CJUE, 1re ch., 27 juin 2024, n° C-198/19 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Teva UK Ltd, Teva Pharmaceuticals Europe BV, Teva Pharmaceutical Industries Ltd
Défendeur :
Commission européenne, Royaume-Uni de Grande-Bretagne, Irlande du Nord
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lenaerts
Président de chambre :
M. Arabadjiev (rapporteur)
Juges :
M. Xuereb, M. Kumin, Mme Ziemele
Avocat général :
Mme Kokott
Avocats :
Me Richard, Me Tayar
LA COUR (première chambre),
1 Par leur pourvoi, Teva UK Ltd, Teva Pharmaceuticals Europe BV et Teva Pharmaceutical Industries Ltd (ci-après, prises ensemble ou individuellement, « Teva ») demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 décembre 2018, Teva UK e.a./Commission (T 679/14, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:919), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation, en ce qui les concerne, de la décision C(2014) 4955 final de la Commission, du 9 juillet 2014, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 102 [TFUE] [affaire AT.39612 – Périndopril (Servier)] (ci–après la « décision litigieuse »), et à l’annulation ou à la réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée par cette décision.
Les antécédents du litige
2 Les antécédents du litige, tels qu’ils ressortent, notamment, des points 1 à 40 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.
Le périndopril
3 Servier SAS est la société mère du groupe pharmaceutique Servier qui comprend Les Laboratoires Servier SAS et Servier Laboratories Ltd (ci-après, prises individuellement ou ensemble, « Servier »). La société Les Laboratoires Servier est spécialisée dans le développement de médicaments princeps, sa filiale Biogaran SAS dans celui des médicaments génériques.
4 Servier a mis au point le périndopril, un médicament principalement destiné à lutter contre l’hypertension et l’insuffisance cardiaque. Ce médicament fait partie des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine. Le principe actif du périndopril se présente sous la forme d’un sel. Le sel utilisé initialement était l’erbumine.
5 Le brevet EP0049658, relatif au principe actif du périndopril, a été déposé par une société du groupe Servier devant l’Office européen des brevets (OEB) le 29 septembre 1981. Ce brevet devait arriver à expiration le 29 septembre 2001, mais sa protection a été étendue dans plusieurs États membres, notamment au Royaume-Uni, jusqu’au 22 juin 2003. En France, la protection dudit brevet a été étendue jusqu’au 22 mars 2005 et, en Italie, jusqu’au 13 février 2009.
6 Le 16 septembre 1988, Servier a déposé devant l’OEB plusieurs brevets relatifs aux procédés de fabrication du principe actif du périndopril qui expiraient le 16 septembre 2008, à savoir les brevets EP0308339 (ci-après le « brevet 339 »), EP0308340 (ci-après le « brevet 340 »), EP0308341 (ci-après le « brevet 341 ») et EP0309324.
7 Le 6 juillet 2001, Servier a déposé auprès de l’OEB le brevet EP1296947 (ci-après le « brevet 947 »), relatif à la forme cristalline alpha du périndopril erbumine et à son procédé de fabrication, lequel a été délivré par l’OEB le 4 février 2004. Servier a aussi déposé auprès de l’OEB les brevets EP1294689, relatif à la forme cristalline bêta du périndopril erbumine et à son procédé de fabrication, et EP1296948, relatif à la forme cristalline gamma du périndopril erbumine et à son procédé de fabrication.
8 Au cours de l’année 2002, Servier a commencé à développer un périndopril de deuxième génération dont le principe actif était composé du sel d’arginine de périndopril. Ce nouveau principe actif devait présenter des améliorations en ce qui concerne la durée de conservation, la stabilité et le stockage de ce médicament.
9 Le 17 février 2003, Servier a introduit une demande de brevet européen pour le sel d’arginine de périndopril (brevet EP1354873B). Ce brevet a été délivré le 17 juillet 2004, avec une date d’expiration fixée au 17 février 2023. Au cours de l’année 2006, Servier a commencé à commercialiser une version du périndopril protégée par ce brevet.
Les activités de Teva relatives au périndopril
10 Teva Pharmaceutical Industries est la société faîtière établie en Israël du groupe pharmaceutique Teva, spécialisé dans la fabrication de médicaments génériques et de principes actifs. Cette société détient 100 % du capital de Teva Pharmaceuticals Europe, qui détient elle-même 100 % du capital de Teva UK.
11 Teva, qui avait le projet de développer une version générique du périndopril, a tenté, entre l’année 1999 et l’année 2005, de s’approvisionner en principe actif du périndopril auprès, notamment, de Niche Generics Ltd et de Lupin Ltd.
12 Parallèlement, Ivax Corporation (ci-après « Ivax »), la société faîtière établie aux États-Unis d’un groupe pharmaceutique spécialisé dans la fabrication de médicaments génériques, projetait également de lancer une version générique du périndopril. Elle avait, à cette fin, engagé des discussions avec Servier. Ces discussions étant restées infructueuses, Ivax a décidé, au cours de l’année 2003, de poursuivre ce projet indépendamment de Servier. Le 24 septembre 2003, elle a conclu un contrat pour la fourniture du principe actif du périndopril avec Hetero Drugs Ltd.
13 Au cours de l’année 2003, Ivax a engagé des pourparlers avec KRKA, tovarna zdravil, d.d. (ci-après « Krka »), une société établie en Slovénie qui fabrique des médicaments génériques, en vue de développer une version générique du périndopril. À cette époque, Krka développait une version générique du périndopril à base du principe actif composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine, visée par le brevet 947.
14 Le 21 décembre 2005, Ivax a conclu un accord avec Alembic Pharmaceuticals Ltd pour la fabrication de comprimés de périndopril composés du principe actif fourni par Hetero Drugs.
15 Le 26 janvier 2006, Teva a acquis le contrôle d’Ivax.
16 Le 18 mai 2006, Teva a cessé de coopérer avec Krka.
Les litiges relatifs au périndopril
17 Entre l’année 2003 et l’année 2009, plusieurs litiges ont opposé Servier à des fabricants s’apprêtant à commercialiser une version générique du périndopril.
Les décisions de l’OEB
18 Au cours de l’année 2004, dix fabricants de médicaments génériques, dont Norton Healthcare Ltd, une société du groupe Ivax, ont formé opposition contre le brevet 947 devant l’OEB, en vue d’obtenir sa révocation, en invoquant des motifs tirés du manque de nouveauté et d’activité inventive ainsi que du caractère insuffisant de l’exposé de l’invention.
19 Le 13 avril 2005, Teva a formé opposition contre le brevet EP1354873B. La division d’opposition de l’OEB a rejeté cette opposition. Le 22 décembre 2008, Teva a contesté cette décision devant une chambre de recours de l’OEB.
20 Le 27 juillet 2006, la division d’opposition de l’OEB a confirmé la validité du brevet 947. Cette décision a été contestée devant la chambre de recours technique de l’OEB. Par une décision du 6 mai 2009, cette dernière a annulé la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et révoqué le brevet 947. La requête en révision déposée par Servier contre cette décision de la chambre de recours technique a été rejetée le 19 mars 2010.
Les décisions des juridictions nationales
21 La validité du brevet 947 a été contestée devant certaines juridictions nationales par des fabricants de médicaments génériques et Servier a introduit des actions en contrefaçon ainsi que des demandes d’injonctions provisoires contre ces fabricants. La plupart de ces procédures ont été clôturées avant que les juridictions saisies n’aient pu statuer définitivement sur la validité du brevet 947 en raison d’accords de règlement amiable conclus, entre l’année 2005 et l’année 2007, par Servier avec certains desdits fabricants.
22 Au Royaume-Uni, seul le litige opposant Servier à Apotex Inc. a donné lieu à la constatation, par voie judiciaire, de l’invalidité du brevet 947. En effet, le 1er août 2006, Servier a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets), Royaume-Uni], d’une action en contrefaçon du brevet 947 contre Apotex, qui avait commencé à commercialiser une version générique du périndopril sur le marché du Royaume-Uni. Le 8 août 2006, Servier a obtenu le prononcé d’une injonction provisoire contre Apotex. Le 6 juillet 2007, à la suite d’une demande reconventionnelle d’Apotex, cette injonction provisoire a été levée et le brevet 947 a été invalidé, permettant ainsi à cette entreprise de mettre sur le marché au Royaume-Uni une version générique du périndopril. Le 9 mai 2008, la décision d’invalidation du brevet 947 a été confirmée en appel.
23 Aux Pays-Bas, le 13 novembre 2007, Katwijk Farma BV, une filiale d’Apotex, a saisi une juridiction de cet État membre d’une demande d’invalidation du brevet 947. Servier a saisi cette juridiction d’une demande d’injonction provisoire, laquelle a été rejetée le 30 janvier 2008. La même juridiction, par une décision du 11 juin 2008 dans une procédure introduite le 15 août 2007 par Pharmachemie BV, une société du groupe Teva, a invalidé le brevet 947 pour les Pays-Bas. À la suite de cette décision, Servier et Katwijk Farma se sont désistées de leurs demandes.
Le litige opposant Servier à Ivax
24 Le 9 août 2005, Ivax a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], d’une action tendant à l’invalidation du brevet 947.
25 Au mois d’octobre 2005, Servier et Ivax se sont accordées pour suspendre cette procédure jusqu’à l’adoption de la décision finale dans la procédure d’opposition devant l’OEB visée au point 18 du présent arrêt. En contrepartie, Servier s’est engagée, envers Ivax, ses preneurs de licence et ses clients, pendant cette période de suspension, à ne pas entamer d’actions en contrefaçon du brevet 947 au Royaume-Uni, à poursuivre la procédure devant l’OEB avec diligence et, au terme de celle-ci, à ne pas chercher à obtenir d’injonction provisoire dans le cadre d’une action en contrefaçon.
L’accord Teva
26 Le 13 juin 2006, Servier et Teva UK ont conclu un accord de règlement amiable et d’approvisionnement exclusif (ci-après l’« accord Teva »).
27 Tout d’abord, s’agissant du règlement amiable d’un éventuel contentieux, cet accord contenait une clause de non-contestation des brevets 339, 340, 341 et 947. Cette clause, applicable au territoire du Royaume-Uni, prévoyait, d’une part, que Servier renonçait à poursuivre Teva en contrefaçon de ces brevets pour tout acte antérieur à l’entrée en vigueur de cet accord et, d’autre part, que Teva renonçait à contester la validité desdits brevets, étant précisé que cette dernière obligation ne concernait pas les procédures d’opposition devant l’OEB relatives à ces mêmes brevets.
28 L’accord Teva contenait également une clause de non-commercialisation. En vertu de cette clause, Teva était tenue, pendant la durée de validité de cet accord ou des droits issus des brevets 339, 340, 341 et 947, de s’abstenir de produire ou de commercialiser au Royaume-Uni toute version générique du périndopril fabriquée selon le procédé qu’elle avait mis au point et que Servier estimait être contrefaisant, ou qui constituait une contrefaçon de ces brevets.
29 Ensuite, s’agissant de l’approvisionnement exclusif, Teva s’était engagée à se fournir auprès de Servier pour l’intégralité de ses besoins en périndopril générique destiné à la vente au Royaume-Uni. À compter du 1er août 2006, si Servier ne parvenait pas à fournir du périndopril à Teva, cette entreprise serait alors tenue de verser une indemnité forfaitaire de 500 000 livres sterling (GBP) par mois à Teva, cette dernière ne disposant alors d’aucun droit de recours contre Servier ni du droit de résilier l’accord Teva.
30 Enfin, les stipulations générales de l’accord Teva prévoyaient que cet accord avait une durée de trois ans, renouvelable pour une durée supplémentaire de deux ans. En outre, Servier devait verser à Teva, à la signature de l’accord Teva, la somme de 5 millions de GBP, à titre de « contribution aux dépenses encourues par Teva dans sa préparation à la conclusion [de l’accord Teva], y compris et sans restriction les dépenses liées à la résiliation de ses contrats de fourniture existants pour le Royaume-Uni » (ci-après l’« indemnité initiale »).
31 Le 23 février 2007, Servier et Teva ont conclu un avenant à l’accord Teva, confirmant la mise en œuvre effective de l’obligation d’achat exclusif, en arrêtant une date à laquelle Teva pourrait commencer à distribuer le périndopril générique livré par Servier sous un régime de consignation. Cette date devait soit être fixée unilatéralement par Servier, soit correspondre à la date de révocation ou d’expiration du brevet 947, soit être celle à laquelle Apotex commencerait à distribuer du périndopril générique au Royaume-Uni à la suite de la résolution du litige l’opposant à Servier.
Les faits postérieurs à la conclusion de l’accord Teva
32 Servier n’a pas exécuté son obligation de livrer à Teva un premier lot de périndopril à la date convenue, à savoir le 28 juillet 2006, et a refusé d’honorer les commandes ultérieures de Teva. Au mois de février 2007, Servier a commencé à livrer des lots de périndopril à Teva, qui, conformément aux dispositions de l’avenant du 23 février 2007, ne pouvait pas les vendre mais devait les garder en consignation.
33 À la suite de la décision de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], du 6 juillet 2007, par laquelle cette juridiction a invalidé le brevet 947, Servier a autorisé Teva, en application des stipulations de l’avenant du 23 février 2007, à commercialiser le périndopril générique qu’il lui avait livré. Le 12 juillet 2007, Teva, à l’instar d’autres fabricants de médicaments génériques, est ainsi entrée sur le marché du périndopril au Royaume-Uni.
34 Servier n’ayant pas exécuté son obligation de livraison et Teva n’ayant pas été en mesure de commercialiser le périndopril de Servier au cours de la période comprise entre le 1er août 2006 et le 6 juillet 2007, Servier a versé à Teva, conformément aux stipulations de l’accord Teva, des indemnités forfaitaires mensuelles d’un montant total de 5,5 millions de GBP.
La décision litigieuse
35 À l’article 3 de la décision litigieuse, la Commission a constaté que Teva avait enfreint l’article 101 TFUE, en participant, du 13 juin 2006 au 6 juillet 2007, à un accord avec Servier couvrant le Royaume-Uni. Pour cette infraction, à l’article 7, paragraphe 3, sous a), de cette décision, la Commission a infligé à Teva une amende d’un montant de 15 569 395 euros.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
36 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 septembre 2014, Teva a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse, en ce qu’elle la concerne, et à l’annulation ou à la réduction de l’amende qui lui a été infligée par cette décision.
37 Dans son recours en première instance, Teva soulevait cinq moyens à l’appui de ses conclusions. Seuls les premier et troisième moyens du recours en première instance sont pertinents aux fins du présent pourvoi. Par le premier moyen, elle contestait la qualification de l’accord Teva de restriction de la concurrence par objet et, par le troisième, le refus, par la Commission, de considérer que cet accord relevait de l’exemption prévue à l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
38 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours de Teva dans son intégralité.
La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
39 Par acte déposé au greffe de la Cour le 28 février 2019, Teva a introduit le présent pourvoi.
40 Par acte déposé au greffe de la Cour le 19 juin 2019, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission. Par décision du 22 juillet 2019, le président de la Cour a fait droit à cette demande.
41 Par lettre du 16 septembre 2019, le Royaume-Uni a renoncé à déposer un mémoire en intervention.
42 La Cour a invité les parties à présenter leurs observations écrites pour le 4 octobre 2021 sur les arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C 307/18, EU:C:2020:52), du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C 591/16 P, EU:C:2021:243), du 25 mars 2021, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (C 586/16 P, EU:C:2021:241), du 25 mars 2021, Generics (UK)/Commission (C 588/16 P, EU:C:2021:242), du 25 mars 2021, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (C 601/16 P, EU:C:2021:244), et du 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (C 611/16 P, EU:C:2021:245). Teva et la Commission ont déféré à cette demande dans le délai imparti.
43 Par son pourvoi, Teva demande à la Cour :
– d’accueillir le pourvoi et de déclarer le recours recevable ;
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue à nouveau, à moins que la Cour ne s’estime suffisamment éclairée pour annuler la décision litigieuse, en ce qu’elle concerne Teva, et pour annuler l’amende qui lui a été imposée, et
– de condamner la Commission aux dépens de la présente procédure, y compris ceux exposés par Teva devant la Cour et devant le Tribunal.
44 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi dans son intégralité et
– de condamner Teva aux dépens.
Sur le pourvoi
45 Au soutien de son pourvoi, Teva soulève trois moyens. Le premier moyen est pris d’erreurs de droit relatives à la notion de concurrence potentielle. Le deuxième moyen est pris d’erreurs de droit relatives à la qualification de l’accord Teva de restriction de la concurrence par objet. Le troisième moyen est pris d’erreurs de droit relatives à l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
Sur le premier moyen, relatif à la concurrence potentielle
Argumentation des parties
46 Par son premier moyen, qui se subdivise en trois branches, Teva fait valoir que le Tribunal a recouru à des critères juridiques erronés afin d’établir l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre elle et Servier.
47 Par la première branche de son premier moyen, Teva soutient que, en assimilant, aux points 131 et 132 de l’arrêt attaqué, l’existence de possibilités réelles et concrètes d’une entrée à court terme sur le marché à l’absence de barrières insurmontables à une telle entrée, le Tribunal a commis une erreur de droit. Selon Teva, le Tribunal aurait affirmé que, en l’absence de décision judiciaire définitive constatant une contrefaçon, les brevets pertinents ne constituent pas des obstacles insurmontables à l’entrée sur le marché. De l’avis de Teva, le Tribunal aurait ainsi considéré que, en l’absence d’une telle décision judiciaire définitive, ces brevets « peuvent simplement être ignorés » aux fins de l’appréciation de la concurrence potentielle exercée par les fabricants de médicaments génériques.
48 Teva estime toutefois que, quand bien même les litiges en matière de brevets ne constitueraient pas des obstacles insurmontables, ces litiges pourraient néanmoins entraver toute possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché. Le Tribunal aurait dû déterminer si Servier pouvait empêcher Teva d’entrer, de manière viable et à court terme, sur le marché du périndopril. Or, selon Teva, entrer sur le marché du périndopril au Royaume-Uni en prenant le risque de faire l’objet d’actions en contrefaçon et d’injonctions provisoires ne constituait pas une stratégie viable à court terme.
49 Par la deuxième branche de son premier moyen, Teva dénonce une contradiction de motifs. Après avoir jugé, aux points 131 et 132 de l’arrêt attaqué, que, en l’absence de décision judiciaire définitive constatant une contrefaçon, les brevets pertinents ne constituaient pas des obstacles insurmontables à l’entrée sur le marché et, partant, n’empêchent pas une concurrence potentielle, le Tribunal aurait considéré, au point 136 de cet arrêt, que ces brevets « peuvent créer de tels obstacles selon l’issue du contentieux et avoir un impact sur les possibilités réelles et concrètes » d’entrer sur le marché. Teva souligne, à cet égard, que le Tribunal s’est référé à la décision C(2011) 7435 final de la Commission, du 13 octobre 2011, de non-opposition à une concentration notifiée (affaire COMP/M.6258 – Teva/Cephalon), publiée sous forme de résumé au Journal officiel de l’Union européenne du 18 février 2014 (JO 2014, C 46, p. 1, ci-après la « décision Teva/Cephalon »). Dans cette décision, la Commission aurait admis que, nonobstant l’existence de litiges en matière de brevets, un fabricant de médicaments génériques n’exerçait pas de concurrence potentielle, dans la mesure où ces brevets, sans créer d’obstacles insurmontables, avaient effectivement limité les possibilités réelles et concrètes d’entrée sur le marché. Le Tribunal aurait omis d’exposer les différences entre la situation à l’origine de ladite décision et les circonstances de la présente affaire.
50 Par la troisième branche de son premier moyen, Teva soutient que le Tribunal a méconnu la notion juridique d’« entrée potentielle » en rejetant ses arguments tendant à démontrer que ses possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché du périndopril au Royaume-Uni étaient compromises en raison du risque d’actions en contrefaçon et d’injonctions provisoires, sans toutefois avoir analysé de manière approfondie les faits de l’affaire. Bien que le Tribunal ait constaté que ce risque inquiétait Teva, il n’aurait pas examiné si cette entreprise disposait effectivement de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché et si, en l’absence de l’accord Teva, une telle entrée pouvait constituer une stratégie viable. Le Tribunal, au point 147 de l’arrêt attaqué, aurait refusé de statuer sur les arguments de Teva à cet égard.
51 La Commission conteste cette argumentation.
Appréciation de la Cour
52 Afin de répondre à l’argumentation par laquelle Teva soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la Commission avait pu établir que Teva était un concurrent potentiel de Servier, il y a lieu de rappeler que, dans le contexte spécifique de l’ouverture du marché d’un médicament aux fabricants de médicaments génériques, il convient de déterminer, afin d’apprécier si l’un de ces fabricants, bien qu’absent d’un marché, se trouve dans un rapport de concurrence potentielle avec un fabricant de médicaments princeps présent sur ce marché, s’il existe des possibilités réelles et concrètes que le premier intègre ledit marché et concurrence le second [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 36 ainsi que jurisprudence citée].
53 Ainsi, il y a lieu d’apprécier, premièrement, si, à la date de conclusion de tels accords, le fabricant de médicaments génériques avait effectué des démarches préparatoires suffisantes lui permettant d’accéder au marché concerné dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur le fabricant de médicaments princeps. De telles démarches permettent d’établir l’existence de la détermination ferme ainsi que de la capacité propre d’un fabricant de médicaments génériques d’accéder au marché d’un médicament contenant un principe actif tombé dans le domaine public, même en présence de brevets de procédé détenus par le fabricant de médicaments princeps. Deuxièmement, il doit être vérifié que l’entrée sur le marché d’un tel fabricant de médicaments génériques ne se heurte pas à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 43 à 45].
54 À cet égard, l’existence d’un brevet qui protège le procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public ne saurait, en tant que telle, être regardée comme une barrière insurmontable et n’empêche pas de qualifier de concurrent potentiel du fabricant du médicament princeps concerné un fabricant de médicaments génériques qui a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché et qui, par ses démarches, se montre prêt à contester la validité de ce brevet et à assumer le risque de se voir, lors de son entrée sur le marché, confronté à une action en contrefaçon introduite par le titulaire de ce brevet [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 46].
55 Certes, dans l’hypothèse où la validité d’un tel brevet aurait été établie de manière définitive devant toutes les juridictions ayant été saisies de cette question, il serait difficilement concevable que d’autres éléments du contexte économique et juridique caractérisant de manière objective les rapports de concurrence entre le titulaire de ce brevet et un fabricant de médicaments génériques puissent fonder la conclusion selon laquelle il existait encore une relation de concurrence potentielle entre eux. Cependant, il incombe néanmoins à l’autorité administrative ou au juge compétent d’examiner l’ensemble des éléments pertinents avant d’arriver à la conclusion selon laquelle ce titulaire et ce fabricant ne sont pas des concurrents potentiels, surtout lorsque des litiges les opposant sur la question de la validité du brevet en question sont encore pendants.
56 En effet, la Cour a déjà jugé que d’éventuels brevets protégeant un médicament princeps ou l’un de ses procédés de fabrication font incontestablement partie du contexte économique et juridique caractérisant les rapports de concurrence entre les titulaires de ces brevets et les fabricants de médicaments génériques. Toutefois, l’appréciation des droits conférés par un brevet ne doit pas consister en un examen de la force du brevet ou de la probabilité avec laquelle un litige entre son titulaire et un fabricant de médicaments génériques pourrait aboutir au constat que le brevet est valide et contrefait. Cette appréciation doit davantage porter sur la question de savoir si, malgré l’existence de ce brevet, le fabricant de médicaments génériques dispose de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché au moment pertinent [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 50].
57 Par ailleurs, le constat d’une concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments génériques et un fabricant de médicaments princeps peut être corroboré par des éléments supplémentaires, tels que la conclusion d’un accord entre eux lorsque le fabricant de médicaments génériques n’était pas présent sur le marché concerné, ou l’existence de transferts de valeur au profit de ce fabricant en contrepartie du report de son entrée sur le marché [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 54 à 56].
58 En l’occurrence, le Tribunal a considéré, en substance, au point 87 de l’arrêt attaqué, qu’un concurrent potentiel est celui qui dispose de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché en cause. Une telle constatation doit reposer, selon cette juridiction, essentiellement sur la capacité, confortée, le cas échéant, par l’intention d’intégrer ce marché. Il résulte, en outre, du point 117 de cet arrêt que, selon le Tribunal, lorsque ces conditions sont remplies, il convient alors de déterminer si les allégations des entreprises concernées relatives à l’existence d’obstacles insurmontables à une telle entrée remettent en cause l’appréciation de leurs possibilités réelles et concrètes, fondée sur leur capacité et leur intention, d’entrer sur ledit marché.
59 Aux points 92 à 95 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a souligné que la preuve de l’existence d’une concurrence potentielle peut être confortée par la perception, par les entreprises présentes sur le marché, de la menace concurrentielle que représente la possibilité de l’arrivée d’un nouvel entrant sur ce marché. Il a relevé, à cet égard, en se référant à sa propre jurisprudence, que la conclusion d’un accord entre ces entreprises peut constituer un indice de cette perception de nature à corroborer l’existence d’une concurrence potentielle.
60 Il résulte de ces éléments que c’est sans commettre d’erreur de droit et en statuant d’une manière conforme à ce qui a été rappelé aux points 52 à 57 du présent arrêt que le Tribunal a exposé les critères permettant de conclure à l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments princeps et un fabricant de médicaments génériques. En effet, les critères retenus par le Tribunal correspondent, en substance, à ceux retenus par la Cour aux points 36 à 57 de l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C 307/18, EU:C:2020:52).
61 Contrairement à ce que prétend Teva dans le cadre de la première branche de son premier moyen, le Tribunal n’a pas réduit l’analyse de l’existence d’un rapport de concurrence potentielle au seul examen du caractère insurmontable des obstacles à l’entrée sur le marché du périndopril au Royaume-Uni. En effet, après avoir tout d’abord considéré, pour les motifs énoncés aux points 88 à 96 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas appliqué des critères erronés pour apprécier l’existence d’une concurrence potentielle, le Tribunal a ensuite déduit des constatations opérées aux points 109 à 115 de cet arrêt que la Commission avait valablement pu considérer que Teva avait non seulement l’intention de prendre le risque d’entrer sur ce marché, mais également la capacité d’y entrer. Enfin, le Tribunal a examiné, aux points 117 à 162 dudit arrêt, si cette appréciation pouvait être remise en cause en raison du caractère insurmontable des obstacles brevetaires, réglementaires et techniques invoqués par Teva. Au terme de cet examen, il a jugé que tel n’était pas le cas et, en conséquence, a rejeté l’argumentation de cette entreprise tirée d’une erreur d’appréciation de sa qualité de concurrent potentiel de Servier.
62 Teva fait cependant valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, en substance, aux points 131 et 132 de l’arrêt attaqué, que, en l’absence d’une décision judiciaire définitive ayant constaté l’existence d’une contrefaçon, l’existence d’un brevet en cours de validité n’empêche pas le déploiement d’une concurrence potentielle.
63 Il convient de relever, à cet égard, que le Tribunal a pris en considération, aux points 119 à 131 de l’arrêt attaqué, les obstacles à l’entrée de Teva sur le marché résultant, selon cette entreprise, de l’existence des brevets de Servier. En particulier, le Tribunal a souligné, au point 131 de l’arrêt attaqué, que le contentieux en matière de brevets « constitue l’un des moyens à la disposition de la société de génériques pour réduire [le] risque [de contrefaçon] et entrer sur le marché ». Au point 132 de cet arrêt, le Tribunal en a déduit que « la Commission a estimé sans commettre d’erreur que les brevets de Servier ne constituaient pas en l’espèce des obstacles insurmontables à l’entrée des sociétés de génériques sur le marché ». Il a poursuivi en observant que, « [e]n effet, à la date de conclusion des accords litigieux, aucune décision définitive statuant sur le fond d’une action en contrefaçon n’avait constaté le caractère contrefaisant des produits desdites sociétés ». Aux points 133 à 139 dudit arrêt, le Tribunal a réitéré cette appréciation en rejetant les arguments contraires de Teva fondés, notamment, sur la communication de la Commission intitulée « Lignes directrices relatives à l’application de l’article [101 TFUE] aux accords de transfert de technologie » (JO 2004, C 101, p. 2), sur la jurisprudence du Tribunal et sur la décision Teva/Cephalon.
64 Ainsi, le Tribunal, contrairement à ce qu’allègue Teva, a jugé non pas qu’un brevet dont la validité et, le cas échéant, la contrefaçon, n’ont pas été constatées par une décision judiciaire définitive peut « simplement être ignoré », ce qui reviendrait à considérer qu’un tel brevet ne peut jamais être pris en compte en tant qu’obstacle à l’entrée de cette entreprise sur un marché, mais, au terme d’une analyse de l’ensemble des éléments visés aux points 118 à 147 de l’arrêt attaqué, il a jugé que la Commission n’avait pas commis d’erreur en considérant que les brevets de Servier ne constituaient pas, en l’espèce, des obstacles insurmontables à l’entrée de Teva sur le marché concerné. Le Tribunal a ainsi statué conformément à la jurisprudence visée aux points 54 à 56 du présent arrêt. Il s’ensuit que les motifs figurant aux points 131 et 132 de l’arrêt attaqué ne sont pas entachés de l’erreur de droit dénoncée par Teva dans le cadre de la première branche de son premier moyen.
65 En outre, la prétendue contradiction de motifs, alléguée par Teva dans le cadre de la deuxième branche de son premier moyen, se fonde sur la même lecture erronée de l’arrêt attaqué. À cet égard, il convient de relever que le Tribunal a souligné, au point 136 de cet arrêt, que, « dans la mesure où les brevets ne constituent pas en principe des obstacles insurmontables à l’entrée d’un concurrent sur le marché, mais peuvent créer de tels obstacles selon l’issue du contentieux et avoir un impact sur les possibilités réelles et concrètes d’y entrer [...], il n’est pas exclu que la Commission ait pu, dans certaines de ses décisions, dont notamment la décision Teva/Cephalon, se fonder sur l’existence de brevets pour en inférer l’absence de concurrence potentielle ». En effet, l’utilisation par le Tribunal de l’expression « selon l’issue du contentieux » reflète la circonstance relevée au point 55 du présent arrêt selon laquelle, si, certes, un brevet dont la validité a été définitivement établie devant toutes les juridictions ayant été saisies de cette question est fort susceptible de constituer un obstacle insurmontable à l’entrée sur le marché d’un concurrent de produits contrefaisants, tel n’est pas le cas d’un brevet dont la validité est contestée dans le cadre de litiges qui sont encore pendants. Dès lors, la deuxième branche du premier moyen doit être écartée.
66 S’agissant de la troisième branche du premier moyen, par laquelle Teva critique le Tribunal pour avoir considéré, au point 147 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était pas nécessaire de statuer sur les allégations relatives à la pratique d’octroi des injonctions provisoires au Royaume-Uni, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà souligné l’importance relative de telles injonctions pour apprécier l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments génériques et le titulaire du brevet, dès lors qu’il s’agit d’une mesure provisoire qui ne préjuge en rien le caractère fondé d’une action en contrefaçon [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 53]. D’ailleurs, contrairement à l’argumentation de Teva, le Tribunal n’a pas écarté, aux points 146 et 147 de l’arrêt attaqué, la prise en compte de telles injonctions provisoires, mais s’est borné, conformément à cette jurisprudence, à juger que le simple risque de leur octroi, ne saurait permettre en tant que tel et compte tenu des circonstances de l’espèce, qu’il a examinées et appréciées au point 144 de l’arrêt attaqué, d’exclure la qualité de concurrent potentiel d’un tel fabricant. Cette troisième branche n’est donc pas fondée.
67 Il convient d’ajouter, à toutes fins utiles, que, dans la mesure où Teva, par ladite troisième branche, critique les appréciations factuelles opérées par le Tribunal, il importe de rappeler que de telles appréciations ne constituent pas, sous réserve du cas de la dénaturation des faits ou des éléments de preuve, non alléguée en l’occurrence, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre de la procédure de pourvoi (voir, en ce sens, arrêt du 26 juin 2012, Pologne/Commission, C 335/09 P, EU:C:2012:385, point 24 et jurisprudence citée).
68 Il y a lieu, dès lors, de rejeter le premier moyen.
Sur le deuxième moyen, relatif à la qualification de restriction de la concurrence par objet
Argumentation des parties
69 Par son deuxième moyen, qui se subdivise en quatre branches, Teva fait valoir que, en jugeant que la Commission avait pu qualifier l’accord Teva de restriction de la concurrence par objet, alors que cet accord avait des effets favorables ou neutres sur la concurrence, le Tribunal a commis des erreurs de droit.
70 Par la première branche de son deuxième moyen, Teva soutient que, aux points 187 et 188 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a appliqué un critère juridique erroné en ce qui concerne la qualification de restriction de la concurrence par objet. Teva rappelle que, dans la décision litigieuse, en particulier au considérant 1111 de celle-ci, la Commission avait retenu cette qualification après avoir constaté que l’accord Teva pouvait avoir des effets restrictifs de concurrence. Or, le critère issu de l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C 67/13 P, EU:C:2014:2204), serait celui de l’existence d’un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence. Par conséquent, en affirmant, au point 187 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait « correctement saisi la notion de restriction de la concurrence par objet », le Tribunal aurait appliqué un critère juridiquement erroné.
71 Par la deuxième branche de son deuxième moyen, dirigée contre les points 270 à 272 de l’arrêt attaqué, Teva soutient que le Tribunal a omis de prendre en compte les effets proconcurrentiels ou à tout le moins neutres de l’accord Teva, lesquels s’opposaient à la qualification de restriction de la concurrence par objet.
72 Premièrement, Teva soutient que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit en refusant de prendre en considération l’appréciation que pouvait avoir Teva, le 13 juin 2006, date de conclusion de l’accord Teva, de l’issue de la procédure d’opposition au brevet 947. Elle rappelle que le Tribunal a rejeté l’argument par lequel elle soutenait que, à cette date, la révocation du brevet 947 par l’OEB pouvait raisonnablement être envisagée, ce que la Commission aurait d’ailleurs reconnu aux considérants 128 et 1675 de la décision litigieuse. Selon Teva, dans une telle hypothèse, l’accord Teva aurait été proconcurrentiel. En effet, Teva ne disposait pas d’une autorisation de mise sur le marché pour le périndopril et risquait de faire l’objet d’une injonction provisoire fondée sur la contrefaçon des brevets 339, 340 et 341. Dans ces conditions, la révocation du brevet 947 ne lui aurait pas permis d’entrer sur le marché du Royaume-Uni. Elle estime qu’une telle entrée n’était possible que grâce à la clause de non-contestation prévue par l’accord Teva.
73 Le Tribunal aurait rejeté cet argument en se bornant à affirmer, au point 270 de l’arrêt attaqué, qu’il reposait sur des effets « hypothétiques et ainsi non prévisibles » de l’accord Teva. Or, selon Teva, cette affirmation serait, d’une part, contraire à ce que le Tribunal a jugé dans l’arrêt du 29 juin 2012, GDF Suez/Commission (T 370/09, EU:T:2012:333, point 80). Dans cet arrêt, le Tribunal aurait en effet pris en considération les « perspectives raisonnablement envisageables » au moment de la conclusion de l’accord concerné afin d’apprécier si cet accord avait un objet anticoncurrentiel. D’autre part, cette affirmation serait contradictoire par rapport au motif énoncé au point 186 de l’arrêt attaqué, selon lequel la Commission et le juge ne peuvent pas « ignorer complètement les effets potentiels » d’un accord afin de déterminer s’il relève de la notion de restriction de la concurrence par objet.
74 Deuxièmement, Teva soutient que, en refusant d’écarter la qualification de restriction de la concurrence par objet, alors que les effets prévisibles de l’accord Teva sur la concurrence étaient, à la date de conclusion de cet accord, ambivalents, le Tribunal aurait méconnu les critères juridiques énoncés dans l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C 67/13 P, EU:C:2014:2204).
75 Cette erreur serait d’autant plus évidente que le Tribunal, dans l’arrêt du 12 décembre 2018, Krka/Commission (T 684/14, EU:T:2018:918), a écarté la qualification de restriction de la concurrence par objet après avoir constaté que les effets proconcurrentiels de la licence du brevet 947 que Servier avait accordée à Krka atténueraient les effets anticoncurrentiels des clauses de non-commercialisation et de non-contestation de l’accord de règlement amiable des litiges relatifs à ce brevet conclus par ces entreprises. Teva estime que le Tribunal aurait dû suivre le même raisonnement et prendre en considération les avantages proconcurrentiels de l’accord d’approvisionnement exclusif de Teva pour exclure la qualification de restriction de la concurrence par objet.
76 Troisièmement, Teva soutient que, en rejetant, aux points 270 et 271 de l’arrêt attaqué, l’argumentation par laquelle elle soutenait que les effets potentiels de l’accord Teva étaient non restrictifs de concurrence, voire proconcurrentiels, et ce même si devait être pris en compte l’approvisionnement de Teva par Servier, le Tribunal a commis des erreurs de droit. D’une part, le Tribunal aurait nié l’effet proconcurrentiel de l’entrée sur le marché d’un médicament générique autorisée par le fabricant de médicaments princeps, alors qu’il avait reconnu un tel effet dans l’arrêt du 12 décembre 2018, Krka/Commission (T 684/14, EU:T:2018:918). D’autre part, le Tribunal aurait considéré que l’entrée de Teva sur le marché ne pouvait pas être considérée comme ayant un effet proconcurrentiel, au motif que cette entrée n’aurait pas été la seule, alors que le Tribunal avait relevé, au point 111 de cet arrêt, que Teva « avait pris en compte la possibilité de ne pas être la première société de génériques à entrer sur le marché ».
77 Quatrièmement, Teva fait tout d’abord valoir que, en affirmant, au point 271 de l’arrêt attaqué, que, « dans l’hypothèse où la validité du brevet 947 aurait été confirmée par l’OEB, Teva serait restée empêchée de s’approvisionner en périndopril générique, y compris ne contrefaisant pas ce brevet, auprès d’autres entreprises que Servier », le Tribunal aurait commis des erreurs de droit. En effet, cette affirmation serait contradictoire par rapport à ce que le Tribunal a jugé dans l’arrêt du 12 décembre 2018, Krka/Commission (T 684/14, EU:T:2018:918, point 236), et erronée, car toutes les versions génériques du périndopril alors en développement étaient contrefaisantes ou risquaient de l’être, ce que ni la Commission ni le Tribunal n’auraient remis en cause.
78 Ensuite, Teva conteste l’affirmation, au point 272 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, en tout état de cause, son entrée sur le marché avec le périndopril fourni par Servier « n’aurait été ni une entrée anticipée, ni même une entrée correspondant à la première date d’entrée licite sur le marché en l’absence d’accord ». Le Tribunal aurait ignoré le fait que, les engagements de Servier au titre de l’accord Teva étant limités au brevet 947, l’entrée de Teva sur le marché pouvait donner lieu à des actions en contrefaçon des brevets 339, 340 et 341. Teva relève, à cet égard, que, dans l’arrêt du 12 décembre 2018, Krka/Commission (T 684/14, EU:T:2018:918), le Tribunal a pris en considération le fait que Servier avait obtenu des injonctions provisoires contre Krka au titre de la contrefaçon du brevet 339.
79 Enfin, Teva soutient que, en affirmant, au point 272 de l’arrêt attaqué, que l’entrée de Teva sur le marché devait « intervenir aux termes de l’avenant [du 23 février 2007] aux dates de fin de validité [du brevet] 947 », le Tribunal a commis une erreur d’interprétation de cet avenant.
80 Par la troisième branche de son deuxième moyen, Teva fait valoir que, en jugeant, au point 306 de l’arrêt attaqué, que les clauses de l’accord Teva relatives à l’indemnité forfaitaire et à l’indemnité initiale étaient déterminantes aux fins de la qualification de restriction de la concurrence par objet, alors que l’accord Teva avait pour objectif légitime de permettre l’entrée de Teva sur le marché du Royaume-Uni avant le terme de la protection résultant des brevets de Servier, le Tribunal a commis des erreurs de droit.
81 Tout d’abord, le Tribunal aurait rejeté à tort l’argument de Teva selon lequel toutes les clauses de l’accord Teva avaient été négociées selon les conditions normales du marché, alors qu’un argument analogue aurait été accueilli dans l’arrêt du 12 décembre 2018, Krka/Commission (T 684/14, EU:T:2018:918).
82 Ensuite, Teva réitère que l’accord Teva lui permettait d’entrer sur le marché avant l’expiration des brevets 339, 340 et 341, et ce même en cas de révocation du brevet 947 par l’OEB.
83 Enfin, les clauses relatives à l’indemnité initiale et à l’indemnité forfaitaire seraient sans incidence sur le caractère proconcurrentiel, ou neutre, de l’accord Teva.
84 Par la quatrième branche de son deuxième moyen, Teva fait valoir que, contrairement à ce que le Tribunal a jugé aux points 226 et 227 de l’arrêt attaqué, un paiement inversé ne peut, en soi, constituer un critère décisif aux fins de la qualification d’un accord de restriction de la concurrence par objet. Selon Teva, ce critère est trop large et conduit à étendre la portée de cette notion au-delà des limites découlant de l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C 67/13 P, EU:C:2014:2204, point 51).
85 La Commission conteste cette argumentation.
Appréciation de la Cour
86 Il convient de rappeler que, pour relever de l’interdiction de principe énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, une pratique collusoire doit avoir « pour objet ou pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser sensiblement le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur. Il en découle que cette disposition, telle qu’interprétée par la Cour, procède à une distinction nette entre la notion de restriction par objet et celle de restriction par effet, chacune étant soumise à un régime probatoire différent [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 62 et 63].
87 Ainsi, s’agissant des pratiques qualifiées de restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence, dans la mesure où l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (voir, en ce sens, arrêts du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C 286/13 P, EU:C:2015:184, point 115, ainsi que du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C 333/21, EU:C:2023:1011, point 159).
88 En revanche, lorsque l’objet anticoncurrentiel d’un accord, d’une décision d’une association d’entreprises ou d’une pratique concertée n’est pas établi, il convient d’en examiner les effets afin de rapporter la preuve que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C 345/14, EU:C:2015:784, point 17).
89 Cette distinction tient à la circonstance que certaines formes de collusion entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (arrêts du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C 209/07, EU:C:2008:643, point 17, et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C 32/11, EU:C:2013:160, point 35).
90 Il est vrai, ainsi que l’a fait valoir Teva, que la notion de restriction de la concurrence par objet doit être interprétée de manière stricte et ne peut être appliquée qu’à certains accords entre entreprises révélant, en eux-mêmes et compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’ils visent ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C 345/14, EU:C:2015:784, point 20, et du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C 333/21, EU:C:2023:1011, points 161 et 162 ainsi que jurisprudence citée).
91 À cet égard, s’agissant du contexte économique et juridique dans lequel s’inscrit le comportement en cause, il y a lieu de prendre en considération la nature des produits ou des services concernés ainsi que les conditions réelles qui caractérisent la structure et le fonctionnement du ou des secteurs ou marchés en question. En revanche, il n’est en aucune manière nécessaire d’examiner et à plus forte raison de démontrer les effets de ce comportement sur la concurrence, qu’ils soient réels ou potentiels et négatifs ou positifs (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C 333/21, EU:C:2023:1011, point 166 et jurisprudence citée).
92 Quant aux buts poursuivis par le comportement en cause, il y a lieu de déterminer les buts objectifs que ce comportement vise à atteindre à l’égard de la concurrence. En revanche, la circonstance que les entreprises impliquées ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C 333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citée).
93 Ainsi, l’appréciation du degré de nocivité économique d’un accord sur le bon fonctionnement de la concurrence dans le marché concerné doit reposer sur des considérations objectives, au besoin à l’issue d’une analyse détaillée de l’accord litigieux, ainsi que de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel il s’insère [voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85, ainsi que du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C 591/16 P, EU:C:2021:243, point 131].
94 Dans ce contexte, il convient également de rappeler qu’un fabricant de médicaments génériques peut, après avoir évalué ses chances d’obtenir gain de cause dans une procédure juridictionnelle qui l’oppose au fabricant du médicament princeps concerné, décider de renoncer à entrer sur le marché en cause et de conclure avec ce dernier un accord de règlement amiable. Un tel accord ne saurait être considéré, dans tous les cas, comme une restriction par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Le fait qu’un tel accord est assorti de transferts de valeur par le fabricant de médicaments princeps au profit d’un fabricant de médicaments génériques ne constitue pas un motif suffisant pour le qualifier de restriction par objet, lesdits transferts de valeur pouvant s’avérer justifiés. Tel peut être le cas lorsque le fabricant de médicaments génériques perçoit du fabricant de médicaments princeps des sommes correspondant effectivement à la compensation de frais ou de désagréments liés au litige qui les oppose ou correspondant à une rémunération pour la fourniture effective de biens ou de services au fabricant de médicaments princeps [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 84 à 86].
95 Par conséquent, dès lors qu’un accord de règlement amiable d’un litige relatif à la validité d’un brevet opposant un fabricant de médicaments génériques à un fabricant de médicaments princeps, titulaire de ce brevet, est assorti de transferts de valeur du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques, il y a lieu de vérifier, dans un premier temps, si le solde net positif de ces transferts peut se justifier de manière intégrale par la nécessité de compenser des frais ou des désagréments liés à ce litige, tels que les frais et honoraires des conseils de ce dernier fabricant, ou par celle de rémunérer la fourniture effective et avérée de biens ou de services de celui-ci au fabricant du médicament princeps [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 92].
96 En effet, le règlement amiable d’un tel litige implique que le fabricant de médicaments génériques reconnaisse la validité du brevet en cause, car il renonce à la contester. Il s’ensuit que, au titre d’un paiement dit « inversé », par le fabricant de médicaments princeps en faveur du fabricant de médicaments génériques, seule la prise en charge de tels frais ou la rémunération de tels biens ou services fournis peut être considérée comme étant cohérente par rapport à une telle reconnaissance et, partant, comme étant susceptible d’être justifiée à l’égard de la concurrence.
97 Dans un second temps, si ce solde net positif des transferts n’est pas justifié de manière intégrale par une telle nécessité, il importe de vérifier si, en l’absence d’une telle justification, ces transferts s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial de ces fabricants de médicaments à ne pas se livrer une concurrence par les mérites. Aux fins de cet examen, il y a lieu de déterminer si ledit solde, y compris d’éventuels frais justifiés, est suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nécessairement supérieur aux bénéfices qu’il aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la procédure en matière de brevets [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 87 à 94].
98 En l’espèce, il y a lieu de constater que le Tribunal, pour les motifs énoncés aux points 218 à 234 de l’arrêt attaqué, a jugé, au point 235 de cet arrêt, que la qualification de restriction de la concurrence par objet d’un accord de règlement amiable de litige en matière de brevets suppose que le fabricant de médicaments génériques ait été incité à limiter ses efforts en vue de concurrencer le fabricant de médicaments princeps, de telle sorte que, « en présence d’un [tel accord] comportant des clauses de non-commercialisation et de non-contestation [...], l’existence d’une incitation de la société de génériques à se soumettre à ces clauses permet de fonder le constat d’une restriction par objet, et ce alors même qu’il existerait un véritable litige, que l’accord de règlement amiable inclurait des clauses de non-commercialisation et de non-contestation dont la portée ne dépasserait pas celle du brevet litigieux et que ce brevet pourrait, eu égard, en particulier, aux décisions adoptées par les autorités administratives ou les juridictions compétentes, légitimement être estimé valide par les parties à l’accord en cause au moment de l’adoption de celui-ci ». Ce faisant, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit, eu égard aux règles et principes rappelés aux points 86 à 96 du présent arrêt.
99 S’agissant de l’application de ces règles et de ces principes aux circonstances de l’espèce, le Tribunal a, en substance, confirmé les constatations opérées dans la décision litigieuse s’agissant des restrictions imposées à Teva quant à son comportement sur le marché. Pour les motifs exposés aux points 249 à 281 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté, premièrement, que la clause de non-contestation figurant dans l’accord Teva interdisait à Teva d’établir que son périndopril ne contrefaisait pas les brevets de Servier et de contester la validité de ces derniers au Royaume-Uni. Deuxièmement, il a constaté que la clause de non-commercialisation de cet accord imposait à Teva de s’abstenir au Royaume-Uni de toute production ou commercialisation de son propre périndopril que Servier estimait contrefaisant ou de toute version que Servier pouvait estimer contrefaisante. Troisièmement, il a constaté que la clause d’approvisionnement exclusif dudit accord, qui était étroitement liée à la précédente, laissait Teva face à une alternative consistant, en fonction du choix unilatéral de Servier, soit à distribuer le périndopril de Servier composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine soit, en cas de défaut d’approvisionnement par Servier, de recevoir une indemnité forfaitaire d’un montant de 500 000 GBP par mois. L’effet conjoint de cette alternative et de la combinaison de ces clauses était, en pratique, de permettre à Servier d’empêcher Teva de commercialiser au Royaume-Uni, sans son accord, une version générique du périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine.
100 Afin de déterminer si les paiements de l’indemnité initiale de 5 millions de GBP et de l’indemnité forfaitaire de 5,5 millions de GBP pouvaient être considérés comme étant constitutifs d’un paiement inversé ayant incité Teva à signer l’accord Teva, le Tribunal, aux points 290 à 303 de l’arrêt attaqué, a analysé de manière circonstanciée la question de savoir si ces deux paiements étaient nécessaires, conformément, en substance, aux conditions mentionnées aux points 94 à 97 du présent arrêt, et celle de savoir si ces paiements, eu égard notamment à leur importance, avaient incité Teva à accepter les restrictions de la concurrence prévues par l’accord Teva. Teva n’étant pas parvenue à présenter des éléments susceptibles de remettre en cause les constatations opérées par la Commission dans la décision litigieuse, le Tribunal a, sur le fondement des considérations énoncées aux points 290 à 303 de l’arrêt attaqué et conformément, en substance, aux critères exposés aux points 94 à 97 du présent arrêt, jugé que la somme de 10,5 millions de GBP que Servier a versée à Teva avait incité cette dernière à renoncer à entrer sur le marché.
101 Sur la base de ces éléments, le Tribunal a jugé, au point 304 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait, à juste titre, déduit du constat de cette incitation que l’accord Teva constituait une restriction de la concurrence par objet.
102 Par les première et deuxième branches de son deuxième moyen, qu’il convient d’examiner ensemble, Teva soutient, en substance, que la qualification de restriction de la concurrence par objet est inapplicable à un accord dont les effets potentiels sur la concurrence sont positifs, neutres ou ambivalents. Selon Teva, le Tribunal, aux points 187, 188 et 270 à 272 de l’arrêt attaqué, a commis des erreurs de droit dans l’application de ces critères, notamment dans la mesure où il n’a pas tenu compte du fait que l’accord Teva aurait été conclu dans le but de lui permettre d’entrer sur le marché du Royaume-Uni de manière anticipée en tant que distributeur du périndopril de Servier.
103 À cet égard, il convient de relever que, aux points 181 à 244 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné les griefs par lesquels Teva soutenait, en substance, qu’il était prévisible, à la date de conclusion de l’accord Teva, que cet accord aurait des effets positifs, voire neutres, ou, du moins, ambivalents, à l’égard de la concurrence, de telle sorte que ledit accord ne pouvait pas être qualifié de restriction de la concurrence par objet. Aux points 181 à 185 de cet arrêt, le Tribunal a ainsi exposé, conformément à la jurisprudence visée aux points 89 à 91 du présent arrêt, que la notion de restriction de la concurrence par objet doit être interprétée de manière stricte et appliquée à un accord présentant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, en s’attachant à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère, sans qu’il soit nécessaire d’apprécier l’intention des parties ni les effets de cet accord.
104 S’agissant plus particulièrement de ce dernier élément, le Tribunal a souligné, aux points 182 et 186 de l’arrêt attaqué, que l’examen du contexte économique et juridique de l’accord concerné ne saurait conduire à apprécier les effets de cet accord, sous peine de faire perdre son effet utile à la distinction entre objet et effet restrictif de concurrence établie à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
105 Cette appréciation est conforme à la jurisprudence visée au point 91 du présent arrêt selon laquelle, s’agissant de pratiques qualifiées de restriction de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence. En effet, l’expérience montre que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être regardées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C 67/13 P, EU:C:2014:2204, point 51, et du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C 333/21, EU:C:2023:1011, point 162 et jurisprudence citée).
106 Toutefois, le Tribunal a également jugé, au point 186 de l’arrêt attaqué, que la « Commission et le juge ne peuvent, lors de l’examen de l’objet restrictif d’un accord et, en particulier, dans le cadre de la prise en compte de son contexte économique et juridique, ignorer complètement les effets potentiels de cet accord », de telle sorte que, « [a]ux fins de vérifier l’aptitude particulière d’un accord à produire des effets restrictifs de concurrence caractérisant les accords ayant un objet anticoncurrentiel, l’analyse des effets potentiels d’un accord doit ainsi être limitée à ceux résultant de données objectivement prévisibles à la date de conclusion dudit accord ».
107 Force est de constater que ce point 186 de l’arrêt attaqué est entaché d’une contradiction interne, car il indique à la fois que les effets d’une restriction de la concurrence par objet ne doivent pas être appréciés aux fins d’établir l’existence de cette restriction et que de tels effets ne peuvent pas être ignorés lors de l’examen de l’objet restrictif d’un accord. Or, ces deux affirmations sont incompatibles.
108 En outre, le point 186 de l’arrêt attaqué contient une erreur de droit dans la mesure où l’affirmation selon laquelle la Commission et le juge de l’Union ne peuvent, lors de l’examen de l’objet restrictif d’un accord, ignorer complètement les effets potentiels de cet accord, est contraire à la jurisprudence rappelée au point 91 du présent arrêt, selon laquelle, s’agissant de pratiques qualifiées de restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence, qu’ils soient réels ou potentiels et négatifs ou positifs.
109 Ce faisant, le Tribunal a confondu l’exercice consistant à vérifier si un comportement est susceptible, par sa nature même, de nuire systématiquement à la concurrence en raison de caractéristiques qui lui sont propres et s’il présente donc un degré de nocivité suffisant pour être qualifié de restriction de la concurrence par objet avec celui consistant à analyser les effets, réels et potentiels, d’un comportement spécifique dans un cas particulier, qui est pertinent uniquement pour apprécier l’existence d’une éventuelle restriction de la concurrence par effet.
110 Il y a donc lieu de constater que, en jugeant au point 186 de l’arrêt attaqué, par des motifs contradictoires, que, lors de l’examen de l’objet restrictif d’un accord, les effets potentiels de cet accord doivent être pris en compte pour autant qu’ils sont prévisibles, le Tribunal a commis une erreur de droit.
111 Sur le fondement de cette erreur de droit, aux points 269 à 272 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné si l’accord Teva présentait un degré de nocivité suffisant pour être qualifié de restriction de la concurrence par objet, à la lumière de ses effets potentiels sur la concurrence. Au point 270 de cet arrêt, le Tribunal a indiqué, d’une part, que les effets « potentiels [...] et [...] non prévisibles à la date de conclusion de l’accord en cause [...] ne peuvent être pris en compte dans le cadre de l’analyse de l’objet restrictif de concurrence dudit accord » et, d’autre part, que, « en tout état de cause, [...] il ne saurait être considéré que les effets potentiels allégués de l’[accord Teva] étaient non restrictifs de concurrence, voire proconcurrentiels ».
112 Par ailleurs, le Tribunal a expliqué de manière circonstanciée, au point 271 de l’arrêt attaqué, en substance, que l’accord Teva avait pour objet de restreindre la concurrence aussi bien dans l’hypothèse où le brevet 947 aurait été invalidé par l’OEB que dans l’hypothèse où sa validité aurait été confirmée par cette instance car, dans les deux cas de figure, cet accord limitait la liberté d’action de Teva sur le marché du périndopril au Royaume-Uni, notamment dans la mesure où elle ne pourrait s’approvisionner en périndopril qu’auprès de Servier et revendre ce médicament en tant que distributeur de celle-ci. Ainsi, le Tribunal a constaté que, dans chacune de ces hypothèses, Teva n’aurait pas pu entrer sur ce marché en situation de concurrence avec Servier et c’est également pour cette raison qu’il a rejeté l’argumentation de Teva présentée en première instance, qui correspond à celle avancée par Teva sur pourvoi et qui est résumée aux points 72 à 74 du présent arrêt.
113 L’erreur de droit relevée au point 110 du présent arrêt n’a donc eu aucune incidence sur le dispositif de l’arrêt attaqué car, en fin de compte, le Tribunal a écarté les arguments relatifs à la qualification de l’accord Teva de restriction de la concurrence par objet sur la base de constatations factuelles relatives au caractère intrinsèquement anticoncurrentiel des obligations qui résultaient de cet accord, dont le bien-fondé ne dépend aucunement du caractère prétendument proconcurrentiel, voire neutre, ou du moins ambivalent, des effets potentiels dudit accord.
114 En revanche, l’erreur de droit ainsi commise par le Tribunal constitue la prémisse de l’essentiel de l’argumentation invoquée par Teva dans le cadre des première et deuxième branches de son deuxième moyen. Cette prémisse étant erronée en droit, ces première et deuxième branches ne sauraient prospérer, dans la mesure où elles s’appuient sur ladite prémisse.
115 Pour le surplus, pour autant que Teva remet en cause l’appréciation par le Tribunal de la nature restrictive de la concurrence par objet des clauses de l’accord Teva, telle que résumée au point 99 du présent arrêt, il y a lieu de constater que le Tribunal a effectué cette appréciation conformément aux règles et principes rappelés aux points 86 à 96 du présent arrêt et que celle-ci est ainsi exempte d’erreur de droit. Par ailleurs, dans la mesure où ladite appréciation repose sur l’interprétation de clauses contractuelles régies par le droit national, elle ne constitue pas au regard du droit de l’Union, sous réserve du cas de la dénaturation de ces clauses et du contexte dans lequel elles s’inscrivent ou du droit national applicable, non alléguée en l’occurrence, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre de la procédure de pourvoi (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2017, TV2/Danmark/Commission, C 649/15 P, EU:C:2017:835, points 48 à 50 ainsi que jurisprudence citée). Dès lors, les première et deuxième branches doivent être écartées dans leur ensemble.
116 Par les troisième et quatrième branches de son deuxième moyen, qu’il convient d’examiner ensemble, Teva fait essentiellement valoir que, en jugeant au point 227 de l’arrêt attaqué qu’un paiement inversé non justifié doit être considéré comme constituant la contrepartie de la renonciation par le fabricant de médicaments génériques à concurrencer le fabricant de médicaments princeps, le Tribunal a appliqué un critère incompatible avec le principe de l’interprétation restrictive de la notion de restriction de la concurrence par objet.
117 Il y a lieu de rappeler que, aux points 218 à 235 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que la présence dans un accord de règlement amiable de litiges en matière de brevets, de clauses restrictives de la concurrence telles que des clauses de non-contestation et de non-commercialisation, lorsqu’elle est associée à un paiement inversé, peut relever de la qualification de restriction de la concurrence par objet, si ce paiement n’est pas justifié par une autre contrepartie que celle consistant dans l’engagement par le fabricant de médicaments génériques à renoncer à concurrencer le fabricant de médicaments princeps titulaire du ou des brevets concernés.
118 Aux points 286 à 289 de cet arrêt, le Tribunal a considéré, en substance, que, afin de déterminer si cette condition est remplie, il convient d’examiner si ce paiement inversé vise à compenser les coûts inhérents au règlement amiable supportés par le fabricant de médicaments génériques. Le Tribunal a précisé que ces coûts incluent, notamment, les frais supportés dans le cadre des litiges faisant l’objet de l’accord de règlement amiable, à condition que ces frais aient été établis par les parties à cet accord et qu’ils ne soient pas disproportionnés par rapport au montant des frais objectivement indispensables à la procédure contentieuse. En revanche, selon l’arrêt attaqué, les coûts inhérents au règlement amiable n’incluent ni la valeur du stock de médicaments contrefaisants ni les frais de recherche et de développement exposés pour mettre au point ces médicaments. Selon cet arrêt, ces coûts excluent également, en principe, les montants dus à titre d’indemnité, notamment de résiliation, au titre de contrats conclus par le fabricant de médicaments génériques avec des tiers.
119 Ces appréciations du Tribunal relatives aux circonstances dans lesquelles il est possible de justifier le paiement dit « inversé » de tels frais afin de conclure à l’absence d’un transfert de valeur incitatif correspondent, en substance, à celles qui découlent de la jurisprudence de la Cour rappelée aux points 94 à 97 du présent arrêt, et ne révèlent aucune erreur de droit.
120 Teva fait en outre valoir que, en jugeant au point 306 de l’arrêt attaqué que l’existence d’un paiement inversé permettait de qualifier l’accord Teva de restriction de la concurrence, le Tribunal aurait omis de reconnaître que l’accord Teva avait pour objectif légitime de permettre l’entrée de Teva sur le marché du périndopril au Royaume-Uni avant l’arrivée du terme des brevets de Servier.
121 Toutefois, ainsi qu’il a été rappelé au point 92 du présent arrêt, la circonstance que des entreprises dont le comportement pourrait être qualifié de restriction de la concurrence par objet ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C 333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citée). Seule est pertinente l’appréciation du degré de nocivité économique de cette pratique sur le bon fonctionnement de la concurrence sur le marché concerné. Ainsi, le fait qu’une stratégie commerciale consistant pour des entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production de négocier de tels accords entre elles pour mettre fin à un litige relatif à la validité d’un brevet soit économiquement rationnelle du point de vue de ces entreprises ne démontre aucunement que la poursuite de cette stratégie soit justifiable du point de vue du droit de la concurrence.
122 Il convient donc de constater que l’argumentation par laquelle Teva soutient que l’accord Teva avait pour objectif légitime de permettre à cette entreprise d’entrer sur le marché au Royaume-Uni en commercialisant une version générique du périndopril fournie par Servier n’est pas susceptible de remettre en cause les appréciations du Tribunal, qui ont été examinées aux points 99 à 114 du présent arrêt sans qu’aucune erreur de droit ait été constatée, relatives à la qualification de cet accord de restriction de la concurrence par objet. Il n’est pas nécessaire d’examiner en outre si la circonstance que cet accord ait pu être conclu aux conditions du marché aurait dû être prise en considération afin de démontrer le caractère légitime de cet objectif ou de remettre en cause cette qualification.
123 Par ailleurs, Teva invoque plusieurs contradictions entre les constatations portées par le Tribunal à l’égard de l’accord Teva et celles portées à l’égard des accords conclus entre Servier et Krka s’agissant des critères juridiques utilisés par cette juridiction pour qualifier ces accords de restriction de la concurrence par objet. Toutefois, il suffit de constater qu’il ressort notamment du point 276 de l’arrêt de ce jour dans l’affaire Commission/Krka (C 151/19 P), que des erreurs de droit commises par le Tribunal affectent l’ensemble du raisonnement relatif à la qualification de restriction de la concurrence par objet desdits accords, exposé aux points 179 à 268 de l’arrêt du 12 décembre 2018, Krka/Commission (T 684/14, EU:T:2018:918). En particulier, pour les raisons exposées aux points 341 à 412 de l’arrêt de ce jour dans l’affaire Commission/Krka (C 151/19 P), la Cour, après avoir partiellement accueilli le pourvoi de la Commission, a définitivement rejeté l’argumentation de Krka visant à contester cette qualification. En l’absence de la contradiction alléguée, il y a lieu de rejeter ce grief et, par voie de conséquence, les troisième et quatrième branches du deuxième moyen.
124 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter le deuxième moyen.
Sur le troisième moyen, relatif à l’article 101, paragraphe 3, TFUE
Argumentation des parties
125 Par son troisième moyen, Teva soutient que, en rejetant l’argumentation par laquelle elle soutenait que l’accord Teva pouvait bénéficier d’une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, au seul motif que cet accord ne remplissait pas la première condition prévue par cette disposition, le Tribunal s’est fondé, au point 341 de l’arrêt attaqué, sur deux affirmations erronées, tant en droit qu’en fait.
126 Premièrement, le Tribunal, au point 341 de l’arrêt attaqué, aurait affirmé que la Commission était fondée à considérer que, dans la mesure où le périndopril générique que Teva entendait distribuer en vertu de l’accord Teva était celui fourni par Servier, seuls les gains d’efficacité liés à cette distribution pouvaient être pris en compte aux fins d’une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. Or, de l’avis de Teva, que le périndopril ait été fabriqué par Servier ou par un tiers, l’entrée de Teva sur le marché aurait été proconcurrentielle. Teva souligne à cet égard que l’analyse effectuée par le Tribunal en l’espèce contredit celle opérée dans l’arrêt du 12 décembre 2018, Krka/Commission (T 684/14, EU:T:2018:918, point 243).
127 Deuxièmement, le Tribunal aurait affirmé, au point 341 de l’arrêt attaqué, que, faute pour Servier d’avoir, avant l’expiration de ses brevets, fourni Teva en périndopril, l’accord Teva ne pouvait pas être considéré comme ayant permis à cette entreprise d’entrer sur le marché de manière anticipée. Toutefois, Teva réitère que cette affirmation est erronée puisque le Tribunal a ignoré le fait que l’accord Teva lui permettait d’entrer sur le marché sans risque de contrefaçon des brevets 339, 340 et 341.
128 La Commission conteste cette argumentation.
Appréciation de la Cour
129 L’applicabilité de l’exemption prévue à l’article 101, paragraphe 3, TFUE est subordonnée à la réunion de quatre conditions cumulatives, énoncées à cette disposition. Ces conditions consistent, premièrement, à ce que l’entente concernée contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou des services en cause, ou à promouvoir le progrès technique ou économique, deuxièmement, à ce qu’une partie équitable du profit qui en résulte soit réservée aux utilisateurs, troisièmement, à ce qu’elle n’impose aucune restriction non indispensable aux entreprises participantes et, enfin, quatrièmement, à ce qu’elle ne leur donne pas la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits ou des services en cause (arrêts du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C 179/16, EU:C:2018:25, point 97, ainsi que du 18 janvier 2024, Lietuvos notarų rūmai e.a., C 128/21, EU:C:2024:49, point 100).
130 Il ressort du point 334 de l’arrêt attaqué que la Commission, dans la décision litigieuse, a concentré son examen de l’accord Teva au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE sur la première de ces conditions. À cet égard, la Commission a écarté les gains d’efficacité invoqués par Teva et tenant à l’entrée anticipée de cette entreprise sur le marché au motif que, quand bien même l’accord Teva aurait effectivement permis une telle entrée, celle-ci serait intervenue au même moment que celle des autres fabricants de médicaments génériques. Or, selon la décision litigieuse, Teva aurait omis d’expliquer, dans une telle situation, quels auraient été les gains d’efficacité découlant de la distribution, par Teva, du périndopril de Servier.
131 Pour les motifs exposés aux points 327 à 344 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté les griefs formulés par Teva à l’égard de cette appréciation figurant dans la décision litigieuse.
132 Le Tribunal a rejeté le grief par lequel Teva invoquait comme gain d’efficacité la possibilité pour elle d’entrer sur le marché du périndopril au Royaume-Uni avant le terme de la période de protection des brevets de Servier. En effet, il a jugé, au point 340 de l’arrêt attaqué, en renvoyant à son examen du moyen de première instance relatif à la restriction de la concurrence par objet, au point 274 de cet arrêt, que l’accord Teva empêchait Teva d’entrer sur ce marché.
133 Par ailleurs, le Tribunal a relevé, d’une part, au point 341 de l’arrêt attaqué, que, quand bien même l’accord Teva aurait effectivement permis à Teva d’entrer ainsi sur ledit marché, ce serait en tant que distributeur non exclusif d’une version générique du périndopril produite par Servier. Dans ces conditions, le Tribunal a jugé que la Commission avait valablement pu considérer que « seuls les gains d’efficacité qualitatifs liés à la distribution plus étendue ou plus efficace du périndopril » de Servier par Teva pouvaient être pris en considération aux fins d’une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. Or, Teva n’aurait pas contesté qu’elle n’avait pas établi l’existence de tels gains d’efficacité qualitatifs. D’autre part, le Tribunal a jugé à ce même point 341 que Servier n’a pas approvisionné Teva en périndopril avant la fin de validité de ses brevets, excluant ainsi de considérer que l’accord Teva ait permis à Teva d’entrer sur le marché pendant la période de protection prévue par ces brevets.
134 Teva fait valoir, par un premier grief, que cette appréciation est erronée, car l’effet proconcurrentiel de l’entrée de Teva sur le marché du périndopril au Royaume-Uni ne dépend pas de la question de savoir si ce périndopril était produit par Servier ou par Teva. Par son second grief, qu’il convient de traiter en même temps que le premier grief, Teva se borne à réitérer, en substance, que l’accord Teva lui permettait d’entrer sur le marché du périndopril au Royaume-Uni avant l’expiration des brevets de Servier.
135 À cet égard, il convient de relever d’emblée que, selon une jurisprudence constante, il incombe à la partie ayant restreint la concurrence d’une manière qui s’avère contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, qui se prévaut d’une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, de démontrer, dans un premier temps, au moyen d’arguments et d’éléments de preuve convaincants, que l’ensemble des conditions rappelées au point 129 du présent arrêt sont remplies (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, Royal Antwerp Football Club, C 680/21, EU:C:2023:1010, point 120 et jurisprudence citée).
136 Or, ainsi qu’il a été jugé au point 115 du présent arrêt, des appréciations factuelles au regard du droit de l’Union, telles que celles opérées par le Tribunal dans l’arrêt attaqué et visées au point 99 du présent arrêt, ne constituent pas, sous réserve du cas de la dénaturation des faits ou des éléments de preuve, non alléguée en l’occurrence, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre de la procédure de pourvoi. En l’espèce, il ressort des appréciations susvisées que les stipulations de l’accord Teva permettaient, en pratique, à Servier d’empêcher Teva de commercialiser au Royaume-Uni, sans son accord, une version générique du périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine. Au vu desdites appréciations, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, aux points 339 à 341 de l’arrêt attaqué, que Teva n’avait pas établi que son éventuelle entrée sur le marché du périndopril au Royaume-Uni en tant que distributeur du périndopril de Servier, sur la base de l’accord Teva, donnerait lieu à un gain d’efficacité satisfaisant la première condition rappelée au point 129 du présent arrêt, dès lors qu’une telle entrée ne serait pas susceptible d’améliorer la distribution du produit spécifique commercialisé par Teva.
137 Quant à la question de savoir si l’appréciation portée par le Tribunal au point 341 de l’arrêt attaqué sur les gains d’efficacité découlant de l’accord Teva est contradictoire par rapport à celle que le Tribunal a effectuée dans l’arrêt du 12 décembre 2018, Krka/Commission (T 684/14, EU:T:2018:918), à l’égard des effets proconcurrentiels de l’accord de licence conclu entre Servier et Krka, il convient de rappeler, conformément à ce qui a été exposé au point 123 du présent arrêt, que, pour les raisons indiquées aux points 341 à 412 de l’arrêt de ce jour dans l’affaire Commission/Krka (C 151/19 P), la Cour, après avoir partiellement accueilli le pourvoi de la Commission, a définitivement rejeté l’argumentation de Krka visant à contester la qualification de restriction de la concurrence par objet d’accords conclus avec Servier, notamment celle par laquelle Krka se prévalait des effets proconcurrentiels de l’accord de licence conclu avec Servier. En l’absence de la contradiction alléguée, il y a lieu d’écarter le premier grief de Teva.
138 S’agissant du second grief, dans la mesure où, ainsi qu’il a été jugé au point 136 du présent arrêt, Teva n’a pas établi, en tout état de cause, que son éventuelle entrée sur le marché du périndopril au Royaume-Uni sur la base de l’accord Teva donnerait lieu à un gain d’efficacité satisfaisant la première condition rappelée au point 129 du présent arrêt, il suffit de constater que la circonstance, invoquée dans le cadre de ce second grief, selon laquelle une telle entrée interviendrait de manière anticipée par rapport à la date d’expiration des brevets de Servier, ne permettrait pas, à la supposer établie, de conclure à l’existence d’une erreur de droit dans le chef du Tribunal en ce qui concerne son appréciation relative à ladite condition.
139 Il y a lieu, dès lors, de rejeter le troisième moyen.
140 Aucun des moyens soulevés à l’appui du pourvoi n’ayant été accueilli, ce dernier doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
141 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
142 La Commission ayant conclu à la condamnation de Teva aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.
143 L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.
144 Par conséquent, le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Teva UK Ltd, Teva Pharmaceuticals Europe BV et Teva Pharmaceutical Industries Ltd sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
3) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporte ses propres dépens.