CA Nancy, 5e ch., 26 juin 2024, n° 23/00777
NANCY
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Zenium (SAS)
Défendeur :
Degré K (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jobert
Conseillers :
M. Beaudier, M. Firon
Avocats :
Me Joffroy, Me Mouton, Me Froment
FAITS ET PROCEDURE
Les sociétés Degre K et Zenium fabriquent et commercialisent des dispositifs d'éclairage destinés aux chirurgiens dentistes. Elle sont donc concurrentes sur le même marché.
Une procédure en référé a donné lieu à une ordonnance du 24 novembre 2014, devenue définitive, interdisant sous astreinte à la société Zenium de vendre et de faire la publicité d' un produit Prism portant la mention selon laquelle il serait conforme à la certification illuminant D65 et ce sous astreinte.
Par jugement du 8 mars 2016, le juge de l'exécution a condamné la société Zenium à payer à la société Degré K la somme de 25 000 euros au titre de la liquidation de cette astreinte.
Par acte du 10 février 2017, la société Degré K a assigné la société Zenium devant le tribunal de commerce de Nancy afin de faire cesser des actes de concurrence déloyale sous astreinte, d'obtenir la publication du jugement et le paiement de dommages et intérêts.
Après un jugement de sursis à statuer, par jugement du 30 janvier 2023, le tribunal de commerce de Nancy a constaté l'existence d'actes de concurrence déloyale de la société Zenium au préjudice de la société Degre K sans discontinuer depuis 2014, caractérisée par une confusion et une publicité trompeuse pour ses produits en les associant à l'illuminant D65, ordonné à la société Zenium de retirer de toutes présentations publicitaires écrites, orales, voie de presse, internet ou tout autre support, l'assertion de conformité de ses produits à l'illuminant D65 sous astreinte avec réserve des droits de la liquider, ordonné à la société Zenium de publier ce jugement sur son site internet pendant trois mois, autorisé la société Degre K à publier le même jugement sur son site internet pendant trois mois et dans deux publications professionnelles dentaires de son choix, condamné la société Zenium à payer à la société Degré K les sommes de 150 000 euros au titre du préjudice d'image et de 10 000 euros en réparation du préjudice lié à la poursuite des actes de concurrence déloyale.
En revanche, les demandes de cette société en paiement de dommages et intérêts pour d'autres chefs de préjudice, en communication par la société Zenium de ses chiffres d'affaires globaux et détaillés par appareil depuis 2014, en remboursement des frais d'achat du produit Prism et d'analyse de ce produit, ont été rejetés.
Les demandes reconventionnelles de la société Zenium ont été rejetées.
Elle a été condamnée à payer à la société Degré K la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 12 avril 2023, la société Zenium a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières écritures récapitulatives, elle conclut à l'infirmation du jugement entrepris dans la mesure utile.
Elle demande à la cour, statuant à nouveau, de rejeter les demandes de la société Degré K.
A titre subsidiaire, elle sollicite une expertise judiciaire, l'expert ayant pour mission de vérifier si les produits qu'elle commercialise sont ou non conformes à la norme 'Illuminant D65".
En toute hypothèse, elle réclame de la cour qu'il soit fait interdiction à la société Degré K de mentionner directement ou indirectement la société Zenium ou l'un quelconque de ses produits sur quelque support que ce soit, et ce, sous astreinte.
L'appelant sollicite en outre sa condamnation à lui payer les sommes de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour avoir porté publiquement atteiente à son image, 8 000 et 6 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.
A l'appui de son recours, la société Zenium fait valoir en substance que :
- la société Degré K est uniquement un distributeur de produits d'éclairage tandis qu'elle fabrique et commercialise ses propres produits, les deux sociétés ne sont donc concurrentes qu'en matière de distribution.
- A la fin des années 60, des professionnels de la lumière et de l'éclairage ont créé des normes en la matière reprises au niveau européen et qui ont été rassemblées sous l'appelation 'illuminant D65" ; la société Degré K ne détient ni monopole ni brevet sur cette norme.
- Elle conteste tout acte de concurrence déloyale à l'encontre de la société Degré K et notamment de la publicité trompeuse ; les produits qu'elle présente au public sont conformes aux spécifications techniques de la norme 'illuminant D65" ; ayant été précédemment condamnnée, elle a fait évoluer ses publicités.
- A titre subsidiaire, pour faire transparence sur la qualité des produits tant de la société Degré K que des siens, elle sollicite une expertise judiciaire.
Aux termes d'écritures récapitulatives notifiées le 5 mars 2024, la société Degré K conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu'il a rejeté certaines de ses demandes.
Elle demande à la cour, statuant à nouveau, d'ordonner à la société Zenium de de communiquer ses chiffres d'affaires globaux et détaillés par appareil depuis 2014, de la condamner à lui payer les sommes de 1 697 459 euros au titre de la perte de clientèle et du manque à gagner, 150 000 euros au titre de la perte de chance de réaliser un chiffre d'affaires lié à la contraction du marché, 8 564,32 euros au titre des frais engagés pour faire analyser par un laboratoire accrédité le produit Prism et 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Degré K expose en substance que :
- Elle a mis au point un luminaire 'Albedo Led D65"afin de disposer d'un avantage déterminant et décisif sur le marché dentaire en fournissant une lumière parfaitement conforme à l'illuminant D65.
- la société Zenium utilise la certification 'Illuminant D65" à des fins publicitaires et mercantiles alors qu'elle ne possède pas de produits d'éclairage répondant à cette caractéristique ; elle se livre à des actes de concurrence déloyale depuis neuf ans en promouvant des produits dont elle prétend qu'ils seraient conformes au D65 alors qu'elle ne dispose d'aucun certificat en ce sens.
MOTIFS
Il convient d'indiquer au préalable que l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de commerce de Nancy le 24 novembre 2014 n'a pas autorité de la chose jugée.
Par ailleurs, aucune décision pénale définitive n'a été rendue qui s'imposerait à la cour quant à l'existence du fait de pratiques commerciales trompeuses qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité ou l'innocence de la société Zenium et de sa dirigeante.
Après avoir fait procéder à une enquête de police, le parquet de Nancy a procédé au classement sans suite de la plainte de la société Degré K, décision à caractère non juridictionnel qui n'a pas autorité de la chose jugée. Elle ne s'impose pas à la cour saisie des mêmes faits ayant donné lieu à cette plainte.
Toutefois, les éléménts de cette enquête pénale peuvent être invoquées par les parties au soutien de leurs prétentions respectives.
La société Degré K a la charge de la preuve des actes de concurrence déloyale qu'elle impute à la société Zenium ; elle doit apporter la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'une relation de cause à effet entre cette faute et le dommage.
Concernant la faute, elle consisterait selon la société Degré K en la commercialisation et la publicité, depuis 2014, de divers produits d'éclairage à destination des dentistes (Prism, Ora, Avisio Led, Ka-Ray, Chrom.NT et Nano) en les présentant comme conformes à une norme BS950-1/D65 CIE D 6500 (résumée dans l'appelation 'illuminant D65"), ce qui ne serait pas le cas, alors que de son coté, elle commercialiserait un produit dénommé Albedo qui lui serait strictement conforme.
A cet égard, il résulte des pièces versées aux débats, et plus spécialement du rapport d'enquête de la direction départementale de la protection des populations de Meurthe-et-Moselle exécuté à la demande du parquet de Nancy en date du 9 septembre 2016, que, s'agissant du produit 'Prism' le laboratoire Piseo avait certifié de sa conformité à la norme 'illuminant D65" le 25 novembre 2014, soit un jour après que l'ordonnance de référé condamnant la société Zenium a été rendue : 'le produit Prism Z16-001 peut être utilisé comme illuminant afin de simuler une ambiance de lumière du jour D65 en tant que source artificielle conforme à la partie colorimétrique de la norme'.
Ces conclusions ont été confirmées le 16 juin 2015 par la société allemande GMBH Dial, laboratoire accrédité, qui affirme que le produit Prism est 'conforme au critère colorimétrique de la norme BSI 950-1 1967 partie 1" et que ' les coordonnées chromatiques de la répartition spectrale obtenue se situent dans les valeurs limites définies dans les valeurs limites définies par la norme. On peut donc en déduire que l'objet mesuré simule, conformément à la norme, une ambiance de lumière du jour D65.'
En ce qui concerne les autres produits commercialisés par la société Zenium (Avisio Led, Ka-Ray et Ora), des certificats de conformité à la norme susvisée ont été délivrés à la société Zenium par l'institut fédéral suisse de métrologie Metas respectivement les 30 avril 2016 et 22 août 2016).
Il y a lieu de constater dès lors que la société Zenium a entrepris, dès 2014, des démarches auprès d'organismes spécialisés pour s'assurer de la conformité des objets qu'elle produit et commercialise à la norme 'Illuminant D65".
Le fait que ces certificats, et notamment celui concernant le produit Prism, puissent être incomplets, voire inexacts, ou encore doivent être nuancés, ne peut être imputé à la société Zenium ; Il convient de retenir que celle-ci s'est souciée de l'exactitude des informations qu'elle a communiquées au public dans les différents supports publicitaires qu'elle a utilisés ; il n'a pas été allégué et encore moins établi que ces vérifications aient été conduites de manière artificielle sans réelle volonté de s'assurer de la conformité des objets commercialisés à la norme 'Illuminant D65".
Dans ces conditions, la société Degré K n'apporte pas la preuve que la société Zenium ait délibérément mis sur le marché des produits concurrents des siens se réclamant du respect de la norme D65 tout en sachant qu'ils ne la respectaient pas, afin d'en retirer un avantage indû au préjudice de ses concurrents dont elle.
La preuve d'agissements fautifs constitutifs d'actes de concurrence déloyale n'étant pas établie à l'encontre de la société Zenium, le jugement entrepris doit être infirmé en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau, les demandes de la société Degré K doivent être rejetées san qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens qu'elle a soulevés.
La société Zenium n'apporte pas la preuve que la société Degré K ferait mention, directement ou indirectement, de l'un quelconque de ses produits dans divers supports à destination du public de sorte que sa demande en interdiction de tels actes doit être rejetée.
De même, la société Zenium ne justifie pas plus d'avoir subi un préjudice d'image du fait des agissements de la société Degré K ; elle doit donc être déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
L'équité commande que la société Degré K soit condamnée à payer à la société Zenium la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Degré K, partie perdante, doit être déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à supporter les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,
INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau,
REJETTE les demandes de la société Degré K.
Y ajoutant,
REJETTE les demandes en interdiction de mentionner les produits de la société Zenium et en paiement de dommages et intérêts de la société Zenium.
REJETTE la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la société Degré K.
LA CONDAMNE à payer à la société Zenium la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA CONDAMNE aux dépens de première instance et d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Olivier BEAUDIER, conseiller faisant fonction de président , à la Cour d'Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.