Cass. com., 26 juin 2024, n° 23-11.499
COUR DE CASSATION
Autre
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Altern Loc Auto (SARL)
Défendeur :
Ucar Location (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Bellino
Avocats :
Me Le Guerer, Bouniol-Brochier, Me Célice, Texidor, Périer
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 1er décembre 2022), le 3 novembre 2014, la société Ucar location (la société Ucar), animateur d'un réseau de franchise ayant pour activité la location de courte durée de véhicules automobiles, a conclu avec la société Altern Loc Auto (la société Altern), dont le gérant est M. [G], un contrat de franchise en vue de la création par celle-ci d'une agence Ucar à [Localité 3], dans la banlieue rennaise.
2. En octobre 2016, les résultats de la société Altern s'étant révélés, pour les années 2015 et 2016, inférieurs à ceux figurant dans le prévisionnel, celle-ci a fait part de ses inquiétudes à la société Ucar quant au dynamisme de la franchise.
3. Le 10 février 2017, la société Altern a informé la société Ucar qu'elle mettait fin au contrat, estimant avoir été trompée par cette dernière.
4. La société Altern a assigné la société Ucar aux fins de nullité du contrat de franchise, de condamnation à des dommages et intérêts et de restitution des sommes déjà versées.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en ses deuxième, quatrième et cinquième branches, du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
6. La société Altern fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de ses demandes tant à titre principal qu'à titre subsidiaire, alors « que commet une manuvre dolosive le franchiseur qui méconnaît l'obligation précontractuelle d'information qui lui incombe en application de l'article L. 330-3 du code de commerce, en ne fournissant pas au franchisé les informations essentielles permettant une présentation sincère et complète du réseau de franchise, dès lors que ces informations sont susceptibles de déterminer la volonté du franchisé d'y adhérer ; qu'en retenant, pour écarter toute manuvre dolosive de la société Ucar, que les dispositions de l'article R. 330-1 du code de commerce n'imposent pas au franchiseur d'informer le franchisé du nombre d'entreprises appartenant au réseau qui ont fait l'objet d'une procédure collective et en estimant que si l'information communiquée par le franchiseur doit être sincère, il lui suffit d'indiquer le nombre d'entreprises ayant fait l'objet d'une procédure collective au cours de l'année précédant la délivrance du document d'information précontractuelle, soit dans les douze mois précédant octobre 2014, et non pas au cours des années 2013 et 2014, comme l'invoquait la société Altern, cependant qu'une telle information était susceptible d'avoir une incidence déterminante sur le consentement de la société Altern, de sorte qu'elle aurait dû lui être transmise par le franchiseur afin de lui permettre de s'engager en toute connaissance de cause, même si elle n'était pas prévue par les dispositions de l'article R. 330-1, la cour d'appel a violé les articles L. 330-3 du code de commerce et 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, que le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter.
8. Après avoir constaté que le document d'information précontractuel (DIP) mentionnait que cinq sociétés avaient fait l'objet d'une procédure collective dans les douze mois précédant ce document, tandis que la société Altern soutenait que vingt-deux sociétés auraient été placées en redressement judiciaire ou en procédure collective en 2013-2014, l'arrêt retient que si, selon la société Altern, sur la période antérieure de douze mois au mois d'octobre 2014, dix sociétés auraient fait l'objet d'une procédure collective, la société Ucar justifie que seules cinq sociétés ont fait l'objet d'une telle procédure au cours de l'année précédant la remise du DIP.
9. En l'état de ces seules constatations et appréciations, dont il résulte que le franchiseur a informé le franchisé, de manière sincère, du nombre d'entreprises ayant fait l'objet d'une procédure collective dans les douze mois précédant la remise du DIP, la cour d'appel, devant laquelle était uniquement contestée l'exactitude de ce nombre, a pu retenir que le franchisé ne démontrait pas l'existence d'une réticence dolosive du franchiseur.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
11. La société Altern fait le même grief à l'arrêt, alors « que lorsque le franchisé a établi un compte prévisionnel à partir des données transmises par le franchiseur, il appartient à ce dernier de vérifier le sérieux des prévisions ainsi élaborées et d'en informer le franchisé, sauf à commettre une réticence dolosive ; qu'en retenant, pour écarter l'existence d'un vice du consentement de la société Altern sur la rentabilité économique de l'activité en cause, que "l'absence de réaction d'Ucar à la transmission du budget prévisionnel de la société Altern ne p[ouvait] constituer une manuvre dolosive", cependant qu'il appartenait à la société Ucar de vérifier le sérieux du compte prévisionnel élaboré par la société Altern à partir des données que la première lui avait transmises et qu'en s'abstenant de le faire et d'en informer la société Altern, la société Ucar avait commis une réticence dolosive, la cour d'appel a violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
12. Après avoir retenu qu'il n'était pas justifié du caractère trompeur des informations communiquées par la société Ucar quant au chiffre d'affaires mensuel moyen par véhicule des franchisés, l'arrêt relève que si la société Ucar a par ailleurs communiqué à la société Altern un business plan et un « tableau patrimoine », elle ne lui a pas transmis de budget prévisionnel, mais une « matrice » destinée à accompagner le futur franchisé dans la construction de son prévisionnel et retient que le compte prévisionnel lui-même a été élaboré par la société Altern puis transmis à la société Ucar. L'arrêt relève que l'indication par la société Ucar, dans le DIP, qu'elle fera ses efforts pour assister le franchisé dans l'élaboration de ce prévisionnel et lui apportera son assistance, indique bien que cette élaboration revenait à la société Altern.
13. Il retient encore qu'il ne peut être déduit de l'écart entre les évaluations de son prévisionnel ou annoncées au DIP, et les résultats obtenus, que les informations transmises par la société Ucar se seraient révélées irréalistes et que la société Ucar justifie que les chiffres d'affaires annoncés dans son DIP ont été atteints par plusieurs franchisés.
14. Il retient enfin, par motifs propres et adoptés, que la société Altern, dont le dirigeant, M. [G], était un entrepreneur expérimenté dans le domaine de l'automobile, connaissant déjà le marché rennais, et qui avait été informée par la société Ucar de la récente déconfiture du franchisé de [Localité 4], a fait le choix délibéré de retenir dans son prévisionnel un chiffre d'affaires par véhicule supérieur aux valeurs moyennes figurant dans le DIP communiqué par le franchiseur, bien qu'il s'agisse de la création d'une agence franchisée, anticipant des synergies avec les autres activités de son dirigeant.
15. En l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte que les données communiquées par la société Ucar pour que le franchisé établisse ses comptes prévisionnels présentaient un caractère sérieux et que celui-ci disposait des compétences et des informations nécessaires pour établir, en connaissance de cause, lesdits comptes, la cour d'appel a pu retenir que l'absence de réaction du franchiseur à la transmission du budget prévisionnel du franchisé n'était pas constitutive d'un dol.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois principal et incident.