CA Colmar, 1re ch. A, 19 juin 2024, n° 23/00381
COLMAR
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Vauban Investissements (SCI)
Défendeur :
Micromania (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Walgenwitz
Conseillers :
M. Roublot, Mme Rhode
Avocats :
Me Harter, Me Renaud, Me Ansellem - Kassabi
FAITS ET PROCÉDURE :
La SCI VAUBAN INVESTISSEMENTS a donné à bail, à la société MICROMANIA, des locaux commerciaux situés [Adresse 3] pour une durée de 9 années entières et consécutives à compter du 1er octobre 2005.
Par acte d'huissier du 3 novembre 2017, la SCI VAUBAN INVESTISSEMENTS a fait signifier à sa locataire un congé avec offre de renouvellement du bail, moyennant un loyer de 64.500 euros hors taxes et hors charges pour le 1er juillet 2018.
En l'absence d'accord sur le montant du loyer de renouvellement, le juge des loyers commerciaux de Colmar, saisi le 8 août 2019, a ordonné le 19 janvier 2021 une expertise aux fins de déterminer la valeur locative des locaux au 1er juillet 2018.
Lors de l'expertise, les parties tombaient d'accord pour fixer le prix du m² pondéré à 500 euros.
Après le dépôt du rapport de l'expert le 21 septembre 2021, un contentieux s'en est suivi entre les parties, concernant la validité du droit d'option notifié par la locataire à son bailleur le 11 février 2022.
Aux termes d'un jugement du 17 novembre 2022, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Colmar a :
- constaté que la société MICROMANIA a valablement exercé son droit d'option en date du 11 février 2022 en cours de procédure de fixation du loyer ;
- Dit par conséquent que la procédure était devenue sans objet ;
- Condamné la société MICROMANIA à payer à la société VAUBAN INVESTISSEMENTS la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société MICROMANIA aux dépens de la procédure, lesquels comprendront le coût de signification des mémoires et le coût de l'expertise judiciaire ;
- Ordonné l'exécution provisoire de la décision.
La SCI VAUBAN INVESTISSEMENTS a interjeté appel le 19 janvier 2023 et sollicite la réformation du jugement rendu, considérant au principal que le juge des loyers commerciaux n'était pas compétent pour statuer sur la validité du droit d'option notifié par la société MICROMANIA.
Ainsi aux termes de ses dernières écritures datées du 19 avril 2023, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la société VAUBAN INVESTISSEMENTS demande à la cour de :
- INFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu le 17 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Colmar ;
Et statuant de nouveau :
A titre principal,
- JUGER que le juge des loyers commerciaux puis la Cour saisi n'est pas compétent pour statuer sur la validité du droit d'option de la société MICROMANIA ;
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour estime que le juge des loyers commerciaux était compétent, statuer à nouveau et :
- JUGER qu'un accord est intervenu entre la SCI VAUBAN INVESTISSEMENTS et la société MICROMANIA sur le montant du loyer de renouvellement ;
En conséquence,
- JUGER que le droit d'option signifié le 11 février 2022 par la société MICROMANIA à la SCI VAUBAN INVESTISSEMENTS n'est pas valable ;
En conséquence,
- JUGER que le bail a été renouvelé au 1er juillet 2018 moyennant un loyer de renouvellement fixé à la somme annuelle de 62.139 euros HT/HC ;
En conséquence,
- CONDAMNER la société MICROMANIA à payer à la SCI VAUBAN INVESTISSEMENTS le montant du loyer renouvelé à compter du 1er juillet 2018, augmenté des indexations prévues au bail, jusqu'à la date d'effet du congé délivré par la société MICROMANIA soit jusqu'au 30 juin 2024, soit la somme de 403.233,74 euros déduction faite des sommes déjà versées par la société MICROMANIA ;
A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la Cour estime que le juge des loyers commerciaux était compétent et que le droit d'option exercé par la société MICROMANIA serait valable :
- SE DECLARER INCOMPETENT sur la fixation de l'indemnité d'occupation et sur les frais de l'instance auquel la société MICROMANIA doit être condamnée ;
- RENVOYER les parties devant le tribunal judiciaire de Colmar
En tout état de cause :
- CONDAMNER la société MICROMANIA à payer à la SCI VAUBAN la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens des deux instances.
Aux termes de ses dernières écritures datées du 6 juillet 2023, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la société MICROMANIA demande à la cour de :
A titre principal,
DECLARER l'appel de la SCI VAUBAN INVESTISSEMENTS mal fondé et l'en DEBOUTER
- CONFIRMER le jugement entrepris du 17 novembre 2022 en toutes ses dispositions
- DECLARER les demandes de la société SCI VAUBAN INVESTISSEMENTS irrecevables et mal fondées ;
Débouter la société SCI VAUBAN INVESTISSEMENTS de toutes ses prétentions, fins et conclusions,
- Juger la société MICROMANIA recevable et bien fondée en ses demandes,
- Constater que la société MICROMANIA a régulièrement exercé son droit d'option par acte signifié par exploit d'huissier le 11 février 2022,
- Constater l'absence de renouvellement du bail au 1er juillet 2018,
- Débouter la société SCI VAUBAN INVESTISSEMENTS de sa demande de paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- Dire que les dépens seront également à la charge de la SCI VAUBAN INVESTISSEMENTS et de la société MICROMANIA.
La Cour se référera aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits de la procédure et de leurs prétentions, en application de l'article 455 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 22 septembre 2023, le dossier a été clôturé et renvoyé à l'audience de plaidoirie du 15 mai 2024.
SUR CE :
Par exploit d'huissier du 3 novembre 2017, la SCI bailleresse a fait signifier à son preneur, la société MICROMANIA, un congé avec offre de renouvellement de bail, moyennant un loyer de 64.500 euros hors taxes et hors charges à compter du 1er juillet 2018.
Le 3 juin 2019, en l'absence de réponse, la SCI VAUBAN INVESTISSEMENTS a adressé à la société MICROMANIA un mémoire en fixation du loyer.
Le 8 août 2019, aucun accord n'étant intervenu entre les parties sur le principe du renouvellement et sur le montant du loyer du bail renouvelé, la SCI VAUBAN INVESTISSEMENTS a fait assigner la SAS MICROMANIA devant le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Colmar, qui par jugement du 19 janvier 2021 a ordonné une expertise, aux fins de déterminer la valeur locative des locaux au 1er juillet 2018.
Lors des opérations d'expertise, un accord est intervenu entre les parties sur le montant de la valeur locative des locaux à hauteur de 500 euros/an/m² pondéré, la société MICROMANIA ayant indiqué que cette valeur locative serait retenue quelle que soit la surface pondérée retenue. Cet accord a été constaté par l'Expert, Madame [O], ('Les parties ont convenu de retenir une valeur unitaire de 500 euros/m²P/an, quelle que soit la surface pondérée retenue et affranchissent explicitement l'Expert de la recherche d'éléments comparatifs dans le secteur').
C'est dans ce contexte que le 21 septembre 2021, Madame [O] a déposé son rapport, retenant un loyer de renouvellement au 1er juillet 2018 d'un montant de 59.294 euros HT/an, après déduction de la taxe foncière.
Le 8 décembre 2021, aux termes d'un mémoire n°4, la SCI VAUBAN a indiqué 'La SCI VAUBAN sollicite désormais que le tribunal entérine les conclusions de ce rapport et fixe le montant du loyer du bail renouvelé, au 1er juillet 2018, à la somme de 62.139 euros HT/HC, déduction faite de la taxe foncière', considérant qu'un accord était définitif sur le montant du loyer de renouvellement et le bail renouvelé au 1er juillet 2018.
Cependant, par acte d'huissier du 30 décembre 2021, la société MICROMANIA a notifié au bailleur un congé pour le 30 juin 2022, au visa de l'article L.145-9 du code de commerce.
Par lettre recommandée du 19 janvier 2022, la SCI VAUBAN INVESTISSEMENTS a pris acte du congé et a attiré l'attention de son locataire, sur le fait que le congé n'a pas été donné pour la bonne date, le bail étant renouvelé au 1er juillet 2018, la prochaine échéance triennale étant le 30 juin 2024.
Le 11 février 2022, la société MICROMANIA a notifié son intention de renoncer au renouvellement de son bail et de restituer les locaux le 30 juin 2022.
Par lettre recommandée du 18 mars 2022, la SCI VAUBAN INVESTISSEMENTS a rappelé à la société MICROMANIA les termes de son courrier du 19 janvier 2022 et a marqué son désaccord et incompréhension, sur la délivrance de cet acte d'huissier postérieurement à la délivrance d'un congé.
Le 5 juillet 2022, un procès-verbal de constat d'état des lieux a été dressé avec remise des clés des locaux par la société MICROMANIA. Il y était précisé que 'la remise des clés (...) ne vaut pas acceptation par le bailleur de la date d'expiration du bail et de la validité du droit d'option délivré, les parties étant d'ailleurs en contentieux à ce sujet'.
Dans sa décision du 17 novembre 2022, le juge des loyers commerciaux, après avoir rappelé le déroulement de la procédure, a estimé que l'accord, portant sur la fixation de la valeur locative à la somme de 500 euros/HC par m², ne pouvait être assimilé à un accord global sur le montant du loyer, considérant que 'les arguments développés par la société VAUBAN INVESTISSEMENTS quant à la nullité du droit d'option n'apparaissent pas sérieux et ne nécessitent pas de renvoi devant le tribunal judiciaire', estimant dès lors que la société MICROMANIA avait exercé 'à bon droit son droit d'option'.
En application du 11° de l'article R. 211-3-26 du code de l'organisation judiciaire, les tribunaux judiciaires ont compétence en matière de baux commerciaux à l'exception des contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, des baux professionnels et conventions d'occupation précaire en matière commerciale.
Les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont en revanche portées devant le président du tribunal judiciaire ainsi désigné, en vertu de l'article R. 145-23 du code de commerce. Celui-ci est connu dans la pratique sous le nom de 'juge des loyers commerciaux', qui dispose, à ce titre, du pouvoir de trancher toutes les contestations relatives à la fixation du prix d'un bail commercial révisé ou renouvelé, aux demandes en révision triennale du loyer, à l'adaptation du jeu de la clause d'échelle mobile, à la modification du prix consécutivement à une despécialisation plénière, à la fixation du loyer en cas de renouvellement du bail.
Le juge des loyers commerciaux n'est dès lors pas compétent pour tout litige relatif au principe de renouvellement du bail commercial et à sa validité, qui relève de la compétence générale du tribunal judiciaire.
Aussi, au cas d'espèce, le juge des loyers commerciaux de Colmar ne pouvait, comme il l'a fait, apprécier la qualité des arguments développés par la société VAUBAN INVESTISSEMENTS au sujet de la validité du droit d'option du preneur, pour en tirer une décision, car ce faisant il a abordé le fond de ce problème qui ne relève pas de sa compétence matérielle.
Il conviendra, dès lors, d'infirmer la décision en ses dispositions principales et d'inviter les parties à mieux se pourvoir.
Étant donné l'existence d'un accord sur les termes de référence du loyer, le litige en fixation de loyer est devenu sans objet. Il y a lieu, dès lors, d'infirmer les dispositions du jugement déféré portant sur la question des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens de première instance, comprenant notamment le coût de signification des mémoires et celui de l'expertise judiciaire, et de procédure d'appel, seront partagés à parts égales, chacune étant condamnée à en régler une moitié.
Enfin, il est équitable de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au présent litige.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Infirme le jugement du 17 novembre 2022 rendu par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Colmar,
Statuant à nouveau des chefs de demande infirmés et y ajoutant,
Déclare le juge des loyers commerciaux incompétent pour connaître de la validité de l'exercice du droit d'option du 11 février 2022, exercé par la société MICROMANIA,
Invite les parties à mieux se pourvoir,
Constate que le litige en fixation de loyer est devenu sans objet, étant donné l'existence d'un accord sur les termes de référence du loyer,
Condamne la SAS MICROMANIA à payer la moitié des dépens de la procédure de première instance, comprenant notamment le coût de signification des mémoires et celui de l'expertise judiciaire, et des dépens de la procédure d'appel,
Condamne la SCI VAUBAN INVESTISSEMENTS à payer la moitié des dépens de la procédure de première instance, comprenant notamment le coût de signification des mémoires et celui de l'expertise judiciaire, et des dépens de la procédure d'appel,
Rejette les demandes formulées par les sociétés MICROMANIA et VAUBAN INVESTISSEMENTS, en vue d'obtenir une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.