CA Riom, ch. com., 26 juin 2024, n° 22/01649
RIOM
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Poly Commerce (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubled-Vacheron
Conseiller :
Mme Theuil-Dif
Avocats :
Me Gicquere, Me Breysse Delabre
EXPOSÉ DES FAITS :
M. [Z] a acquis auprès de la société à responsabilité limitée (SARL) Poly commerce un tracteur débusqueur Timberjack au prix de 33.600 euros suivant facture N° 32A établie le 9 mars 2020.
Le tracteur a été livré le 13 mars 2020 et le 17 mars suivant, M. [Z] a adressé un courrier recommandé au vendeur pour faire valoir son droit de rétractation en se plaignant de nombreux dysfonctionnements. Il a par ailleurs effectué une déclaration de sinistre auprès de sa compagnie d'assurance protection juridique qui a dépêché un expert.
Celui-ci a constaté l'absence de freins et de nombreuses fuites au niveau du réducteur du treuil, articulateur moteur et boîte à vitesses.
Aucune solution amiable ne pouvant aboutir, M. [Z] a, suivant acte d'huissier du 15 janvier 2021, saisi le tribunal judiciaire du Puy-en-Velay afin de voir prononcer la résolution du contrat.
Par jugement du 7 juin 2022, ledit tribunal a :
- débouté M. [Z] de sa demande de remboursement au titre de la résiliation du contrat du 5 mars 2019 fondée sur l'exercice d'un droit de rétractation,
- prononcé la résolution de la vente du 5 mars 2019 portant sur un tracteur de marque Timberjack, modèle 225D, portant le numéro de série 787 865,
- condamné la SARL Poly commerce à payer à M. [Z] la somme de 33.600 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 juin 2020, date de notification de la mise en demeure,
- condamné la SARL Poly commerce à prendre en charge les frais d'enlèvement et de restitution du tracteur,
- débouté M. [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- condamné la SARL Poly commerce à payer à M. [Z] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la SARL Poly commerce de sa demande au titre des frais irrépétibles,
- condamné la SARL Poly commerce aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration du 3 août 2022, la SARL Poly commerce a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de conclusions notifiées le 25 octobre 2022, elle demande à la cour :
- de réformer le jugement du 7 juin 2022,
Statuant à nouveau :
- de débouter M. [Z] de toutes ses prétentions,
- de condamner M. [Z] au paiement d'une somme de 3.500 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en admettant la SELARL Ogier Gicquere Sobieraj au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile,
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que M. [Z] ne peut user d'aucun droit de rétractation puisqu'il n'a pas la qualité de consommateur dans le présent litige. Elle estime qu'il ne rapporte pas la preuve des différents éléments permettant de caractériser un vice caché, tel que le caractère caché puisqu'il était nécessairement au courant des dysfonctionnements du véhicule acheté.
Par conclusions déposées et notifiées le 24 janvier 2023, M. [Z] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement sur la question de la vente à distance et de dire qu'il est bien fondé à user de son droit de rétractation pour former une action rédhibitoire,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a constaté l'existence de vices cachés,
- de condamner la SARL Poly commerce à lui rembourser la somme de 33.600 euros TH outre intérêts au taux légal à compter du 26 mai 2020 (mise en demeure) ainsi que la somme de 8.000 euros pour résistance abusive et la somme de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir qu'il bénéficie d'un droit de rétractation en tant que consommateur et rappelle qu'il a acquis le tracteur non pas à des fins professionnelles mais à des fins personnelles avec les fonds de sa compagne.
Il fait également valoir que la vente doit être résolue en raison des nombreux vices cachés du tracteur et affirme qu'il n'en était pas au courant puisqu'il n'a jamais vu d'annonce.
Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 septembre 2023.
MOTIVATION :
Sur l'exercice du droit de rétractation :
M. [Z] fait valoir qu'il est en droit de faire usage d'un droit de rétractation en vertu de l'article L. 221-18 du code de la consommation puisque d'une part, le contrat a été conclu à distance et d'autre part, qu'il bénéficie de la qualité de consommateur.
La SARL Poly commerce fait au contraire valoir qu'il ne s'agirait pas d'une vente à distance et qu'il n'aurait pas la qualité de consommateur, le privant ainsi de tout droit de rétractation.
Sur ce,
L'article L. 221-18 du code de la consommation dispose que « le consommateur dispose d'un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d'un contrat conclu à distance, à la suite d'un démarchage téléphonique ou hors établissement, sans avoir à motiver sa décision ni à supporter d'autres coûts que ceux prévus aux articles L. 221-23 à L. 221-25.
Le délai mentionné au premier alinéa court à compter du jour :
1° De la conclusion du contrat, pour les contrats de prestation de services et ceux mentionnés à l'article L. 221-4 ;
2° De la réception du bien par le consommateur ou un tiers, autre que le transporteur, désigné par lui, pour les contrats de vente de biens. Pour les contrats conclus hors établissement, le consommateur peut exercer son droit de rétractation à compter de la conclusion du contrat.
Dans le cas d'une commande portant sur plusieurs biens livrés séparément ou dans le cas d'une commande d'un bien composé de lots ou de pièces multiples dont la livraison est échelonnée sur une période définie, le délai court à compter de la réception du dernier bien ou lot ou de la dernière pièce.
Pour les contrats prévoyant la livraison régulière de biens pendant une période définie, le délai court à compter de la réception du premier bien ».
Aux termes de cet article, il apparaît que le droit de rétractation peut être exercé par un consommateur dans le cadre d'un contrat conclu à distance, par démarchage téléphonique ou hors établissement.
L'article L. 221-1 du code de la consommation dispose que :
« I. 'Pour l'application du présent titre, sont considérés comme :
1 Contrat à distance : tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans le cadre d'un système organisé de vente ou de prestation de services à distance, sans la présence physique simultanée du professionnel et du consommateur, par le recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à distance jusqu'à la conclusion du contrat ;
2 Contrat hors établissement : tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur :
a) Dans un lieu qui n'est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle, en la présence physique simultanée des parties, y compris à la suite d'une sollicitation ou d'une offre faite par le consommateur ;
b) Ou dans le lieu où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle ou au moyen d'une technique de communication à distance, immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement et individuellement dans un lieu différent de celui où le professionnel exerce en permanence ou de manière habituelle son activité et où les parties étaient, physiquement et simultanément, présentes ;
c) Ou pendant une excursion organisée par le professionnel ayant pour but ou pour effet de promouvoir et de vendre des biens ou des services au consommateur ».
Il convient d'observer qu'avant même de caractériser l'existence d'un contrat conclu à distance, par démarchage téléphonique ou hors établissement, les présentes dispositions s'appliquent nécessairement aux relations entre consommateurs et professionnels.
Il convient donc de s'interroger sur la qualité de M. [Z] dans ce présent litige.
L'article liminaire du code de la consommation dispose en ce sens que :
« 1° Consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole [']
3° Professionnel : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel ».
Concernant l'appréciation des qualités de consommateur et de professionnel, la Cour de cassation a estimé que selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, la notion de professionnel était une notion fonctionnelle impliquant d'apprécier si le rapport contractuel s'inscrivait dans le cadre des activités auxquelles une personne se livre à titre professionnel (CJUE 4 oct. 2018, aff. C-105/17, Kamenova). Plus précisément, les notions de « consommateur » et « professionnel » sont des notions fonctionnelles fondées sur le rôle joué par les parties au sein du contrat conclu.
Il n'est pas nécessaire que l'action réalisée ait un rapport direct avec l'activité professionnelle mais il convient que l'acquéreur ait agi à des fins entrant dans le cadre de son activité professionnelle.
Une même personne peut exercer plusieurs activités professionnelles.
En l'espèce, un contrat de vente a été conclu entre M. [Z] et la SARL Poly commerce, fournisseur de matériel agricole, selon une facture du 9 mars 2020.
Monsieur [Z] exerce l'activité d'éleveur caprins et ovins mais il est également exploitant forestier et se présente comme tel à la presse. Avec sa compagne il a donné naissance à un projet dont l'objectif est de « redynamiser naturellement les forêts de Haute-Loire ».
Cependant, il estime ne pas avoir agi à des fins entrant dans le cadre de son activité professionnelle, il fait plutôt valoir que le véhicule a été acquis pour une utilisation personnelle (sa compagne étant propriétaire de plusieurs parcelles de bois) et que l'achat a été réglé par les fonds propres de cette dernière. Il produit pour en justifier l'attestation d'un notaire ainsi que l'acte de vente de deux parcelles de terrain en nature de futaie au nom de sa compagne Mme [W] ainsi que leurs relevés bancaires.
M. [Z] a acquis un tracteur débusqueur, qui est une machine forestière dont le principal but est de sortir les grandes grumes d'une exploitation forestière pour les mettre généralement sur un lieu de dépôt, en forêt ou en bord de route.
Le rapport contractuel existant entre M. [Z] et la SARL Poly commerce s'inscrit dans le cadre des activités auxquelles M. [Z] se livre à titre professionnel. En achetant un tracteur débusqueur, il agissait nécessairement à des fins entrant dans le cadre de son activité professionnelle d'exploitant forestier.
Les moyens soulevés par ce dernier sont inopérants. L'origine des fonds utilisés pour l'achat est sans influence sur le rapport contractuel entre M. [Z] et la SARL Poly commerce. Par ailleurs, et comme le souligne le tribunal, le fait que sa compagne possède des parcelles de bois n'est pas de nature à contredire la finalité professionnelle de l'acquisition.
M. [Z] se livrant à des activités professionnelles d'exploitant forestier, a nécessairement agi à des fins professionnelles lorsqu'il a fait l'acquisition d'un tracteur débusqueur.
C'est donc à juste titre que le tribunal a considéré que M. [Z] ne peut se prévaloir de la qualité de consommateur et se prévaloir d'un droit de rétractation.
Sur la garantie des vices cachés :
L'article 1641 du code civil dispose que « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ».
Pour que l'action en garantie des vices cachés puisse prospérer :
- la chose doit présenter un défaut intrinsèque,
- le défaut doit rendre la chose impropre à son usage ou doit tellement diminuer cet usage que l'acquéreur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il l'avait connu. Cette gravité s'apprécie au regard de la destination normale de la chose, les juges l'appréciant souverainement.
- le vice doit être caché, ce qui signifie que le défaut ne pouvait pas être décelé compte tenu de la nature de la chose vendue, et que l'acquéreur n'en a pas eu connaissance au moment de la vente.
Sur ce point, l'article 1642 du code civil prévoit que le vendeur n'est pas tenu des vices apparents. Mais le vice n'est considéré comme apparent que s'il est connu dans son ampleur et ses conséquences (Cass. Civile 3ème, 14 mars 2012).
- le vice doit être antérieur à la vente.
L'article 1644 du code civil dispose que « dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix ». L'action rédhibitoire (rendre de la chose et se faire restituer le prix) emporte la résolution de la vente.
L'article 1352-6 du code civil dispose que « la restitution d'une somme d'argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées entre les mains de celui qui l'a reçue ».
En l'espèce, M. [Z] a acquis un tracteur débusqueur TIMBERJACK modèle 225D, auprès de la SARL Poly commerce pour un total TTC de 33.600 euros, selon une facture du 9 mars 2020.
M. [Z] affirme que les pourparlers ont eu lieu par téléphone et SMS et que la machine lui a été proposée sans qu'il consulte l'annonce versée aux débats qu'il présente comme une annonce fictive établie pour les besoins de la cause.
Toutefois, la société Poly commerce a confirmé par mail du 5 mars 2020 la « vente du 225d sur notre site au tarif de 28.000 euros hors taxe ». M. [Z] a indiqué dans son courrier du 13 mars 2020 que la vente avait été conclu « à distance/internet/téléphone » et l'annonce produite résulte d'une capture écran du site MachineyZone que M. [Z] a pu consulter.
Cette annonce comporte les informations sur le tracteur :
- machine bien conservée vu son âge,
- pneumatiques 18.4/30 bons à 50 % environ,
- freins à revoir,
- matériel ancien à réviser.
Au cours des échanges par SMS le véhicule a été décrit par le vendeur comme une « machine superbe ».
Il est établi que M. [Z] ne s'est pas déplacé pour voir le véhicule sur place.
M. [Z] a fait valoir par e-mail du 13 mars 2020 et appel téléphonique du même jour son droit de rétractation suite à la livraison du tracteur le matin même.
Pour retenir l'existence d'un vice caché le tribunal s'est fondé sur le rapport d'expertise privée effectuée le 18 mars 2020. Il ne peut cependant lui être fait grief de s'être basé sur cette seule expertise alors d'une part que celle-ci a été soumise à la discussion des parties et d'autre part qu'il vise également le devis du garage EPM du 7 octobre 2020 listant les désordres constatés au moment de la livraison (pièce 12):
Système de freinage hors service
Filtration moteur vétuste
Courroies moteur vétuste
Fuite réduction roue ARD
Fuite sur le boîtier d'entraînement du treuil
Fuite sur le verrain de commande du frein de treuil
Pneus vétustes
Vidange moteur non effectuée
M. [I], expert mandaté par sa compagnie d'assurance protection juridique fait état des dysfonctionnements allégués par M. [Z] : « à la réception du matériel important fuite d'huile au niveau des réducteurs de roue ; fuite hydraulique au niveau des réducteurs de roue ; importante fuite d'huile au niveau de l'articulation ; fuite hydraulique au niveau freinage ; pas de freins ; matériel non révisé » et constate que les éléments observés sont favorables à l'assuré et que M. [Z] n'a pas utilisé le matériel car il n'y avait pas de frein à la descente du camion.
Si la plupart des dysfonctionnements relevés tels les défauts de révision ou les fuites relèvent de l'usage normal du tracteur datant de 1981, le défaut de freins s'analyse comme un vice caché.
Ce vice qui résulte d'une fuite hydraulique au niveau freinage s'est révélé dès la livraison et était donc nécessairement antérieur à la vente. Il s'agit d'un défaut intrinsèque qui peut être source de danger. En tous les cas, il ne peut être considéré que l'absence de fonctionnement d'un système de freinage d'un tracteur soit dû à son utilisation normale.
L'annonce éditée sur le site MachineryZone évoque que « les freins sont à revoir », ce qui ne permet effectivement pas aux acheteurs potentiels de connaître l'ampleur du vice et ses conséquences : les freins ne sont pas à revoir ou à réviser. Ils sont hors d'usage et rendent le tracteur impropre à sa destination normale puisqu'il est effectivement inutilisable et dangereux.
Le fait que M. M. [Z] soit un professionnel est sans incidence puisqu'il a acquis le tracteur sur la base de la description donnée par le vendeur.
Par conséquent, le jugement sera confirmé et il sera fait droit à l'action rédhibitoire de M. [Z].
Sur les dommages intérêts pour procédure abusive
M. [Z] souhaite voir la SARL Poly commerce condamnée à 8.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive.
Toutefois l'exercice d'une action en justice ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol ce qui n'est pas établi en l'espèce. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur les autres demandes :
La société Poly commerce succombant en ses demandes sera condamnée aux dépens.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [Z] les frais exposés par sa défense. L'appelante sera condamnée à lui verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de commerce.
Par ces motifs :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement , par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant ;
Condamne la SARL Poly commerce à verser à M. [L] [Z] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL Poly