CA Reims, 1re ch. sect. civ., 25 juin 2024, n° 23/01093
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Epoux
Défendeur :
BNP Paribas Personal Finance (SA), Jérôme Allais (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dias Da Silva
Conseillers :
Mme Mathieu, Mme Pilon
Avocats :
Me Rolland, Me Abbal, Me Poncet, Me Deffrennes
Par acte sous seing privé du 13 octobre 2015, M. [G] [B] et son épouse Mme [N] [B] ont conclu un contrat de prestation de service avec la société Ecorenove portant sur l'acquisition et l'installation à leur domicile d'un système de panneaux photovoltaïques. L'installation a été financée par un crédit souscrit auprès la BNP Paribas Personnal Finance ( la BNP) pour un montant en principal de 24 000 euros.
Suivant exploits délivrés les 9 et 12 octobre 2020, les époux [B] ont fait assigner la SELARL Jérôme Allais prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Ecorenove et la BNP aux fins de nullité des contrats.
Par jugement du 12 juillet 2021, le juge des contentieux de la protection s'est déclaré incompétent et a renvoyé l'affaire à la première chambre civile du tribunal judiciaire de Troyes.
Par jugement du 26 mai 2023, le tribunal judiciaire de Troyes a :
- déclaré irrecevable la demande de la BNP tendant à voir déclarer irrecevable les époux [B] en leur demande de nullité du contrat conclu le 10 octobre 2015 avec la société Ecorenove et de manière subséquente du contrat de crédit affecté conclu le même jour,
- prononcé la nullité du contrat principal conclu le 10 octobre 2015 entre M. [G] [B] et Mme [N] [B], d'une part, et la société Ecorenove, d'autre part,
- prononcé la nullité du contrat de crédit affecté conclu le 10 octobre 2015 entre les époux [B] et la BNP,
- condamné les époux [B] à poursuivre le remboursement du crédit conclu le 10 octobre 2015 avec la BNP conformément aux stipulations de ce dernier,
- débouté les époux [B] de leurs autres demandes,
- débouté la BNP de ses autres demandes,
- condamné solidairement les époux [B] à verser à la BNP la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance,
- rejeté toute demande plus ample ou contraire.
Par déclaration du 6 juillet 2023, les époux [B] ont interjeté appel de cette décision.
Aux termes de leurs conclusions communiquées par voie électronique le 22 septembre 2023, ils demandent à la cour de :
- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel, y faire droit,
- infirmer le jugement en ce que les premiers juges ont :
- condamné les époux [B] à poursuivre le remboursement du crédit conclu le 10 octobre 2015 avec la BNP conformément aux stipulations de ce dernier;
- débouté les époux [B] de leurs autres demandes
- condamné solidairement les époux [B] à verser à la BNP la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné solidairement les époux [B] aux dépens
- confirmer le jugement en ce que les premiers juges ont :
- déclaré irrecevable la BNP en sa demande d'irrecevabilité des demandes des époux [B]
- prononcé la nullité du contrat principal conclu le 10 octobre 2015 et la nullité du contrat de crédit affecté conclu avec la société BNP le même jour,
- statuant à nouveau :
- à titre principal :
- constater que la banque a commis une faute en débloquant les fonds sur la base d'un bon de commande entaché de nullité,
- en conséquence juger que la banque sera privée de sa créance de restitution et devra rembourser aux consorts [B] les sommes déjà versées par eux,
- à titre subsidiaire :
- constater que la banque a commis plusieurs fautes dans le déblocage des fonds notamment en application de l'article L 341-1 et suivants du code de la consommation, ainsi qu'en application de l'article L 312-16 du code de la consommation,
- en conséquence
- juger que la banque sera privée de son droit aux intérêts conventionnels et devra rembourser aux consorts [B] les intérêts déjà payés,
- en outre et en tout état de cause,
- condamner la banque au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de dommages et intérêts et celle de 5 000 euros en réparation du préjudice moral,
- condamner la BNP à leur payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Aux termes de ses conclusions communiquées par voie électronique le 19 décembre 2023 et signifiées le 10 janvier 2024 au liquidateur de la société Ecorénove, la BNP demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné les époux [B] à poursuivre le remboursement du crédit conclu le 10 octobre 2015 avec la banque, conformément aux stipulations de ce dernier, en ce qu'il les a débouté de leurs autres demandes, en ce qu'il les a condamnés solidairement à verser à la banque la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
- la recevoir en son appel incident, la déclarer bien fondée,
- réformer le jugement uniquement en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat principal conclu le 10 octobre 2015 entre les époux [B] et la société Ecorenove, d'autre part, en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de crédit affecté conclu le 10 octobre 2015 entre les époux [B] et la banque, d'autre part, et en ce qu'il a débouté la BNP de ses autres demandes,
- statuant à nouveau :
- à titre principal,
- débouter les époux [B] de l'intégralité de leurs prétentions telles que formulées à l'encontre de la BNP,
- juger que le bon de commande régularisé le 13 octobre 2015 par M. [B] avec la société Ecorenove respecte les dispositions des anciens articles L.121-23 et suivants du code de la consommation (dans leur version applicable en la cause).
- à défaut, constater, dire et juger que les époux [B] ont amplement manifesté leur volonté de renoncer à invoquer la nullité du contrat au titre des prétendus vices l'affectant sur le fondement des anciens articles L.121-23 et suivants du code de la consommation et ce, en toute connaissance des dispositions applicables,
- en conséquence, ordonner les époux [B] de poursuivre le règlement des échéances du prêt entre les mains de la BNP conformément aux stipulations du contrat de crédit affecté accepté par leurs soins le 13 octobre 2015,
- à titre subsidiaire, si la cour devait confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat principal conclu le 10 octobre 2015 entre les époux [B], d'une part, et la société Ecorenove, d'autre part, et en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de crédit affecté conclu le 10 octobre 2015 entre les époux [B] d'une part, et la BNP, d'autre part,
- dire et juger que la BNP n'a commis aucune faute en procédant à la délivrance des fonds ni dans l'octroi du crédit,
- débouter les époux [B] de l'intégralité de leurs prétentions telles que formulées à l'encontre de la BNP et notamment de leur demande visant à voir priver la banque de sa créance de restitution,
- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande les époux [B] tendant à voir priver la banque de sa créance de restitution du capital emprunté et en ce qu'il a condamné les époux [B] à poursuivre le remboursement du crédit conclu le 10 octobre 2015 avec la BNP, conformément aux stipulations de ce dernier,
- à défaut, condamner solidairement les époux [B] à rembourser à la BNP le montant du capital prêté au titre du contrat de crédit affecté litigieux, déduction faite des échéances d'ores et déjà réglées,
- à titre très subsidiaire, si par impossible la cour considérait que la BNP a commis une faute dans le déblocage de fonds,
- dire et juger que le préjudice subi du fait de la perte de chance de ne pas contracter le contrat de crédit affecté litigieux ne peut être égal au montant de la créance de la banque,
- juger que les époux [B] conserveront l'installation de la centrale photovoltaïque qui a été livrée et posée à son domicile par la société Ecorenove (puisque ladite société est en liquidation judiciaire et qu'elle ne se présentera donc jamais au domicile des époux [B] pour récupérer le matériel installé à leur domicile), que ladite installation fonctionne parfaitement puisque les époux [B] ne rapportent absolument pas la preuve d'un quelconque dysfonctionnement qui affecterait les matériels installés à leur domicile et qui serait de nature à les rendre définitivement impropres à leur destination,
- juger que les époux [B] ne contestent absolument pas dans le corps de leurs conclusions d'appel que le raccordement de l'installation est intervenu, que l'installation photovoltaïque a été dûment mise en service et que l'installation querellée est parfaitement opérationnelle puisque les époux [B] perçoivent chaque année des revenus énergétiques grâce à l'installation photovoltaïque litigieuse,
- par conséquent, dire et juger que la BNP ne saurait être privée de la totalité de sa créance de restitution, compte tenu de l'absence de préjudice avéré pour les époux [B] en lien direct avec la faute que les appelants tentent de mettre à la charge du prêteur,
- par conséquent, confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande les époux [B] tendant à voir priver la banque de sa créance de restitution du capital emprunté et en ce qu'il a condamné les époux [B] à poursuivre le remboursement du crédit,
- à défaut, condamner solidairement les époux [B] à rembourser à la BNP le montant du capital prêté au titre du contrat de crédit affecté litigieux, déduction faite des échéances d'ores et déjà réglées,
- à titre infiniment subsidiaire, réduire à de bien plus justes proportions le préjudice subi par les époux [B] et condamner solidairement les époux [B] à restituer à tout le moins à la BNP une fraction du capital prêté, fraction qui ne saurait être inférieure aux deux tiers du capital prêté,
- en tout état de cause,
- débouter les époux [B] de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts telles que formulées à l'encontre de la BNP en l'absence de faute imputable au prêteur et à défaut de justifier de la réalité et du sérieux d'un quelconque préjudice qui serait directement lié à la prétendue faute que les époux [B] tentent vainement de mettre à la charge du prêteur,
- condamner solidairement les époux [B] à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les époux [B] aux entiers frais et dépens, y compris ceux d'appel dont distraction au profit de Me Philippe Poncet, Avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
La SELARL Allais ès qualités de mandataire liquidateur de la société Ecorenove, régulièrement assignée par exploit du 4 août 2023 remis à personne habilitée à recevoir l'acte, n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 mai 2024 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 27 mai suivant.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Les parties ne remettent pas en cause le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de la BNP tendant à voir déclarer irrecevable les époux [B] en leur demande de nullité du contrat conclu le 10 octobre 2015 et de manière subséquente du contrat de crédit affecté conclu le même jour.
- Sur la nullité du contrat principal
Le droit de la consommation, et en particulier l'article L 111-1 du code de la consommation, impose au professionnel de communiquer au consommateur de manière lisible et compréhensible un certain nombre d'informations lui permettant de connaître les caractéristiques essentielles du bien, son prix, la date ou le délai auquel le professionnel s'engage à délivrer le bien ou a exécuter le service.
Les premiers juges ont rappelé à juste titre les dispositions d'ordre public du code de la consommation applicables à la cause dès lors qu'il est constant que M. et Mme [B] ont conclu, hors établissement, avec la société Ecorenove un contrat d'achat et d'installation d'une centrale photovoltaïque financée au moyen d'un crédit à la consommation.
L'examen du bon de commande signé le 13 octobre 2015 ne contient aucune mention relative au nom du fournisseur, aux modalités et au délai de livraison ni sur les caractéristiques essentielles des biens commandés et les modalités de leur financement. Il ne contient aucun élément sur les éléments composant l'installation, ni leur marque, ni leur puissance, ni leur poids ou leur fabriquant, tous ces renseignements n'étant pas renseignés dans l'imprimé du contrat qui prévoit plusieurs cas de figures s'agissant notamment de la puissance, de la durée de la garantie, du type de matériel possible. Ce bon de commande indique seulement 'installation des fournitures semaine du 26 au 30 octobre 2015" sans que rien ne soit stipulé sur les fournitures commandées ni sur le coût de la main d'oeuvre.
Il n'est pas non plus justifié que la société Econrenove a satisfait à son obligation d'information à l'égard des consommateurs qui ont contracté avec elle, alors qu'elle leur a vendu et s'est engagée à faire fonctionner une installation particulièrement complexe. En effet, les documents remis ne contiennent qu'un simple visa des dispositions applicables de sorte qu'il doit en être déduit que les époux [B] n'ont pas bénéficié de toutes les informations nécessaires leur permettant en toute connaissance de cause d'user ou non de la faculté de rétractation qui leur était offerte.
C'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont dit que le contrat de vente conclu entre les époux [B] et la société Ecorenove n'est pas conforme aux exigences prévues à peine de nullité par les dispositions du code de la consommation précitées.
La BNP ne peut valablement soutenir que M. et Mme [B] ont volontairement exécuté le contrat et manifesté leur volonté de renoncer à invoquer la nullité du contrat au titre des vices l'affectant sur le fondement de la législation applicable en la matière. En effet, compte tenu du non respect par la société Ecorenove de son devoir de conseil et d'information, il n'est pas établi que les consommateurs ont entendu renoncer à la nullité du contrat, tirée du non respect des dispositions d'ordre public contenues dans le code de la consommation, aucun élément versé aux débats ne pouvant prouver qu'ils avaient connaissance des irrégularités affectant le contrat qu'ils avaient signé.
Il s'ensuit que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat conclu le 10 octobre 2015 entre les époux [B] et la société Econrenove.
- Sur les conséquences de la nullité du contrat de vente sur le contrat de crédit affecté
Il est de principe que le contrat principal de vente et le contrat de crédit dédié à son financement forment une opération commerciale unique. L'unicité de cette opération commerciale s'accompagne d'une interdépendance d'ordre public entre les deux contrats de sorte que l'annulation du contrat principal entraîne de plein droit celle du contrat de crédit accessoire. Les parties au contrat sont alors rétablies dans leur état antérieur, ce qui impose à l'emprunteur de restituer le capital emprunté sauf si ce dernier démontre que le prêteur a commis une faute en libérant les fonds ou en ne vérifiant pas la régularité formelle du contrat principal.
La BNP soutient qu'elle n'a commis aucune faute, les époux [B] ne s'étant pas opposés à la délivrance des fonds et ayant signé le certificat de livraison.
L'examen des pièces de la procédure permet d'établir que la BNP s'est abstenue de procéder à un contrôle de conformité du contrat de vente conclu par la société Ecorenove. Ainsi que l'indiquent à juste titre les premiers juges, la BNP, spécialisée dans le financement des contrats proposés par des sociétés proposant des services dans le domaine des énergies renouvelables, a commis une faute en versant les fonds au vendeur alors que le contrat principal ne satisfaisait à l'évidence pas aux exigences d'ordre public prévues par le code de la consommation.
C'est encore à bon droit qu'ils ont dit que les époux [B] ne justifiaient d'aucun préjudice en lien avec cette faute puisque la centrale photovoltaïque est en parfait état de fonctionnement ; que l'installation a été raccordée au réseau ERDF-ENEDIS et mise en service. Il n'est pas non plus invoqué l'existence d'un défaut technique susceptible de rendre impropre l'installation à sa destination.
Les époux [B], qui invoquent un préjudice lié au défaut de rentabilité de l'installation, ne produisent aucun élément permettant de rapporter la preuve d'une absence de rentabilité de celle-ci ni du lien de causalité entre cette prétendue mauvaise rentabilité et la faute commise par la BNP. De même, ils ne prouvent pas le préjudice moral qu'ils invoquent.
Il s'ensuit que le jugement doit être confirmé en toutes ses dispositions soumises à la cour.
- Sur les frais de procédure et les dépens
Les époux [B], qui succombent, supporteront in solidum les dépens d'appel sous le bénéfice de la distraction et verseront à la BNP une indemnité de procédure selon les modalités fixées au dispositif de la présente décision. Leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile est nécessairement mal fondée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant ;
Condamne in solidum M. [G] [B] et Mme [N] [B] aux dépens d'appel recouvrés selon les modalités prévues par l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [G] [B] et Mme [N] [B] à payer à la société BNP Paribas Personnal Finance la somme de 1 000 euros au titre des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile.