de cet arrĂȘt, Ă  effectuer un renvoi Ă  la lecture des points 1948 Ă  1953 dudit arrĂȘt, sans toutefois indiquer les raisons pour lesquelles il n’avait pas rĂ©duit ce montant. Ce faisant, le Tribunal aurait enfreint le principe de proportionnalitĂ© ainsi que son obligation de motivation.

396 Le Tribunal aurait Ă©galement omis de prendre en considĂ©ration le fait que les accords litigieux n’étaient pas secrets. Or, dans d’autres affaires, cette circonstance aurait conduit la Commission Ă  appliquer un coefficient reflĂ©tant la gravitĂ© de l’infraction infĂ©rieur Ă  celui utilisĂ© en l’espĂšce.

397 Outre le fait que ces accords n’ont pas retardĂ© l’entrĂ©e de mĂ©dicaments gĂ©nĂ©riques sur le marchĂ©, Servier fait observer que ceux-ci ne pouvaient ĂȘtre considĂ©rĂ©s, au point 1883 de l’arrĂȘt attaquĂ©, comme constituant une forme extrĂȘme de rĂ©partition de marchĂ© et de limitation de la production. Une telle apprĂ©ciation contredirait celle figurant au point 1666 de cet arrĂȘt selon laquelle lesdits accords pouvaient ne pas apparaĂźtre comme Ă©tant clairement infractionnels.

398  La Commission conteste cette argumentation.

b) Appréciation de la Cour

399 Il y a lieu d’écarter d’emblĂ©e l’argument selon lequel le Tribunal aurait omis de prendre en considĂ©ration, aux fins de l’évaluation de la gravitĂ© des infractions, leur caractĂšre prĂ©tendument inĂ©dit. Il convient, Ă  cet Ă©gard, de rappeler que, pour les motifs Ă©noncĂ©s au point 144 du prĂ©sent arrĂȘt, cette circonstance est sans incidence sur la qualification de restriction de la concurrence par objet des accords litigieux. Par ailleurs, ainsi qu’il est relevĂ© au point 390 du prĂ©sent arrĂȘt, l’objet mĂȘme de ces accords Ă©tait d’écarter les concurrents potentiels de Servier du marchĂ©.

400 En outre, en invoquant l’importance des droits confĂ©rĂ©s par les brevets afin de contester le point 1797 de l’arrĂȘt attaquĂ©, Servier se borne Ă  rĂ©pĂ©ter que le Tribunal aurait omis de prendre en considĂ©ration la prĂ©tendue reconnaissance par les parties de la validitĂ© du brevet 947. Or, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en confirmant l’analyse de la Commission selon laquelle les accords litigieux avaient pour objet, outre le rĂšglement de litiges en matiĂšre de brevets, l’exclusion de concurrents du marchĂ©, ce qui constitue une forme extrĂȘme de rĂ©partition de marchĂ© et de limitation de la production.

401 En outre, contrairement Ă  ce que prĂ©tend Servier et au vu de l’objet des accords litigieux, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en jugeant, aux points 1786 Ă  1791 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que la Commission avait pu, aux fins du calcul du montant des amendes, considĂ©rer que Servier avait commis des infractions Ă  l’article 101 TFUE de propos dĂ©libĂ©rĂ©.

402 S’agissant de l’évaluation des parts de marchĂ© dĂ©tenues par Servier, force est de constater que c’est sans commettre d’erreur de droit ni dĂ©naturer la dĂ©cision litigieuse que le Tribunal a constatĂ©, au point 1951 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que la Commission avait pris en compte le fait que Servier avait commis plusieurs infractions se rapportant Ă  un mĂȘme produit, dans les mĂȘmes zones gĂ©ographiques et pendant les mĂȘmes pĂ©riodes. Afin d’éviter de parvenir Ă  une sanction disproportionnĂ©e, cette institution a dĂ©cidĂ© de limiter, pour chaque infraction, la proportion de la valeur des ventes rĂ©alisĂ©es par Servier prise en compte pour dĂ©terminer le montant de base de l’amende. Cette correction a conduit Ă  une rĂ©duction moyenne de 54,5 % de l’ensemble des valeurs des ventes prises en compte au titre des diffĂ©rentes infractions Ă  l’article 101 TFUE.

403 Compte tenu de ces rĂ©ductions, le Tribunal a pu considĂ©rer, au point 1954 de l’arrĂȘt attaquĂ©, que les montants des amendes n’étaient pas disproportionnĂ©s, et ce alors mĂȘme que la Commission avait considĂ©rĂ© que Servier disposait de trĂšs hautes parts de marchĂ©, sur le fondement d’une dĂ©finition du marchĂ© pertinent que le Tribunal a considĂ©rĂ©e comme Ă©tant inexacte.

404 S’agissant de l’allĂ©gation de Servier selon laquelle le montant des amendes aurait dĂ» ĂȘtre rĂ©duit compte tenu du fait que les accords litigieux n’étaient pas secrets et n’avaient pas retardĂ© l’entrĂ©e sur le marchĂ© des versions gĂ©nĂ©riques du pĂ©rindopril, il suffit de constater que Servier demande en rĂ©alitĂ© Ă  la Cour de procĂ©der Ă  une nouvelle apprĂ©ciation des Ă©lĂ©ments du litige en premiĂšre instance. Une telle demande ne relĂšve pas de la compĂ©tence de la Cour dans le cadre de la procĂ©dure de pourvoi. En effet, il n’appartient pas Ă  la Cour, lorsqu’elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d’un pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équitĂ©, son apprĂ©ciation Ă  celle du Tribunal statuant, dans l’exercice de sa pleine juridiction, sur le montant des amendes infligĂ©es Ă  des entreprises en raison de la violation, par celles-ci, du droit de l’Union (arrĂȘt du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission, C 89/11 P, EU:C:2012:738, point 125 et jurisprudence citĂ©e).

405 Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de rejeter la seconde branche du septiÚme moyen et, par voie de conséquence, le septiÚme moyen dans son ensemble.

G. Conclusions sur le pourvoi

406 Le cinquiĂšme moyen ayant Ă©tĂ© accueilli en sa troisiĂšme branche, il y a lieu, conformĂ©ment aux conclusions de Servier, d’annuler le point 5 du dispositif de l’arrĂȘt attaquĂ©, en ce qu’il rejette les griefs du moyen de premiĂšre instance de Servier soulevĂ© Ă  titre subsidiaire concernant la durĂ©e de l’infraction allĂ©guĂ©e et le calcul du montant de l’amende pour l’infraction relative Ă  l’accord Lupin. Pour le surplus, le pourvoi est rejetĂ©.

VII. Sur le recours devant le Tribunal

407 ConformĂ©ment Ă  l’article 61, premier alinĂ©a, du statut de la Cour de justice de l’Union europĂ©enne, la Cour, en cas d’annulation de la dĂ©cision du Tribunal, peut statuer elle-mĂȘme dĂ©finitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en Ă©tat d’ĂȘtre jugĂ©.

408 Ainsi qu’il ressort du point 891 de l’arrĂȘt attaquĂ©, dans le cadre de son recours en premiĂšre instance, Servier a dĂ©veloppĂ©, dans le cadre d’un moyen subsidiaire, des griefs visant Ă  contester la durĂ©e de l’infraction relative Ă  l’accord Lupin, au motif que la Commission aurait dĂ», comme elle l’avait fait pour le marchĂ© français, conclure que cette infraction avait pris fin en Belgique, en RĂ©publique tchĂšque, en Irlande et en Hongrie Ă  la date de l’entrĂ©e de Sandoz sur ces marchĂ©s.

409 Ces griefs ont fait l’objet d’un dĂ©bat contradictoire devant le Tribunal et leur examen ne nĂ©cessite d’adopter aucune mesure supplĂ©mentaire d’organisation de la procĂ©dure ou d’instruction. La Cour estime que le recours dans l’affaire T 691/14 est en Ă©tat d’ĂȘtre jugĂ© en ce qui concerne lesdits griefs et qu’il y a lieu de statuer dĂ©finitivement sur ceux-ci.

410 Pour les motifs Ă©noncĂ©s aux points 369 Ă  378 du prĂ©sent arrĂȘt, il y a lieu de dĂ©clarer fondĂ© le grief pris d’une erreur de droit commise par le Tribunal, lequel n’ayant pas constatĂ© que la motivation relative Ă  la fin de l’infraction dĂ©coulant de l’accord Lupin sur le marchĂ© français, d’une part, et sur les marchĂ©s belge, tchĂšque, irlandais et hongrois, d’autre part, Ă©tait contradictoire.

411 En consĂ©quence, il y a lieu d’annuler l’article 5 de la dĂ©cision litigieuse, en ce qu’il prĂ©voit que l’infraction relative Ă  l’accord Lupin a pris fin le 6 mai 2009, en ce qui concerne la Belgique, la RĂ©publique tchĂšque, l’Irlande et la Hongrie. Il y a Ă©galement lieu d’annuler l’article 7, paragraphe 5, sous b), de cette dĂ©cision, en ce qu’il fixe le montant de l’amende de Servier au titre de sa participation Ă  l’accord Lupin Ă  37 102 100 euros.

412 La Cour ayant constatĂ© l’illĂ©galitĂ© de la dĂ©cision litigieuse, elle peut, dans le cadre de l’exercice de sa compĂ©tence de pleine juridiction, substituer son apprĂ©ciation Ă  celle de la Commission et, en consĂ©quence, supprimer, rĂ©duire ou majorer l’amende. Cette compĂ©tence est exercĂ©e en tenant compte de toutes les circonstances de fait (arrĂȘt du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C 580/12 P, EU:C:2014:2363, point 78 ainsi que jurisprudence citĂ©e).

413 Eu Ă©gard au fait que la lĂ©galitĂ© de l’article 5 de la dĂ©cision litigieuse n’a pas Ă©tĂ© contestĂ©e devant le juge de l’Union dans la mesure oĂč celui-ci avait dĂ©terminĂ© que l’infraction rĂ©sultant de l’accord Lupin avait pris fin le 16 septembre 2008 en France, en raison de l’entrĂ©e de Sandoz sur le marchĂ© de cet État membre Ă  cette date, il y a lieu de constater que cette donnĂ©e factuelle est dĂ©finitivement acquise. Il s’ensuit que la contradiction de motifs de la dĂ©cision litigieuse qui amĂšne la Cour Ă  annuler l’article 5 de cette dĂ©cision, en ce qu’il prĂ©voit que l’infraction qu’il constate a pris fin le 6 mai 2009 en ce qui concerne la Belgique, la RĂ©publique tchĂšque, l’Irlande et la Hongrie, ne peut ĂȘtre corrigĂ©e qu’en appliquant le mĂȘme raisonnement que celui adoptĂ© en ce qui concerne la France, aux fins de la fixation du montant de l’amende relative Ă  l’infraction qui rĂ©sulte de l’accord Lupin.

414 Il y a donc lieu de considĂ©rer aux fins de la fixation du montant de cette amende, conformĂ©ment aux indications qui ressortent du considĂ©rant 410 de la dĂ©cision litigieuse, que l’infraction relative Ă  l’accord Lupin a pris fin en Belgique au mois de juillet de l’annĂ©e 2008, en RĂ©publique tchĂšque au mois de janvier de l’annĂ©e 2009, en Irlande au mois de juin de l’annĂ©e 2008 et en Hongrie au mois de dĂ©cembre de l’annĂ©e 2008.

415 Il rĂ©sulte de cette constatation que la durĂ©e Ă  prendre en compte aux fins de la dĂ©termination du montant de l’amende doit ĂȘtre fixĂ©e Ă  1,4 an pour la Belgique, Ă  1,9 an pour la RĂ©publique tchĂšque, Ă  1,3 an pour l’Irlande et Ă  1,8 an pour la Hongrie.

416 Dans le cadre de la prĂ©sente procĂ©dure, Servier a soumis Ă  la Cour un calcul sous forme de tableau, reprenant chacune des Ă©tapes de la mĂ©thode suivie par la Commission pour fixer le montant de l’amende pour l’infraction relative Ă  l’accord Lupin. Ce calcul inclut les durĂ©es infractionnelles rĂ©visĂ©es mentionnĂ©es au point prĂ©cĂ©dent du prĂ©sent arrĂȘt et repose sur les donnĂ©es fournies par la Commission dans le cadre de la procĂ©dure en premiĂšre instance. Ledit calcul aboutit Ă  fixer le montant ainsi corrigĂ© de cette amende Ă  34 745 100 euros.

417 La Commission n’ayant pas contestĂ© ce montant ni cette mĂ©thode de calcul, qui correspond d’ailleurs Ă  la mĂ©thode qu’elle avait elle-mĂȘme adoptĂ©e dans la dĂ©cision litigieuse, il y a lieu, au regard de l’ensemble des circonstances de fait et de droit de l’espĂšce, de fixer le montant de l’amende infligĂ©e Ă  Servier Ă  l’article 7, paragraphe 5, sous b), de la dĂ©cision litigieuse Ă  la somme de 34 745 100 euros.

 Sur les dĂ©pens

418 ConformĂ©ment Ă  l’article 184, paragraphe 2, du rĂšglement de procĂ©dure, lorsque le pourvoi est fondĂ© et que la Cour juge elle-mĂȘme dĂ©finitivement le litige, elle statue sur les dĂ©pens.

419 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce rĂšglement, applicable Ă  la procĂ©dure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnĂ©e aux dĂ©pens, s’il est conclu en ce sens.

420 ConformĂ©ment Ă  l’article 138, paragraphe 3, dudit rĂšglement, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dĂ©pens. Toutefois, si cela apparaĂźt justifiĂ© au vu des circonstances de l’espĂšce, la Cour peut dĂ©cider que, outre ses propres dĂ©pens, une partie supporte une fraction des dĂ©pens de l’autre partie.

421 En l’occurrence, Servier a conclu Ă  la condamnation de la Commission aux dĂ©pens affĂ©rents Ă  la procĂ©dure de pourvoi et celle-ci a partiellement succombĂ© en ses conclusions au stade du pourvoi ainsi que, partiellement, en ses conclusions en premiĂšre instance.

422 DĂšs lors qu’il est partiellement fait droit au pourvoi, il convient de condamner chaque partie Ă  supporter ses propres dĂ©pens affĂ©rents tant Ă  la procĂ©dure de premiĂšre instance qu’à celle du pourvoi.

423 En vertu de l’article 184, paragraphe 4, du rĂšglement de procĂ©dure, lorsqu’elle n’a pas, elle-mĂȘme, formĂ© le pourvoi, une partie intervenante en premiĂšre instance ne peut ĂȘtre condamnĂ©e aux dĂ©pens dans la procĂ©dure de pourvoi que si elle a participĂ© Ă  la phase Ă©crite ou orale de la procĂ©dure devant la Cour. Lorsqu’une telle partie participe Ă  la procĂ©dure, la Cour peut dĂ©cider qu’elle supportera ses propres dĂ©pens.

424 L’EFPIA ayant participĂ© Ă  la procĂ©dure devant la Cour, il y a lieu de dĂ©cider, dans les circonstances de l’espĂšce, qu’elle supportera ses propres dĂ©pens.

425 L’article 140, paragraphe 1, du rĂšglement de procĂ©dure, rendu applicable Ă  la procĂ©dure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prĂ©voit que les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dĂ©pens.

426 En l’espĂšce, le Royaume-Uni supportera ses propres dĂ©pens.

Par ces motifs, la Cour (premiĂšre chambre) dĂ©clare et arrĂȘte :

1) Le point 5 du dispositif de l’arrĂȘt du Tribunal de l’Union europĂ©enne du 12 dĂ©cembre 2018, Servier e.a./Commission (T 691/14, EU:T:2018:922), est annulĂ©, en ce qu’il rejette les griefs du moyen de premiĂšre instance de Servier SAS, Servier Laboratories Ltd et Les Laboratoires Servier SAS, invoquĂ© Ă  titre subsidiaire concernant la durĂ©e de la pĂ©riode infractionnelle et le calcul du montant de l’amende pour l’infraction visĂ©e Ă  l’article 5 de la dĂ©cision C(2014) 4955 final de la Commission, du 9 juillet 2014, relative Ă  une procĂ©dure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 102 [TFUE] [affaire AT.39612 – PĂ©rindopril (Servier)].

2) L’article 5 de la dĂ©cision C(2014) 4955 final est annulĂ©, en ce qu’il prĂ©voit que l’infraction qu’il constate a pris fin le 6 mai 2009 en ce qui concerne la Belgique, la RĂ©publique tchĂšque, l’Irlande et la Hongrie.

3) L’article 7, paragraphe 5, sous b), de la dĂ©cision C(2014) 4955 final est annulĂ©, en ce qu’il fixe le montant de l’amende infligĂ©e Ă  Servier SAS et Les Laboratoires Servier SAS, conjointement et solidairement responsables, Ă  37 102 100 euros.

4) Le montant de l’amende infligĂ©e Ă  Servier SAS et Les Laboratoires Servier SAS, conjointement et solidairement responsables, en raison de l’infraction constatĂ©e Ă  l’article 5 de la dĂ©cision C(2014) 4955 final est fixĂ© Ă  la somme de 34 745 100 euros.

5) Le pourvoi est rejeté pour le surplus.

6) Servier SAS, Servier Laboratories Ltd et Les Laboratoires Servier SAS supportent leurs propres dĂ©pens affĂ©rents tant Ă  la procĂ©dure de premiĂšre instance qu’à celle du pourvoi.

7) La Commission europĂ©enne supporte ses propres dĂ©pens affĂ©rents tant Ă  la procĂ©dure de premiĂšre instance qu’à celle du pourvoi.

8) La European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (EFPIA) supporte ses propres dĂ©pens affĂ©rents tant Ă  la procĂ©dure de premiĂšre instance qu’à celle du pourvoi.

9) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporte ses propres dĂ©pens.