CA Douai, ch. 2 sect. 2, 13 juin 2024, n° 23/02538
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Achille (SCI)
Défendeur :
SII (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Barbot
Conseillers :
Mme Cordier, Mme Soreau
Avocats :
Me Febvay, Me Mas, Me Peyres
FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé du 26 février 2016, la SCI Achille a consenti à la société Réalisations inox carbone (la société RIC) un bail commercial d'une durée de 9 années commençant à courir au jour de la signature, portant sur des locaux d'activité sis [Adresse 2] à [Localité 4] moyennant un loyer annuel hors charges et hors taxes d'un montant de 67 000 euros.
Dans ce bail, était stipulée une clause d'échelle mobile.
Par arrêt du 7 novembre 2019 rendu dans le cadre d'un contentieux opposant la SCI Achille à la société RIC en appel d'une décision du juge de l'exécution, la cour d'appel de Douai a notamment :
- déclaré non écrite la clause d'indexation figurant dans le contrat de bail conclu le 26 février 2016 ;
- dit que la clause résolutoire contenue dans 1e contrat de bail signé le 26 février 2016 et visée dans le commandement de payer délivré le 24 novembre 2017 est acquise.
Un contentieux a opposé également le bailleur et le locataire sur la résiliation du bail et sur le respect par chacune des parties de leurs obligations issues du bail, notamment l'obligation de délivrance pesant sur le bailleur et celle d'entretien à la charge du preneur.
Un arrêt de la cour d'appel de Douai du 16 février 2023, a statué sur ce litige.
Par acte d'huissier du 18 mai 2020, la société Achille a assigné la société SII transaction (la société SII) aux fins notamment de la voir condamner à lui payer la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice découlant de fautes commises dans la rédaction du bail commercial du 26 février 2016.
Par jugement du 28 février 2023, le tribunal judiciaire de Dunkerque a :
- débouté la société Achille de l'ensemble de ses prétentions ;
- condamné la société Achille aux dépens dont distraction au profit de Me [S] ;
- condamné la société Achille à payer à la société SII la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 3 juin 2023, la société Achille a interjeté appel de la décision.
PRETENTIONS
Par conclusions signifiées le 8 février 2024, la société Achille, demande à la cour, de notamment :
- infirmer la décision prononcée par le tribunal judiciaire de Dunkerque le 28 février 2023,
- dire et juger que la société SII, rédacteur du bail commercial passé entre elle-même et la société RIC le 26 février 2016, a commis une faute dans la rédaction de ce bail commercial ;
- dire et juger que le préjudice subi est fixé à la somme de 25 000 euros, arrêtée au 30 septembre 2020, et de condamner sur le fondement de l'article 1147 ancien du code civil (repris sous l'article 1231-1 du code civil nouveau) la société SII à lui payer cette somme ;
- dire et juger que la société SII a commis une faute pour n'avoir pas rempli son obligation d'information et de conseil dans le cadre de la mise en location du bien et de dire et juger que ces fautes ne lui ont pas permis de prendre toutes les dispositions nécessaires à la mise en conformité du bien avant qu'il ne soit loué à la société RIC ;
- dire et juger que cette faute a causé un préjudice qui sera indemnisé sous la forme d'une perte de chance fixée à 75 % de n'avoir pas à supporter les condamnations prononcées par le tribunal judiciaire de Dunkerque et la cour d'appel de Douai du chef de l'indemnisation de la société RIC pour défaut de conformité du bien loué et donc de condamner sur le même fondement la société SII à la garantir de 75 % des condamnations prononcées de ce chef au profit de la société RIC, et lui payer de ce chef la somme de 76 294,91 euros ;
- condamner la société SII à lui payer en application de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 8 000 euros ;
- débouter la société SII en toutes ses demandes ;
- condamner SII aux dépens de première instance et d'appel de la présente procédure.
La société Achille expose que le bail conclu avec la société RIC a été négocié et rédigé par la société SII, laquelle a commis une faute en incluant diverses stipulations posant difficultés.
Ainsi, a été incluse une disposition précisant que le loyer bien qu'indexé sur l'évolution de l'indice ICC , ne pourrait jamais être inférieur au montant du loyer annuel initial, clause qui crée donc entre les parties une distorsion ayant permis à la cour d'appel de Douai de déclarer cette clause d'indexation non écrite, alors même que cette indexation du loyer sur cet indice était déclarée dans le bail comme étant une condition essentielle et déterminante dudit bail sans lequel il n'aurait pas été conclu. Elle a été contrainte de restituer à la société RIC, compte tenu de cette décision, l'ensemble des compléments de loyer, constituant le fruit de l'indexation du loyer initial.
Elle s'oppose à l'argumentation de la société SII qui prétend que ne seraient pas justifiées la relation contractuelle liant les parties ou sa qualité de rédacteur de l'acte, l'article 25 précisant pourtant parfaitement le périmètre d'intervention de celle-ci.
Elle estime que la société SII ne peut plaider que la clause aurait été licite. Les conditions générales du bail prévoient, comme condition essentielle et déterminante du bail, l'indexation du loyer à la hausse comme à la baisse en son article 7. Mais les conditions particulières, déclarées prévaloir sur les conditions générales, précisent, dans un seul et même article (article 30), le montant du loyer et le fait qu'il ne pourra jamais être inférieur à 67 000 euros HT. La formulation de cet article rend indissociable la fixation d'un loyer plancher de l'indexation du loyer suivant l'évolution de l'indice ICC. Pour pouvoir réputer non écrit seulement partiellement le loyer plancher, il faut se référer à la commune intention des parties.
La société Achille fait valoir que contrairement à ce qu'affirme la société SII, l'arrêt de la cour d'appel de Douai de 2019 ne contrevient pas aux décisions publiées et n'était donc pas susceptible de réformation devant la Cour de cassation. Le premier juge ne pouvait substituer, au chef du dispositif clair de l'arrêt réputant non écrite la clause d'indexation, son appréciation de la validité de la clause d'indexation.
Elle s'oppose aux contestations sur le quantum de son préjudice, soulignant qu'elle a bien, par l'intégration dans le décompte final avec son locataire, supporté le remboursement des sommes trop perçues par l'effet du rejet de la clause d'indexation du loyer.
Elle sollicite une indemnisation complémentaire du fait de la faute commise par la société SII dans la mise en 'uvre de son mandat de commercialisation du bien, de recherche d'un locataire, puis de rédaction du bail. Cette société, sur qui pesait une obligation de conseil et d'information, n'a pas recherché si le bien pouvait être loué en l'état, faute d'avoir vérifié la situation de l'immeuble au regard des normes applicables. Le rédacteur et négociateur ne conteste pas n'avoir ni émis une réserve à l'égard des équipements ou de la conformité des locaux, ni attiré l'attention du propriétaire des locaux. La société SII lui a donc fait perdre une chance d'éviter tout contentieux lié à un quelconque défaut de conformité des locaux loués et d'avoir à en supporter les conséquences financières. La perte de chance est évaluée à 75 % des condamnations mises à sa charge.
Par conclusions signifiées le 19 février 2024, la société SII demande à la cour, au visa des articles 1231-1 et suivants du code civil, et de l'article L 112-1 du code monétaire et financier et la jurisprudence rendue en application de cet article, de :
- rejetant toutes fins, moyens et conclusions contraires,
-déclarer la société Achille mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions et l'en débouter ;
- confirmer le jugement n° 23/00043 rendu le 28 février 2023 ;
- condamner la société Achille à lui payer la somme de 9 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la même aux entiers dépens ;
- et dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Me [S] pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.
La société SII conteste la réalité d'un manquement.
Elle revient sur la jurisprudence de 2016 en matière de clause d'indexation et estime que celle-ci n'avait aucunement à jouer en l'espèce, la présente clause d'indexation permettant d'augmenter ou diminuer le loyer. Il était uniquement prévu un plancher au loyer, que les juridictions reconnaissaient pleinement valable début 2016, lorsque le bail a été conclu. La clause litigieuse était en tous points conforme à l'état du droit positif au jour de la rédaction du bail.
Elle souligne au surplus que cette clause, prévoyant un loyer plancher, n'encourt pas la sanction d'un réputé non écrit y compris à la lumière des arrêts rendus postérieurement à la signature du bail, la clause d'indexation pouvant être considérée comme divisible.
Elle précise que le préjudice lié à un éventuel manquement n'est pas établi. Il n'est pas justifié du remboursement des sommes demandées au titre du jeu de la clause d'indexation. Aucun montant ne peut être dû au titre de cette clause pour les années 2019 et 2020, compte tenu de la résiliation du bail en juin 2018. L'application d'un taux d'intérêt de 1 % ne répond pas aux stipulations du bail. Les frais de justice dont il est sollicité le remboursement ne concernent pas uniquement le problème de cette clause, l'action étant plus large et pesant essentiellement sur l'acquisition de la clause résolutoire.
Elle ajoute que, quand bien même la société Achille justifierait avoir remboursé ces sommes à son ancienne locataire, ce préjudice n'est pas lié à la rédaction de la clause d'indexation mais à sa propre carence dans le cadre de la procédure l'opposant à la société RIC. Elle indique que la société Achille opère une confusion entre les clauses d'indexation ne jouant qu'à la hausse et les clauses d'indexation assorties d'un plancher, leur traitement étant différencié en jurisprudence, et cette carence dans la défense de la société Achille, qui n'a pas soulevé les bons arguments devant les premiers juges pour obtenir une divisibilité de la clause, ne saurait être rejetée sur elle par la société Achille. Elle, la société SII, n'aurait pas manqué de soulever la bonne argumentation si elle avait été attraite dans la procédure opposant la SCI Achille à sa locataire. Elle estime que n'est pas établi le lien entre la rédaction de la clause litigieuse et la décision défavorable à la société Achille.
Elle conclut à l'absence de responsabilité dans le cadre de la négociation et la rédaction du bail.
Elle rappelle que pour commettre un manquement au devoir de conseil et d'information, il eut fallu qu'elle soit en possession d'informations qui lui permettaient de connaître l'état du local, les vices, ce qui n'est pas le cas lorsque ces derniers sont indécelables ou qu'aucun document ne permet d'en avoir connaissance.
Elle souligne que le défaut de conformité, qui n'a pu être mis en lumière qu'après une expertise, ne pouvait être identifié dans le cadre de son intervention. Elle ne disposait d'aucun élément technique permettant d'identifier les défauts de conformité, seul le bailleur étant matériellement en position de lui communiquer des éléments susceptibles d'attirer l'attention sur d'éventuelles difficultés. Elle rappelle qu'en sa qualité de société civile immobilière, la société Achille est également considérée comme étant une professionnelle de l'immobilier. Elle pouvait en sa qualité de professionnel s'informer.
Elle ajoute que le préjudice, qui ne peut être qu'une perte de chance, doit être certain, ce qui n'est manifestement pas le cas, le litige entre la société Achille et son locataire n'étant pas définitivement tranché. Le préjudice invoqué trouve sa cause dans la carence de la société Achille dans son obligation de délivrance, et non dans un quelconque manquement au devoir de conseil du rédacteur de l'acte. Elle estime que le bailleur est mal fondé à faire supporter ses propres carences à autrui.
Motivation
MOTIVATION
- Sur la demande indemnitaire de la société Achille
Aux termes de l'article 1992 du code civil, le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion.
Néanmoins la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu'à celui qui reçoit un salaire.
Ainsi, tout mandataire, salarié ou non, répond, au regard de son mandant, de l'inexécution de l'obligation qu'il a contractée et du préjudice qui en est résulté pour le mandant, l'inexécution de l'obligation faisant présumer la faute du mandataire, hors cas fortuit.
L'intermédiaire professionnel, négociateur et rédacteur d'un acte, est tenu de s'assurer que se trouvent réunies toutes les conditions nécessaires à l'efficacité juridique de la convention (Cass Civ. 1re, 17 janv. 1995, no 92-21.193), et ce même à l'égard de la partie qui ne l'a pas mandaté (Cass Civ. 1re, 25 nov. 1997, no 96-12.325 ).
Il pèse sur l'agent immobilier une obligation de renseignement et de conseil vis-à-vis de son mandant, puisqu'il doit notamment lui donner une information loyale, par exemple sur la valeur du bien mis en vente (Cass Civ 1re, 30 oct. 1985, no 84-12.200) ou sur la solvabilité réelle du preneur. ( Cass Civ. 1re, 28 mars 1984 Bull. civ. I, no 118).
Plus particulièrement concernant l'état de l'immeuble, il a pu être retenu une obligation d'information du mandant sur l'existence de désordres apparents affectant l'immeuble vendu et qu'en sa qualité de professionnel de l'immobilier il ne peut ignorer (Cass Civ. 1re, 18 avr. 1989: Bull. civ. I, ) mais non sur l'existence de désordres non apparents, si n'est pas rapportée la preuve qu'il en avait connaissance ( Cass Civ. 1re, 20 déc. 2000, no 98-20.765 ; Cass Civ 1 16 janv. 2007, no 04-12.908).
A titre liminaire, il sera observé que n'est plus contestée en cause d'appel l'intervention de la société SII en qualité de rédacteur de l'acte, que les premiers juges, avaient, au vu des pièces versées aux débats, notamment des termes du bail commercial, de l'acte de mandat et des factures établies, très justement retenue, après avoir caractérisé le lien contractuel unissant cette dernière société à la société Achille, rendant sans objet les développements sur ce point de la société Achille.
En l'espèce, la société Achille entend mettre en jeu la responsabilité de la société SII en qualité de rédacteur du bail l'unissant à la société RIC, pour, d'une part, la rédaction d'une clause d'indexation contraire au droit positif, d'autre part, l'absence de vérification de la situation de l'immeuble permettant une location au regard des normes applicables.
Comme toute responsabilité engagée sur le fondement des dispositions de l'article 1147 ancien du code civil, il appartient à celui qui s'en prévaut de justifier d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.
- sur la faute relative à la clause d'indexation
Avant d'examiner les stipulations du bail conclu le 27 février 2016, il convient de rappeler la jurisprudence applicable en matière de clause d'indexation, puisque la société Achille reproche à la clause présente au bail de ne pas être conforme au droit positif de l'époque.
Dans le cadre de prescriptions d'ordre public, l'article L. 112-1 du code monétaire et financier prévoit qu'est réputée non écrite toute clause d'un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d'une période de variation de l'indice supérieure à la durée s'écoulant entre chaque révision.
Par décision du 14 janvier 2016 (n° 14-24.681, Bull. 2016, III, n° 7), la Cour de cassation a posé le principe de la nullité d'une stipulation qui exclut la réciprocité de la variation et qui stipule que le loyer ne peut être révisé qu'à la hausse.
S'agissant du périmètre du réputé non écrit prévu par l'article L112-1, l'arrêt susvisé a jugé que le caractère essentiel ou non de l'exclusion d'un ajustement du loyer à la baisse relevait de l'appréciation souveraine du juge du fond.
Depuis lors, la Cour de cassation a précisé que, s'agissant d'un premier ajustement du loyer illicite, mais ponctuel, au regard des dispositions de l'article L. 112-1 du code monétaire et financier, seule la stipulation qui crée la distorsion prohibée est réputée non écrite (Cass 3 Civ. 29 novembre 2018, n° 17-23.058), solution depuis réaffirmée et étendue (Cass 3 Civ. 6 février 2020, n° 18-24.599 ou Cass 3e Civ., 17 février 2022, n° 20-20.463 pour un loyer plancher.)
Le bail comprend deux séries de clauses relatives à l'indexation :
- un article 7, intitulé « clause d'échelle mobile » ainsi rédigé : « le loyer ci-dessus fixé sera augmenté ou diminué de plein droit à chaque échéance annuelle, sans accomplissement d'aucune formalité judiciaire ou extra-judiciaire et subira une variation égale à celle de l'indice du coût de la construction, publié trimestriellement par l'INSEE. L'indice de référence est le dernier publié, soit celui mentionné à l'article 31. L'indice multiplicateur sera celui postérieur de un an à cet indice de base. Cette disposition constitue une condition essentielle et déterminante du présent bail sans laquelle il n'aurait pas été conclu » ;
- un article 30, figurant dans les conditions particulières suivant lequel « le présent bail est consenti et conclu moyennant un loyer annuel HT de 67 000 euros, soit 80 400 euros TTC. En tout état de cause et quelle que soit l'évolution de l'indice IC, le loyer ne pourra jamais être inférieur à 67 000 euros (montant du loyer initial) ».
En l'espèce, la société Achille se prévaut de l'arrêt du 7 novembre 2019 de la cour d'appel de Douai, intervenu en appel d'une décision du juge de l'exécution, lequel, dans son dispositif, a déclaré non écrite la clause d'indexation figurant dans le bail conclu le 26 février 2016, pour solliciter une somme de 13 163,27 euros HT, liée à son obligation de restituer au locataire le fruit de l'indexation du loyer initial, se décomposant comme suit :
- 1 458,36 euros pour la période de mars 2017 à février 2018 inclus ;
- 2 583,36 euros pour la période de mars 2018 à février 2019 inclus ;
- 5 208,36 euros pour la période de mars 2019 à février 2020 inclus ;
- 3 913,19 euros pour la période de mars 2020 à septembre 2020.
En premier lieu, il sera observé que l'arrêt précité n'a autorité de la chose jugée qu'entre les parties concernées, soit les sociétés Achille et RIC, la société SII n'étant pas partie à la décision, et qu'il ne comporte aucun chef exécutoire dans son dispositif imposant une restitution à la charge du bailleur des sommes éventuellement perçues au titre des indexations.
Par ailleurs, comme pour toute décision, si la seule partie contraignante de la décision est constituée par son dispositif, les motifs permettent d'en éclairer le sens, notamment en vue de cerner l'objet du litige tranché par la cour.
Or, un examen de la décision du 7 novembre 2019 permet de constater que le premier juge n'a statué qu'au visa de l'article 30 précité, qu'il cite expressément, après avoir rappelé la jurisprudence en matière d'indexation, et sans qu'aucune des parties ne lui ait soumis la question de la validité de l'article 7 et la question de la dissociabilité ou non des deux clauses.
En second lieu, contrairement à ce que la société SII prétend, la partie de la clause prévoyant qu'« en tout état de cause et quelle que soit l'évolution de l'indice IC, le loyer ne pourra jamais être inférieur à 67 000 euros (montant du loyer initial) », limite la variation possible à la baisse du loyer et ainsi perturbe la réciprocité de la variation. Cela est bien contraire à la jurisprudence en cours lors de la conclusion du bail, et arrêté par la Cour de cassation dans son arrêt du 14 janvier 2016.
Cependant, comme l'a justement rappelé le premier juge, la Cour de cassation ne répute non écrite, depuis l'arrêt de principe rendu le 29 novembre 2018, que la stipulation qui crée la distorsion prohibée.
Or, les deux articles 7 et 30 se trouvent liés et l'article 7 est stipulé comme constituant une condition essentielle et déterminante. Toutefois cette dernière mention ne figure pas à l'article 30, concernant la stipulation du loyer plancher. Aucun élément ne vient par ailleurs démontrer que cette partie de la clause ait été essentielle pour les parties.
Ainsi, la partie de la clause créant la distorsion se situe à l'article 30 et peut parfaitement être rescindée de la convention litigieuse sans porter atteinte au mécanisme de l'indexation prévu par l'article 7. En effet, la clause d'échelle mobile, prévue dans ce dernier article, prévoit un mécanisme pouvant jouer à la hausse comme à la baisse, sans distorsion d'indice et de période, et sans limitation, ce qui est parfaitement conforme à la jurisprudence.
Ainsi, comme le souligne justement la société SII et les premiers juges, la stipulation du loyer plancher pouvait être paralysée, sans nécessairement invalider l'ensemble de la clause d'échelle mobile, la portée de la décision de la cour d'appel du 7 novembre 2019 ne pouvant être étendue au-delà de la seule stipulation qui lui était soumise et qu'elle a examinée, à savoir l'article 30 prévoyant un loyer plancher.
La société Achille ne peut reprocher à la société SII l'interprétation extensive qu'elle a faite de l'arrêt précité et échoue à démontrer que nécessairement le mécanisme d'indexation des loyers devait être privé d'effet en intégralité dans sa relation entre la société RIC et elle-même la contraignant à restituer les sommes perçues de ce chef à son locataire.
En tout état de cause, la société Achille se garde bien de prouver qu'elle ait été légitime pour l'ensemble de la période qu'elle envisage à réclamer une indexation des loyers à son locataire et qu'elle ait été amenée à rembourser les sommes indument perçues de ce chef à ce dernier.
En effet, par arrêt du 16 février 2023, la cour d'appel de Douai a fixé la date de résiliation du bail unissant les sociétés Achille et RIC par acquisition de la clause résolutoire au 24 décembre 2017.
Or, aucune indexation ne peut être réclamée à un preneur au titre d'un bail qui est résilié, d'autant moinsqu'il n'est pas démontré qu'il ait été demandé de fixation de l'indemnité d'occupation mensuelle au montant du loyer en cours, tenant compte de l'indexation.
Dans l'arrêt précité, la cour d'appel a expressément constaté, aux termes du dispositif, qu'aucune demande d'indemnité d'occupation mensuelle n'était formulée par le bailleur pour la période du 24 décembre 2017 au 1er juin 2018, puisque la créance d'indemnité d'occupation due pour la période du 1er juin 2018 au 30 juin 2020 par la société RIC était d'un montant de 153 400 euros, en tenant compte de l'atteinte à la jouissance des locaux. Enfin, compte tenu des versements d'ores et déjà intervenus au profit de la société Achille relatifs à cette dernière période, à hauteur de 174 344,98 euros, la cour a rejeté la demande en fixation à titre privilégié d'une indemnité d'occupation pour la période du 1er juin 2018 au 31 juillet 2020 à la procédure collective de la société RIC.
Ainsi, l'invalidation invoquée du mécanisme de l'indexation envisagée par l'arrêt du 7 novembre 2019 n'a pu induire une restitution éventuelle du trop-perçu au titre de l'indexation des loyers que pour la période du 1er mars 2017 au 24 décembre 2017.
La restitution des sommes perçues au titre de l'indexation pour la période postérieure au 24 décembre 2017 trouve sa source non dans l'invalidation de l'indexation mais dans la résiliation même du bail, privant de toute façon le bailleur de la possibilité de se prévaloir de cette stipulation du bail.
Or, il n'est justifié d'aucune restitution par la société Achille à la société RIC d'une quelconque somme perçue au titre de l'indexation sur cette période du 1er mars 2017 au 24 décembre 2017, les protocoles d'accord transactionnel, sans décomptes précis ne permettant pas d'établir quelles ont été précisément les renonciations réciproques des parties et sont taisants sur les sommes perçues au titre de l'indexation.
Enfin, contrairement à ce qu'affirme la société Achille, sans apporter le moindre commencement de preuve, il ne ressort pas des termes de l'arrêt du 16 février 2023 que la créance d'indemnité d'occupation ait été fixée à une valeur moindre, en défaveur du bailleur, compte tenu de l'invalidation de la clause d'indexation. Au contraire, tandis que le loyer était suivant les protocoles versés aux débats de 8 738,44 euros TTC, (soit 5 583,33 euros HT et 1 698,70 euros HT), la cour d'appel a estimé justifiée une indemnité d'occupation de 5 900 euros compte tenu de la diminution de l'attrait des locaux à raison de la persistance des troubles dans la jouissance pour cette période.
Pour le solde du montant réclamé, près de 12 000 euros, qui serait constitué de l'application d'un intérêt de 1 % sur les sommes dues et sur les frais de justice engagés, il n'est justifié d'aucun décompte précis et d'aucun remboursement de ce chef non plus. Il sera en outre observé que le lien de causalité entre cette demande, notamment au titre des frais de justice et la faute reprochée au rédacteur de l'acte, fait défaut, le litige opposant le preneur au bailleur ne trouvant pas sa source dans cette question d'indexation, mais dans un contentieux plus large relatif au respect par chacune des parties de ses obligations.
En conséquence, la société Achille échouant dans la charge de la preuve qui lui incombe d'établir tant la faute que le préjudice, sa demande ne peut qu'être rejetée, ce qui justifie la confirmation de la décision entreprise sur ce point.
- sur les fautes complémentaires relatives à l'état de l'immeuble
En l'espèce, la société SII a reçu mandat de commercialiser le bien litigieux dans le cadre d'un bail commercial, de rechercher un locataire puis de rédiger le bail, et ce contre une rémunération globale de 20 100 euros HT.
La société Achille reproche à la société SII d'avoir manqué à son obligation de conseil et d'information avant de conclure le bail, en n'attirant pas son attention sur la situation de l'immeuble, notamment sur la conformité du bien avec l'obligation de délivrance pesant sur le bailleur. Elle mentionne un défaut de conformité des évacuations des eaux pluviales, un défaut d'entretien de l'immeuble et des toitures, un défaut de conformité de l'installation électrique, une absence de conformité des ponts roulants et une défaillance de l'installation électrique.
Comme exposé ci-dessus, l'obligation d'information du mandant, source de responsabilité du mandataire, dépend, d'une part, du caractère apparent ou non des désordres, d'autre part, de sa connaissance ou non de l'existence de ces désordres.
Premièrement, concernant le défaut d'évacuation des eaux pluviales, aucune pièce n'établit que ce désordre fut apparent ou qu'il ait dû être connu de la société SII en sa qualité de professionnel de l'immobilier. Au contraire, il ressort des pièces versées aux débats, et notamment de l'expertise judiciaire, que ce désordre n'a été révélé que postérieurement à la rédaction de l'acte, par des inondations successives, et a nécessité d'importantes investigations de l'expert judiciaire pour en déterminer l'origine, ce qui est de nature à établir que la société SII n'avait ni connaissance ni possibilité de connaître cet état. Le manquement à un quelconque devoir de conseil ou d'information de ce chef n'est donc pas établi.
Deuxièmement, il ressort de l'arrêt du 16 février 2023, que plus qu'un défaut d'entretien des toitures de l'immeuble, ce sont leur caractère vétuste qui est retenu, manquement imputable au bailleur, et non au preneur. La société Achille, qui ne peut pas ignorer l'ancienneté de la toiture de son bâtiment, n'établit pas que ce désordre fut apparent ni que l'agent immobilier ait eu connaissance de ce vice ou ne pouvait l'ignorer. Ce manquement d'information ou de conseil à ce titre n'est donc pas plus constitué.
Troisièmement, le défaut de conformité des installations électriques n'a été révélé qu'après la conclusion du bail, et notamment après la réalisation d'un audit établi par la société Véritas à la demande de la société RIC, dont il est résulté qu'un nombre de travaux de réhabilitation sur le réseau électrique était nécessaire, comme le rappelle l'expertise judiciaire.
Si l'expert note la réalisation d'un état des lieux, pointant déjà des câbles, prises ou goulottes non scellés, il rappelle également que, lors de l'entrée en jouissance, le bâtiment industriel n'était plus alimenté en électricité ce qui ne permettait pas d'apprécier la conformité du réseau et l'étendue des travaux de mise aux normes nécessaires. Aucun élément n'établit que lors de la visite de la société SII, à une date ignorée, l'alimentation électrique du bâtiment, inoccupé alors, fut effective.
Ainsi, le caractère apparent du désordre ne peut être déduit de la seule présence de quelques prises ou de goulottes descellées et câbles pendants. La société SII, qui n'est ni un professionnel du bâtiment ni un spécialiste en contrôle des installations électriques, n'était ni en mesure de connaître le désordre ni en devoir de procéder à des vérifications complémentaires pour le faire apparaître. Ce désordre a d'ailleurs nécessité, pour être mis en lumière dans le cadre de l'expertise, que M. [N], expert judiciaire, s'adjoigne des professionnels du domaine électrique. Ce manquement d'information ou de conseil de ce chef n'est, dès lors, pas avéré.
Quatrièmement, la société Achille ne peut pas plus reprocher à la société SII de ne pas avoir attiré son attention sur la non-conformité des ponts-roulants aux normes en vigueur.
Là encore, lors de l'entrée dans les lieux de la société RIC, faute d'alimentation électrique, le fonctionnement des ponts roulants n'a pu être testé, comme cela ressort des termes de l'expertise et de l'arrêt du 16 février 2023.
Il n'est pas plus établi qu'à la date de la visite dans les lieux par la société SII, à une date ignorée, l'alimentation électrique ait été existante permettant de tester les ponts roulants dont la non-conformité aux normes en vigueur n'a été mise en lumière que par l'intervention d'un bureau de contrôle spécialisé, et ce postérieurement à la conclusion du bail (Bureau Véritas avril 2016).
S'il est établi que, dès le contrôle technique du 17 février 2015, à tout le moins pour un des ponts, la société Apave a consigné un défaut de sécurité, aucune des pièces versées aux débats n'établit que la société SII n'ait eu connaissance de ce rapport ou ait pu s'apercevoir de cette défaillance. La société SII n'avait aucune qualification en la matière, n'étant pas un professionnel de la sécurité des installations industrielles.
Le caractère apparent de ce désordre ainsi que la connaissance par la société SII de ce désordre ne sont pas prouvés, ce qui justifie le rejet de ce grief également.
En définitive, il n'est justifié d'aucune faute complémentaire en lien avec un défaut de conseil ou d'information susceptible d'engager la responsabilité de la société SII compte tenu des désordres ci-dessus exposés, dont il n'est ni démontré qu'ils fussent apparents ni connus de ce mandataire, qui en sa qualité de professionnel de l'immobilier, n'était ni un professionnel de la sécurité des installations électriques ou industrielles, ni un professionnel du bâtiment.
Il ne saurait pas plus être reproché de manière générale par la société Achille à la société SII de ne pas avoir attiré son attention sur l'obligation générale de délivrance qui pesait sur elle, en sa qualité de bailleur, compte tenu des dispositions des articles 1719 et suivants du code civil.
Cette demande d'indemnisation est rejetée et la décision entreprise est confirmée de ce chef également.
- Sur les dépens et accessoires
En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la société Achille succombant en ses prétentions, il convient de la condamner aux dépens.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Achille, tenue aux dépens d'appel, sera condamnée au titre des frais irrépétibles à hauteur de la somme fixée au dispositif du présent arrêt, et déboutée de sa propre demande de ce chef.
Les chefs de la décision entreprises relatifs aux dépens et à l'indemnité procédurale sont confirmés.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Dunkerque en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Achille aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me [S], conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Achille à payer à la société SII transaction la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la société Achille de sa demande d'indemnité procédurale.