CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 20 juin 2024, n° 21/17385
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Denterbridge (SA)
Défendeur :
Comptoir Fiduciaire de (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Ranoux-Julien, Mme Prigent
Avocats :
Me Chuquet, Me Ghio
EXPOSE DU LITIGE
La société Comptoir Fiduciaire de [Localité 5] (la société CFP) est une société de recouvrement de créances.
La société Denterbridge est spécialisée dans la fabrication de prothèses dentaires.
La société Denterbridge a conclu le 9 avril 2015 avec la société CFP « une offre de partenariat », modifiée par avenant le 23 novembre 2016, pour le recouvrement de ses créances impayées.
Entre 2015 et 2019, 16 dossiers lui ont été transmis.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er octobre 2019, la société Denterbridge a informé la société CFP qu'elle mettait fin à ses services, sollicitant l'arrêt des actions de recouvrement sur les dossiers en cours et leur restitution.
La société CFP a émis à l'encontre de la société Denterbridge une facture de commissions s'élevant à la somme de 33 797, 99 euros.
Aucun règlement n'étant intervenu malgré la mise en demeure du 3 décembre 2019, la société CFP a assigné la société Denterbridge par acte du 16 janvier 2020 devant le tribunal de commerce de Paris en paiement des commissions et en indemnisation du préjudice subi.
Par jugement du 9 septembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a :
- Débouté la société Denterbridge de sa demande en nullité de la clause V des conditions générales du contrat,
- Débouté la société Denterbridge de sa demande que la clause V soit réputée non écrite ;
- Débouté la société Denterbridge de sa demande d'indemnité au titre du préjudice subi ;
- Condamné la société Denterbridge à payer à la société CFP la somme de 33 707,99 euros majorée des intérêts de retard à compter de la mise en demeure du 3 décembre 2019 au taux en vigueur de la BCE majoré de 10 points en conformité avec la clause V des conditions générales du contrat de mandat ;
- Débouté la société Denterbridge de ses autres demandes ;
- Condamné la société Denterbridge à payer à la société CFP la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Denterbridge aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA ;
- Rappelé que l'exécution provisoire était de droit.
Par déclaration du 5 octobre 2021, la société Denterbridge a interjeté appel du jugement en ce qu'il a :
- Débouté la société Denterbridge de sa demande en nullité de la clause V des conditions générales du contrat ;
- Débouté la société Denterbridge de sa demande que la clause V soit réputée non écrite ;
- Débouté la société Denterbridge de sa demande d'indemnité au titre du préjudice subi ;
- Condamné la société Denterbridge à payer à la société CFP la somme de 33 707,99 euros majorée des intérêts de retard à compter de la mise en demeure du 3 décembre 2019 au taux en vigueur de la BCE majoré de 10 points en conformité avec la clause V des conditions générales du contrat de mandat ;
- Débouté la société Denterbridge de toutes ses demandes ;
- Condamné la société Denterbridge à payer à la société CFP la somme de 3 000 euros au titre de l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Denterbridge aux dépens.
Par ses dernières conclusions notifiées le 29 janvier 2024, la société Denterbridge demande de :
Confirmer le jugement du tribunal en ce qu'il a :
- Déclaré applicables les dispositions de l'Ordonnance du 10 février 2016.
- Jugé que le contrat est un contrat d'adhésion.
Infirmer le jugement du tribunal en ce qu'il a :
- Jugé que la demande en nullité formulée par la société Denterbridge est prescrite.
- Condamné la société Denterbridge à payer à la société CFP la somme de 33 707,99 euros, majorée des intérêts de retard à compter de la mise en demeure du 3 décembre 2019 au taux en vigueur de la BCE majorée de 10 points en conformité avec la clause V du contrat de mandat, ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
- Débouté la société Denterbridge de toutes ses autres demandes.
Statuant à nouveau :
A titre principal :
Déclarer nulles et de nul effet, les dispositions de l'article V des conditions générales du mandat, par application des articles 1169, 1170, 1171 et 1210, 1984 et suivants du code civil ; à tout le moins les déclarer réputées non écrites.
Débouter en conséquence la société CFP de l'ensemble de ses demandes.
A titre subsidiaire :
Si la cour ne devait pas juger nulles ou réputées non écrites des dispositions de l'article V des conditions générales du mandat :
Juger par interprétation de l'article V des conditions générales que les créances n'étaient pas en cours de recouvrement et donc infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Denterbridge à payer à la société CFP la somme de 33 707,99 euros, majorée des intérêts de retard à compter de la mise en demeure du 3 octobre 2019 au taux en vigueur de la BCE majorée de 10 points ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
Juger recevable en cause d'appel la demande au titre de la résiliation du contrat de mandat et dire que la société Denterbridge a légitimement mis fin au mandat en provoquant sa résiliation par application des dispositions des articles 1217 et suivants du code de procédure civile ;
Débouter en conséquence la société CFP de l'ensemble de ses demandes.
A titre très subsidiaire :
Vu l'article 1235-1 du code civil,
Juger que l'article V des conditions générales du contrat de mandat constitue une clause pénale ;
Réduire la pénalité à la somme de 1 euro et débouter la société CFP de ses autres demandes.
En toute hypothèse :
Condamner la société CFP à réparer le préjudice subi par la société Denterbridge résultant du caractère abusif des dispositions de l'article V des conditions générales du mandat par application des dispositions de l'article L. 442-6 I, 2° du code de commerce, soit la somme de 35 000 euros ;
Prendre acte que la société CFP a déclaré en première instance détenir un chèque en portefeuille correspondant au solde de la créance du dossier [Z] ;
Condamner en conséquence la société CFP à payer à la société Denterbridge la somme de 3 616,80 euros, commission déduite, au titre de cette créance ;
Débouter le société CFP de l'ensemble de ses demandes.
Condamner la société CFP au paiement de la somme de 7 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Par ses dernières conclusions notifiées le 8 décembre 2021, la société CFP demande, au visa des articles 564 du code de procédure civile et 1103 du code civil, de :
Dire et juger la société Denterbridge irrecevable en application de l'article 565 du code de procédure civile, en sa prétention fondée sur l'inexécution et l'article 1217 du code civil ;
Dire et juger la société Denterbridge mal fondée sur ses autres prétentions ;
La débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Confirmer le jugement entrepris ;
Y ajouter
Condamner la société Denterbridge au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 février 2024.
La cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE LA COUR
Sur l'étendue de l'appel
L'appel ne porte pas sur le chef de dispositif du jugement ayant débouté la société CFP de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société Denterbridge.
Cette disposition est définitive.
Sur l'existence d'une prétention nouvelle
La société CFP demande à ce que la demande de la société Denterbrige fondée sur la révocation du mandat en application de l'article 1217 du code civil soit déclarée irrecevable s'agissant d'une nouvelle prétention invoquée pour la première fois devant la cour.
La société Denterbridge fait valoir que, si sa demande de voir prononcer la résiliation du mandat pour défaut d'exécution par la société CFP repose sur un fondement juridique différent que ceux invoqués en première instance, elle a pour objet de faire écarter les prétentions adverses, à savoir la condamnation au paiement de commissions issues du mandat non exécuté. De plus, elle affirme qu'invoquer le défaut d'exécution est une défense au fond à la demande en paiement qui peut être proposée, aux termes de l'article 72 du code de procédure civile, en tout état de cause.
L'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
La demande nouvelle est notamment recevable lorsqu'elle constitue la conséquence, l'accessoire ou le complément d'une demande formulée en première instance.
En l'espèce, la demande de la société Denterbridge fondée sur la résiliation du mandat pour inexécution vise à faire échec à la demande en paiement de la société CFP et se rattache donc par un lien suffisant aux prétentions originaires de cette dernière.
Dès lors il doit être considéré que la demande de la société Denterbridge fondée sur l'inexécution du contrat est recevable au regard des dispositions des articles 564 et 567 du code de procédure civile.
Sur la loi applicable
La société Denterbridge soutient que les nouvelles dispositions de l'ordonnance du 10 février 2016, entrées en vigueur le 1er octobre 2016, s'appliquent, dans la mesure où le contrat du 9 février 2015 a fait l'objet d'un avenant en date du 23 novembre 2016, lequel comprend des conditions générales paraphées par la société Denterbridge et qui sont l'objet du litige.
La société CFP fait quant à elle valoir que l'avenant du 21 novembre 2016 se rapporte à une simple modification des conditions tarifaires. Le contrat ayant été conclu avant le 1er octobre 2016, il demeure soumis à la loi ancienne.
Un avenant se définit comme un acte qui modifie le contrat en l'adaptant ou en le complétant par de nouvelles clauses. Si l'avenant bouleverse l'économie générale du contrat initial, il ne s'agit plus d'un avenant mais d'un contrat autonome.
En l'espèce, l'acte du 21 novembre 2016 est intitulé « avenant au contrat et mandat CFP ». Il comporte sans les annexes trois pages dont deux sont les tableaux détaillant les nouveaux tarifs, la dernière étant consacrée aux signatures précédées de la mention « le présent contrat est un avenant à votre contrat de mandat de recouvrement en vigueur ».
La modification porte donc exclusivement sur les conditions tarifaires du contrat, révisées à la baisse, avec l'application de nouveaux taux de commission, et la suppression de l'obligation d'achat pour le client de « carnets d'unités de recouvrement » (de l'ordre de 38 euros HT l'unité) utilisées pour le recouvrement des créances (1unité pour chacune des phases amiable, pré-contentieuse et judiciaire).
Contrairement à ce qu'a jugé le tribunal la simple suppression « des unités de recouvrement » ne constitue pas une modification substantielle du contrat, mais seulement une modification tarifaire, alors que les prestations de la société CFP restent inchangées. La clause V des conditions générales du contrat, qui constitue le c'ur du litige entre les parties, demeure strictement identique.
Il apparait donc clairement que les parties n'ont pas entendu signer un nouveau contrat le 21 novembre 2016, mais seulement adapter les modalités tarifaires de la précédente convention, peu important que les modalités de calcul des tarifs aient été modifiées et que les conditions générales d'utilisation et de fonctionnement des services aient été à nouveau paraphées.
Le contrat ayant été régularisé entre les parties le 9 avril 2015, soit avant le 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, complétée par la loi du 20 avril 2018 ratifiant cette ordonnance, il demeure soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public, conformément à l'article 9 de cette ordonnance.
Sur la demande de la société Denterbridge tendant à voir prononcer la nullité de la clause V du contrat ou à tout le moins réputée non écrite
En l'espèce, la clause V des conditions générales du contrat est relative aux modalités de paiement. Elle stipule :
« Le droit à commission sur le montant de la créance transmise, est acquis à CFP dès la remise du dossier suivant le barème de la prestation choisie :
- si le client obtient directement le règlement de sa créance par quelque moyen que ce soit,
- s'il accepte le retour de sa marchandise, ou établit un avoir annulant partiellement ou totalement sa créance,
- s'il demande la restitution de son dossier, ou révoquait le mandat en cours de recouvrement,
- si la créance se révélait non fondée à la suite d'une décision judiciaire,
- si le client ne remet pas à CFP les pièces justifiant le bien fondé de la créance pour lui permettre d'accomplir sa mission,
- s'il constitue, en cours de traitement, et pour la même créance ou la même affaire, à un autre mandataire ».
La société CFP fait valoir que l'exception de nullité du contrat est prescrite sur le fondement de l'article 2224 du code civil. Elle expose que le délai de prescription court à compter de la date de signature du contrat, soit le 9 avril 2015, et elle relève que la société Denterbridge avait jusqu'au 9 avril 2020 pour présenter ces moyens et demandes, et qu'elle les a formalisées pour la première fois aux termes de ses conclusions notifiées devant le tribunal le 1er juillet 2020.
La société Denterbridge qui considère que le point de départ du délai de prescription doit être fixé au 23 novembre 2016 conclut au rejet de l'exception de prescription quinquennale soulevée par la société CFP. Elle affirme que l'exception de nullité est perpétuelle et qu'ayant soulevé la nullité de la clause V en défense à la demande qui lui était opposée, celle-ci n'est pas prescrite.
L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent pas cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Il résulte des articles 1168 et 1304 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qu'après l'expiration du délai de prescription de l'action en annulation d'un acte, l'exception de nullité ne peut être invoquée que pour faire échec à la demande d'exécution d'un acte qui n'a pas encore été exécuté ou n'a pas reçu un commencement d'exécution.
Le contrat a été signé le 9 avril 2015 et s'est exécuté jusqu'au 1er octobre 2019, la société Denterbridge est irrecevable à se prévaloir, après l'expiration du délai de prescription, de la nullité de la convention qu'elle avait exécutée.
Il convient de relever que la société Denterbridge invoque au soutien de sa demande de nullité de la clause litigieuse tout à la fois l'absence de contrepartie ou de substance au profit de celui qui s'engage (article 1169 et 1170 du code civil), l'existence d'un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties (article 1171 du code civil), la prohibition des engagements perpétuels (article 1210 du code civil), et l'interdiction pour le mandataire de réclamer d'autres sommes que ses frais engagés (article 1984 du code civil).
Il est nécessaire de déterminer, pour chacun des moyens soulevés par la société Denterbridge, la date à laquelle celle-ci a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer ses droits.
Sur l'absence de contrepartie ou de substance au profit de celui qui s'engage et le déséquilibre significatif
La société Denterbridge reproche à la clause V de fixer au profit de la société CFP une rémunération du fait de la seule réception d'un dossier de créance, même si elle s'abstient de toute démarche ; elle est, dès la remise du dossier, indéfiniment liée à son mandataire.
Les articles 1169, 1170 et 1971 du code civil sont issus de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 et ne s'appliquent qu'aux contrats conclus à compter de son entrée en vigueur, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
L'article 1131 (ancien) du code civil dispose cependant que l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet. Une contrepartie illusoire ou dérisoire est une absence de cause.
C'est à la date de formation de la convention que la cour doit se placer pour apprécier si le contrat comporte une clause privant de sa substance l'obligation essentielle du débiteur, entraînant sa nullité.
Ce moyen est prescrit, pour avoir été soulevé pour la première fois dans des écritures du 1er juillet 2020, soit plus de 5 ans après le 9 avril 2015, date de la formation du contrat.
Sur l'existence d'un engagement perpétuel
La société Denterbridge soutient que la clause litigieuse enferme le mandant dans la convention et l'a privée de toute possibilité de résiliation alors que l'article 1120 du code civil prohibe les engagements perpétuels.
L'article 1120 du code civil est entré en vigueur le 1er octobre 2016 et se trouve donc inapplicable en l'espèce.
Une jurisprudence constante prohibe cependant les engagements perpétuels, en application de l'article 1184 (ancien) du code civil, qui prévoit que la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques.
Il est de principe que doit être déclarée nulle la clause qui, à raison des conséquences qu'elle prévoit, tend à priver le contractant de l'exercice de sa faculté de résiliation.
La société CFP affirme que le contrat n'est pas perpétuel car dans l'hypothèse où le mandant ne lui confie aucun mandat de recouvrement, il reste lettre morte : si le cocontractant ne veut plus faire affaire avec la société de recouvrement, il suffit de cesser de lui confier les créances en recouvrement, sans avoir à respecter aucun formalisme ni préavis. Elle soutient que les mandats donnés sur chaque créance confiée ne sont pas davantage perpétuels, puisque le droit de créance ne l'est pas : soit la créance confiée est recouvrée, soit elle devient irrecouvrable ou se prescrit.
La société Denterbridge soutient que la clause litigieuse enferme le mandant dans la convention et l'a privée de toute possibilité de résiliation : d'après elle, le mandant est perpétuellement engagé dès lors que le paiement d'une commission s'impose dès la réception du dossier, sous la forme déguisée d'une indemnité, même en l'absence de toute démarche du mandataire pour exécuter sa mission.
La société Denterbridge a, par lettre du 1er octobre 2019, indiqué à la société CFP qu'elle mettait fin à leur collaboration. Elle ne démontre pas en quoi les conditions financières du contrat ont été de nature à la priver de sa faculté de résiliation, le seul fait d'être tenu au paiement d'une commission de 6 à 12% pour chaque recouvrement de créance n'ayant pas pour effet de lui interdire de mettre fin au contrat ni de le faire durer indéfiniment.
La clause litigieuse ne peut donc être écartée pour ce motif.
Sur le droit de réclamation du mandataire
La société Denterbridge affirme qu'en application de l'article 1999 du code civil, le mandataire ne peut lui demander que le remboursement des avances et frais qu'il a engagés pour la récupération de chaque créance de client. Il en résulte selon elle que le paiement des commissions n'est uniquement dû que si le mandataire réussit sa mission par la récupération de la totalité des créances.
La société CFP réplique que le législateur prévoit le paiement du salaire du mandataire ; dès lors la rémunération d'un dédit lorsqu'il est prévu par le mandat est licite.
L'article 1999 du code civil dispose que mandant doit rembourser au mandataire les avances et frais que celui-ci a faits pour l'exécution du mandat, et lui payer ses salaires lorsqu'il en a été promis.
Les conditions générales du contrat conclu entre les parties stipule au titre II « mandat de recouvrement » que : « le client pourra révoquer le mandat de recouvrement à tout moment moyennant versement à CFP de la rémunération qui est due telle que définie à l'article IV des présentes conditions générales du contrat et des frais exposés par CFP dans le cadre de son mandat ».
Le contrat de mandat a été conclu en l'espèce à titre onéreux, l'existence d'une contrepartie pour la société CFP ne se limitant pas au seul remboursement des frais engagés dans le cadre du recouvrement des créances n'est pas une cause de nullité.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société Denterbridge de sa demande de nullité de la clause V des conditions générales du contrat.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 442-1 2° du code de commerce
L'article L442-6, devenu L. 442-1 2° du code de commerce, dans sa version s'appliquant au litige dispose que :
« I.-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (')
2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; ».
La société Denterbridge affirme que le contrat litigieux est un contrat d'adhésion sur lequel elle n'a eu aucun pouvoir de négociation. La clause V crée selon elle un déséquilibre significatif à son détriment puisqu'elle est, dès la remise du dossier, indéfiniment liée à son mandataire, ne pouvant reprendre le dossier que sous peine d'une sanction particulièrement lourde, le paiement total de la commission et ce, sans que le mandataire n'ait à justifier d'un quelconque effort. Elle soutient que la société CFP a engagé sa responsabilité en introduisant cette clause abusive dans le contrat et elle sollicite sur ce fondement la somme 35 000 euros à titre de dommages et intérêts.
La société CFP indique d'une part que l'action sur ce fondement est prescrite et en tout état de cause mal fondée, puisque cette clause doit être analysée à la lumière de l'économie générale du contrat. D'après elle, la société Denterbridge ne démontre pas l'existence du préjudice qu'elle allègue.
En l'espèce, la société Deterbridge fonde son action en responsabilité du fait de l'introduction, par la société CFP, d'une clause litigieuse dans le contrat. C'est donc à compter de la formation du contrat, soit le 9 avril 2015, que le point de départ du délai de prescription est fixé. La société Denterbridge aurait dû agir dans les 5 ans à compter de la date de formation du contrat introduisant la clause V, soit au plus tard le 9 avril 2020.
Cette demande formalisée pour la première fois au terme de ses conclusions notifiées le 1er juillet 2020 est donc prescrite.
Sur l'interprétation de la clause V et la nécessité que la société CFP de démontrer que le recouvrement était « en cours »
La société Denterbridge soutient que la rédaction de la clause V est ambigüe et qu'en application des articles 1190 et 1191 du code civil, toute clause litigieuse s'interprète contre le créancier et en faveur du débiteur. Elle affirme que la société CFP ne démontre pas que les dossiers étaient « en cours de recouvrement », alors que le droit à commission n'est dû, aux termes du contrat, que si le client « demande la restitution de son dossier, ou révoquait le mandat en cours de recouvrement ». Le sens de cette clause doit s'interpréter selon elle comme étant deux conditions cumulatives, la rémunération n'étant due qu'en cas de démonstration qu'un recouvrement était « en cours ».
La société CFP affirme pour sa part que la clause vise indifféremment tous les dossiers de son portefeuille, ceux pour lesquels le recouvrement est en cours, ceux pour lesquels une phase amiable était engagée et ceux en phase pré-contentieuse.
La clause V stipule que le droit à commission sur le montant de la créance transmise, est acquis à CFP « dès la remise du dossier ». La clause litigieuse précise par ailleurs que ce droit à commission est dû par le client « s'il demande la restitution de son dossier, ou révoquait le mandat en cours de recouvrement ».
Le terme « ou » démontre clairement qu'il s'agit d'une proposition alternative et non pas cumulative. Le droit à commission de la société CFP n'est donc pas soumis à la démonstration que les créances étaient en cours de recouvrement, la société Denterbridge n'établissant pas que cette clause soit affectée d'une quelconque ambigüité.
Sur l'exception d'inexécution
La société Denterbridge soutient que la société CFP ne justifie pas avoir exécuté son mandat et qu'elle n'a obtenu aucun résultat probant dans le cadre de sa mission de recouvrement. Dès lors, elle affirme avoir légitimement provoqué la résolution du contrat, en application de l'article 1217 du code civil.
La société CFP réplique que son obligation de recouvrer n'est pas une obligation de résultat mais de moyens et que la société Denterbridge ne démontre pas la défaillance de la société CFP dans l'exécution de cette obligation.
Aux termes de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ».
En l'espèce, la société CFP verse aux débats le tableau des 16 créances transmises par la société Denterbridge entre le 26 mai 2015 et le 24 septembre 2019.
Un recouvrement partiel a été obtenu pour trois d'entre elles. Par ailleurs, la cour observe que pour six d'entre elles, la transmission par la société Denterbrige de la créance précède de 6 jours sa demande de restitution, le 1er octobre 2019, ne rendant pas significatif l'absence de résultat.
La société Denterbridge ne démontre donc pas la carence de la société CFP, qui est soumise à une obligation de moyen, dans l'exécution de sa mission.
Sur la qualification de la clause V en clause pénale
La société Denterbridge soutient que les dispositions de l'article V des conditions générales constituent une clause pénale, au sens de l'article 1231-5 du code civil. Elle affirme que l'obligation de régler le montant des commissions qui aurait été dû si la créance avait été récupérée remplit une fonction indemnitaire et comminatoire. La pénalité réclamée est d'après elle manifestement excessive car la société CFP ne justifie d'aucune dépense engagée en vue de recouvrer les créances.
La société CFP soutient que l'alinéa 3 de l'article V du contrat est une clause de dédit. Elle affirme que cette clause n'est pas comminatoire car elle ne joue pas en toutes circonstances mais uniquement dans les hypothèses listées par l'article V. Elle affirme que l'économie générale du contrat repose sur un principe restrictif : la société de recouvrement n'est rémunérée que sur l'encaissement entre ses mains, pas sur la quantité du travail fourni, mais si le mandant ruine toute chance d'encaissement, il doit payer une contrepartie conformément à l'article V.
Il convient de rappeler que constitue une clause pénale au sens de l'article 1152 du code civil dans sa version antérieure à celle de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, applicable à la cause, la clause d'un contrat qui prévoit une évaluation forfaitaire et anticipée des conséquences d'une inexécution du contrat.
Elle se distingue en cela de l'indemnité pour résiliation anticipée, puisque par nature, il s'agit d'une sanction de l'inexécution de leurs obligations par le co-contractant.
En l'espèce, le droit à commission de la société CFP défini dans la clause V du contrat ne constitue pas une clause pénale mais l'un des éléments de calcul de l'indemnité de fin de mandat dans les cas prévus, de telle sorte qu'il n'est pas soumis au pouvoir modérateur du juge.
Sur la créance [Z]
La société Denterbridge soutient que, dans ses conclusions de première instance, la société CFP a affirmé sans réserve détenir un chèque en portefeuille du montant du solde de la créance pour le dossier de l'un de ses clients, [Z] (4 110 euros), ce qui constitue un aveu judiciaire. La détention de ce chèque constitue selon elle un abus de confiance mais également une faute. La société Denterbridge affirme avoir subi un préjudice correspondant au montant du chèque réduit des frais de commission et elle demande la condamnation de la société CFP à lui verser la somme de 3 616,80 euros, le principe d'immunité de la défense ne s'appliquant pas devant une juridiction civile.
La société CFP réplique que les conclusions de première instance ne sont pas un élément de preuve et que la société Denterbridge ne justifie pas que la créance [Z] a été recouvrée. Elle ajoute qu'il existe un principe d'immunité de la défense.
En l'espèce, la société Denterbridge verse aux débats les conclusions n°4 versées par la société CFP devant le tribunal dans lesquelles elle écrit page 12 : « sur le dossier [Z], le chèque du solde de la créance est en portefeuille ».
Si l'immunité judiciaire interdit, aux termes de l'article 41 alinéa 4 de la loi sur la presse, de poursuivre une partie en diffamation, injure ou outrage pour des écritures versées devant une instance judiciaire, des écritures peuvent constituer la preuve d'un fait juridique. La société CFP a déclaré dans ses conclusions de première instance disposer d'un chèque représentant le solde de la créance du dossier [Z], soit 4 440 euros, chèque qu'elle ne justifie pas avoir transmis à la société Denterbridge.
L'aveu judiciaire, au sens de l'article 1383-2, est irrévocable et fait foi contre celui qui l'a fait, sauf en cas d'erreur de fait.
La société CFP n'invoque pas l'erreur de fait.
La clause V des conditions générales du contrat stipule que « une fois par mois, les règlements effectivement encaissés sont reversés au client, déduction faite des commissions dues et éventuellement des provisions constituées ou des frais déboursés pour son compte, ainsi que des factures émises et non réglées. Le client autorise à effectuer la compensation entre les sommes récupérées et celles dont il serait éventuellement redevable envers CFP ».
La société CFP, qui a reconnu avoir obtenu le solde de la créance « [Z] », ne démontre pas avoir engagé des frais de recouvrement pour le compte de la société Denterbridge. Elle est donc redevable du montant du solde de sa créance, déduction faite de la commission prévue au contrat :
4 410 euros (solde de la créance) - 493,20 euros (commission CFP) = 3616,80 euros.
En conséquence, la société CFP sera condamnée à verser à la société Denterbridge la somme de 3 254 euros.
Sur le montant des commissions dues
Lors de la demande de restitution, la société CFP justifie avoir eu en recouvrement les dossiers débiteurs suivants :
Date
Nom
Montant
Versement
Solde
Taux
Honoraire
26/05/15
[Z]
23 530 €
19 420 €
4 110 €
12%
493,20 €
06/11/18
Ass. Pol. Dent. Bayen
41 918,10 €
11 675 €
30 243,10 €
12%
3 629,17 €
06/11/18
Cent. Médic. Clichy
16 683 €
0,00 €
16 683 €
12%
2 001,96 €
28/02/19
Kose
39 833 €
0,00 €
39 833 €
12%
4 779,96 €
28/02/19
[S] [R]
15 742 €
0,00 €
15 742 €
12%
1 889,04 €
28/02/19
Ouazana
10 866 €
0,00 €
10 866 €
12%
1 303,92 €
09/04/19
Dental [Localité 6]
8 076,69 €
6 548,49 €
1 528,20 €
12%
183,38 €
27/06/19
Kanouni
80 878,16 €
0,00 €
80 878,16 €
12%
9 705,38 €
27/06/19
Ruben
11 554 €
0,00 €
11 554 €
12 %
1 386,48 €
25/07/19
Bitton
7 344 €
0,00 €
7 344 €
12 %
881,28 €
24/09/19
Abitbol
2 251,63 €
0,00 €
2 251,63 €
6 %
135,10 €
24/09/19
Berdugo
10 636 €
0,00 €
10 636 €
6 %
638,16 €
24/09/19
Berdugo
3 942 €
0,00 €
3 942 €
6 %
236,52 €
24/09/19
Sté Particip. Financière
1 721 €
0,00 €
1 721 €
6 %
103,26 €
24/09/19
Dahan
2 335 €
0,00 €
2 335 €
6 %
140,10 €
24/09/19
Cab. Madar
9 718 €
0,00 €
9 718 €
6 %
583,08 €
Total honoraires
HT
28 089,99 €
La facture n°53930/2019 du 22 octobre 2019 de 28 089,99 € HT soit 33 707,99 € TTC de la société CFP est donc fondée, à l'exception du dossier [Z] (493,20 euros HT soit 591,84 euros TCC), sa commission ayant déjà été déduite de la créance de la société Denterbridge.
Il convient, par voie d'infirmation, de condamner la société Denterbridge à payer à la société CFP la somme de 33 116,15 euros majorée des intérêts de retard à compter de la mise en demeure du 3 décembre 2019 au taux en vigueur de la BCE majoré de 10 points en conformité avec la clause V des conditions générales du contrat de mandat.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.
La société Denterbridge, succombant au principal, sera tenue aux dépens d'appel.
Il apparaît équitable de la condamner à payer à la société SFP la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, dans la limite de l'appel,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 9 septembre 2021 en ce qu'il a condamné la société Denterbridge à payer à la société Comptoir Fiduciaire de [Localité 5] la somme de 33 707,99 euros majorée des intérêts de retard à compter de la mise en demeure du 3 décembre 2019 au taux en vigueur de la BCE majoré de 10 points en conformité avec la clause V des conditions générales du contrat de mandat ;
Le confirme sur les autres points ;
Statuant à nouveau :
Condamne la société Denterbridge à payer à la société Comptoir Fiduciaire de [Localité 5] la somme de 33 116,15 euros majorée des intérêts de retard à compter de la mise en demeure du 3 décembre 2019 au taux en vigueur de la BCE majoré de 10 points en conformité avec la clause V des conditions générales du contrat de mandat ;
Y ajoutant,
Condamne la société Comptoir Fiduciaire de [Localité 5] à payer à la société Denterbridge la somme de 3 616, 80 euros au titre de la créance [Z] ;
Condamne la société Denterbridge à payer à la société Comptoir Fiduciaire de [Localité 5] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Denterbridge aux dépens d'appel.