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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 20 juin 2024, n° 22/04243

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Keromes

Conseillers :

Mme Vassail, Mme Vadrot

Avocats :

Me Astruc-Cohen, Me Ladouce

T. com. Fréjus, du 20 déc. 2021, n° 2021…

20 décembre 2021

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par jugement du 22 janvier 2007, le tribunal de commerce de Fréjus a ouvert, sur assignation de l'URSSAF, une procédure de redressement judiciaire à l'égard de Monsieur [S] [O], lequel exerçait une activité de travaux de terrassement courant et travaux préparatoires.

Par jugement du 12 mars 2007, le tribunal de commerce de Fréjus a également ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SARL AZUR TP, laquelle avait pour activité la mise à disposition de moyens et matériels et opérateurs qualifiés en location aux entreprises de TP et terrassement, et dont Monsieur [O] était le gérant.

Le 18 juin 2007, la même juridiction a étendu la procédure de redressement judiciaire de la SARL AZUR TP à la procédure de redressement judiciaire de Monsieur [S] [O] au regard de la confusion existant entre les deux entités qui avaient le même dirigeant, la même activité, les mêmes salariés et le même siège social.

Enfin, par jugement du 10 février 2014, le tribunal de commerce de Fréjus a prononcé la résolution du plan adopté le 28 avril 2008 ainsi que la liquidation judiciaire de Monsieur [O] et de la SARL AZUR TP, désignant Maître [V] [P] en qualité de liquidateur judiciaire.

Par ordonnance du 12 mai 2020, Maître [C] [P] a été nommée en lieu et place de Maître [V] [P].

Le 4 mars 2021, le tribunal de commerce de Fréjus a autorisé Maître [C] [P] en sa qualité de liquidateur à pratiquer une saisie-conservatoire sur les actions détenues par Monsieur [O] dans la société ET, HTTP SMARAPP, à hauteur de 60 000 euros pour avoir sûreté, garantie et conservation de la créance alléguée de 1 353 019 euros correspondant à l'insuffisance d'actif de la procédure collective de Monsieur [O] et de la SARL AZUR TP.

Par actes d'huissier de justice en date des 22 et 24 juin 2021, Maître [C] [P] ès qualités a assigné Monsieur [S] [O] et la SAS ET, HTTP SMARAPP devant le tribunal de commerce de Fréjus aux fins de voir prononcer l'inopposabilité à la procédure collective de cet apport de 60 000 euros fait au capital social de la SAS ET, HTTP SMARAPP ainsi que la condamnation de cette dernière au remboursement de la somme de 55 999 euros.

Par jugement en date du 20 décembre 2021, le tribunal de commerce de Fréjus a fait droit à sa demande après avoir constaté que Monsieur [O] avait créé la SAS ET, HTTP SMARAPP le 06 septembre 2019 et apporté à cette société en qualité d'associé unique la somme de 60 000 euros au titre du capital social au mépris des dispositions de l'article L.641- 9-1 du code de commerce instaurant le dessaisissement du débiteur de ses biens.

 Par déclaration en date du 22 mars 2022, Monsieur [S] [O] a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance d'incident en date du 6 juillet 2023, le magistrat délégué a débouté Maître [C] [P] ès qualités de ses demandes tendant à faire constater la nullité de la signification de la déclaration d'appel et la caducité de la déclaration d'appel.

Par conclusions déposées et notifiées par le RPVA en date du 22 juin 2022, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, Monsieur [S] [O] demande à la cour de :

- réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Fréjus le 20 décembre 2021(n°2021 002783) ;

Statuant à nouveau,

- de rejeter les demandes fins et conclusions de Maître Marie-Sophie [P],

- de constater sa bonne foi,

- de constater qu'il n'est pas gérant de la société ET, HTTP SMARAPP,

- de dire qu'il n'est pas redevable de la somme de 55 999 euros,

- de condamner les dirigeants réels de la société ET, HTTP SMARAPP à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de son préjudice moral,

- de condamner Maître [C] [P] à lui verser la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991,

- de condamner Maître [C] [P] aux entiers dépens de l'instance.

Monsieur [O] soutient qu'il a été victime d'une usurpation d'identité suite au vol de ses documents personnels en 2017, faits pour lesquels il avait déposé une première plainte, suivie d'une seconde, le 14 février 2020, après avoir été informé que deux sociétés avaient été créées à son nom à savoir PROD CREATION et ET,HTTP SMARAPP.

Il conteste avoir été à l'origine de la création de ces sociétés et précise qu'il envisage le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction du tribunal judiciaire de Draguignan afin de faire la lumière sur ces deux sociétés litigieuses.

Il regrette que cette situation, qu'il a exposée à la SCP [P], n'ait pas été prise en compte.

Il demande à la cour de constater qu'il n'est pas le gérant de la société ET, HTTP SMARAPP et n'est dès lors pas redevable de la somme au paiement de laquelle il a été condamné.

Il sollicite, outre l'infirmation du jugement dont appel, la condamnation des dirigeants réels de la société ET, HTTP SMARAPP à lui verser la somme de 1500 euros en réparation de son préjudice moral résultant des poursuites exercées à son égard.

Par conclusions déposées et notifiées par le RPVA en date du 13 septembre 2022, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, Maître Marie-Sophie [P] membre de la SARL [P] LES MANDATAIRES pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL AZUR TP et de Monsieur [O] demande à la cour de :

- confirmer purement et simplement le jugement rendu le 20 décembre 2021,

- débouter Monsieur [S] [O] de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner solidairement la SAS ET, HTTP SMARAPP et Monsieur [S] [O] à payer à Maître [C] [P], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire, la somme complémentaire de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens au titre de la procédure d'appel.

Elle soutient que le 6 septembre 2019 Monsieur [O] a créé la société ET, HTTP SMARAPP dont il est l'actionnaire unique, ce dernier ne rapportant aucunement la preuve de ses allégations aux termes desquelles son identité aurait été usurpée et constate qu'en tout état de cause les plaintes qu'il a déposées n'ont eu aucune suite.

Elle fait valoir qu'il est établi que ce dernier a fait apport à la société ET, HTTP SMARAPP de la somme de 60 000 euros au titre du capital social alors qu'aux termes de l'article L. 641-9-1 du code de commerce il était dessaisi de ses biens. Elle indique que la jurisprudence sanctionne d'inopposabilité au liquidateur l'accomplissement d'actes faits par le débiteur dessaisi. Elle en déduit que la constitution et les statuts de la société ET,tHTTP SMARAPP lui sont inopposables de même que l'affectation de la somme de 60 000 euros au capital de la société ET, HTTP SMARAPP. Elle rappelle que la loi ne fixe pas de capital social minimum pour les SAS, de sorte qu'un capital social de 1 euro est admis, raison pour laquelle le tribunal de commerce de Fréjus a condamné la SAS ET, HTTP SMARAPP à rembourser à la procédure collective la somme de 59 999 euros.

Par avis en date du 14 février 2023 et 12 mars 2024, le ministère public requiert la confirmation du jugement querellé.

La signification de la déclaration d'appel faite à société ET, HTTP SMARAPP le 20 juin 2022 a donné lieu à l'établissement du procès-verbal prévu à l'article 659 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'article L. 641-9-1 du code de commerce dispose que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens, même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

Il est constant que par jugement du 10 février 2014, le tribunal de commerce de Fréjus a prononcé la résolution du plan adopté le 28 avril 2008 et ouvert la liquidation judiciaire de Monsieur [O] et de la SARL AZUR TP.

Il résulte des éléments de la procédure :

- que Monsieur [O] [S] né le [Date naissance 3] 1969 à [Localité 6] apparaît sur l'extrait Kbis à jour au 1er février 2021, en qualité de président de la société ET, HTTP SMARAPP, SASU au capital de 60 000 euros, laquelle a débuté son activité de conception et maintenance de logiciels, progiciels et applications smartphone en date du 1er Août 2019 ;

- que la copie des statuts de la société ET, HTTP SMARAPP datés du 13 juillet 2019, produite par Maître [P] ès qualités, comporte le nom et la signature manuscrite de [S] [O] ;

- que, par un document intitulé « certificat du dépositaire des fonds » établi conformément aux dispositions de l'article L.225-7 du code de commerce en date du 13 juillet 2019, la société dénommée VINCENNES M&B NOTAIRES atteste avoir reçu en dépôt la somme de 60 000 euros représentant la totalité des versements effectués par les souscripteurs du capital en numéraire de la société dénommée ET, HTTP SMARAPP, SASU en formation, lesdites sommes ayant été versées à concurrence de 60 000 euros par [S] [O].

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments qu'[S] [O] -lequel se trouvait par application des dispositions légales susvisées dessaisi depuis le jugement de liquidation judiciaire du 10 février 2014 de l'administration et de la disposition de ses biens- a constitué la société ET, HTTP SMARAPP à laquelle il a fait apport, en sa qualité d'actionnaire unique, de la somme de 60 000 euros en numéraire.

La cour relève que les dénégations de Monsieur [O], qui invoque une usurpation de son identité, ne sont corroborées par aucun élément probant, les plaintes déposées par ses soins en 2017, n'ayant donné lieu depuis lors à aucune suite, notamment au dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile comme annoncée par l'intéressé.

Il est de jurisprudence constante que les actes juridiques accomplis par le débiteur en liquidation judiciaire, qui est de plein droit dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens, sont frappés d'inopposabilité à la procédure collective du débiteur.

C'est donc par une exacte appréciation que le tribunal de commerce de Fréjus a déclaré les statuts de la société ET, HTTP SMARAPP ainsi que l'affectation à son capital social par Monsieur [O] de la somme de 60 000 euros inopposables au liquidateur judiciaire de liquidateur judiciaire et en a tiré les conséquences en condamnant solidairement [S] [O] et la SAS ET, HTTP SMARAPP à lui rembourser la somme de 55 999 euros.

Le jugement querellé sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions et Monsieur [O] débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Monsieur [O] qui succombe sera condamné aux dépens.

Il se trouve ainsi infondé en ses prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au vu des circonstances de l'espèce, il serait inéquitable de laisser supporter à Maître [C] [P] membre de la SELARL [P] LES MANDATAIRES ès qualités, l'intégralité des frais exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.

Monsieur [S] [O] et la société ET, HTTP SMARAPP seront condamnés à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

 La Cour, statuant publiquement, par arrêt rendu par défaut et mis à disposition au greffe,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Fréjus en date du 20 décembre 2021 ;

Et y ajoutant,

DÉBOUTE Monsieur [S] [O] de sa demande de dommages et intérêts formée au titre de son préjudice moral ;

DÉCLARE Monsieur [S] [O] infondé en ses prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Monsieur [S] [O] et la société ET, HTTP SMARAPP, à verser à Maître Marie-Sophie [P] membre de la SELARL [P] LES MANDATAIRES ès qualités de liquidateur judiciaire de Monsieur [S] [O] et de la SARL AZUR TP, la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE Monsieur [S] [O] aux dépens.