CA Bordeaux, 2e ch. civ., 27 juin 2024, n° 23/05651
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Les hauteurs de Sérignac (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boudy
Conseillers :
M. Figerou, Mme Defoy
Avocats :
Me Taillard, Me Deleage, Me Laydeker
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 27 janvier 2017, la SCI Les Hauteurs de Serignac (la SCI) a vendu à Mme [Z] [A] une maison d'habitation qu'elle avait acquise le 26 octobre 2013 et qui, depuis sa construction dans les années 70, avait fait l'objet de travaux d'aménagement.
Se plaignant de remontées d'eau, Mme [A] a fait une déclaration de sinistre à son assureur "habitation" qui a dépêché successivement deux experts, le cabinet Bargues puis le cabinet Saretec, Mme [A] étant elle-même assistée de son propre expert privé en la personne de M. [P] [I].
Mme [A] a saisi le juge des référés qui a ordonné une expertise finalement confiée à M. [R] [E] qui a déposé son rapport le 28 juin 2019.
Au vu du rapport de l'expert, Mme [A] a assigné la SCI, le 16 octobre 2019, devant le tribunal judiciaire de Brive en réparation de ses préjudices sur le fondement des articles 1101 et suivants et 1641 et suivants du code civil.
La SCI s'est opposée à cette action en se prévalant notamment de la clause d'exclusion de la garantie des vices cachés figurant dans l'acte de vente.
Par jugement du 11 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Brive, après avoir retenu l'existence de vices cachés dont la SCI avait connaissance et écarté l'application de la clause d'exclusion de la garantie, a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, notamment condamné cette société à payer à Mme [A] :
- 42 383, 19 euros en réparation de son préjudice matériel,
- 2 643,95 euros au titre de la perte de surface,
- 12 000 euros en réparation de la privation de jouissance et du préjudice moral.
La SCI a relevé appel de ce jugement.
Par arrêt en date du 10 février 2022, la cour d'appel de Limoges a :
- infirmé le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Brive le 11 décembre 2020, sauf en ses dispositions rejetant les demandes de Mme [Z] [A] portant sur la réparation des huisseries du bureau et du garage ainsi que sur la remise en état d'une ancienne fosse septique et du réseau d'assainissement,
Statuant à nouveau pour le surplus,
- rejeté l'ensemble des demandes de Mme [Z] [A],
- condamné Mme [Z] [A] à payer à la SCI Les Hauteurs de Serignac la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamné Mme [Z] [A] aux dépens de première instance et d'appel.
Madame [Z] [A] a formé un pourvoi en cassation.
Par arrêt en date du 19 octobre 2023, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a :
- cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;
- remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Bordeaux,
- condamné la société civile immobilière Les Hauteurs de Sérignac aux dépens ;
- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par la société civile immobilière Les Hauteurs de Sérignac et la condamne à payer à Mme [A] la somme de 3 000 euros.
Par déclaration en date du 13 décembre 2023, la SCI Les Hauteurs de Serignac a saisi la cour d'appel d'appel de renvoi.
Dans ses dernières conclusions en date du 24 avril 2024, la SCI Les Hauteurs de Serignac demande à la cour de :
- réformer le jugement du Tribunal judiciaire de Brive en date du 11 décembre 2020,
- dire et juger qu'elle ne peut légitimement se voir reprocher les conséquences d'un dégât des eaux survenu après la vente dont l'origine reste douteuse et exclusive de tout vice caché démontré et existant antérieurement à la vente.
- débouter Madame [A] de l'ensemble de ses demandes.
- la condamner à lui payer la somme de 10000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions du 8 avril 2024, Madame [Z] [A] demande à la cour de :
- Déclarer mal fondé l'appel interjeté par la SCI Les Hauteurs de Serignac.
- Réformer le jugement en ce qu'il a condamné la SCI Les Hauteurs de Serignac à lui rembourser la somme de 42 383,19 € en compensation de son préjudice matériel.
- Condamner la SCI Les Hauteurs de Serignac à lui rembourser la somme de 41 179, 18 € indexée selon l'indice INSEE du coût de la construction depuis la date du dépôt du rapport d'expertise jusqu'à l'arrêt à intervenir et la somme de 4 117 € au titre de la maîtrise d'oeuvre.
- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SCI Les Hauteurs de Serignac à lui rembourser la somme de 2 643,95 € pour perte de surface et à lui payer la somme de 12000 € en indemnisation de son préjudice moral et de sa perte de jouissance
- Condamner la SCI Les Hauteurs de Serignac aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 avril 2024.
Pour une plus ample connaissance du litige et des prétentions et moyens des parties, il est fait expressément référence aux dernières conclusions et pièces régulièrement communiquées par les parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I-Sur la portée de la cassation
Conformément aux dispositions de l'article 624 du code de procédure civile, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce.
Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
La cassation annule intégralement le chef de dispositif qu'elle atteint quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation et la cour de renvoi n'est pas liée par les motifs de l'arrêt cassé, étant tenue d'examiner tous les moyens soulevés devant elle.
Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article 625 du même code que sur les points qu'elle atteint la décision replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt cassé.
La cour de renvoi est ainsi saisie par l'acte d'appel initial, dans les limites du dispositif de l'arrêt de cassation.
En l'espèce, l'arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 2023 a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Limoges en toutes ses dispositions.
Cependant, dans sa déclaration de saisine ni dans ses conclusions ultérieures,
Mme [A] ne sollicite la réformation du jugement du tribunal de grande instance de Brive qui l'a déboutée de sa demande relative au dysfonctionnement du système d'assainissement.
La cour de céans n'est donc saisie que des inondations et infiltrations ayant affecté le rez-de-chaussée de sa maison.
II- Sur les vices cachés
En l'espèce, il est constant que la SCI, intimée dans cette affaire a été créée le 4 mars 2004 sous la dénomination 'SCI Lambert'.
Cette société a procédé à l'acquisition de la maison litigieuse en 2004.
Le 26 octobre 2013, l'unique associé, M. [T], [Y] [V] a cédé la totalité de ses parts à son fils, M. [T], [D] [V] et à Mme [J] [B] [X] [H].
La dénomination sociale de la société est alors devenue 'SCI Les Hauteurs de Sérignac'.
La maison est en partie adossée à la colline et se trouve donc semi-enterrée.
Il n'est pas contesté qu'au cours de l'année 2004, M. [T], [Y] [V], qui exerçait la profession de maçon, a procédé à des travaux consistant à aménager un vide sanitaire situé contre le rocher pour y créer une chambre, une salle de bains, un 'dressing', un local de stockage et une buanderie.
De même a-t'il réalisé des travaux d'aménagement d'un bureau desservi par une porte-fenêtre donnant accès à l'extérieur.
Il en résulte par conséquent qu'indépendamment des modifications ayant pu affecter la répartition des parts et les changements de propriétaires de celle-ci, c'est la SCI qui doit être considérée comme ayant été propriétaire de l'immeuble depuis 2004 et comme ayant réalisé elle-même les travaux.
Celle-ci soutient essentiellement :
- que contrairement à ce qu'affirme l'expert amiable [I], M. [T], [Y] [V] avait parfaitement réalisé les travaux d'extension et avait créé une cunette destinée à recueillir les eaux de ruissellement provenant du rocher pour les acheminer ensuite jusqu'à un regard situé dans la cave;
- qu'en ce qui concerne les infiltrations du bureau, il avait également mis en place un caniveau;
- que l'acquéreur avait réalisé elle-même des travaux, notamment dans la salle de bain, qui ont totalement modifié la configuration des lieux et ont très certainement été à l'origine des désordres, en particulier en provoquant la dégradation du rocher ou en ayant laissé des gravats qui ont obturé la cunette;
- qu'en effet, à aucun moment, ni lorsque M. [T], [Y] [V] occupait les lieux ni depuis 2013, date à laquelle les consorts [T], [D] [V]-[B] s'y sont installés, ni même de janvier 2017, date de l'acquisition de la maison par Mme [A], à décembre 2017, il ne s'est produit la moindre infiltration ou arrivée d'eau;
- que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, non seulement les membres successifs de la SCI n'ont cherché à dissimuler un vice quelconque mais en outre n'avaient connaissance d'aucun défaut, à supposer au demeurant qu'il en existât un.
Il est en effet exact que rien ne permet de penser qu'antérieurement au sinistre de décembre 2017 il y ait eu des inondations de quelque nature que ce soit, l'occupante des lieux n'affirmant pas le contraire alors que les consorts [V]-[B] démontrent qu'au cours de l'année considérée il y a eu des périodes plus pluvieuses et que, de façon plus générale, il n'existait aucune trace d'humidité dans les lieux objet du litige.
Cependant, contrairement à ce que soutient la Sci, il est établi que ces désordres sont imputables à un vice préexistant.
S'agissant des travaux d'extension opérés à proximité immédiate du rocher, quand bien même M. [T], [Y] [V] aurait-il prévu une cunette destinée à permettre l'évacuation des eaux de ruissellement, ces aménagements n'étaient pas conformes aux règles de l'art qui imposaient la mise en place d'un dispositif assurant une étanchéité parfaite et permanente.
Une simple cunette, c'est-à-dire un caniveau, exposée à recevoir inévitablement des débris, sans possibilité d'accès afin d'en assurer au moins l'entretien, était insuffisante.
Malgré son caractère particulièrement elliptique, le rapport d'expertise judiciaire confirme que les travaux ont été exécutés 'sans la mise en oeuvre d'un mur contre terrier en maçonnerie avec drainage contre le rocher' tandis que, de la même manière, le rapport amiable réalisé par la société Saretec, en revanche très circonstancié quant à lui, constate qu'il y a 'pas de masque d'étanchéité ni de cunette pour récupérer les eaux de ruissellement provenant de la roche'.
Il s'agit donc bien d'un vice caché qui est à l'origine des désordres dont se plaint Mme [A].
Or, de manière générale, le vendeur professionnel est présumé connaître les vices de la chose vendue.
On lui assimile le cas du vendeur qui a réalisé les travaux qui sont à l'origine des vices et qui s'est comporté comme un constructeur (cf l'arrêt du 19 octobre 2023 susvisé qui reproche à la cour d'appel de Limoges de na pas avoir recherché, comme elle y était invitée, 'si la SCI n'avait pas elle-même réalisé les travaux à l'origine des désordres affectant le bien vendu, peu important les changements survenus quant à l'identité de ses associés et gérants, de sorte qu'elle s'était comportée en constructeur et devait être présumée avoir connaissance du vice').
Cette présomption est alors irréfragable (Com. 5 juillet 2023, n°22-11.621).
Par conséquent, en l'espèce, la Sci les Hauteurs de Sérignac ne peut invoquer la clause élusive de garantie des vices cachés prévue dans le contrat de vente et sera tenue de réparer l'entier préjudice subi.
Pour ce qui concerne les arrivées d'eau dans le bureau, il est certes exact que ce dernier se trouve en contrebas par rapport au sol extérieur, ce qui ne peut que provoquer un risque d'écoulement d'eau.
Mais il n'est nullement établi que cette situation résulte des travaux réalisés par M. [T], [Y] [V] alors qu'il est au contraire probable qu'elle lui préexistait et que ses travaux d'aménagement ont au contraire tendu à éviter ce risque grâce à la construction d'un caniveau.
Autrement dit, comme l'a d'ailleurs considéré le tribunal de Brive, cet inconvénient ou ce vice, ne résulte que de la configuration des lieux et était parfaitement visible de sorte qu'il ne pouvait être qualifié de vice caché.
Le jugement sera donc confirmé.
III- Sur la réparation des dommages
L'expert judiciaire a évalué les travaux à la somme de 35 518,67 € pour ce qui concerne les aménagements propres à permettre une étanchéité parfaite entre les eaux de ruissellement extérieures et les locaux habités.
Ce montant comprend également la remise en état de ces derniers, remise en état complète rendue nécessaire par les dégradations importantes provoquées par les infiltrations.
Il sera donc retenu et indexé sur la base de l'évolution de l'indice BT 01.
C'est en revanche à tort que le tribunal a retenu les frais de remise en état afférents au bureau alors qu'il n'a pas retenu la garantie due par le vendeur à ce propos.
Les frais de maîtrise d'oeuvre seront écartés dans la mesure où il n'est pas justifié en quoi ils seraient nécessaires.
Il est exact que la mise en place d'un système efficace et durable de protection contre les eaux de ruissellement entraînera une déperdition de surface utile qui doit être compensée.
Il convient de retenir le calcul opéré par le tribunal sur la base d'une déperdition de 2,81 m2 et du prix de vente de l'immeuble ( 207 000 €), soit un montant de 2 643,95 €.
S'agissant du préjudice de jouissance, celui-ci est certes réel mais il ne saurait être évalué, comme l'a fait le tribunal sur la base de la valeur locative des lieux concernés pendant 40 mois.
En effet, par nature, les infiltrations en cause sont temporaires et il n'est ni prouvé ni même prétendu qu'elles se sont reproduites tandis que si les lieux en ont été sérieusement dégradés, aucune précision n'est fournie sur les conditions dans lesquelles ils ont pu être remis en état ni à quelle date.
Ce préjudice sera donc évalué à la somme de 5000 €.
IV- Sur les demandes annexes
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la Sci aux dépens qui comprendront ceux de l'instance en référé et les frais de l'expertise judiciaire.
Aucune demande n'est présentée par Mme [A] au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et le jugement sera donc infirmé sur ce point.
En cause d'appel, les dépens seront mis à la charge de la Sci Les Hauteurs de Sérigny qui succombe pour l'essentiel dans son appel.
Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande formée par application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire, mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Brive du 20 décembre 2020 :
- en ce qu'il a retenu l'existence d'une garantie des vices cachés due à Mme [Z] [A] par la Sci Les Hauteurs de Sérignac au titre des infiltrations ayant affecté l'extension de sa maison d'habitation et en ce qu'il l'a écartée pour le surplus,
- en ce qu'il a condamné la SCI Les Hauteurs de Sérignac à payer à Mme [Z] [A] la somme de 2643,95 € pour perte de surface,
- en ce qui concerne les dépens.
L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau :
- condamne la Sci Les Hauteurs de Sérignac à payer à Mme [Z] [A] les sommes de :
35 518,67 € au titre des travaux de réfection, avec indexation sur l'évolution de l'indice BT 01 depuis la date de dépôt du rapport d'expertise
5000 € à titre de dommages et intérêt pour le préjudice de jouissance subi
Y ajoutant,
Dit n'y avoir de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la Sci Les Hauteurs de Sérigny aux dépens d'appel.
La présente décision a été signée par Monsieur Jacques BOUDY, président, et Madame Mélody VIGNOLLE-DELTI, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.