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Décisions

CA Poitiers, 2e ch., 25 juin 2024, n° 23/02522

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Tereva (SAS)

Défendeur :

Moy Sanitaire Chauffage (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pascot

Conseillers :

M. Vetu, M. Lecler

Avocats :

Me Clerc, Me Ceccaldi, Me Michot, Me Hoye

T. com. Saintes, du 30 oct. 2023, n° 23/…

30 octobre 2023

Le 9 août 2023, la société par actions simplifiée Tereva (la société Tereva) a attrait la société par actions simplifiée Moy Sanitaire Chauffage (la société Moy) devant le juge des référés du tribunal de commerce de Saintes.

Dans le dernier état de ses demandes, la société Tereva a demandé:

- d'ordonner à la société Moy Sanitaire Chauffage, sous astreinte de 1.000€ par infraction constatée, dans les 48h de la date de l'ordonnance, de cesser et faire cesser toute violation de la clause de non-concurrence de Monsieur [D] [H] [U], constitutive d'un trouble manifestement illicite à l'égard de la société Tereva;

- de condamner la société Moy Sanitaire Chauffage à verser à la société Tereva à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts dus à cette dernière du fait de la violation de la clause de non-concurrence de Monsieur [H] [U], la somme de 13.839€ ;

- la condamner sous astreinte de 500€ par jour à lui communiquer dans les 8 jours de la décision :

- copie des grands livres clients de l'établissement secondaire de la société Moy situé [Adresse 7] et inscrit au rcs de [Localité 14] sous le numéro Siret 392 251 518 00370, pour la période allant du 29 décembre 2022, date du départ effectif de Monsieur [H] [U] de la société Tereva jusqu'à la date du jugement à intervenir;

- copie des bons de commandes et factures de vente établies par l'établissement secondaire de la société Moy situé [Adresse 7] et inscrit au rcs de [Localité 14] sous le numéro Siret 392 251 518 00370, sous le nom et/ou le code vendeur de Monsieur [H] [U], pour la période allant du 29 décembre 2022, date du départ effectif de Monsieur [H] [U] de la société Tereva jusqu'à la date du jugement à intervenir ;

- la condamner à lui verser la somme de 6.000€ au titre des frais irrépétibles.

En dernier lieu, la société Moy a demande de :

- débouter la société Tereva de l'intégralité de ses demandes ;

subsidiairement, si la juridiction des référés se déclarait compétente et enjoignait à la société Moy Sanitaire Chauffage de communiquer quelconque pièce, par application des dispositions de l'article L. 153-1 du code de commerce,

- dire que seul le juge des référés, puis éventuellement ultérieurement le tribunal de commerce statuant sur le fond, pusse prendre connaissance, seul, des pièces ainsi produites,

- en tout état de cause, condamner la société Tereva à lui payer une somme de 6.000€ au titre des frais irrépétibles.

Par ordonnance en date du 30 octobre 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Saintes a :

- débouté la société Tereva de ses demandes ;

- dit que les parties supporteraient la charge respective des frais irrépétibles ;

- réservé les dépens en fin de cause, mais dit que les frais de greffe liquidés à la somme de 40,66€ ttc dont 6,78 euros de tva seraient avancés par la société Tereva.

Le 16 novembre 2023, la société Tereva a relevé appel de ce jugement, en intimant la société Moy.

Le 9 février 2023, la société Tereva a demandé d'infirmer intégralement attaquée et statuant à nouveau,

- d'ordonner à la société Moy sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée, dans les 48 heures de la date de l'arrêt à intervenir, cesser et faire cesser toute violation et/ou complicité de violation de la clause de non-concurrence de Monsieur [D] [H] [U], constitutive d'un trouble manifestement illicite à son égard ;

- de condamner la société Moy à lui verser à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts dus à cette dernière du fait de la violation de clause de non-concurrence de Monsieur [D] [H] [U], la somme de 20967,16 euros ;

- de condamner la société Moy, sous astreinte financière de 500 euros par jour de retard, à lui communiquer dans les 8 jours de la signification de l'arrêt à intervenir, les pièces et documents comptables suivants :

- copie des grands livres clients de l'établissement secondaire de la société Moy situé [Adresse 7] et inscrit au rcs de [Localité 14] sous le numéro Siret 392 251 518 00370, pour la période allant du 29 décembre 2022, date du départ effectif de Monsieur [H] [U] de la société Tereva jusqu'à la date du jugement à intervenir ;

- copie des bons de commandes et factures de vente établies par l'établissement secondaire de la société Moy situé [Adresse 7] et inscrit au rcs de [Localité 14] sous le numéro Siret 392 251 518 00370, sous le nom et/ou le code vendeur de Monsieur [H] [U], pour la période allant du 29 décembre 2022, date du départ effectif de Monsieur [H] [U] de la société Tereva jusqu'à la date du jugement à intervenir ;

- de débouter la société Moy de sa demande visant à ce que la Cour se déclarât incompétente au profit du tribunal de commerce statuant au fond ;

- de débouter la société Moy de l'intégralité de ses demandes ;

- de condamner la société Moy à lui verser la somme de 6.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Le 20 février 2024, la société Moy a demandé de :

- confirmer en toutes ces dispositions l'ordonnance dont appel ;

- subsidiairement, si la juridiction des référés se déclarât compétente et lui enjoignît de communiquer une quelconque pièce, par application des dispositions de l'article L. 153-1 du code de commerce, dire que seul le juge des référés, puis éventuellement ultérieurement le tribunal de commerce statuant sur le fond, pût en prendre connaissance, seul, des pièces ainsi produites,

- en tout état de cause, condamner la société Tereva à lui payer une somme de 6.000€ au titre des frais irrépétibles.

Pour plus ample exposé, il sera expressément renvoyé aux écritures des parties déposées aux dates susdites.

Le 30 avril 2024 a été ordonnée la clôture de l'instruction de l'affaire.

MOTIVATION :

Sur la demande d'injonction sous astreinte de cessation d'actes de concurrence déloyale et sur l'indemnisation provisionnelle pour actes de concurrence déloyale :

Selon l'article 872 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

Selon l'article 873 du code de procédure civile,

Le président peut dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation, même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Mais la qualification d'un bien ou d'un acte, de même que l'interprétation d'un contrat, échappe aux pouvoirs du juge des référés.

L'action en concurrence déloyale, nonobstant la libre concurrence, tend à sanctionner l'accomplissement de procédés déloyaux au regard des règles présidant à la probité commerciale.

L'action en concurrence déloyale et en parasitisme est de nature délictuelle.

L'embauche d'anciens salariés d'une entreprise concurrente, désorganisant celle-ci, est susceptible de constituer des actes de concurrence déloyale.

La simple embauche, dans des conditions régulières, d'anciens salariés d'une entreprise concurrente, n'est pas en elle-même fautive.

Mais lorsqu'un nouvel employeur embauche un ancien salarié ayant souscrit une clause de non-concurrence pour le temps suivant l'expiration de son contrat de travail, ce nouvel employeur, qui se rend complice de la violation de l'engagement de non-concurrence, participe ainsi à la désorganisation de l'ancien employeur, qui pouvait légitimement se protéger de la concurrence de son ancien salarié, et commet ainsi des actes de concurrence déloyale.

Lorsque la clause de non-concurrence est illicite en absence de contrepartie financière, une telle présomption ne peut être retenue, et l'action en concurrence déloyale ne peut être retenue qu'à condition de démontrer une faute.

Il suffit que le nouvel employeur ait eu connaissance de l'obligation de non-concurrence à la violation de laquelle il participe, le moment où cette connaissance intervient étant sans influence sur l'établissement de cette responsabilité.

Le salarié a l'obligation d'informer son nouvel employeur de l'existence éventuelle de son obligation de non-concurrence le liant à son ancien employeur.

Une clause de non-concurrence, qui porte atteinte au principe fondamental de la liberté du travail, n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitime de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière (Cass. Soc., 10 juillet 2002, Bull. V, n°239).

Une cour d'appel, saisie d'un litige opposant deux sociétés commerciales dont la responsabilité de l'une pour complicité de violation d'une clause de non-concurrence est recherchée, énonce à bon droit qu'il appartient à la juridiction commerciale saisie de trancher la contestation formée en défense par la société mise en cause et relative à l'applicabilité de la clause figurant au contrat de travail qui lui est opposé (Cass. com., 27 mars 2001, n°99-11.320, Bull. IV, n°68).

Saisie d'une demande fondée sur la violation d'une clause de non-concurrence par un salarié dont une société se serait rendue complice, la juridiction commerciale qui rejette la demande de sursis à statuer tirée de l'existence d'une instance pendante devant la juridiction prud'hommale relative à la violation de la même clause, viole l'article L. 511 du code du travail, ensemble l'article 49 du code de procédure civile, dès lors que l'action dirigée contre la société supposait que soit tranchée la question préalable de la violation de la clause de non-concurrence par le salarié, laquelle relevait de la compétence exclusive de la juridiction prud'hommale (Cass. com., 6 mai 2003, n°01-15.268, Bull. IV, n°67).

Soutenant que son ancien salarié Monsieur [H] [U], démissionnaire de son poste à effet au 28 décembre 2022, et tenu à une clause de non-concurrence, a été ensuite aussitôt embauché par la société Tereva, la société Moy Chauffage se prévaut à l'encontre de ce nouvel employeur d'actes de concurrence déloyale du chef de l'emploi de son ancien salarié, en en réclamant sous astreinte qu'en soit ordonnée la cessation, outre indemnisation provisionnelle.

* * * * *

Il ressort des extraits K bis des deux sociétés susdites que:

- la société Tereva a pour activité principale le commerce de tous articles de fer et des métaux, plomberie, robinetterie, appareils sanitaires, matériels de chauffage de production thermique et de climatisation;

- la société Moy a pour activité principale le négoce en gros, demi-gros et détail et les prestations de service dans les domaines suivants: chauffage, climatisation, plomberie sanitaire;

- la société Moy dispose de deux établissements secondaires à [Localité 13], au [Adresse 5] (exploité sous l'enseigne Aubade) et au [Adresse 2], chacun ayant pour activité le commerce de gros pour la plomberie et le chauffage.

Le contrat de travail ayant lié à compter du 1er décembre 2015 Monsieur [H] [U] à la société Tereva l'avait embauché en qualité de responsable d'agence, et avait prévu qu'il exercerait ses fonctions dans l'établissement de la société Tereva au [Adresse 4].

Ce contrat de travail avait aussi comporté une clause de non concurrence :

- faisant interdiction au salarié, pendant une période de 12 mois à compter de la rupture du contrat de travail, d'entrer au service d'une société ou entreprise ayant une activité identique ou similaire à celle de la société ou complémentaire, fabricants ou fournisseurs ;

- limitée à la zone géographique dans laquelle l'intéressé aurait exercé son activité dans l'année précédant la rupture, à savoir la zone de chalandise de l'agence de [Localité 13] ;

- en contrepartie du respect de laquelle l'intéressé percevrait, pendant la durée de son application, une indemnisation égale à 20 % de sa rémunération moyenne brute des 12 derniers mois ;

- l'employeur se réservant toutefois le droit de libérer, par écrit, le salarié de cette clause sous un délai de 15 jours suivant la notification de la rupture.

Par lettre en date du 26 octobre 2022, Monsieur [H] [U] a démissionné de la société Tereva, en observant un délai de préavis de 2 mois

Par courrier en date du 10 novembre 2022, la société Tereva a pris acte de cette démission, en lui indiquant que sa clause de non-concurrence ne serait pas levée.

Le contrat de travail liant Monsieur [H] [U] à la société Moy a embauché ce dernier à compter du 2 janvier 2023 en qualité de responsable d'agence pour l'agence de [Localité 10], la dite affectation étant considérée comme un élément substantiel du contrat de travail, en précisant qu'à raison de ses fonctions, l'intéressé pourrait être amené à se déplacer dans les différences sociétés du groupe Pompac Développement.

Par mise en demeure des 8 et 27 mars 2023, la société Tereva a informé la société Moy qu'elle avait embauché son ancien salarié Monsieur [H] [U], et que celui-ci n'était pas délié de sa clause de non-concurrence applicable sur une période de 12 mois à compter de la rupture de son contrat de travail, en l'invitant à mettre fin à cette situation dans la mesure où son activité concurrençait directement la sienne.

Et par courrier en date du 3 avril 2023 de son conseil, la société Moy répond à la société Tereva que l'intéressé, suite à sa démission, avait quitté ses effectifs depuis le 28 décembre 2022, qu'elle l'avait ensuite embauché, mais en son agence de [Localité 10], hors de zone géographique définie et annexée au contrat de travail, même si l'intéressé se trouvait actuellement en formation à [Localité 13], que ce n'est que le 8 mars 2023 que l'intéressé a perçu une somme au titre de la contrepartie financière à sa clause de non-concurrence, de telle sorte que, tout en déniant que Monsieur [H] [U] ait commis une quelconque infraction à ses obligations contractuelles, ce dernier s'estimait libéré de cette clause, puisque le non-paiement de l'indemnité y afférente constituait une renonciation tacite à cette clause de non-concurrence de la part de la société Tereva.

* * * * *

Les derniers échanges susdits entre parties courant mars et avril 2023 font ressortir que la société Moy avait nécessairement connaissance du principe et des modalités de la clause de non-concurrence souscrite par Monsieur [H] [U] auprès de son ancien employeur la société Tereva

* * * * *

De manière liminaire, la société Moy entend observer que les activités de la société Tereva, telle que résultant de son extrait K bis et de ses statuts, ne comportent nullement la vente au détail, représentant une part importante de son propre chiffre d'affaires.

Mais l'examen comparé des extraits K bis des deux sociétés révèle avec évidence que la société Tereva n'a pas exclu la vente au détail de ses propres activités, tandis que ces deux sociétés exercent des activités similaires à tout le moins dans le domaine de la plomberie et sanitaire.

Dès lors, le moyen opposé à la société Tereva par la société Moy, tenant au défaut d'identité de leurs activités respectives, ne peut pas constituer une contestation sérieuse.

* * * * *

Mais en préalable, la société Moy entend mettre en doute la validité de la clause de non-concurrence.

Elle en invoque la nullité, motif pris du défaut de détermination de la zone géographique sur laquelle l'activité de Monsieur [H] [U] serait interdite.

Elle justifie de ce que l'intéressé a saisi le 5 décembre 2023 le conseil de prud'hommes de Saintes d'une action tendant à prononcer la nullité de la clause de non-concurrence inséré au contrat de travail l'ayant lié à la société Tereva.

Or, d'une part, il convient de relever l'imprécision des limites de la zone de chalandise de l'agence de [Localité 13] de la société Tereva, constituant la zone d'application de la clause, ne comportant aucune limite géographique objectivement définie, et ce d'autant plus que cette zone de chalandise est susceptible d'évoluer dans le temps.

Et aux fins de statuer sur la validité de cette clause, la fixation de cette limite imposerait l'interprétation ou la qualification de la clause de non-concurrence, alors que ces opérations sont interdites au juge des référés.

La nécessité d'interprétation ou de qualification de cette clause constitue ainsi une première contestation sérieuse.

Surtout, alors que la détermination de la validité de la clause de non-concurrence d'un contrat de travail relève de la compétence exclusive de la juridiction prud'hommale, la saisine effective en ce sens du conseil de prud'hommes par Monsieur [H] [U], impose à la juridiction commerciale des référés, saisie d'une action en concurrence déloyale par complicité d'emploi d'un salarié soumis à une clause de non-concurrence, de laisser au préalable le juge du travail se prononcer sur la validité de cette clause, avant de statuer lui-même sur l'action en concurrence déloyale dont elle se trouve saisie.

La saisine préalable de la juridiction du travail aux fins de statuer sur la validité de la clause de non-concurrence constitue donc une seconde difficulté sérieuse.

* * * * *

En considération des deux difficultés sérieuses susdites, il y aura lieu de débouter la société Tereva de ses demandes tendant à :

- ordonner à la société Moy, sous astreinte de 1.000€ par infraction constatée, dans les 48h de la date de l'ordonnance, de cesser et faire cesser toute violation de la clause de non-concurrence de Monsieur [D] [H] [U], constitutive d'un trouble manifestement illicite son égard ;

- condamner la société Moy à lui verser à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts dus à cette dernière du fait de la violation de la clause de non-concurrence de Monsieur [H] [U], la somme de 13.839€ ;

et l'ordonnance sera confirmée de ces chefs.

Sur la demande de communication de pièces sous astreinte:

L'article 145 du code de procédure civile n'impose pas au juge de caractériser le motif légitime d'ordonner une mesure d'instruction au regard du ou des différents fondements juridiques de l'action que la partie demanderesse se propose d'engager.

Le juge n'a pas à se prononcer sur le bien fondé ni même sur l'opportunité d'un éventuel procès.

L'intérêt légitime attaché à une demande de mesure d'instruction in futurum suppose seulement que soit établie l'existence d'éléments rendant plausibles le bien-fondé de l'action envisagée.

Le requérant doit donc faire la preuve de son intérêt légitime à établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un éventuel litige.

Cependant, il appartient au juge de déterminer si la mesure d'instruction sollicitée est de nature à apporter des éléments utiles à la solution d'un procès éventuel.

La procédure édictée par ce texte n'est pas limitée à la conservation des preuves, mais peut aussi tendre à leur établissement.

Le juge ne peut donc pas exiger que le requérant à la mesure d'instruction démontre un fait que la mesure d'instruction qu'il sollicite a précisément pour objet d'établir.

Le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application de ce texte, dès lors que la mesure d'instruction sollicitée procède d'un motif légitime et lorsqu'elle est nécessaire à la protection des droits du requérant.

L'accueil d'une mesure d'instruction trouve sa limite dans la circonstance qu'elle n'est pas de nature à améliorer la situation probatoire de la partie qui la sollicite.

De manière liminaire, il sera rappelé que le bien fondé de la mesure d'instruction sollicitée ne peut pas s'apprécier a posteriori au regard des résultats issus de son exécution.

* * * * *

En imputant à la société Moy d'avoir employé son ancien salarié soumis à une clause de non-concurrence dans la zone de chalandise de sa propre agence de [Localité 13], la société Tereva demande la condamnation de la société Moy sous astreinte de 500€ par jour à lui communiquer dans les 8 jours de la décision:

- copie des grands livres clients de l'établissement secondaire de la société Moy situé [Adresse 7] et inscrit au rcs de [Localité 14] sous le numéro Siret 392 251 518 00370, pour la période allant du 29 décembre 2022, date du départ effectif de Monsieur [H] [U] de la société Tereva jusqu'à la date du jugement à intervenir ;

- copie des bons de commandes et factures de vente établies par l'établissement secondaire de la société Moy situé [Adresse 7] et inscrit au rcs de [Localité 14] sous le numéro Siret 392 251 518 00370, sous le nom et/ou le code vendeur de Monsieur [H] [U], pour la période allant du 29 décembre 2022, date du départ effectif de Monsieur [H] [U] de la société Tereva jusqu'à la date du jugement à intervenir;

* * * * *

En exécution d'une ordonnance sur requête sur l'initiative de la société Tereva, le constat de commissaire de justice en date du 4 juillet 2023 met en évidence que son auteur :

- s'est rendu le jour dit à l'agence de la société Moy sise [Adresse 6] ;

- a demandé à divers salariés présents de rencontrer le responsable d'agence et s'est vu désigner le bureau de celui-ci;

- y a rencontré Monsieur [H] [U], qui a confirmé être le responsable de l'agence en justifiant de sa propre identité sur demande de l'officier ministériel;

- a demandé à l'intéressé son code vendeur, que celui-ci a d'abord refusé de lui donner ;

- a essayé d'accéder à l'ordinateur portable de l'intéressé après que ce dernier a communiqué son code d'accès, tout en constatant d'abord qu'une personne distante non identifiée avait la main sur l'ordinateur, via un logiciel protégé par un mot de passe, avant que cet utilisateur distant ne se déconnectât ;

- a constaté, avec l'informaticien l'accompagnant, qu'à l'ouverture de la boîte mail attribuée à Monsieur [H] [U], le fil d'actualité et les mails disparaissaient avant qu'ils ne pussent les relever ;

- n'a pas pu accéder au logiciel métier utilisé par la société Moy, depuis l'ordinateur portable de l'intéressé, faute de mot de passe ;

- que l'informaticien, accédant au dossier téléchargement de l'ordinateur de l'intéressé, y a trouvé un document daté du 28 juin 2023, au nom de la société Bideaux, mentionnant comme vendeur Monsieur [H] [U] ;

- que sollicitant la comptable pour accéder sur son poste informatique personnel au logiciel métier, l'officier ministériel et ses assistants se sont d'abord vu opposer un refus par celle-ci, avant qu'elle ne leur en concédât l'accès ;

- avec l'informaticien, a identifié sur l'ordinateur de la comptable le code vendeur de Monsieur [H] [U] et mis en évidence plusieurs dizaines de commandes datées du 21 février 2023 au 3 juillet 2023 associées à son code vendeur ;

- n'a pas retrouvé, sur l'ordinateur de la comptable, s'agissant des devis, d'offre associée au code vendeur de Monsieur [H] [U] ;

- qu'au cours de l'après-midi en l'absence de la comptable, faute de mot de passe, et en raison du refus de Monsieur [H] [U] de le leur communiquer, il n'a pu accéder au logiciel métier, l'intéressé leur refusant d'accès à sa boîte mail ;

- s'est toutefois vu indiquer par Monsieur [H] [U] que sa boîte mail répondait à l'adresse [Courriel 12];

- s'est finalement vu autoriser l'accès au logiciel métier par le directeur régional descendu sur place ;

- a consulté la liste des commandes associées au nom de [H] [U], en mettant en évidence plusieurs dizaines de commandes facturées associées au nom de l'intéressé du 22 février 2023 au 29 juin 2023 ;

- a relevé l'engagement du directeur régional tendant à transmettre les listings visés par l'ordonnance sur requête d'ici la fin de la semaine, qu'il était selon l'intéressé impossible de leur fournir ce jour, au tard de la longueur de l'extraction ;

- a eu accès à la boîte mail de Monsieur [H] [U], répondant à l'adresse [Courriel 12], dans laquelle n'a pu être retrouvé aucun document correspondant aux recherches demandées, aucun devis ou offre ;

- mais a toutefois constaté dans cette boîte mail la signature de Monsieur [H] [U], par laquelle il se présente comme responsable de l'agence [Adresse 11] au [Adresse 6] ;

- s'est vu remettre par le directeur régional la liste des devis établis par Monsieur [H] [U].

* * * * *

A titre liminaire, et au regard des difficultés sérieuses opposées avec succès par la société Moy, l'accueil des prétentions à ce titre de la société Tereva ne pourra pas se fonder sur les articles 872 et 873 du code de procédure civile, mais éventuellement seulement sur l'article 145 du même code.

Il sera observé qu'à l'appui de ses demandes de communication de pièces, la société Tereva impute seulement à la société Moy l'emploi de son ancien salarié en violation de la clause de non concurrence souscrite par ce dernier.

Mais selon les stipulations contractuelles susdites, cette clause était d'une durée d'un an à compter de la rupture.

Dès lors que le contrat de travail a été rompu au 28 décembre 2022, la clause de non-concurrence ne pouvait courir que jusqu'au 28 décembre 2023.

En conséquence, la société Tereva ne peut pas solliciter une communication de pièces de la part de son adversaire pour une période illimitée courant à compter du 29 décembre 2022 jusqu'à la date à laquelle la cour rendrait son arrêt, alors que la clause de non-concurrence avait pris fin au 28 décembre 2023.

En outre, il ressort du constat susdit que nonobstant les difficultés et retard mis par les requis dans l'exécution des opérations sollicitées, l'officier ministériel a pu prendre connaissance par copie d'écran de l'intégralité des opérations de vente et des devis réalisés par Monsieur [H] [U] au sein de l'agence de [Localité 13], comportant la dénomination du client, sa commune de résidence, l'objet et la quantité de la commande, ainsi que les prix pratiqués.

En outre, la société Tereva ne vient pas dénier avoir reçu de la part de la société Moy l'ensemble des listings visés par l'ordonnance sur requête à la fin de la semaine suivant le jour des investigations sur place, correspondant aux commandes comportant le code vendeur de Monsieur [H] [U] au sein de son agence de [Localité 13], comme son directeur régional s'était engagé à lui communiquer le jour des opérations de saisie.

Car la société Moy en justifie l'envoi par mail en date du 7 juillet 2023.

Et ses listings mettent en évidence notamment le nom du client, sa commune de résidence, la date de sa commande, son montant, ainsi que le détail de la commande.

Au regard des éléments ainsi déjà transmis à la société Tereva, il sera retenu que la mesure d'instruction qu'elle sollicite n'est pas de nature à améliorer sa situation probatoire quant à l'établissement des faits qu'elle invoque, tant dans leur principe que dans leur quantum, et que les éléments déjà recueillis lui permettent déjà suffisamment de procéder à l'évaluation chiffrée des agissements délictuels qu'elle impute à la société Moy, et par suite, de déterminer son propre préjudice en résultant.

Il sera donc conclu à l'inutilité de la mesure probatoire sollicitée, et par suite à l'absence de motif légitime de la requérante à la solliciter.

Il y aura donc lieu de rejeter la demande de communication de pièces sous astreinte présentée par la société Tereva, et l'ordonnance sera confirmée de ce chef.

* * * * *

Aucune considération d'équité ne conduira à allouer d'indemnité de procédure à l'une quelconque des parties à un quelconque degré.

L'ordonnance sera donc confirmée en ce qu'elle a dit que les parties conserveraient la charge respective de leurs frais irrépétibles de première instance, tout en condamnant la société Tereva, succombante, aux dépens de première instance.

Les mêmes considérations conduiront à débouter les parties de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles d'appel, tout en condamnant la société Tereva, succombante, aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS:

La Cour,

statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

Y ajoutant :

Déboute les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles d'appel;

Condamne la société par actions simplifiée Tereva aux dépens d'appel.