CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 27 juin 2024, n° 23/10661
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Supermarket (SAS)
Défendeur :
S.C.I. du Comtat Venaissin (S.C.I.), Caisse d'Épargne Cepac (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pacaud
Conseillers :
Mme Leydier, Mme Neto
Avocats :
Me Ayoun, Me Ayache
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé en date du 10 août 2011, la société civile immobilière (SCI) Du Comtat Venaissin a consenti à la société Aix Distribution un local commercial situé [Adresse 3] moyennant un loyer mensuel de 2 695,54 euros, outre les charges.
Le 12 mai 2020, la société par actions simplifiée Supermarket a acquis le fonds de commerce de la société Aix Distribution, en ce compris le bail commercial.
La société Du Comtat Venaissin a délivré à la société Supermarket, par exploit d'huissier en date du 12 avril 2023, un commandement d'avoir à payer la somme principale de 41 899 euros au titre d'un arriéré locatif en visant la clause résolutoire insérée au bail.
Soutenant que ledit acte est resté infructueux, la société Du Comtat Venaissin a assigné, par actes d'huissier en date du 9 mai 2023, la société Supermarket et la Caisse d'Epargne Cepac devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence aux fins de voir constater la résiliation du bail, obtenir son expulsion et sa condamnation à lui verser diverses sommes.
Par ordonnance réputée contradictoire (non comparution et non représentation de la Caisse d'Epargne Cepac) en date du 25 juillet 2023, ce magistrat a :
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire à la date du 13 mai 2023 prévue au contrat de bail du 10 août 2011 liant les parties ;
- dit que, faute pour la société Supermarket, de libérer les locaux figurant au bail dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision, il serait procédé à son expulsion et à celle de tous occupants et matériels de son chef ;
- condamné la société Supermarket à payer à la société Du Comtat Venaissin la somme de 49 985,62 euros à titre de provision à valoir sur les loyers et charges échus et impayés arrêtés au 1er juin 2023 ;
- condamné la société Supermarket à payer à la société Du Comtat Venaissin une indemnité d'occupation mensuelle de 2 200 euros, charges en sus, à titre de provision, due à la date de la résiliation, et courant à compter du 1er juillet 2023, les sommes antérieures étant comprises dans la provision, et ce, jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés ;
- rejeté les demandes liées à un taux d'intérêt applicable aux sommes dues, autre que le taux légal ;
- condamné la société Supermarket à payer à la société Du Comtat Venaissin la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Supermarket aux dépens de l'instance.
Suivant déclaration transmise au greffe le 7 août 2023, la société Supermarket a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières écritures transmises le 6 mai 2024, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, elle demande à la cour d'infirmer et de mettre à néant l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau de :
- dire n'y avoir à référé ;
- débouté l'intimée de ses demandes.
Elle se prévaut d'un commandement de payer nul en ce que l'huissier de justice n'a pas accompli de diligences suffisantes, que ce dernier a été délivré de mauvaise foi par le bailleur un jour où il savait que le fonds était inoccupé en raison de sa fermeture pendant la fête juive de Pessah et qu'il a été délivré à un moment où la bailleresse était radiée du registre du commerce.
Par ailleurs, elle indique que tous les loyers avaient été réglés au moment où le premier juge a statué, les sommes de 24 985,62 euros et 25 000 euros ayant été versées les 13 et 19 juillet 2023, outre le fait que le loyer de juillet 2023 a été réglé le 21 juillet 2023.
En outre, elle insiste sur sa bonne foi et explique ses difficultés financières par la crise sanitaire, la grossesse pathologique de sa présidente, les problèmes de santé de sa mère et le fait qu'elle a été contrainte de cesser son activité de boucherie.
Enfin, elle expose que l'intimée ne justifie pas les charges qu'elle réclame, outre le fait que les taxes foncières sollicitées sont sur-facturées.
Aux termes de ses dernières écritures transmises le 6 mai 2024, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, la société Du Comtat Venaissin sollicite de la cour qu'elle :
- confirme l'ordonnance entreprise ;
- y ajoutant,
- déboute l'appelante de ses demandes ;
- la condamne à lui verser une somme de 6 411,82 euros au titre des loyers et charges dus arrêtés au 1er septembre 2023 ;
- la condamne à lui verser la somme de 6 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamne aux entiers dépens.
Elle indique que la clause résolutoire est acquise faute pour l'appelante d'avoir apuré ses effets entre le 12 avril et le 12 mai 2023. Elle souligne que les règlements effectués en juillet 2023 l'ont été au nom des consorts [K], de sorte qu'elle ignorait qu'il s'agissait de paiements effectués pour le compte de sa locataire.
Par ailleurs, elle expose que le commandement de payer est valable dès lors qu'aucune action en inscription de faux n'a été introduite et qu'elle a demandé à l'huissier de justice de délivrer cet acte par un mail en date du 28 mars 2023, soit bien avant la fête religieuse qui a débuté le 6 avril 2023, sachant que le magasin a été ouvert 8 journées entre ces deux dates. Elle souligne que l'acte a été signifié le 12 avril 2023 alors que la fête s'est terminée le lendemain, de sorte que sa locataire, qui a eu connaissance de l'acte, pouvait s'exécuter dans le délai d'un mois. Elle affirme que la radiation administrative dont elle a fait l'objet n'a aucun impact sur la procédure qu'elle a initiée, sachant que la situation a été rétablie depuis.
En outre, elle indique être fondée à solliciter l'intégralité de la taxe foncière dès lors qu'elle loue la totalité de son bien à la locataire.
Enfin, elle expose que l'appelante ne justifie pas de ses difficultés financières.
La société anonyme Caisse d'Epargne CEPAC n'a pas été régulièrement intimée à la procédure, faute pour l'appelante d'avoir justifié, en cours de délibéré, la signification de la déclaration d'appel à son endroit par acte d'huissier.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 7 mai 2024.
Par soit-transmis en date du 23 mai 2024, la cour a informé les conseils des parties qu'elle s'interrogeait :
- sur la caducité partielle de l'appel à l'égard de la société Caisse d'Epargne CEPAC, au regard des dispositions de l'article 905- du code de procédure civile, faute pour la déclaration d'appel de lui avoir été signifiée ;
- sur l'effet dévolutif de l'appel formalisé par l'appelant, au regard des dispositions des articles 562 et 901 4° du code de procédure civile, en raison de l'indivisibilité de l'objet du litige invoquée par l'appelante dans sa déclaration d'appel et sur la demande qui y est faite de réformation complète de l'ordonnance suivie, non pas des chefs de l'ordonnance critiquée, mais uniquement de ses prétentions,
- sur l'étendue de la saisine de la cour au regard de l'appel incident formé par l'intimée, en application des dispositions des articles 542 et 562 alinéa 1 et 954 alinéa 3 et 4 du code de procédure civile, dès lors que, dans le dispositif de ses dernières conclusions, elle ne formule qu'une demande de confirmation de l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, en ce compris la somme provisionnelle à laquelle l'appelante a été condamnée et, dès lors, aucune demande d'infirmation, alors qu'elle sollicite, par suite d'une actualisation de sa créance locative, une somme de 6 411,82 euros arrêtée au 1er septembre 2023, non pas à titre provisionnel, comme le requiert l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, mais à titre définitif.
S'agissant de questions de procédure qu'elle entend soulever d'office, la cour leur a imparti un délai expirant le vendredi 31 mai 2024, à midi, pour lui faire part de leurs observations par le truchement d'une note en délibéré.
Par une première note en délibéré, en date du 27 mai 2024, le conseil de la société Supermarket indique ne pas avoir signifié la déclaration d'appel au créancier inscrit, estimant qu'il appartenait à l'intimée, qui est à l'initiative de la demande de résiliation du bail, de le faire.
Par une deuxième note en délibéré, en date du 31 mai 2024, le même conseil expose que, s'agissant d'un dossier indivisible et, dès lors que les loyers ont été réglés à la date de la décision, l'acquisition de la clause résolutoire n'a pas à être ordonnée, de sorte que l'effet dévolutif de l'appel porte sur l'ensemble des chefs de la décision entreprise. De plus, il considère que la demande de condamnation à hauteur de 6 411,82 euros formée par le bailleur est une demande nouvelle qui porte sur des sommes non justifiées et qui, dans tous les cas, relève du juge du fond.
Par une note en délibéré, en date du 29 mai 2024, le conseil de la société Du Comtat Venaissin souligne avoir respecté son obligation de dénonciation au créancier inscrit de son action en résiliation, conformément à l'article L 143-2 du code de commerce, et que, dès lors qu'aucun appel n'a été interjeté à l'encontre de la Caisse d'Epargne CEPAC, le défaut de signification de la déclaration d'appel à son égard n'entraîne aucune conséquence sur la validité de l'appel. Par ailleurs, il indique que, c'est par suite d'une faute de frappe, que la mention 'à titre provisionnel' a été supprimée de ses conclusions, tel que cela résulte des pages 4 et 7 de ses conclusions n° 2.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la caducité partielle de l'appel
Aux termes de l'article 905-1 du code de procédure civile, lorsque l'affaire est fixée à bref délai par le président de chambre, l'appelant signifie la déclaration d'appel dans les dix jours de la réception de l'avis de fixation qui lui est adressé par le greffe à peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office par le président de chambre ou le magistrat désigné par le premier président. Si, entre-temps, l'intimé à constitué avocat avant la signification de la déclaration d'appel, il est procédé par voie de notification à son avocat.
En l'espèce, faute pour la déclaration d'appel d'avoir été signifiée à la société Caisse d'Epargne CEPAC, laquelle apparaît à la procédure comme intimée, après avoir été partie en première instance, il y a lieu de prononcer d'office la caducité partielle de la déclaration d'appel à l'égard de cette société.
Sur l'effet dévolutif de l'appel
Aux termes des dispositions combinées des 542 du code de procédure civile, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.
L'article 562 du code de procédure civile, dispose que l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent : la dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet est indivisible.
Il n'y a donc lieu de statuer sur une demande de confirmation de chefs qui ne sont critiqués par aucune des parties.
Aux termes de l'article 901 4° du code de procédure civile la déclaration d'appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l'article 58 et, à peine de nullité, les chefs du jugement critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
En application des dispositions des articles précités, l'énonciation, dans la déclaration d'appel, des chefs critiqués du jugement devient le principe et la dévolution pour le tout l'exception. Celle-ci va néanmoins continuer à s'opérer dans deux cas : lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Il reste qu'il ne suffit pas, pour l'appelant, d'indiquer dans sa déclaration d'appel que l'objet du litige est indivisible. Encore faut-il qu'il le soit.
Par ailleurs, il est admis que, lorsque la déclaration d'appel se borne à solliciter la réformation totale de l'ordonnance sur des chefs qu'elle énumère mais que l'énumération ne comporte que l'énoncé des demandes formulées devant le premier juge, la cour n'est saisie d'aucun chef du dispositif de la décision déférée, et ce, sans qu'on ne puisse lui reprocher d'avoir dénaturé la déclaration d'appel et sans méconnaître les dispositions de l'article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En l'espèce, l'objet de l'appel, tel qu'il résulte de la déclaration d'appel, est ainsi formulée :
Appel en cas d'objet du litige indivisible. Dire n'y avoir lieu à référé. Réformation complète de l'ordonnance, refus d'acquisition de la clause résolutoire, retrait de la décision ordonnant la libération des locaux loués, annulation de toutes les condamnations pécuniaires, celles chiffrées provisionnellement et celles à venir au titre de l'occupation après résiliation, celle-ci écartée, annulation de la condamnation aux dépens et à l'article 700.
Aux termes de l'ordonnance entreprise, le juge a constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à effet au 13 mai 2023, ordonné l'expulsion de la société Supermarket, l'a condamnée au paiement d'une somme provisionnelle de 49 985,62 euros à valoir sur un arriéré locatif arrêté au 1er juin 2023, outre une indemnité provisionnelle d'occupation mensuelle de 2 200 euros, charges en sus, à compter du 1er juillet 2023, jusqu'à la libération effective des lieux, et l'a condamnée aux dépens et à des frais irrépétibles.
Or, la constatation de la résiliation de plein droit du bail et les conséquences en résultant, à savoir l'expulsion et le paiement d'une indemnité provisionnelle d'occupation, sur le fondement des articles 834 et 835 alinéa 1 du code de procédure civile, compte tenu de l'urgence et du trouble manifestement illicite, peuvent être appréciées et exécutées indépendamment de la demande de provision à valoir sur l'arriéré locatif, qui se trouve fondée sur les dispositions de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile et, dès lors, sur l'absence de contestation sérieuse de la créance locative, et de la condamnation aux dépens et à des frais irrépétibles.
Ainsi et à titre d'exemple, l'appelante aurait très bien pu, sans qu'il n'y ait aucune contradiction avec les chefs de condamnation qu'elle aurait acceptés, limiter son appel à la constatation de la résiliation du bail en critiquant la validité du commandement de payer, dès lors qu'elle se prévaut d'une insuffisance des diligences effectués par l'officier ministériel lors de sa signification, sans pour autant contester la provision à laquelle elle a été condamnée, et/ou en sollicitant la suspension des effets de la clause résolutoire avec des délais de paiement rétroactifs, étant donné qu'elle soutient avoir apuré l'arriéré locatif au moment où le premier juge a statué, et ce, sans remettre en cause l'acquition même de la clause résolutoire insérée au bail.
Sauf à admettre que les dispositions des articles 542, 562 et 901 4° soient vidées de leur sens, l'objet du litige n'était donc pas indivisible dans le cadre de la présente procédure d'appel dès lors que certains chefs de condamnation pouvaient être exécutés indépendamment des autres.
Il en résulte que l'appelante ne pouvait se contenter de mentionner Appel en cas d'objet du litige indivisible dans l'onglet 'Objet/Portée de l'appel' de sa déclaration d'appel.
Elle devait énumérer les chef de l'ordonnance entreprise, quitte à tous les reprendre.
Si l'appelante procède, dans la déclaration d'appel, à une énumération, après avoir sollicité la Réformation complète de l'ordonnance, cette dernière ne porte pas sur les chefs de l'ordonnance critiquée.
En effet, elle ne comporte que l'énoncé des demandes formulées par l'appelante, à savoir qu'elle sollicite de la cour de dire n'y avoir lieu à référé en refusant l'acquisition de la clause résolutoire, en retirant la décision ordonnant la libération des lieux, en annulant les condamnations pécunaires chiffrées, en écartant celles dues après la résiliation du bail et en annulant sa condamnation aux frais irrépétibles et aux dépens.
Dans ces conditions, l'effet dévolutif n'a pas joué et la cour ne peut que le constater.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Même si l'effet dévolutif n'a pas joué, la société Du Comtat Venaissin a dû conclure pour se défendre avant que ce vice initial ne puisse être soulevé et constaté par la cour. Il serait donc inéquitable qu'elle supporte la charge des frais irrépétibles qu'elle a dû engager en cause d'appel.
Il lui sera donc alloué une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'appelante supportera, en outre, les dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Prononce la caducité partielle de l'appel formé à l'égard de la SA Caisse d'Epargne CEPAC ;
Constate que l'effet dévolutif de l'appel n'a pas joué ;
Condamne la SAS Supermarket à verser à la SCI Du Comtat Venaissin la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Supermarket aux dépens d'appel.