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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 27 juin 2024, n° 23/12302

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

La Cathédrale (SAS), Patrimmo Commerce (Sté)

Défendeur :

Someprod (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chalbos

Conseillers :

Mme Vignon, Mme Martin

Avocats :

Me Sassatelli, Me Cherfils, Me Perel

TJ Marseille, du 7 sept. 2023, n° 18/033…

7 septembre 2023

EXPOSE DU LITIGE

Dans le cadre d'un projet de renforcement de l'attractivité de son centre-ville notamment lié à l'événement '[Localité 5] capitale européenne de la culture 2013", la ville de [Localité 5] a consenti un bail emphytéotique administratif à la société Cathédrale [7] portant sur des ensembles immobiliers, dont l'un se situant sous l'esplanade et le parvis de la cathédrale de [4] dénommé 'les Voûtes de [4]'.

Depuis le 1er août 2018, les sociétés Patrimmo commerce et Cathédrale [7] sont les bailleresses en indivision de l'ensemble immobilier les Voûtes de [4], lequel inclut les locaux commerciaux objets du litige.

Les sociétés Patrimmo commerce et Cathédrale [7] souhaitaient réhabiliter l'ensemble immobilier les Voûtes de [4] pour le transformer en un site notamment commercial d'une surface au sol de 4260 mètres carrés.

Le site les Voûtes de [4], qui devait être inauguré en avril 2013, ne le sera finalement qu'en septembre 2015.

Le 4 juillet 2012, la société Cathédrale [7] a donné à bail sous conditions suspensives, avec effet au 5 août 2014, à la société SO. ME. PRO.D, preneuse, des locaux commerciaux situés au sein de l'ensemble immobilier les Voûtes de [4].

Les locaux commerciaux litigieux portaient les numéros 32 et 33 et étaient situés [Adresse 1] à [Localité 6]. Le bail stipulait un loyer de 116 900 euros et un montant prévisionnel de charges de 6680 euros HT.

La société preneuse exerçait sous l'enseigne « L'esperantine de [Localité 5]'; une activité de production et de Distribution d'une recette exclusive de chocolats, depuis le mois de janvier 2008.

La société preneuse est entrée dans les lieux le 5 août 2014.

Des avenants successifs relatifs aux loyers, qui comportaient tous une franchise de loyer pour la preneuse, ont été conclus entre les parties.

La franchise de loyer a cessé à compter du 1er janvier 2017, les bailleresses ont facturé au preneur les loyers et provisions.

La société preneuse n'est pas parvenue à régler tous les loyers dus.

Un litige s'est noué entre les parties concernant plusieurs points particuliers :

- de supposés manquements de la preneuse concernant un défaut de paiement des loyers,

- de supposés manquements contractuels du bailleur. Le preneur a reproché à ce dernier d'être à l'origine de l'échec du site de les voûtes de [4] et à l'origine de ses difficultés financières, la bailleresse ayant inauguré le site avec retard, ayant livré un site peu fréquenté et dont la majeure partie des locaux demeure vide ou ne sont pas loués à des commerces des standing élevé.

Le 15 février 2018, la société la Cathédrale Sainte Marie de la Majeure a fait délivrer à la société preneuse un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire et indiquant un arriéré locatif et de charges de 64.089, 14 euros.

Par acte d'huissier de justice du 14 mars 2018, la société SO.ME.PRO.D a fait assigner la société la Cathédrale Sainte Marie de la Majeure devant le tribunal judiciaire de Marseille notamment en annulation du commandement de payer en rejet de la demande en paiement à hauteur de 64 089 euros au titre des loyers impayés et en indemnisation par le bailleur. A titre subsidiaire, la preneuse invoquait le bénéfice de l'exception d'inexécution et une compensation des créances. A titre infiniment subsidiaire, la preneuse sollicitait la suspension des effets de la clause résolutoire.

Au cours de l'instance au fond pendante devant le tribunal judiciaire de Marseille, la société preneuse a pris des conclusions contenant une demande de réduction du loyer annuel avec effet rétroactif au 1er janvier 2017.

Par jugement du 7 septembre 2023, le tribunal judiciaire de Marseille a statué en ces termes :

- se déclare matériellement incompétent pour statuer sur la prétention de la société par actions simplifiée SO.ME.PRO.D tendant à voir 'réduire le montant du loyer annuel du preneur à la somme de 29.278 euros HT/HC, avec effet rétroactif au1er janvier 2017 et le fixer, pour l'exercice en cours et les exercices à venir à la somme de 53.300 euros HT/HC ',

- se déclare matériellement incompétent pour statuer sur la prétention de la société par actions simplifiée à associé unique La Cathédrale Sainte-Marie de la Majeure et la SCI de placement immobilier Patrimmo commerce tendant à voir déclarer irrecevable la prétention de la société par actions simplifiée SO.ME.PRO.D quant à la révision du loyer,

- renvoie les prétentions qui précédent devant la troisième chambre section C du tribunal judiciaire de Marseille, juge des loyers commerciaux,

- sursoit à statuer sur la totalité des autres prétentions,

- dit que l'instance reprendra, quant aux prétentions sur lesquelles il est sursis à statuer, à la demande de la partie la plus diligente, lorsque la décision du juge des loyers commerciaux aura été rendue et sera devenue définitive ,

- réserve les frais irrépétibles et les dépens,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.

Pour se déclarer incompétent matériellement concernant les demandes de la preneuse de réduction rétroactive des loyers et concernant la fin de non-recevoir de la bailleresse relativement à cette dernière demande, le tribunal judiciaire de Marseille retenait que :

- il résulte des articles L145-38 et R 145-20 du code de commerce que la demande en révision du loyer ne peut être formée par le locataire d'un bail commercial que suivant une procédure que ces articles prévoient et que devant un juge que ces articles désignent, soit le juge des loyers commerciaux,

- la compétence du juge des loyers commerciaux, quant à la révision du loyer, est exclusive et d'ordre public.

Pour ordonner le sursis à statuer concernant les autres prétentions ne relevant pas de la compétence du juge des loyers commerciaux, le tribunal judiciaire relevait que lesdites prétentions soit dépendaient de la décision qui serait prononcée par le juge des loyers commerciaux, soit avaient un intérêt à être tranchées en même temps que le reste du litige.

La société la Cathédrale [7] et la société Patrimmo commerce ont formé un appel intégral le 2 octobre 2023 à l'encontre du jugement au fond du tribunal judiciaire de Marseille prononcé le 7 septembre 2023.

Par acte d'huissier du 26 octobre 2023, la société la Cathédrale [7] et la société Patrimmo commerce ont fait assigner la société SO. ME. PROD à jour fixe devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Par conclusions notifiées par voie électronique le 23 avril 2024, la société la Cathédrale [7] et la société Patrimmo commerce demandent à la cour de :

vu les articles 1103, 1104, 1193, 1217, 1353 et 1719, 2044s, 2052 du code civil,

vu les articles 9, 83 et suivants, 122, 488 du code de procédure civile,

vu les articles L.145-38, L.145-40-2, R.145-20, R.145-23 et R.145-36 du code de commerce,

- infirmer le jugement statuant sur la compétence, sans trancher le fond du litige, rendu le 07 septembre 2023 en ce qu'il :

- se déclare matériellement incompétent pour statuer sur la prétention de la société par actions simplifiée SO.ME.PRO.D tendant à voir « réduire le montant du loyer annuel du preneur à la somme de 29.278 euros HT/HC, avec effet rétroactif au 1 janvier 2017 et le fixer, pour l'exercice en cours et les exercices à venir à la somme de 53 300 euros HT/HC»,

- se déclare matériellement incompétent pour statuer sur la prétention de la société par actions simplifiée à associé unique La Cathédrale [7] et la société civile de placement immobilier Patrimmo commerce tendant à voir déclarer irrecevable la prétention de la société par actions simplifiée SO.ME.PRO.D quant à la révision du loyer ,

- renvoie les prétentions qui précèdent devant la troisième chambre section C du tribunal judiciaire de Marseille, juge des loyers commerciaux,

sursoit à statuer sur la totalité des autres prétentions,

- dit que l'instance reprendra, quant aux prétentions sur lesquelles il est sursis à statuer, à la demande de la partie la plus diligente, lorsque la décision du juge des loyers commerciaux aura été rendue et sera devenue définitive,

- réserve les frais irrépétibles et les dépens ,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.

et, il sera demandé à la cour, statuant de nouveau, de :

- déclarer compétent le tribunal judiciaire de Marseille aux fins de statuer sur l'ensemble des demandes formulées par les parties,

- révoquer le sursis à statuer injustifié,

-évoquer la présente affaire au fond, au regard des dispositions de l'article 88 du code de procédure civile et d'une bonne administration de la Justice,

- recevoir ainsi les sociétés Patrimmo commerce et Cathédrale [7] en leurs demandes et les dire bien fondées,

par conséquent,

- sur les indemnités sollicitées par le preneur à hauteur de 478.500 euros et 50.000 euros

- constater que les demandes indemnitaires du preneur portent sur la période comprise entre 2013 et 2015,

- déclarer irrecevables toutes demandes du preneur relatives à de prétendus manquements du bailleur pour la période antérieure au 19 septembre 2017, dont la prétendue prise d'effet du bail retardée, au regard des avenants du 05 août 2014, et du 19 septembre 2017 ce dernier constituant une transaction,

- subsidiairement à ce titre,déclarer irrecevables toutes demandes du preneur en vertu du principe de l'estoppel, à hauteur de 298 541,86 euros,

- plus subsidiairement à ce titre, réduire à la somme de 298 541,86 euros, toute éventuelle condamnation du bailleur à payer, ou restituer une somme d'argent au preneur,

- dire que le bailleur n'a manqué à aucune de ses obligations, qu'elles soient légales ou conventionnelles,

- débouter la société SO. ME. PRO.D de toutes ses demandes fins et conclusions,

Sur la demande de réduction du loyer par le preneur

- déclarer irrecevable et en tout cas infondée la demande de révision du loyer, faute de respecter le formalisme de sa mise en 'uvre, ni la condition de variation de 10% de la valeur locative précitée causée par celle de la modification des facteurs locaux de commercialité,

subsidiairement à ce titre, dire que le preneur ne rapporte pas la preuve d'une valeur locative moindre que celle du loyer contractuel,

plus subsidiairement à ce titre, dire que toute révision du loyer ne pourrait prendre effet qu'à compter du 15 novembre 2020 date de la formation de la demande par voie de conclusions,

sur la demande de limitation des charges locatives du preneur

- rejeter toutes demandes du preneur relatives à une limitation des charges locatives, et au remboursement d'un trop perçu,

- donner acte au bailleur de ce qu'il a transmis au preneur les pièces justificatives liées aux charges des années 2018, 2019, 2020, 2021 et 2022,

à titre reconventionnel :

Sur la question du commandement de payer

- dire et juger que le commandement de payer délivré le 15 février 2018 à la société SO. ME. PRO.D ne souffre d'aucune nullité, et qu'il est demeuré infructueux plus d'un mois,

en conséquence,

- constater la résiliation du bail par le jeu de la clause résolutoire à la date du 15 mars 2018 (un mois après le commandement de payer resté infructueux),

- donner acte au bailleur de ce qu'il ne s'oppose pas, à ce que les effets de la clause résolutoire comme du constat de la résiliation judiciaire, soient suspendus puisque le preneur a respecté les délais de paiements octroyés par les décisions de référé des 05 septembre 2018 et 03 octobre 2019,

- donner acte au bailleur de qu'il reconnaît que la dette du preneur pour la période du 1 er janvier 2017 et le 30 septembre 2018, a été soldée par le dernier paiement du 14 octobre 2020,

- condamner SO.ME.PRO.D à payer la somme de 76.848,05 euros au titre des loyers et charges

relatifs à la période échue entre le 1 er octobre 2018 et le 30 juin 2024,

- prononcer la résiliation judiciaire du bail pour inexécution de l'obligation de payer les loyers et charges dus entre le 1 er octobre 2018 et le 30 juin 2024,

- dire et juger, si des délais de paiement étaient accordés, que le défaut de règlement d'une seule mensualité ou du loyer courant :

- rendra exigible l'arriéré locatif ainsi que l'expulsion de la société SO. ME. PRO.D ainsi que de tous occupants de son chef avec le concours de la force publique si besoin est, et d'un serrurier sous astreinte de 300 euros par jour de retard, au terme d'un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à venir,

- autorisera le bailleur à transporter les meubles et objets se trouvant dans les lieux et les séquestrer aux frais, risques et périls de la société SO. ME. PRO.D,

- contraindra la société SO. ME. PRO.D au paiement d'une indemnité mensuelle d'occupation de 7.942,56 euros TTC correspondant au montant du dernier loyer,

en tout état de cause :

- débouter la société SO.ME.PRO.D de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société SO. ME. PRO.D au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 mai 2024, la société SO. ME . PRO. D demande à la cour de :

vu les articles L.145-11, L. 145-33 du code de commerce, articles 1104, 1112-1, 1133 et suivants,

1241, 1343-5 du code civil, article 44 de la loi n°73-1193 du 27 décembre 1973,

à titre principal :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau de :

- déclarer compétent le tribunal judiciaire de Marseille, aux fins de statuer sur l'ensemble des demandes formulées par les parties,

- révoquer le sursis à statuer injustifié,

-évoquer la présente affaire au fond, au regard des dispositions de l'article 88 du code de

procédure civile et pour une bonne administration de la justice,

- recevoir ainsi la Société SO ME PRO.D en ses demandes, et les dire bien fondées,

et par conséquent :

- juger que le commandement de payer visant la clause résolutoire en date du 15 février 2018 est nul et de nul effet, faute de réunir les conditions nécessaires à sa validité et son bien-fondé,

- juger que le bailleur a manqué à ses obligations légales et conventionnelles et plus particulièrement à son obligation de loyauté et de bonne foi envers le preneur,

- juger qu'eu égard aux fautes commises par le bailleur, le preneur est bien fondé à se prévaloir d'une exception d'inexécution et à solliciter le rééquilibrage des forces contractuelles,

- déclarer recevables toutes les prétentions du preneur, y compris celles relatives à la réparation du préjudice né du retard pris dans l'inauguration de l'ensemble commercial et celles fondées sur les manquements commis par le bailleur avant la signature de l'avenant en date du 19 septembre 2017,

- constater que le préjudice du preneur s'élève a minima à la somme de 587.082,30 euros,

- et, en conséquence :

- constater que la clause résolutoire prévue au contrat de bail initial ne saurait être acquise et produire effet,

- constater que la prétendue créance d'un montant de 298.541,86 euros au titre des loyers et charges jusqu'au 31 décembre 2016, a été « abandonnée » au titre de l'avenant en date du 19 septembre 2017,

- réduire le montant du loyer annuel du preneur à la somme de 29.278,00 euros HT/HC, avec effet rétroactif au 1 er janvier 2017 et le fixer, pour l'exercice en cours et les exercices à venir à la somme de 53 300 euros HT/HC ,

- juger que la participation aux charges communes du preneur se limitera à la somme de 6.680 euros HT/an (8.016 euros TTC), avec effet rétroactif au 1 er janvier 2017, eu égard à la faute contractuelle commise par le bailleur dans l'évaluation de ces dernières ,

- condamner solidairement les sociétés requises à rembourser au preneur le trop-perçu au titre des loyers et des charges à compter du premier janvier 2017 ,

- constater que le preneur est à jour des loyers et charges courants et qu'il a versé au bailleur un trop perçu 27 766,47 euros en exécution de l'ordonnance de référé au jour des présentes,

par conséquent :

- dire n'y avoir lieu à prononcer l'acquisition de la clause résolutoire,

- ordonner la révision du loyer à hauteur de la valeur locative pour l'avenir,

- condamner le bailleur à restituer le trop-perçu de 27 766,47 euros,

suspendre les effets de la clause résolutoire du bail ,

- autoriser la Société SO.ME.PRO.D à se libérer de sa dette en 24 mensualités,

- débouter le bailleur du surplus de ses demandes ,

- débouter le bailleur de sa demande de résiliation judiciaire du bail

- débouter le bailleur de ses entières demandes, fins et conclusions,

à titre subsidiaire :

- infirmer la décision rendue par le tribunal judiciaire de Marseille, en ce qu'elle a sursis à statuer concernant les demandes indemnitaires, et statuant à nouveau :

- condamner solidairement les sociétés requises à verser à la société SO.ME.PRO.D la somme :

478.750 euros au titre du préjudice subi ,

50 000 euros au titre des travaux imputables au bailleur ,

- confirmer la décision pour le surplus.

En tout état de cause :

- condamner solidairement les sociétés requises au paiement de la somme de 10.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,

- condamner solidairement les sociétés requises aux dépens distraits,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

MOTIFS

1-sur la demande d'infirmation du jugement en ce qu'il a déclaré le tribunal judiciaire matériellement incompétent pour connaître de la demande de la société preneuse de réduction du loyer et de la demande des bailleresses tendant à l'irrecevabilité de ladite demande

Selon l'article R145-23 du code de commerce :Les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire.Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l'alinéa précédent.La juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l'immeuble.

L'article R 145-23 du code de commerce ajoute :Les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal de grande instance ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire.

Les autres contestations sont portées devant le tribunal de grande instance qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l'alinéa précédent.La juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l'immeuble.

Au cours de la procédure de première instance pendante devant le tribunal judiciaire de Marseille, la société preneuse formait une demande additionnelle de réduction du loyer annuel avec effet rétroactif au 1er janvier 2017.

Le tribunal judiciaire de Marseille s'est déclaré matériellement incompétent pour connaître de cette demande et l'a renvoyée devant le juge des loyers commerciaux (tant concernant son bien-fondé que sa recevabilité).

En l'espèce, tant les appelantes que l'intimée sollicitent la réformation du jugement en ce qu'il s'est déclaré matériellement incompétent pour statuer tant sur le bien-fondé que la recevabilité de la prétention de la preneuse tendant à la réduction du montant du loyer.

Pour les appelantes, le tribunal judiciaire était bien matériellement compétent pour connaître de la demande de réduction des loyers en raison de son caractère accessoire, celle-ci étant intégrée au sein des 9 autres demandes de la preneuse.

Pour l'intimée, le tribunal judiciaire était bien également matériellement compétent dès lors que sa demande visant à réviser le loyer était une demande accessoire aux demandes principales, strictement indemnitaires, visant à venir indemniser le préjudice subi depuis l'origine de la relation contractuelle.

Il résulte de l'article précédemment cité qu'une compétence exclusive a été conférée au président du tribunal judiciaire ou au juge qui le remplace pour statuer sur les questions relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé.

Néanmoins, le juge judiciaire peut conserver, lorsqu'il est saisi à titre accessoire, compétence pour se prononcer sur la fixation du loyer.

En l'espèce, la société preneuse est à l'origine de cette procédure, ayant initialement saisi le tribunal judiciaire de Marseille par acte d'huissier de justice du 14 mars 2018, notamment en annulation du commandement de payer et en rejet de la demande en paiement à hauteur de 64 089 euros au titre des loyers impayés.

Ensuite, dans le cadre de la procédure pendante devant les premiers juges, la société preneuse a ajouté une demande additionnelle de réduction du loyer rétroactive et pour le futur.

Cette demande additionnelle constitue une prétention accessoire dérivant de sa demande originaire.

Ainsi, le tribunal judiciaire de Marseille était donc bien saisi d'une demande accessoire de révision du prix du bail.

En application de l'article R 145-23 du code de commerce, étant saisi tant de contestations relatives au bail commercial que d'une demande accessoire relevant normalement de la compétence du juge des loyers commerciaux, le tribunal judiciaire avait le pouvoir de se prononcer sur cette dernière demande.

La cour observe toutefois que rien n'obligeait le tribunal judiciaire à se prononcer sur la demande accessoire relative au prix du bail dès lors qu'au contraire, le code du commerce lui donnait seulement le pouvoir de le faire, ce qui est différent.

En l'espèce, le tribunal judiciaire a pu légitimement décider de relever son incompétence matérielle et de ne pas se prononcer sur cette demande, compte tenu de la complexité de l'affaire et de l'enjeu financier très important attaché à cette question.

La cour confirme le jugement en ce qu'il :

- se déclare matériellement incompétent pour statuer sur la prétention de la société par actions simplifiée SO.ME.PRO.D tendant à voir « réduire le montant du loyer annuel du preneur à la somme de 29.278 euros HT/HC, avec effet rétroactif au 1 janvier 2017 et le fixer,pour l'exercice en cours et er les exercices à venir à la somme de 53 300 euros HT/HC » ,

- se déclare matériellement incompétent pour statuer sur la prétention de la société par actions simplifiée à associé unique La cathédrale Sainte-Marie de la Majeure et la société civile de placement immobilier Patrimmo commerce tendant à voir déclarer irrecevable la prétention de la société par actions simplifiée SO.ME.PRO.D quant à la révision du loyer.

2-sur la demande de la preneuse d'évocation de l'affaire quant à la demande relevant de la compétence du juge des loyers commerciaux (demande de réduction des loyers)

L'article 88 du code de procédure civile dispose :Lorsque la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction.

En l'espèce, si la cour d'appel est la juridiction d'appel du juge des loyers commerciaux de Marseille, il ne serait pas de bonne justice d'évoquer le fond de l'affaire quant au prix du bail renouvelé, dès lors que, compte tenu de la complexité des enjeux, il est nécessaire que les parties disposent d'un double degré de juridiction.

La cour rejette la demande de la société SO.ME.PRO.D. d'évocation de l'affaire au fond, au regard des dispositions de l'article 88 du code de procédure civile et pour une bonne administration de la justice.

Le jugement est donc confirmé en ce qu'il renvoie les prétentions relatives à la réduction des loyers devant la troisième chambre section C du Tribunal judiciaire de Marseille, juge des loyers commerciaux.

3-sur la demande d'infirmation du jugement en ce qu'il ordonne le sursis à statuer sur l'ensemble des demandes non renvoyées au juge des loyers commerciaux

Selon l'article 378 du code de procédure civile :La décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.

Il est de principe que hors les cas où cette mesure est prévue par la loi, les juges du fond apprécient discrétionnairement l'opportunité du sursis à statuer dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

La cour a confirmé le jugement en ce qu'il s'est déclaré matériellement incompétent et a renvoyé au juge des loyers commerciaux la demande de la preneuse de réduction des loyers avec effet rétroactif au 1er janvier 2017 pour l'exercice en cours et pour le futur.

Une instance parallèle à celle-ci est donc en cours devant le juge des loyers commerciaux, laquelle a pour objet de déterminer le prix du bail depuis le 1er janvier 2017.

Si la preneuse avait formulé une demande de réduction du prix de bail, les parties ont présenté beaucoup d'autres demandes. Or, le tribunal a ordonné le sursis à statuer sur toutes les autres demandes même si elles ne relevaient pas de la compétence du juge des loyers commerciaux.

Pour déterminer si le sursis à statuer se justifie concernant les autres demandes des parties, il y a lieu d'analyser les effets de la décision judiciaire à venir du juge des loyers commerciaux sur la résolution de ces autres demandes.

Tout d'abord, beaucoup de chefs de demandes dépendent, pour leur résolution, du prix du bail qui sera déterminé par le juge des loyers commerciaux. Le sursis à statuer s'impose donc les concernant. Il s'agit, en particulier, sans que cette énumération ne soit exhaustive, des demandes suivantes :

- demande du preneur de condamnation solidaire des bailleurs à lui rembourser des trop perçu de loyers à compter du 1er janvier 2017,

- demande du preneur disant n'y avoir lieu à prononcer l'acquisition de la clause résolutoire,

- demande du bailleur de condamnation du preneur à lui payer la somme de 76.848,05 euros au titre des loyers et charges relatifs à la période échue entre le 1 er octobre 2018 et le 30 juin 2024 , etc..

Pour les autres demandes des parties, si leur résolution ne dépend pas directement du prix du bail qui sera fixé par le juge des loyers commerciaux, elles sont en tout cas liées à ce prix. En outre, tout comme le premier juge l'a relevé, il ne serait pas satisfaisant de scinder les demandes et de les juger à des moments différents. Il est enfin difficile de distinguer à l'avance, sans nul doute possible, les demandes qui sont directement liées au prix du bail et celles qui ne le seraient pas. Le prix du bail a des implications multiples, directes ou indirectes, et concerne l'entier litige.

En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu'il ordonne le sursis à statuer concernant toutes les autres demandes des parties.

Le sursis à statuer étant confirmé, la cour ne peut que rejeter les demandes des parties tendant à l'évocation au fond de l'affaire par la cour.

En tout état de cause, la cour ne se trouve dans aucune des hypothèses légales lui donnant le pouvoir d'évoquer l'affaire. En effet, la cour peut évoquer l'affaire uniquement si elle infirme un jugement ayant ordonné une mesure d'instruction ou qui, statuant sur une exception de procédure a mis fin à l'instance ou bien encore dans le cas où un sursis à statuer a été ordonné et où l'appel a été autorisé par le premier président.

4-sur les frais du procès

Si les deux parties sont déboutées de toutes leurs prétentions, ce sont les bailleresses qui ont pris l'initiative de former un appel. Il serait donc inéquitable de laisser à la charge de l'intimée ses frais exposés.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la cour condamne les sociétés Patrimmo commerce et Cathédrale [7] à payer in solidum une somme totale de 20 000 euros à la société SO.ME.PRO.D (chacune devant s'acquitter de la somme de 10 000 euros).

Les sociétés Patrimmo commerce et Cathédrale [7] seront déboutées de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La cour condamne les sociétés Patrimmo commerce et Cathédrale [7] in solidum aux dépens distraits au profit de Maître Romain Cherfils, Membre de la société LX Avocats, avocat associé, aux offres de droit.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et publiquement, par mise à disposition au greffe,

- confirme le jugement en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

- rejette les demandes des sociétés Patrimmo commerce et Cathédrale [7]

au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

- condamne les sociétés Patrimmo commerce et Cathédrale [7] à payer in solidum une somme totale de 20 000 euros à la société SO.ME.PRO.D (chacune devant s'acquitter de la somme de 10 000 euros).

- condamne les sociétés Patrimmo commerce et Cathédrale [7] in solidum aux dépens distraits au profit de Maître Romain Cherfils, Membre de la société LX Avocats, avocat associé, aux offres de droit.