CA Toulouse, 2e ch., 25 juin 2024, n° 22/01377
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
ASF (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
Mme Norguet, Mme Martin de la Moutte
Avocats :
Me Germain, Me Simonsen, Me Labro
Faits et procédure :
Par contrat du 2 septembre 2019, [T] [K] est devenu agent commercial immobilier pour la Sarl Asf, exploitant sous l'enseigne Guy Hoquet, rattaché à l'agence dite de [Adresse 7] à [Localité 4].
Les relations de travail se sont rapidement dégradées entre la Sarl Asf et [T] [K].
Par lettre recommandée en date du 17 avril 2020, la Sarl Asf a signifié à [T] [K] la rupture pour faute grave de son contrat d'agent commercial.
Par exploit d'huissier du 6 novembre 2020, [T] [K] a assigné la Sarl Asf devant le tribunal de commerce d'Albi afin de voir reconnus les torts exclusifs de cette dernière dans la rupture de son contrat d'agent commercial, fait à l'initiative de l'agent, et solliciter dès lors le paiement d'une indemnité de rupture outre les commissions restant dues au titre du droit de suite avec injonction de transmettre les informations nécessaires au calcul desdites commissions.
Reconventionnellement, la Sarl Asf a soutenu la violation de sa clause contractuelle de non-concurrence par [T] [K] et la validité de celle-ci, ainsi que la commission d'actes de concurrence déloyale par l'agent et sollicité en réparation des préjudices subis l'allocation de dommages et intérêts.
Par jugement du 26 janvier 2022, le tribunal de commerce d'Albi a :
constaté que la résiliation du contrat d'agent commercial par la société Sarl Asf en date du 17 avril 2020 est conforme aux dispositions contractuelles,
dit que la rupture du contrat d'agent commercial pour faute grave d'[T] [K] est parfaitement fondée,
débouté en conséquence [T] [K] de sa demande de versement de 30 000 euros d'indemnité de cessation de contrat, comme non fondée,
dit la clause de non-concurrence contractuellement prévue valable comme respectant les dispositions légales,
dit que la clause pénale est donc parfaitement valide,
fait droit à la demande formée par [T] [K] au titre du droit de suite et condamné la Sarl Asf à lui payer les commissions dues, représentant la somme de 10 416,65 euros,
débouté [T] [K] de sa demande formée à hauteur de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts eu égard aux différentes fautes commises par la Sarl Asf, le préjudice n'étant pas démontré,
débouté [T] [K] de sa demande formée à hauteur de 2 250 euros au titre de commission sur la vente [D]-[N], l'acte authentique ayant été signé en date du 05 novembre 2020, elle est exclue du droit de suite dont pouvait bénéficier [T] [K], car faite hors le délai raisonnable de 6 mois contractuellement prévu,
condamné [T] [K] à payer au titre de l'indemnité pour violation de la clause de non concurrence la somme de 9 374,98 euros,
débouté la société Sarl Asf de sa demande de paiement de la somme de 40 000 euros pour concurrence déloyale de la part de [T] [K], le préjudice n'étant pas suffisamment démontré,
dit que la facture émise par la société Sarl Asf d'un montant de 6 000 euros ne correspond à aucune situation contractuellement prévue entre les parties et provient d'un litige entre elles et déboute en conséquence la Sarl Asf de sa demande formée à ce titre,
ordonné la compensation des sommes dues par chacune des parties,
dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire du présent jugement,
condamné la société Sarl Asf au paiement de la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du cpc ainsi qu'aux entiers dépens, taxes et liquides à la somme de 143,13 euros, outre le coût de la signification de la présente décision.
Par déclaration en date du 7 avril 2022, [T] [K] a relevé appel du jugement aux fins d'en voir réformés les chefs de dispositif ayant :
dit que la rupture du contrat d'agent commercial pour faute grave de [T] [K] est parfaitement fondée,
débouté en conséquence [T] [K] de sa demande de versement de 30000 € d'indemnité de cessation de contrat, comme non fondée
dit la clause de non-concurrence contractuellement prévue, valable comme respectant les dispositions légales,
dit que la clause pénale est donc parfaitement valide,
débouté [T] [K] de sa demande formée à hauteur de 2 250 euros au titre de commission sur la vente [D]-[N], l'acte authentique ayant été signé en date du 05/11/2020, elle est exclue du droit de suite dont pouvait bénéficier [T] [K] [T], car faite hors le délai raisonnable de 6 mois contractuellement prévu,
condamné [T] [K] à payer au titre de l'indemnité pour violation de la clause de non concurrence la somme de 9 374,98 euros,
dit que la facture émise par la société Sarl Asf d'un montant de 6 000,00 € ne correspond à aucune situation contractuellement prévue entre les parties et provient d'un litige entre elles.
Par voie de conclusions, la Sarl Asf a formé appel incident du chef de dispositif l'ayant déboutée de sa demande de paiement de la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale de la part d'[T] [K].
Le 25 mai 2022, le conseiller de la mise en état a adressé aux parties une proposition de médiation laquelle est restée sans réponse.
L'ordonnance de clôture fixée initialement au 15 janvier 2024 a été refixée au 6 février puis au 12 février 2024.
Prétentions et moyens des parties :
Vu les conclusions responsives et récapitulatives avec demande de rabat de l'ordonnance de clôture notifiées le 26 janvier 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, et dans lesquelles [T] [K] demande au visa des articles L134-1, 134-5 alinéa 3, L134-12, L134-14, L134-7, L134-10 alinéa 1 du code de commerce, 1231-5 du code civil :
à titre liminaire, que soit ordonné le rabat de l'ordonnance de clôture intervenue le 5 février 2024,
l'infirmation partielle du jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté d'une partie de ses demandes,
statuant à nouveau, qu'il soit reconnu qu'[T] [K] a été à l'initiative de la rupture du contrat d'agent commercial, que le contrat a été rompu le 4 mars 2020, que la cause de la rupture est imputable au mandataire, qu'aucune faute grave ne peut être imputée à Monsieur [T] [K],
en conséquence, la condamnation de la Sarl Asf au versement de l'indemnité de cessation de contrat pour la somme forfaitaire de 30 000 euros,
qu'il soit reconnu que la clause de non concurrence est entachée de nullité et reconnu que la clause pénale est nulle, que la pénalité ne pourra être encourue à défaut de mise en demeure du mandataire,
subsidiairement, que le montant en soit réformé pour être disproportionné au regard de la durée du contrat,
qu'il soit fait injonction à la Sarl Asf de produire les registres et la comptabilité des affaires apportées par [T] [K], dont les ventes ont eu lieu postérieurement à l'expiration du droit de suite et qu'il soit fait injonction à la Sarl Asf de justifier de l'issue de ces dossiers,
et qu'elle soir condamnée à verser les commissions correspondantes dès lors que les conditions de prix de l'acte de vente sont identiques à la promesse de vente et que l'agent a été l'interlocuteur, même si la vente a lieu postérieurement à l'extinction du droit de suite,
la condamnation notamment la Sarl Asf à payer la somme de 2 250 euros à [T] [K], au titre du droit de suite pour la vente [D]/[N],
qu'il soit reconnu la commission de multiples fautes de la part de la Sarl Asf, des préjudices causés à Monsieur [T] [K],
en conséquence la condamnation de la Sarl Asf à verser la somme de 40 000 euros à [T] [K] à titre de dommages et intérêts,
la condamnation de la Sarl Asf à verser à [T] [K] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les conclusions récapitulatives avec demande de révocation de l'ordonnance de clôture notifiées le 6 février 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, et dans lesquelles la Sarl Asf sollicite au visa des articles L134-7, L134-13 et suivants du Code de commerce, 700, 802 et 803 du code de procédure civile :
à titre liminaire, que soit ordonné le rabat de l'ordonnance de clôture intervenue le 5 février 2024,
la confirmation du jugement rendu par le Tribunal de commerce en ce qu'il a :
- constaté la conformité aux dispositions contractuelles de la résiliation du contrat d'agent commercial,
- dit que la rupture pour faute grave du contrat d'agent commercial est fondée,
- débouté [T] [K] de sa demande d'indemnité de cessation de contrat,
- dit que la clause de non concurrence est conforme aux dispositions légales,
- dit que la clause pénale est valide,
- condamné la Sarl Asf au titre du droit de suite à hauteur de 10 416,66 euros,
- débouté [T] [K] de demande de dommages et intérêts à hauteur de 40 000 euros,
- exclu la vente [D] [N] du droit de suite,
- condamné [T] [K] à la somme de 9 374,98 au titre de la clause pénale,
- ordonné la compensation des sommes dues par chacune des parties,
l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de paiement de la somme de 40 000 euros au titre de la concurrence déloyale et condamnée au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
et statuant à nouveau, la condamnation d'[T] [K] au paiement de la somme de 40 000 euros au titre des dommages et intérêts en réparation de la concurrence déloyale,
qu'il soit dit qu'il n'y a lieu à condamnation au titre de l'article 700 du cpc de la 1ère instance,
en tout état de cause, la condamnation d'[T] [K] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel, ainsi qu'aux dépens.
MOTIFS
Sur le rabat de l'ordonnance de clôture
Compte tenu des refixations successives de la date d'audience, l'ordonnance de clôture a finalement été fixée au 12 février 2024 de sorte que les demandes des parties en ce sens sont sans objet.
Sur l'étendue de la saisine de la cour
A l'examen de la déclaration d'appel formée le 7 avril 2022 par [T] [K], la cour constate que celui-ci a limité son appel aux chefs de dispositif expressément énumérés en suivant. C'est ainsi qu'il n'a pas critiqué le chef de dispositif le déboutant de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 40 000 euros en réparation de fautes qu'il impute à la Sarl Asf.
Il découle des dispositions des articles 901 4° et 562 du code de procédure civile que la déclaration d'appel doit comporter, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible. L'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
Il est de jurisprudence constante que les chefs du jugement non mentionnés sur la déclaration d'appel ne peuvent plus être discutés devant la cour. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Enfin, la déclaration d'appel, en ce qu'elle mentionne les chefs de dispositif du jugement critiqués, délimite l'étendue de l'effet dévolutif de l'appel, dès lors les conclusions postérieures ne sont pas susceptibles d'étendre celui-ci aux chefs du jugement non critiqués. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions.
En l'espèce, après examen du dispositif des dernières conclusions de l'appelant, de l'intimée, et conformément à l'acte d'appel, la cour n'est plus saisie que des prétentions relatives à la rupture du contrat d'agent commercial d'[T] [K], son droit à indemnité de rupture, le paiement des commissions au titre du droit de suite et les demandes reconventionnelles relatives à la clause de non concurrence et à la concurrence déloyale.
Sur la rupture du contrat d'agent commercial d'[T] [K] et le droit à l'indemnité de rupture
Aux termes des articles 6 et 9 du code de procédure civile, à l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder. Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Les relations entre un agent commercial et son mandant sont régies par les articles L.134-1 et suivants du code de commerce, dans leur version applicable au contrat en cause.
Le contrat d'agence est un contrat consensuel qui naît du seul accord des parties et sa validité n'est pas subordonnée à la rédaction d'un écrit.
Les parties conviennent de ce qu'un contrat d'agent commercial auprès de l'agence « Guy Hoquet » dite de [Adresse 7] à [Localité 4], a été signé entre elles le 2 septembre 2019.
L'article L.134-2 du code de commerce prévoyant que chaque partie a le droit, sur sa demande, d'obtenir de l'autre partie un écrit signé mentionnant le contenu du contrat d'agence, y compris celui de ses avenants, il est dès lors inopérant pour [T] [K] d'imputer en faute à la Sarl Asf, qui le conteste, l'absence de remise de toute copie du contrat initialement signé entre eux puisqu'il avait toute latitude pour la réclamer et qu'il ne rapporte aucune preuve de ce qu'il a usé en vain de ce droit.
- sur la rupture du contrat d'agent commercial
Aux termes de l'article L.134-4 du code de commerce, les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties. Les rapports entre l' agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information. L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.
Aux termes de l'article L 134-11 du code de commerce, [..] Lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis. [..] La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. [..] Ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties ou de la survenance d'un cas de force majeure.
Selon les articles L134-12 et L 134-13 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. [..] La réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants : 1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ; 2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ; [..]
[T] [K] soutient que son contrat d'agent commercial a été rompu de son chef, du fait de son souhait de démissionner formulé le 4 mars 2020 et acté par la Sarl Asf le 5 mars 2020, celle-ci lui ayant interdit de revenir à l'agence et enjoint d'en rendre les clefs. Il indique que sa démission est imputable au comportement de sa mandante. Pour l'appelant, le contrat, déjà rompu par sa démission au 4 mars 2020, ne pouvait l'être pour faute à ses torts le 17 avril 2020, comme le soutient la Sarl Asf. [T] [K] affirme que le courrier recommandé délivré à cette date avait pour seul but de faire échapper la Sarl Asf au paiement des commissions et de l'indemnité de rupture qu'elle lui devait. Il conteste toute faute grave pouvant lui être reprochée.
La Sarl Asf expose, elle, qu'[T] [K] a multiplié les manquements à ses obligations de loyauté et d'information envers elle en adoptant des comportements problématiques tels une absence d'implication, des menaces, chantage ou éviction de collègues, des menaces et de la diffamation envers le directeur d'agence, l'absence de tenue du logiciel métier, de la rétention d'informations en enfin la vente au bénéfice d'une autre agence d'un bien appartenant à la Sarl Asf avec tentative d'éviction de la collaboratrice salariée chargée initialement du mandat. L'ensemble de ces comportements fautifs l'a donc conduite à mettre fin à son contrat d'agent commercial pour faute grave par LRAR du 17 avril 2020.
Ainsi, chaque partie revendique l'initiative de la rupture du contrat d'agent commercial tout en imputant sa survenue en faute à l'autre partie.
Pour que la rupture d'un contrat d'agent commercial soit effective et produise tous ses effets, la manifestation de la volonté de rompre, peu importe de qui elle émane, doit être claire et non équivoque.
La cour constate au surplus que le contrat liant les parties, produit en pièce, a prévu que la cessation du mandat pouvait être demandée par l'une ou l'autre des parties moyennant le respect d'un préavis et l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception.
Dès lors, la cour retient qu'[T] [K] ne produit aucune pièce établissant la réalité de son souhait de démissionner au 4 mars 2020 et la communication de ce souhait à la Sarl Asf. Au contraire, les pièces par lui produites à compter de cette date font état des plaintes de sa part d'avoir été évincé de l'agence par sa mandante, de sorte que la volonté de l'agent de rompre le contrat à cette date ne résulte ni clairement, ni de façon non-équivoque des éléments produits. L'appelant n'a pas non plus dénoncé la fin du contrat d'agent commercial selon les formes contractuellement prévues.
En sens inverse, le courrier recommandé de résiliation adressé par la Sarl Asf le 17 avril 2020 répond aux formes imposées par le contrat et exprime clairement la volonté non équivoque de la mandante de mettre un terme aux relations commerciales avec [T] [K] au vu des fautes graves qu'elle lui reproche.
Dès lors, la cour retient que seule la Sarl Asf est à l'initiative de la rupture du contrat.
Pour soutenir qu'[T] [K] n'avait droit ni à préavis, ni à indemnité compensatrice de rupture, la Sarl Asf met en avant le caractère grave des fautes qu'elle lui reproche tandis que celui-ci assure que c'est sa mandante qui l'a d'abord unilatéralement privé, en janvier 2020, d'accès au logiciel professionnel et à sa boite mail professionnelle, puis qui lui a ordonné, en mars 2020, de refuser une commission sur vente dont il avait accepté le mandat pour une autre agence immobilière avec l'accord du dirigeant de la Sarl Asf.
La faute grave réside dans le manquement à une obligation essentielle du contrat, portant atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rendant impossible le maintien du lien contractuel. Le manquement au devoir de loyauté ou d'information constitue une faute grave.
C'est à la mandante, qui le soutient, de rapporter la preuve de la faute grave de son agent privant celui-ci de la durée du préavis comme de l'indemnité de rupture.
La cour rappelle cependant que la jurisprudence la plus récente retient désormais que l'agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu'il n'a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité (Cf Com., 16 novembre 2022, pourvoi n° 21-17.423).
Il convient donc avant tout de considérer les fautes énoncées en l'espèce, dans le courrier de résiliation adressé par la Sarl ASF le 17 avril 2020 soit :
- la rétention d'information en refusant de remplir le logiciel métier et communiquer les informations relatives aux vendeurs, acheteurs et prospects, notamment leurs coordonnées, rendant le suivi des clients difficile pendant le temps du contrat et impossible après sa fin,
- le manquement à l'obligation de loyauté par la proposition à une autre agence d'un bien appartenant à une collaboratrice salariée de l'agence de [Adresse 7] et face au refus de la mandante de réaliser un partage d'honoraires excluant cette collaboratrice de toute commission, la mise en contact de l'autre agence avec une troisième agence pour réaliser la vente sans en informer la mandante qui perdait donc cette vente,
- et enfin, la proposition de conservation de la commission d'une vente d'une autre collaboratrice ([O]/[B]) à son profit moyennant une rétrocession occulte à cette dernière d'un pourcentage plus élevé que sa rémunération habituelle.
Au vu des pièces produites par l'intimée au soutien de la caractérisation des fautes graves ainsi reprochées, la cour constate que la Sarl Asf est défaillante à rapporter la preuve de la rétention d'information imputée à [T] [K] tant au cours du mandat qu'à l'issue de celui-ci. En effet, les courriers de résiliations de mandat par les clients produits par la Sarl Asf ne permettent aucunement d'affirmer que c'est l'absence de transmission des coordonnées des clients et prospects par l'appelant qui en était la cause. Il n'est pas plus rapporté la preuve de la volonté d'[T] [K] de prendre à son compte la rémunération d'une collaboratrice moyennant la rétrocession occulte d'un pourcentage plus important ou la proposition de vente conjointe avec l'agence immobilière de [Localité 5] moyennant partage d'honoraires en éviction de la collaboratrice de l'agence Guy hoquet à laquelle le bien appartenait.
Si la Sarl Asf produit également des attestations de trois agents travaillant pour l'agence de [Adresse 7] et se plaignant du comportement colérique et emporté d'[T] [K], ces faits n'ont pas été visés dans le courrier de résiliation.
Dès lors, il n'est pas rapporté par la Sarl Asf la preuve des fautes graves imputées à [T] [K] justifiant que celui-ci soit privé de l'indemnité de rupture.
Le jugement de première instance ayant reconnu que la résiliation avait été valablement prononcée par la Sarl Asf le 17 avril 2020 et qu'en raison des fautes graves retenues à l'encontre d'[T] [K], celui-ci était débouté de sa demande en paiement d'une indemnité de rupture d'un montant de 30 000 euros, est infirmé.
- Sur l'indemnité de rupture
Aux termes de l'article L 134-12 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
[T] [K] sollicite le versement de la somme de 30 000 euros à titre d'indemnité de rupture en indiquant que l'usage fixe le montant de celle-ci à deux ans de commissions brutes.
La Sarl Asf met en avant que leur relation commerciale a duré 6 mois et a rapporté à l'agent moins de 10 000 euros de commissions. Dès lors, le montant demandé lui paraît bien trop important et elle sollicite le rejet de cette demande.
L'indemnité de résiliation vient compenser le préjudice subi par l'agent commercial du fait de la perte des commissions dont l'exécution normale du contrat lui aurait permis de bénéficier et de l'absence d'amortissement des frais et dépenses engagés dans le cadre de celui-ci. Si elle est généralement fixée à deux années de commissions calculées sur la moyenne des trois dernières années d'exécution du contrat, elle reste souverainement appréciée par les juridictions du fond.
En l'espèce, le préjudice d'[T] [K], constitué notamment de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle rattachée à l'agence de sa mandante, est minoré par la courte durée de la relation commerciale et le fait qu'il ait retrouvé une activité identique dix jours après la cessation du contrat.
La relation commerciale entre la Sarl Asf et [T] [K] a duré 7 mois. La Sarl Asf a été condamnée en première instance à verser à [T] [K] à ce titre la somme de 10 416,65 euros au titre des commission dues et du droit de suite.
Le préjudice subi sera donc justement indemnisé par l'allocation de la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité de rupture que la Sarl Asf sera condamnée à lui verser.
Sur le paiement des commissions dues à l'agent commercial au titre du droit de suite
Les commissions des agents commerciaux sont régies par les dispositions des articles L134-4, L.134-5, L.134-6 et L134-7 du code de commerce.
Aux termes de l'article L.134-7 du code de commerce, pour toute opération commerciale conclue après la cessation du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission, soit lorsque l'opération est principalement due à son activité au cours du contrat d'agence et a été conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat, soit lorsque, dans les conditions prévues à l'article L. 134-6, l'ordre du tiers a été reçu par le mandant ou par l'agent commercial avant la cessation du contrat d'agence.
La cour note au préalable qu'[T] [K] n'a pas fait appel des dispositions du jugement de première instance statuant sur ses demandes de commissions au titre du droit de suite et condamnant la Sarl Asf à lui verser la somme de 10 416,66 euros de ce chef, le déboutant par voie de conséquence du surplus de ses demandes à ce titre.
La cour n'est donc pas saisie de ses demandes à ce titre.
En revanche, [T] [K] a fait appel du chef de dispositif l'ayant débouté de sa demande formée à hauteur de 2 250 euros au titre de la commission sur la vente [D]-[N] et ayant indiqué que « l'acte authentique ayant été signé en date du 05 novembre 2020, elle est exclue du droit de suite dont pouvait bénéficier [T] [K], car faite hors le délai raisonnable de 6 mois contractuellement prévu ».
Sur ce seul point du litige, relativement à cette unique commission, dont la cour est saisie, [T] [K] soutient que la vente a été faite par son intermédiation et qu'il est fondé à toucher la commission afférente de ce fait.
La Sarl Asf fait valoir que l'acte authentique de vente ayant été signé le 5 novembre 2020, cette vente est, comme l'ont jugé les premiers juges, exclue du droit de suite de l'agent.
Le contrat d'agent commercial du 2 septembre 2019 a fixé dans son article 10 « droit de suite » le délai raisonnable visé à l'article L.134-7 du code de commerce à « 6 mois après la cessation des fonctions » pour la perception par l'agent des commissions liées aux affaires « définitivement conclues » en suite de son « travail de prospection » effectué pendant la durée du mandat.
Le délai fixé de 6 mois est un délai raisonnable compte tenu des usages professionnels en la matière.
Dès lors, la vente [D]-[N] ayant été définitivement conclue le 5 novembre 2020 alors que le droit de suite d'[T] [K] expirait au 17 octobre 2020, il y a lieu de confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a rejeté la demande de commission à ce titre.
Il découle de ces éléments que les demandes d'[T] [K] de faire injonction à la Sarl Asf de produire les registres et la comptabilité des affaires apportées par lui dont les ventes ont eu lieu postérieurement à l'expiration du droit de suite et de justifier de l'issue de ces dossiers sont sans objet et seront rejetées.
Sur les demandes reconventionnelles, la clause de non concurrence et la concurrence déloyale
- sur la clause de non-concurrence
Selon l'article L134-14 du code de commerce, le contrat peut contenir une clause de non-concurrence après la cessation du contrat. Cette clause doit être établie par écrit et concerner le secteur géographique et, le cas échéant, le groupe de personnes confiés à l'agent commercial ainsi que le type de biens ou de services pour lesquels il exerce la représentation aux termes du contrat. La clause de non-concurrence n'est valable que pour une période maximale de deux ans après la cessation d'un contrat.
La Sarl Asf soutient la validité de la clause contractuelle de non-concurrence liant [T] [K] et sa violation du fait de la prise de nouvelles fonctions d'agent immobilier dans les semaines ayant suivies la résiliation du contrat dans une agence voisine de l'agence de [Adresse 7]. Elle sollicite l'allocation de la clause pénale contractuellement prévue qu'elle estime tout à fait proportionnée.
[T] [K] soutient que le double de son contrat ne lui ayant jamais été remis, il ignorait le contenu des obligations contractuelles pesant sur lui, et notamment l'existence de la clause de non concurrence. Subsidiairement, il en soutient la nullité en raison de son caractère imprécis et disproportionné et affirme que la clause pénale prévue atteint le montant des commissions perçues pendant toute la durée de la relation contractuelle et doit donc être considérée comme nulle au vu de cette disproportion ou drastiquement réduite.
Il a été répondu plus haut sur le moyen pris de l'absence de remise de la copie du contrat. La Sarl Asf produit au dossier son exemplaire du contrat, à l'examen duquel il est constaté qu'il a été valablement signé et paraphé par [T] [K] à toutes les pages en ce compris la page 7 où figure l'article 12 « clause de non-concurrence ». Dès lors, il ne peut être utilement soutenu qu'il n'avait pas connaissance de la clause de non-concurrence figurant dans son contrat et de ses modalités.
La clause de non-concurrence figurant dans le contrat est ainsi libellée : « En cas de cessation du présent mandat, pour quelque cause que ce soit, l'agent commercial s'interdit d'exercer des activités similaires, soit directement, soit indirectement, pendant une durée de 12 mois dans un rayon de 5 kilomètres autour du lieu d'établissement du mandant. »
Dès lors, la clause respecte les prescriptions de l'article L134-14 du code de commerce, étant proportionnée aux intérêts à défendre, limitée quant à la nature des activités interdites lesquelles sont facilement déterminables, quant à sa durée et quant à son périmètre, ces deux critères, très mesurés, n'entravant aucunement la liberté de travailler d'[T] [K], qui habitait à [Localité 6]. Elle est donc reconnue valide.
Il ressort des pièces produites que, le 27 avril 2020, [T] [K] a signé un nouveau contrat de mandataire non salarié dans l'agence « [Adresse 8] » sise [Adresse 3] à [Localité 4] soit à 900 m de l'agence Guy Hoquet de [Adresse 7].
La violation de ladite clause est donc manifeste.
Le même article 12 du contrat d'agent commercial a prévu, en cas de violation de l'obligation de non-concurrence, l'application d'une « clause pénale » à verser à l'ancienne mandante équivalant au « total des commissions brutes perçues pendant les 12 mois civils précédant la cessation de l'activité pour le mandant. »
La Sarl Asf sollicite à ce titre l'allocation de la somme de 9 374,98 euros.
[T] [K] affirme que le contrat n'ayant couru que 10 mois, l'indemnité contractuellement prévue est manifestement excessive et doit être réputée non écrite et de nul effet.
Aux termes de l'article 1231-5 du code civil, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire. [..]
La nullité de la clause ne découle pas de sa disproportion. La seule sanction relative à sa disproportion manifeste est sa réduction, tranchée par la juridiction. La clause pénale est donc reconnue valide.
Néanmoins, au vu du court laps de temps pendant lequel [T] [K] et la Sarl Asf ont été en relation commerciale, le montant de cette clause pénale, tel qu'il découle des modalités prévues au contrat, est manifestement excessif et sera ramené à la somme de 3 000 euros.
[T] [K] est condamné à verser la somme de 3 000 euros à la Sarl Asf, le jugement de première instance étant donc infirmé quant au montant fixé.
- sur les actes de concurrence déloyale
La Sarl Asf sollicite, en application des dispositions de l'article 1240 du code civil, la condamnation d'[T] [K] à lui verser la somme de 40 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique découlant de la commission d'actes de concurrence déloyale par l'appelant par détournement de clientèle. Elle produit pour en justifier des copies de 4 courriers de résiliation de mandat de vente datés des 15 mai, 20 mai, 16 juin et 29 juillet 2020 dont elle avance qu'ils correspondent au départ de clients ayant suivi [T] [K] dans la nouvelle agence immobilière qu'il a rejoint après la cessation du contrat les liant. Elle conteste qu'il se soit agi de mandats de vente exclusifs et produit une capture d'écran du site de l'agence du [Adresse 8] du 22 mai 2020 relatif à la mise en vente d'un bien à [Localité 9].
[T] [K] produit en réplique des mails provenant de certains des signataires de ces courriers indiquant chacun qu'ils connaissaient l'appelant avant même qu'il n'intègre les effectifs de la Sarl Asf ainsi qu'une attestation de [L] [F], également signataire d'un courrier, indiquant le connaître depuis plus de dix ans et l'avoir recommandé notamment aux époux [X], également signataires d'un courrier de résiliation.
En vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, le démarchage de la clientèle d'autrui est libre dès lors qu'il ne s'accompagne pas de la commission d'actes déloyaux qu'il incombe à celui qui s'en prétend victime de démontrer.
Au vu des seuls éléments produits par la Sarl Asf, la preuve n'est pas rapportée que les résiliations de mandats avancées aient été motivées exclusivement par le départ d'[T] [K] de l'agence de [Adresse 7]. Il n'est pas plus démontré la perte des contrats de vente afférant aux biens concernés par les courriers de résiliation du fait de leur vente dans une autre agence, pas plus que la volonté d'[T] [K] de détourner sciemment la clientèle de son ancien employeur afin de lui nuire.
Le défaut de caractérisation d'une faute à l'encontre de l'appelant est suffisant pour confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Sarl Asf de sa demande de dommages et intérêts en réparation d'actes de concurrence déloyale.
Sur la compensation des créances
Aux termes de l'article 1348 du code civil, la compensation peut être prononcée en justice, même si l'une des obligations, quoique certaine, n'est pas encore liquide ou exigible. A moins qu'il n'en soit décidé autrement, la compensation produit alors ses effets à la date de la décision.
La Sarl Asf sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la compensation des créances réciproques.
Il sera fait droit à cette demande et le jugement de première instance ayant ordonné la compensation des créances réciproques des parties sera confirmé.
Sur les frais irrépétibles,
Il sera fait masse des dépens de première instance et d'appel et eu égard à l'issue du litige, les deux parties seront condamnées pour moitié chacune aux dépens de première instance et d'appel ainsi rassemblés.
Chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant dans les limites de l'appel principal et de l'appel incident,
Infirme le jugement entrepris uniquement en ce qu'il a :
dit que la rupture du contrat d'agent commercial pour faute grave d'[T] [K] est parfaitement fondée et débouté en conséquence [T] [K] de sa demande de versement de 30 000 euros d'indemnité de cessation de contrat, comme non fondée,
condamné [T] [K] à payer au titre de l'indemnité pour violation de la clause de non concurrence la somme de 9 374,98 euros,
Et, statuant à nouveau, des chefs infirmés,
Dit que la faute grave d' [T] [K] à l'origine de la résiliation de son contrat d'agent commercial avec la Sarl Asf n'est pas établie,
En conséquence, condamne la Sarl Asf à verser à [T] [K] la somme de 3 000 euros au titre de l'indemnité de rupture,
Condamne [T] [K] à verser à la Sarl Asf la somme de 3 000 euros au titre de la clause pénale attachée à la clause de non-concurrence,
Y ajoutant,
Rejette les demandes d'[T] [K] en vue de faire injonction à la Sarl Asf de produire les registres et la comptabilité des affaires apportées par lui dont les ventes ont eu lieu postérieurement à l'expiration du droit de suite et de justifier de l'issue de ces dossiers,
Fait masse des dépens de première instance et d'appel,
Condamne [T] [K] et la Sarl Asf à prendre en charge, chacune pour moitié, la masse des dépens,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.