Décisions
CA Paris, Pôle 5 - ch. 16, 24 juin 2024, n° 24/04596
PARIS
Arrêt
Autre
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Chambre commerciale internationale
POLE 5 CHAMBRE 16
ARRET DU 24 JUIN 2024
(n° 57/2024 , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/04596 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJBTW
Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale rendue à Paris le 29 Janvier 2024 par le Tribunal arbitral composé de M. Fabrice LEDUC, Président, M. Philippe JACQUES, Co-arbitre et M. Christophe JAMIN, Co-arbitre.
DEMANDERESSE AU RECOURS :
S.A.S. ITM ALIMENTAIRE SUD OUEST
immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 452 533 9679
ayant son siège social : [Adresse 2]
prise en la personne de ses représentants légaux,
Ayant pour avocat postulant : Me Marie-laure BONALDI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0936
Ayant pour avocat plaidant : Me Bruno CHEMAMA, DE LA selafa jean-claude coulon 1 associesavocat au barreau de PARIS, toque : K002
DEFENDEURS AU RECOURS :
Société [R]
société par actions simplifiée,
immatriculée au RCS de MONTAUBAN sous le numéro 824 588 313,
ayant son siège social : [Adresse 7]
prise en la personne de ses représentants légaux,
SELARL BENOIT &ASSOCIES - MANDATAIRES JUDICIAIRES
prise en la personne de Maître [J] [N], ès qualités de mandataire judiciaire, désignée par jugement du tribunal de commerce de Montauban du 9 août 2022, ayant ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société [R], et par jugement du 4 juillet 2023 ayant prononcé la conversion de la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire,
ayant son siège social :[Adresse 1]
Société [T]
société par action simplifiée,
Immatriculée au RCS de MONTAUBAN sous le numéro 329 439 178,
ayant son siège social : [Adresse 6]
prise en la personne de ses représentants légaux,
Monsieur [H] [I]
né le 21 Août 1969 à [Localité 4] (46)
demeurant : [Adresse 3]
Ayant pour avocat postulant : Me Luca DE MARIA de la SELARL SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Ayant pour avocat plaidant : Me Louis DEGOS, du cabinet K&L GATES LLP, avocat au barreau de PARIS ; et Me Charlotte BELLET de la SCP BMGB, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Mai 2024, en audience publique, devant Mme Hélène FILLIOL, Présidente de chambre chargée du rapport et Me Marie-Catherine GAFFINEL, Conseillère, sans opposition des avocats.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Hélène FILLIOL, Présidente de chambre
Mme Marie-Catherine GAFFINEL, Conseillère
Mme Marie LAMBLING, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Sonia JHALLI
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Hélène FILLIOL présidente de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
* I/ FAITS ET PROCEDURE
La société BERTRI exploite, en qualité de franchisée, un fonds de commerce à dominante alimentaire, sous l'enseigne Intermarché, à [Localité 5]. L'actionnaire majoritaire de la société BERTRI ayant décidé de céder celle-ci, une opération à double détente est organisée.
Dans un premier temps, les actions de la société BERTRI sont cédées à la société ITM Alimentaire Sud-Ouest appartenant au groupement des Mousquetaires, laquelle les revend, dans un second temps, à un adhérent du groupement, candidat à la reprise du point de vente.
C'est dans ces circonstances qu'est conclu, le 17 janvier 2017, un contrat de cession d'actions de la société BERTRI entre, d'une part, la société ITM Alimentaire Sud-Ouest et, d'autre part, la société [R], dirigée par M. [H] [I], et M. [H] [I].
La cession porte sur 2856 des 3000 actions de la société BERTRI, 2855 étant acquises par la société [R] et une par M. [H] [I]. Le prix de cession s'élève à 8.430.896 euros. Le transfert des actions a pris effet le 30 janvier 2017.
Le contrat de cession prévoit que les cessionnaires s'engagent à réaliser un agrandissement du magasin de 800 mètres-carré, pour le financement duquel ils devront contracter un emprunt (article 15.4 du contrat de cession).
Parrallèlement, un contrat d'enseigne a été conclu le 30 janvier 2017 entre la société BERTRI et M. [I] d'une part et la société ITM Entreprises d'autre part.
Les travaux prévus par le contrat de cession ont été réalisés en 2018 et ont nécessité la fermeture du point de vente pendant plus de six mois.
Les relations entre la société ITM Alimentaire Sud-Ouest d'une part et la société [R] et M. [I] d'autre part s'étant notablement tendues en 2021, une tentative de conciliation préalable a lieu, en application de l'article 27.1 du contrat de cession.
La tentative de conciliation ayant échoué, le tribunal arbitral a été saisi sur le fondement de l'article 27.2 du contrat de cession.
Par jugement en date du 9 août 2022, le tribunal de commerce de Montauban a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société [R] et désigné la SEARL [O] et Associés ès qualités de mandataire judiciaire.
Par jugement du 4 juillet 2023, le tribunal de commerce de Montauban a prononcé la conversion de la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire.
Par sentence du 29 janvier 2024, le tribunal arbitral composé de MM. Philippe JACQUES et Christophe JAMIN, co-arbitres et de M. Fabrice LEDUC, président a :
- prononcé la nullité du contrat de cession d'actions conclu entre la société ITM Alimentaire Sud-Ouest, d'une part et la société [R] et M. [I], d'autre part,
- Condamné les cessionnaires à restituer les actions de la société [T] à la société ITM Alimentaire Sud-Ouest,
- Condamné la société ITM Alimentaire Sud-Ouest à restituer aux cessionnaires la somme de 7.735.745,6 euros,
- Condamné chacune des parties à supporter la moitié du coût des frais et honoraires de l'arbitrage,
- Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté les parties, pour le surplus, de leurs demandes, fins et conclusions.
Par ordonnance d'exequatur du 5 février 2024, le président du tribunal judiciaire de Paris a déclaré exécutoire la sentence arbitrale du 29 janvier 2024.
Le 27 février 2024, la société ITM Alimentaire Sud-Ouest a formé un recours en annulation contre cette sentence.
Par conclusions notifiées le 28 mars 2024, la société [R], la SELARL [O] et Associés pris en la personne de maître [J] [N], ès qualités de mandataire judiciaire de la société [R] et M. [H] [I] ont sollicité la fixation de l'affaire à bref délai sur le fondement de l'article 905 du code de procédure civile.
Par bulletin du 18 avril 2024, les parties ont été informées de la fixation de l'affaire à bref délai à l'audience de plaidoiries du 24 mai 2024 et du calendrier de la procédure.
PRETENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 mai 2024, la société ITM Alimentaire Sud-Ouest demande à la cour de :
- Annuler la sentence arbitrale déférée, rendue le 29 janvier 2024 par MM. LEDUC, JACQUES et JAMIN ;
- Renvoyer les sociétés [R], [O] et [T], ainsi que M. [I], à mieux se pourvoir ;
- Les condamner in solidum à payer à la société ITM Alimentaire Sud-Ouest la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Les condamner in solidum aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me BONALDI-NUT, avocat à la cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 mai 2024, la société [R], la SELARL [O] et Associés pris en la personne de maître [J] [N], ès qualités de mandataire judiciaire de la société [R], la société [T] et M. [H] [I] demandent de :
- Déclarer la société ITM Alimentaire Sud-Ouest irrecevable en son grief tendant à contester la compétence du tribunal arbitral pour annuler la cession de droits sociaux et, à défaut, mal fondée en ce grief,
- Débouter la société ITM Alimentaire Sud-Ouest de l'intégralité de ses moyens, demandes, fins et conclusions ;
- Rejeter le recours en annulation de la société ITM Alimentaire Sud-Ouest ;
- Condamner la société ITM Alimentaire Sud-Ouest à payer M. [H] [I] une somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société ITM Alimentaire Sud-Ouest aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 23 mai 2024.
MOTIFS
Sur la recevabilité du premier moyen d'annulation tiré de l'incompétence du tribunal arbitral (art. 1466 du code de procédure civile)
Moyens des parties
Pour conclure à l'irrecevabilité du moyen d'annulation tiré de l'incompétence du tribunal arbitral, les intimés font valoir que la société ITM Alimentaire Sud-Ouest n'a jamais contesté la compétence du tribunal arbitral pour connaître de la demande principale et que s'agissant de la demande subsidiaire, elle s'est contentée d'inviter le tribunal à s'interroger sur sa compétence sans soulever aucune exception d'incompétence. Ils estiment que la thèse développée par la société ITM Alimantaire Sud-Ouest selon laquelle l'arrêt Schooner du 2 décembre 2020 lui permettrait de contester pour la première fois devant le juge de l'annulation la compétence du tribunal ayant rendu la sentence manque en droit parce qu'elle repose sur une dénaturation de l'arrêt rendu dans une affaire d'arbitrage international d'investissements qui avait donné lieu à une sentence aux termes de laquelle le tribunal arbitral s'était déclaré partiellement compétent. Ils estiment en outre que cette thèse manque en fait puisque la question de la compétence pour connaître de la demande principale n'a jamais été débattue devant les arbitres.
Pour conclure à la recevabilité du moyen, la société ITM AlimentaireSud-Ouest réplique que l'arrêt de la Cour de cassation du 2 décembre 2020 ayant écarté l'application de l'article 1466 du code de procédure civile aux questions de compétence est bien applicable en l'espèce dès lors qu'elle a contesté expressément la compétence du tribunal arbitral pour statuer sur la demande subsidiaire et « incidemment » mis en cause la compétence du tribunal arbitral sur la demande principale.
Réponse de la cour
L'article 1492, 1° du code de procédure civile dispose que le recours en annulation est ouvert si le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.
Selon l'article 1466 du même code « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir ».
Il résulte de ces dispositions que lorsque la compétence a été débattue devant les arbitres, les parties ne sont pas privées du droit d'invoquer sur cette question, devant le juge de l'annulation, de nouveaux moyens et arguments et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve (Cass 1ère civ, 2 déc 2020 n°19-15.396).
Les parties s'opposent sur l'interprétation de l'arrêt Schooner du 2 décembre 2020, le recourant estimant que la solution retenue par la Cour de cassation est applicable à la présente affaire, ce que contestent les intimés.
Aux termes de l'arrêt Schooner du 2 décembre 2020 qui concernait un arbitrage international d'investissement, la Cour de cassation a retenu que « lorsque la compétence a été débattue devant les arbitres, les parties ne sont pas privées du droit d'invoquer sur cette question, devant le juge de l'annulation, de nouveaux moyens et arguments et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve ».
Comme le relèvent justement les intimés, cette solution n'est pas transposable en l'espèce, la compétence n'ayant jamais été débattue devant les arbitres.
En effet, en premier lieu dans la sentence du 29 janvier 2024, le tribunal ne statue pas sur sa compétence ou sur son incompétence.
En second lieu, le dispositif du mémoire en défense de la société ITM Alimentaire Sud-Ouest du 6 décembre 2023 ne soulève aucune exception d'incompétence. Comme le relèvent justement les intimés, la prétention figurant dans le dispositif du mémoire, ainsi rédigée « juger que tous moyens ou demandes ou demandes non fondés sur la promesse ou l'acte de de cession de droits sociaux convenue entre les parties, n'entrent pas dans la mission du tribunal » porte sur la mission du tribunal et non sur sa compétence. Au surplus, les motifs de ce mémoire ne soulèvent aucune question relative à l'incompétence du tribunal. S'agissant de la demande principale tendant à l'annulation du contrat de cession, la société ITM Alimentaire Sud-Ouest ne peut sérieusement soutenir qu'elle a « incidemment » mis en cause la compétence du tribunal au seul motif qu'elle a écrit page 17 de son mémoire « les demandeurs n'ont pas engagé le présent arbitrage sur le fondement de la clause compromissoire du contrat d'enseigne et qu'ITM n'est pas partie au présent arbitrage ». De même, s'agissant de la demande subsidiaire, elle ne peut pas plus sérieusement affirmer que la question de la compétence a bien été débattue devant les arbitres au motif qu'elle a écrit page 25 de son mémoire « Liminairement, le tribunal devra s'interroger sur la compétence pour statuer sur cette demande, dans la mesure où la faute alléguée relève exclusivement du contrat d'enseigne, dont le tribunal n'est pas saisi » alors comme le relèvent justement les intimés, qu'elle s'est contentée de demander au tribunal arbitral de s'interroger sur sa compétence sans en tirer les conséquences, aucune exception d'incompétence n'étant soulevée dans le dispositif de son mémoire de sorte que le tribunal n'était saisi d'aucune prétention relative à la compétence.
Le moyen d'incompétence qu'elle soutient est dès lors irrecevable en application de l'article 1466 du code de procédure civile.
Sur le moyen d'annulation tiré du non-respect par l'arbitre de sa mission (article 1492, 3°)
Moyens des parties
La société ITM Alimentaire Sud-Ouest fait valoir que le tribunal ne s'est pas conformé à sa mission en statuant sur la rentabilité de l'exploitation dans le cadre de l'exécution du contrat de franchise à l'égard duquel il n'était pas compétent.
Elle fait valoir notamment que les sentences ayant statué ultra petita sont annulées ; que le tribunal arbitral ne peut se prononcer sur des contrats distincts de celui comprenant la clause compromissoire sur la base de laquelle l'arbitrage a été réalisé et que lorsque le demandeur comme en l'espèce agit sur le fondement d'un seul contrat lié à un autre comportant une clause compromissoire le tribunal ne peut statuer en confondant les contrats, car il méconnait alors sa mission et empiète sur la compétence du tribunal arbitral compétent pour l'autre contrat.
Elle estime en l'espèce que l'arbitrage a été mal engagé en ce que les demandeurs revendiquaient la nullité de la cession d'actions alors que le grief tiré d'une erreur sur la rentabilité de l'exploitation portait en réalité sur la rentabilité de l'exploitation dans le cadre du contrat d'enseigne INTERMARCHÉ ; que « la cession des actions de la société [T] ne pouvait donc être annulée, tout au plus, que par voie de conséquence de la nullité du contrat d'enseigne ».
Elle reproche au tribunal arbitral d'avoir contourné la difficulté et d'avoir commis des erreurs d'appréciation grossières en retenant que la croyance dans une possible rentabilité de la société [T] dans le cadre de l'exécution du contrat de franchise INTERMARCHÉ était entrée dans le champ contractuel de la cession d'actions.
Elle fait valoir que le tribunal ne pouvait statuer en se fondant sur le caractère prétendument trompeur de l'étude et sur l'absence de fautes de gestion du franchisé, ces deux questions relevant de la validité et de l'exécution du contrat d'enseigne dont il n'était pas saisi, et que dans ces circonstances il ne pouvait qu'inviter les demandeurs « à consolider l'arbitrage » en visant la clause compromissoire insérée au contrat d'enseigne conclu avec la société ITM ENTREPRISES, ce qu'il n'a pas fait.
Les intimés répliquent que le tribunal a parfaitement respecté sa mission ; qu'ils n'ont jamais fondé leur demande sur le contrat d'enseigne mais uniquement sur le contrat de cession ; qu'une erreur manifeste de l'arbitre ne peut constituer un cas d'ouverture du recours en annulation (CA Paris, 25 mai 1985, Rev. Arb. 1989, pp. 228-235) ; que le juge de l'annulation n'est pas investi d'un pouvoir de révision de l'interprétation des stipulations contractuelles à laquelle s'est livré le tribunal arbitral.
Ils estiment qu'en réalité la société ITM Alimentaire Sud-Ouest reprend devant la cour l'argumentation déjà développée devant le tribunal consistant à soutenir que leurs demandes relèvent du contrat d'enseigne et non du contrat de cession ; que ce faisant, elle tente d'obtenir un nouvel examen de son argument porté à titre subsidiaire devant le tribunal arbitral sur lequel ce dernier a déjà statué en l'écartant.
Réponse de la cour
L'article 1492, 3°du code de procédure civile dispose que le recours en annulation d'une sentence arbitrale est ouvert si « le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée ».
La mission des arbitres, définie par la convention d'arbitrage, est délimitée principalement par l'objet du litige, tel qu'il est déterminé par les prétentions des parties et l'énoncé des questions dans l'acte de mission, et se détermine ainsi en relation avec le respect de leur volonté.
Il n'appartient pas au juge de l'annulation de remettre en cause les limites des pouvoirs que les parties ont ainsi conféré aux arbitres, ou les prétentions soumises par les parties au tribunal arbitral.
La société ITM Alimentaire Sud-Ouest se fonde essentiellement sur la motivation retenue par les arbitres en reprenant dans ses écritures des extraits de celle-ci, entachée selon elle, d'« erreurs d'appréciation » « grossières » pour soutenir que le tribunal arbitral ne se serait pas conformé à sa mission, en se prononçant sur l'erreur portant sur la rentabilité de l'exploitation dans le cadre de l'exécution du contrat de franchise.
Or, ainsi que cela résulte de l'acte de mission du 19 septembre 2023 le tribunal arbitral avait pour mission de trancher le litige ayant trait au contrat du 17 janvier 2017 et le litige portait à titre principal sur la nullité du contrat de cession pour erreur sur la rentabilité économique, et à titre subsidiaire, sur la mise en jeu de la responsabilité civile de la société ITM Alimentaire Sud-Ouest.
Selon leurs mémoires, les cessionnaires soutenaient pour solliciter la nullité du contrat de cession que l'erreur sur la rentabilité économique de la société franchisée constituait une qualité essentielle des titres cédés tandis que la société ITM Alimentaire Sud-Ouest faisait valoir qu'il s'agissait d'une simple erreur sur la valeur insusceptible d'entrainer la nullité du contrat de cession.
Le tribunal arbitral a, statuant tant en droit qu'en équité, aux termes d'une motivation dont le bien-fondé ne relève pas du pouvoir de contrôle du juge de l'annulation, prononcé la nullité du contrat de cession, en retenant notamment que « le contrat d'actions litigieux constitue la pièce essentielle d'un ensemble de contrats interdépendants tendant à la réalisation d'un projet d'intérêt commun de transmission d'un point de vente franchisé '. l'ensemble des circonstances particulières autorise à considérer que l'assimiliation de l'erreur sur la rentabilité économique à une erreur sur les qualités essentielles, admise à certaines conditions en matière de contrat de franchise, peut mutatis mutandis être transposée par analogie en l'espèce, sans méconnaitre les limites de la clause compromissoire sur la base de laquelle le tribunal est saisi : lorsqu'une cession d'actions a pour objet la prise de contrôle d'une société exploitant un point de vente franchisé et que cette cession est consentie par une filiale de la tête de réseau dans l'unique but de trouver un successeur à l'exploitant sortant, la rentabilité économique de la société franchisée est, en raison du contexte, susceptible de constituer une qualité essentielle des actions cédées '».
Ce faisant, le tribunal a tranché le désaccord des parties qui portait sur l'erreur relative à la rentabilité économique de l'exploitation comme cela lui était demandé.
Il ne résulte pas de ces constatations que le tribunal arbitral aurait statué ultra petita en statuant sur une erreur relative à la rentabilité de l'exploitation dans le cadre de l'exécution du contrat de franchise. Les développements de la société ITM Alimentaire Sud-Ouest en ce sens, qui manquent en fait, sont inopérants.
Il en est de même de ses critiques selon lesquelles les demandes des sociétés intimées et de M. [I] relèveraient du contrat d'enseigne et non du contrat de cession et « qu'ITM ENTREPRISES n'est pas partie à l'arbitrage », déjà developpées dans son mémoire du 6 décembre 2023 pages 17 et 25.
Il résulte de ces éléments que sous couvert du grief tiré du non-respect de sa mission par le tribunal arbitral, la société requérante demande à la cour d'apprécier le raisonnement des arbitres, ce qu'elle ne peut faire sous peine de réviser la sentence.
Ce moyen doit en conséquence être rejeté.
Sur le moyen d'annulation tiré de la violation de l'ordre public procédural (article 1492, 5°)
Moyens des parties
La société ITM Alimentaire Sud-Ouest soutient que la violation de l'ordre public procédural découle de la violation par le tribunal arbitral des principes directeurs du procès et du principe de la contradiction. Elle reproche à la sentence de s'être prononcée sur le contrat d'enseigne tant au sujet de l'obligation d'information précontractuelle qu'au regard de son exécution, et notamment de la gestion de la société franchisée en exécution de ce contrat, hors la présence du franchiseur (ITM ENTREPRISES). Elle reproche également au tribunal de s'être prononcé sur l'impossibilité objective et initiale de réaliser le chiffre d'affaires prévisionnel, ce qui supposait une appréciation de la validité de l'étude de marché dont ITM ENTREPRISES pouvait seule justifier.
Les sociétés intimées et M. [I] estiment qu'aucune violation de l'ordre public procédural n'est démontrée, que ce moyen tend en réalité à obtenir une révision de la sentence, que la circonstance que des éléments factuels ayant trait à l'exécution du contrat de franchise aient été pris en compte pour l'appréciation de la validité du contrat n'implique pas que le tribunal arbitral se soit déterminé sur des droits relevant de ce contrat, et ce d'autant que pour le tribunal arbitral, ces éléments sont entrés dans le champs contractuel de la cession.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 1492, 5° du code de procédure civile, le recours en annulation d'une sentence arbitrale est ouvert si « la sentence est contraire à l'ordre public ».
Le contrôle de la conformité de la sentence à l'ordre public ne doit pas tendre à une révision au fond de la sentence, interdite au juge de l'annulation.
Force est de constater que le moyen développé par la société ITM Alimentaire Sud-Ouest de ce chef reprend, sous couvert de la violation de l'ordre public procédural, les griefs déjà invoqués au titre du non-respect de la mission.
La cour relève que le tribunal a statué après un débat contradictoire sur l'ensemble des prétentions des parties.
Les mêmes considérations que celles relevées précédemment conduisent à rejeter le moyen, la société ITM Alimentaire Sud-Ouest ne caractérisant ni ne démontrant aucune contrariété de la sentence à l'ordre public procédural.
Ce moyen ne peut prospérer et doit être rejeté.
L'exequatur ayant été déjà accordée à la sentence, l'ordonnance du président du tribunal judiciaire de Paris du 5 février 2024 produit son plein effet.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
La société ITM Alimentaire Sud-Ouest, succombant à l'instance, est condamnée aux dépens et à verser à M. [I] la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Déclare irrecevable le moyen tiré de l'incompétence du tribunal arbitral,
Rejette le recours en annulation formé par la société ITM Alimentaire Sud-Ouest,
Condamne la société ITM Alimentaire Sud-Ouest à verser à M. [I] la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société ITM Alimentaire Sud-Ouest aux dépens.
LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Chambre commerciale internationale
POLE 5 CHAMBRE 16
ARRET DU 24 JUIN 2024
(n° 57/2024 , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/04596 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJBTW
Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale rendue à Paris le 29 Janvier 2024 par le Tribunal arbitral composé de M. Fabrice LEDUC, Président, M. Philippe JACQUES, Co-arbitre et M. Christophe JAMIN, Co-arbitre.
DEMANDERESSE AU RECOURS :
S.A.S. ITM ALIMENTAIRE SUD OUEST
immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 452 533 9679
ayant son siège social : [Adresse 2]
prise en la personne de ses représentants légaux,
Ayant pour avocat postulant : Me Marie-laure BONALDI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0936
Ayant pour avocat plaidant : Me Bruno CHEMAMA, DE LA selafa jean-claude coulon 1 associesavocat au barreau de PARIS, toque : K002
DEFENDEURS AU RECOURS :
Société [R]
société par actions simplifiée,
immatriculée au RCS de MONTAUBAN sous le numéro 824 588 313,
ayant son siège social : [Adresse 7]
prise en la personne de ses représentants légaux,
SELARL BENOIT &ASSOCIES - MANDATAIRES JUDICIAIRES
prise en la personne de Maître [J] [N], ès qualités de mandataire judiciaire, désignée par jugement du tribunal de commerce de Montauban du 9 août 2022, ayant ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société [R], et par jugement du 4 juillet 2023 ayant prononcé la conversion de la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire,
ayant son siège social :[Adresse 1]
Société [T]
société par action simplifiée,
Immatriculée au RCS de MONTAUBAN sous le numéro 329 439 178,
ayant son siège social : [Adresse 6]
prise en la personne de ses représentants légaux,
Monsieur [H] [I]
né le 21 Août 1969 à [Localité 4] (46)
demeurant : [Adresse 3]
Ayant pour avocat postulant : Me Luca DE MARIA de la SELARL SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Ayant pour avocat plaidant : Me Louis DEGOS, du cabinet K&L GATES LLP, avocat au barreau de PARIS ; et Me Charlotte BELLET de la SCP BMGB, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Mai 2024, en audience publique, devant Mme Hélène FILLIOL, Présidente de chambre chargée du rapport et Me Marie-Catherine GAFFINEL, Conseillère, sans opposition des avocats.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Hélène FILLIOL, Présidente de chambre
Mme Marie-Catherine GAFFINEL, Conseillère
Mme Marie LAMBLING, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Sonia JHALLI
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Hélène FILLIOL présidente de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
* I/ FAITS ET PROCEDURE
La société BERTRI exploite, en qualité de franchisée, un fonds de commerce à dominante alimentaire, sous l'enseigne Intermarché, à [Localité 5]. L'actionnaire majoritaire de la société BERTRI ayant décidé de céder celle-ci, une opération à double détente est organisée.
Dans un premier temps, les actions de la société BERTRI sont cédées à la société ITM Alimentaire Sud-Ouest appartenant au groupement des Mousquetaires, laquelle les revend, dans un second temps, à un adhérent du groupement, candidat à la reprise du point de vente.
C'est dans ces circonstances qu'est conclu, le 17 janvier 2017, un contrat de cession d'actions de la société BERTRI entre, d'une part, la société ITM Alimentaire Sud-Ouest et, d'autre part, la société [R], dirigée par M. [H] [I], et M. [H] [I].
La cession porte sur 2856 des 3000 actions de la société BERTRI, 2855 étant acquises par la société [R] et une par M. [H] [I]. Le prix de cession s'élève à 8.430.896 euros. Le transfert des actions a pris effet le 30 janvier 2017.
Le contrat de cession prévoit que les cessionnaires s'engagent à réaliser un agrandissement du magasin de 800 mètres-carré, pour le financement duquel ils devront contracter un emprunt (article 15.4 du contrat de cession).
Parrallèlement, un contrat d'enseigne a été conclu le 30 janvier 2017 entre la société BERTRI et M. [I] d'une part et la société ITM Entreprises d'autre part.
Les travaux prévus par le contrat de cession ont été réalisés en 2018 et ont nécessité la fermeture du point de vente pendant plus de six mois.
Les relations entre la société ITM Alimentaire Sud-Ouest d'une part et la société [R] et M. [I] d'autre part s'étant notablement tendues en 2021, une tentative de conciliation préalable a lieu, en application de l'article 27.1 du contrat de cession.
La tentative de conciliation ayant échoué, le tribunal arbitral a été saisi sur le fondement de l'article 27.2 du contrat de cession.
Par jugement en date du 9 août 2022, le tribunal de commerce de Montauban a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société [R] et désigné la SEARL [O] et Associés ès qualités de mandataire judiciaire.
Par jugement du 4 juillet 2023, le tribunal de commerce de Montauban a prononcé la conversion de la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire.
Par sentence du 29 janvier 2024, le tribunal arbitral composé de MM. Philippe JACQUES et Christophe JAMIN, co-arbitres et de M. Fabrice LEDUC, président a :
- prononcé la nullité du contrat de cession d'actions conclu entre la société ITM Alimentaire Sud-Ouest, d'une part et la société [R] et M. [I], d'autre part,
- Condamné les cessionnaires à restituer les actions de la société [T] à la société ITM Alimentaire Sud-Ouest,
- Condamné la société ITM Alimentaire Sud-Ouest à restituer aux cessionnaires la somme de 7.735.745,6 euros,
- Condamné chacune des parties à supporter la moitié du coût des frais et honoraires de l'arbitrage,
- Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté les parties, pour le surplus, de leurs demandes, fins et conclusions.
Par ordonnance d'exequatur du 5 février 2024, le président du tribunal judiciaire de Paris a déclaré exécutoire la sentence arbitrale du 29 janvier 2024.
Le 27 février 2024, la société ITM Alimentaire Sud-Ouest a formé un recours en annulation contre cette sentence.
Par conclusions notifiées le 28 mars 2024, la société [R], la SELARL [O] et Associés pris en la personne de maître [J] [N], ès qualités de mandataire judiciaire de la société [R] et M. [H] [I] ont sollicité la fixation de l'affaire à bref délai sur le fondement de l'article 905 du code de procédure civile.
Par bulletin du 18 avril 2024, les parties ont été informées de la fixation de l'affaire à bref délai à l'audience de plaidoiries du 24 mai 2024 et du calendrier de la procédure.
PRETENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 mai 2024, la société ITM Alimentaire Sud-Ouest demande à la cour de :
- Annuler la sentence arbitrale déférée, rendue le 29 janvier 2024 par MM. LEDUC, JACQUES et JAMIN ;
- Renvoyer les sociétés [R], [O] et [T], ainsi que M. [I], à mieux se pourvoir ;
- Les condamner in solidum à payer à la société ITM Alimentaire Sud-Ouest la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Les condamner in solidum aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me BONALDI-NUT, avocat à la cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 mai 2024, la société [R], la SELARL [O] et Associés pris en la personne de maître [J] [N], ès qualités de mandataire judiciaire de la société [R], la société [T] et M. [H] [I] demandent de :
- Déclarer la société ITM Alimentaire Sud-Ouest irrecevable en son grief tendant à contester la compétence du tribunal arbitral pour annuler la cession de droits sociaux et, à défaut, mal fondée en ce grief,
- Débouter la société ITM Alimentaire Sud-Ouest de l'intégralité de ses moyens, demandes, fins et conclusions ;
- Rejeter le recours en annulation de la société ITM Alimentaire Sud-Ouest ;
- Condamner la société ITM Alimentaire Sud-Ouest à payer M. [H] [I] une somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société ITM Alimentaire Sud-Ouest aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 23 mai 2024.
MOTIFS
Sur la recevabilité du premier moyen d'annulation tiré de l'incompétence du tribunal arbitral (art. 1466 du code de procédure civile)
Moyens des parties
Pour conclure à l'irrecevabilité du moyen d'annulation tiré de l'incompétence du tribunal arbitral, les intimés font valoir que la société ITM Alimentaire Sud-Ouest n'a jamais contesté la compétence du tribunal arbitral pour connaître de la demande principale et que s'agissant de la demande subsidiaire, elle s'est contentée d'inviter le tribunal à s'interroger sur sa compétence sans soulever aucune exception d'incompétence. Ils estiment que la thèse développée par la société ITM Alimantaire Sud-Ouest selon laquelle l'arrêt Schooner du 2 décembre 2020 lui permettrait de contester pour la première fois devant le juge de l'annulation la compétence du tribunal ayant rendu la sentence manque en droit parce qu'elle repose sur une dénaturation de l'arrêt rendu dans une affaire d'arbitrage international d'investissements qui avait donné lieu à une sentence aux termes de laquelle le tribunal arbitral s'était déclaré partiellement compétent. Ils estiment en outre que cette thèse manque en fait puisque la question de la compétence pour connaître de la demande principale n'a jamais été débattue devant les arbitres.
Pour conclure à la recevabilité du moyen, la société ITM AlimentaireSud-Ouest réplique que l'arrêt de la Cour de cassation du 2 décembre 2020 ayant écarté l'application de l'article 1466 du code de procédure civile aux questions de compétence est bien applicable en l'espèce dès lors qu'elle a contesté expressément la compétence du tribunal arbitral pour statuer sur la demande subsidiaire et « incidemment » mis en cause la compétence du tribunal arbitral sur la demande principale.
Réponse de la cour
L'article 1492, 1° du code de procédure civile dispose que le recours en annulation est ouvert si le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.
Selon l'article 1466 du même code « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir ».
Il résulte de ces dispositions que lorsque la compétence a été débattue devant les arbitres, les parties ne sont pas privées du droit d'invoquer sur cette question, devant le juge de l'annulation, de nouveaux moyens et arguments et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve (Cass 1ère civ, 2 déc 2020 n°19-15.396).
Les parties s'opposent sur l'interprétation de l'arrêt Schooner du 2 décembre 2020, le recourant estimant que la solution retenue par la Cour de cassation est applicable à la présente affaire, ce que contestent les intimés.
Aux termes de l'arrêt Schooner du 2 décembre 2020 qui concernait un arbitrage international d'investissement, la Cour de cassation a retenu que « lorsque la compétence a été débattue devant les arbitres, les parties ne sont pas privées du droit d'invoquer sur cette question, devant le juge de l'annulation, de nouveaux moyens et arguments et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve ».
Comme le relèvent justement les intimés, cette solution n'est pas transposable en l'espèce, la compétence n'ayant jamais été débattue devant les arbitres.
En effet, en premier lieu dans la sentence du 29 janvier 2024, le tribunal ne statue pas sur sa compétence ou sur son incompétence.
En second lieu, le dispositif du mémoire en défense de la société ITM Alimentaire Sud-Ouest du 6 décembre 2023 ne soulève aucune exception d'incompétence. Comme le relèvent justement les intimés, la prétention figurant dans le dispositif du mémoire, ainsi rédigée « juger que tous moyens ou demandes ou demandes non fondés sur la promesse ou l'acte de de cession de droits sociaux convenue entre les parties, n'entrent pas dans la mission du tribunal » porte sur la mission du tribunal et non sur sa compétence. Au surplus, les motifs de ce mémoire ne soulèvent aucune question relative à l'incompétence du tribunal. S'agissant de la demande principale tendant à l'annulation du contrat de cession, la société ITM Alimentaire Sud-Ouest ne peut sérieusement soutenir qu'elle a « incidemment » mis en cause la compétence du tribunal au seul motif qu'elle a écrit page 17 de son mémoire « les demandeurs n'ont pas engagé le présent arbitrage sur le fondement de la clause compromissoire du contrat d'enseigne et qu'ITM n'est pas partie au présent arbitrage ». De même, s'agissant de la demande subsidiaire, elle ne peut pas plus sérieusement affirmer que la question de la compétence a bien été débattue devant les arbitres au motif qu'elle a écrit page 25 de son mémoire « Liminairement, le tribunal devra s'interroger sur la compétence pour statuer sur cette demande, dans la mesure où la faute alléguée relève exclusivement du contrat d'enseigne, dont le tribunal n'est pas saisi » alors comme le relèvent justement les intimés, qu'elle s'est contentée de demander au tribunal arbitral de s'interroger sur sa compétence sans en tirer les conséquences, aucune exception d'incompétence n'étant soulevée dans le dispositif de son mémoire de sorte que le tribunal n'était saisi d'aucune prétention relative à la compétence.
Le moyen d'incompétence qu'elle soutient est dès lors irrecevable en application de l'article 1466 du code de procédure civile.
Sur le moyen d'annulation tiré du non-respect par l'arbitre de sa mission (article 1492, 3°)
Moyens des parties
La société ITM Alimentaire Sud-Ouest fait valoir que le tribunal ne s'est pas conformé à sa mission en statuant sur la rentabilité de l'exploitation dans le cadre de l'exécution du contrat de franchise à l'égard duquel il n'était pas compétent.
Elle fait valoir notamment que les sentences ayant statué ultra petita sont annulées ; que le tribunal arbitral ne peut se prononcer sur des contrats distincts de celui comprenant la clause compromissoire sur la base de laquelle l'arbitrage a été réalisé et que lorsque le demandeur comme en l'espèce agit sur le fondement d'un seul contrat lié à un autre comportant une clause compromissoire le tribunal ne peut statuer en confondant les contrats, car il méconnait alors sa mission et empiète sur la compétence du tribunal arbitral compétent pour l'autre contrat.
Elle estime en l'espèce que l'arbitrage a été mal engagé en ce que les demandeurs revendiquaient la nullité de la cession d'actions alors que le grief tiré d'une erreur sur la rentabilité de l'exploitation portait en réalité sur la rentabilité de l'exploitation dans le cadre du contrat d'enseigne INTERMARCHÉ ; que « la cession des actions de la société [T] ne pouvait donc être annulée, tout au plus, que par voie de conséquence de la nullité du contrat d'enseigne ».
Elle reproche au tribunal arbitral d'avoir contourné la difficulté et d'avoir commis des erreurs d'appréciation grossières en retenant que la croyance dans une possible rentabilité de la société [T] dans le cadre de l'exécution du contrat de franchise INTERMARCHÉ était entrée dans le champ contractuel de la cession d'actions.
Elle fait valoir que le tribunal ne pouvait statuer en se fondant sur le caractère prétendument trompeur de l'étude et sur l'absence de fautes de gestion du franchisé, ces deux questions relevant de la validité et de l'exécution du contrat d'enseigne dont il n'était pas saisi, et que dans ces circonstances il ne pouvait qu'inviter les demandeurs « à consolider l'arbitrage » en visant la clause compromissoire insérée au contrat d'enseigne conclu avec la société ITM ENTREPRISES, ce qu'il n'a pas fait.
Les intimés répliquent que le tribunal a parfaitement respecté sa mission ; qu'ils n'ont jamais fondé leur demande sur le contrat d'enseigne mais uniquement sur le contrat de cession ; qu'une erreur manifeste de l'arbitre ne peut constituer un cas d'ouverture du recours en annulation (CA Paris, 25 mai 1985, Rev. Arb. 1989, pp. 228-235) ; que le juge de l'annulation n'est pas investi d'un pouvoir de révision de l'interprétation des stipulations contractuelles à laquelle s'est livré le tribunal arbitral.
Ils estiment qu'en réalité la société ITM Alimentaire Sud-Ouest reprend devant la cour l'argumentation déjà développée devant le tribunal consistant à soutenir que leurs demandes relèvent du contrat d'enseigne et non du contrat de cession ; que ce faisant, elle tente d'obtenir un nouvel examen de son argument porté à titre subsidiaire devant le tribunal arbitral sur lequel ce dernier a déjà statué en l'écartant.
Réponse de la cour
L'article 1492, 3°du code de procédure civile dispose que le recours en annulation d'une sentence arbitrale est ouvert si « le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée ».
La mission des arbitres, définie par la convention d'arbitrage, est délimitée principalement par l'objet du litige, tel qu'il est déterminé par les prétentions des parties et l'énoncé des questions dans l'acte de mission, et se détermine ainsi en relation avec le respect de leur volonté.
Il n'appartient pas au juge de l'annulation de remettre en cause les limites des pouvoirs que les parties ont ainsi conféré aux arbitres, ou les prétentions soumises par les parties au tribunal arbitral.
La société ITM Alimentaire Sud-Ouest se fonde essentiellement sur la motivation retenue par les arbitres en reprenant dans ses écritures des extraits de celle-ci, entachée selon elle, d'« erreurs d'appréciation » « grossières » pour soutenir que le tribunal arbitral ne se serait pas conformé à sa mission, en se prononçant sur l'erreur portant sur la rentabilité de l'exploitation dans le cadre de l'exécution du contrat de franchise.
Or, ainsi que cela résulte de l'acte de mission du 19 septembre 2023 le tribunal arbitral avait pour mission de trancher le litige ayant trait au contrat du 17 janvier 2017 et le litige portait à titre principal sur la nullité du contrat de cession pour erreur sur la rentabilité économique, et à titre subsidiaire, sur la mise en jeu de la responsabilité civile de la société ITM Alimentaire Sud-Ouest.
Selon leurs mémoires, les cessionnaires soutenaient pour solliciter la nullité du contrat de cession que l'erreur sur la rentabilité économique de la société franchisée constituait une qualité essentielle des titres cédés tandis que la société ITM Alimentaire Sud-Ouest faisait valoir qu'il s'agissait d'une simple erreur sur la valeur insusceptible d'entrainer la nullité du contrat de cession.
Le tribunal arbitral a, statuant tant en droit qu'en équité, aux termes d'une motivation dont le bien-fondé ne relève pas du pouvoir de contrôle du juge de l'annulation, prononcé la nullité du contrat de cession, en retenant notamment que « le contrat d'actions litigieux constitue la pièce essentielle d'un ensemble de contrats interdépendants tendant à la réalisation d'un projet d'intérêt commun de transmission d'un point de vente franchisé '. l'ensemble des circonstances particulières autorise à considérer que l'assimiliation de l'erreur sur la rentabilité économique à une erreur sur les qualités essentielles, admise à certaines conditions en matière de contrat de franchise, peut mutatis mutandis être transposée par analogie en l'espèce, sans méconnaitre les limites de la clause compromissoire sur la base de laquelle le tribunal est saisi : lorsqu'une cession d'actions a pour objet la prise de contrôle d'une société exploitant un point de vente franchisé et que cette cession est consentie par une filiale de la tête de réseau dans l'unique but de trouver un successeur à l'exploitant sortant, la rentabilité économique de la société franchisée est, en raison du contexte, susceptible de constituer une qualité essentielle des actions cédées '».
Ce faisant, le tribunal a tranché le désaccord des parties qui portait sur l'erreur relative à la rentabilité économique de l'exploitation comme cela lui était demandé.
Il ne résulte pas de ces constatations que le tribunal arbitral aurait statué ultra petita en statuant sur une erreur relative à la rentabilité de l'exploitation dans le cadre de l'exécution du contrat de franchise. Les développements de la société ITM Alimentaire Sud-Ouest en ce sens, qui manquent en fait, sont inopérants.
Il en est de même de ses critiques selon lesquelles les demandes des sociétés intimées et de M. [I] relèveraient du contrat d'enseigne et non du contrat de cession et « qu'ITM ENTREPRISES n'est pas partie à l'arbitrage », déjà developpées dans son mémoire du 6 décembre 2023 pages 17 et 25.
Il résulte de ces éléments que sous couvert du grief tiré du non-respect de sa mission par le tribunal arbitral, la société requérante demande à la cour d'apprécier le raisonnement des arbitres, ce qu'elle ne peut faire sous peine de réviser la sentence.
Ce moyen doit en conséquence être rejeté.
Sur le moyen d'annulation tiré de la violation de l'ordre public procédural (article 1492, 5°)
Moyens des parties
La société ITM Alimentaire Sud-Ouest soutient que la violation de l'ordre public procédural découle de la violation par le tribunal arbitral des principes directeurs du procès et du principe de la contradiction. Elle reproche à la sentence de s'être prononcée sur le contrat d'enseigne tant au sujet de l'obligation d'information précontractuelle qu'au regard de son exécution, et notamment de la gestion de la société franchisée en exécution de ce contrat, hors la présence du franchiseur (ITM ENTREPRISES). Elle reproche également au tribunal de s'être prononcé sur l'impossibilité objective et initiale de réaliser le chiffre d'affaires prévisionnel, ce qui supposait une appréciation de la validité de l'étude de marché dont ITM ENTREPRISES pouvait seule justifier.
Les sociétés intimées et M. [I] estiment qu'aucune violation de l'ordre public procédural n'est démontrée, que ce moyen tend en réalité à obtenir une révision de la sentence, que la circonstance que des éléments factuels ayant trait à l'exécution du contrat de franchise aient été pris en compte pour l'appréciation de la validité du contrat n'implique pas que le tribunal arbitral se soit déterminé sur des droits relevant de ce contrat, et ce d'autant que pour le tribunal arbitral, ces éléments sont entrés dans le champs contractuel de la cession.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 1492, 5° du code de procédure civile, le recours en annulation d'une sentence arbitrale est ouvert si « la sentence est contraire à l'ordre public ».
Le contrôle de la conformité de la sentence à l'ordre public ne doit pas tendre à une révision au fond de la sentence, interdite au juge de l'annulation.
Force est de constater que le moyen développé par la société ITM Alimentaire Sud-Ouest de ce chef reprend, sous couvert de la violation de l'ordre public procédural, les griefs déjà invoqués au titre du non-respect de la mission.
La cour relève que le tribunal a statué après un débat contradictoire sur l'ensemble des prétentions des parties.
Les mêmes considérations que celles relevées précédemment conduisent à rejeter le moyen, la société ITM Alimentaire Sud-Ouest ne caractérisant ni ne démontrant aucune contrariété de la sentence à l'ordre public procédural.
Ce moyen ne peut prospérer et doit être rejeté.
L'exequatur ayant été déjà accordée à la sentence, l'ordonnance du président du tribunal judiciaire de Paris du 5 février 2024 produit son plein effet.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
La société ITM Alimentaire Sud-Ouest, succombant à l'instance, est condamnée aux dépens et à verser à M. [I] la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Déclare irrecevable le moyen tiré de l'incompétence du tribunal arbitral,
Rejette le recours en annulation formé par la société ITM Alimentaire Sud-Ouest,
Condamne la société ITM Alimentaire Sud-Ouest à verser à M. [I] la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société ITM Alimentaire Sud-Ouest aux dépens.
LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,