CA Poitiers, 1re ch., 25 juin 2024, n° 22/02644
POITIERS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Aubineau (SAS)
Défendeur :
Raffoux (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Monge
Conseillers :
M. Orsini, M. Maury
Avocats :
Me Clerc, Me Borgia, Me Grevin, Me Hoepffner
*****
PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Le 4 mars 2016 la SAS AUBINEAU a acquis auprès de la S.A.R.L. RAFFOUX 5 000 plants de vigne de cépage UGNI Blanc pour un montant de 7 400 Euros.
Ces plants ont fait l'objet de plantation sur plusieurs parcelles, et d'autres ont été utilisés pour réaliser l'entre-plantation.
Les plants acquis n'ont pas donné satisfaction à la SAS AUBINEAU, qui a procédé à une déclaration de sinistre auprès de son assureur protection juridique, lequel a confié une mission d'expertise au Cabinet TERREXPERT. La société RAFFOUX ne s'est pas présentée à la première réunion.
L'expert a alors fait procéder par un huissier de justice à des prélèvements de plants qu'il a présentés à l'Institut des hautes études de la vigne et du vin, dirigé par M. [U], qui a émis en date du 2 avril 2018 un avis confirmant le mauvais état des végétaux et estimant que la mauvaise qualité des plants constituait un facteur qui y avait contribué.
La société AUBINEAU a alors saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Saintes, qui a ordonné le 16 octobre 2018 une expertise au contradictoire de la société RAFFOUX et désigné pour y procéder [F] [I], lequel a déposé son rapport définitif le 12 septembre 2019.
Elle a ensuite fait délivrer assignation à la S.A.R.L. RAFFOUX à comparaître par devant le tribunal judiciaire de SAINTES, que par ordonnance en date du 16 juin 2021 le juge de la mise en état a déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de SAINTES.
Par ses dernières écritures, la SAS AUBINEAU demandait au tribunal de condamner la S.A.R.L. RAFFOUX à leur verser à titre de dommages et intérêts la somme de
- 28 416 Euros au titre de l'arrachage et de la replantation de vigne,
- 23 200 Euros au titre des frais de plantation,
- 10 229.74 Euros au titre des travaux de plantation et de traitement,
- 299 255 Euros au titre de la perte d'exploitation.
Outre 4 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
La S.A.R.L. RAFFOUX a conclu au rejet de ces demandes.
Par jugement contradictoire en date du 01/09/2022, le tribunal de commerce de SAINTES a statué comme suit :
'Déboute la SAS AUBINEAU de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions,
Déboute la S.A.R.L. RAFFOUX de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions,
Laisse à la charge des parties les frais irrépétibles engagés par elles dans la présente procédure,
Laisse à la charge de la SAS AUBINEAU les entiers frais et dépens de l'instance et frais de greffe liquidés à la somme de 72.31 Euros dont 12.05 Euros de TVA'.
Le premier juge a notamment retenu que :
- le débiteur d'une obligation de moyens n'est responsable qu'autant qu'il n'a pas agi avec toute la diligence requise, et qu'il appartient donc au créancier de l'obligation d'apporter la preuve du manquement du débiteur à son obligation.
- le contrat n'est assorti d'aucune garantie de la part de la S.A.R.L. RAFFOUX de procéder au remplacement des plants de vigne au cas où ceux-ci viendraient à ne pas se développer normalement, voire à mourir.
- le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l'une des parties.
- dans les rapports du professeur [U], de la Société TERREEXPERT et de M. [I] (expert judiciaire), aucune de leurs conclusions ne mettent en avant la responsabilité directe de la S.A.R.L. RAFFOUX.
- il y a lieu alors de débouter la SAS AUBINEAU et la Société RAFFOUX de l'intégralité de leurs demandes fins et conclusions.
LA COUR
Vu l'appel en date du 21 octobre 2022 interjeté par la société SAS AUBINEAU
Vu l'article 954 du code de procédure civile
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 15/03/2024, la société SAS AUBINEAU a présenté les demandes suivantes:
' DÉCLARER la SAS AUBINEAU recevable et bien fondée en son appel.
Y faisant droit,
A TITRE PRINCIPAL : D'ANNULER le jugement rendu le 1er septembre 2022 par le tribunal de commerce de Saintes dans le dossier N° 2021F00056.
SUBSIDIAIREMENT :
DE LE REFORMER, en ce qu'il a débouté la SAS AUBINEAU de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions, laissé à la charge de la SAS AUBINEAU ses frais irrépétibles, et laissé à la charge de la SAS AUBINEAU les entiers frais et dépens de l'instance et frais de greffe, liquidés à la somme de 73.31 Euros et 12.05 Euros de TVA.
Statuant à nouveau,
DE JUGER que les plants de vigne achetés à la Société RAFFOUX par la SAS
AUBINEAU étaient affectés d'un vice caché,
DE JUGER qu'il en a découlé un préjudice pour la SAS AUBINEAU,
DE JUGER la Société RAFFOUX responsable des dommages ainsi subis par la SAS AUBINEAU,
DE JUGER que la Société RAFFOUX est obligée de garantir les vices cachés,
DE JUGER que la Société RAFFOUX a failli à son devoir de conseil à l'égard de la concluante,
DE CONDAMNER en conséquence la Société RAFFOUX à verser à la SAS
AUBINEAU la somme totale de 224 811,46€ à titre de dommages et intérêts,
augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation.
PLUS SUBSIDIAIREMENT :
DE CONDAMNER la Société RAFFOUX à verser à la SAS AUBINEAU la somme totale de 184 976€ à titre de dommages et intérêts, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation.
EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :
DÉBOUTER la Société RAFFOUX de l'ensemble de ses demandes, fins et
conclusions.
CONDAMNER l'intimée RAFFOUX à payer à l'appelante la somme de 5 000€ au titre de l'article 700 CODE DE PROCÉDURE CIVILE.
CONDAMNER l'intimée RAFFOUX aux dépens, en ce compris les frais d'expertise'.
A l'appui de ses prétentions, la société SAS AUBINEAU soutient notamment que :
- le jugement doit être annulé pour défaut de motivation et de réponse à conclusions.
- M. [U] a rendu un avis scientifique versé aux débats alors qu'il est professeur de biologie et de génétique des plantes et directeur de l'Institut des Hautes Etudes de la Vigne et du Vin.
- M. [U] écrit : 'ici, nous notons qu'un point commun des plants faibles ou dépérissant est la présence d'anomalies vasculaires dans les cernes antérieures à la plantation, notamment dans le xylème de la vigne mère et de la pépinière, indiquant un stress de folletage durant la pépinière'...
'Compte tenu des éléments dont nous disposons, notre analyse nous conduit à identifier la mauvaise qualité des plants comme facteur ayant contribué au mauvais développement des plants après plantation. (') Ces plants présentent des développements végétatifs et anatomiques extrêmement faibles avec des anomalies qui se sont mises en place avant la plantation sur le porte-greffe et le greffon. La plupart de ces plants présentent des défauts de
structure importants ; ils ne reprendront pas leur développement au printemps.... 'Les problèmes ont été observés dans les strates de vignes mères de pépinières et de porte greffe des plants. Le problème ne pouvait qu'être antérieur à la plantation'.
- la société TERREXPERT a fait constater des éléments factuels par huissier.
- l'expert judiciaire approuve les conclusions du professeur [U] : le problème provient des porte-greffes inadaptés vendus à la SAS AUBINEAU par la S.A.R.L. RAFFOUX.
- le 4 mars 2016, l'appelante a acquis de la société RAFFOUX 5 000 plants de
vigne de cépage UGNI blanc (483.161.49.198), au prix payé de 7 400€.
Le 6 juin 2016, l'appelante a acheté à l'intimée RAFFOUX 600 plants de vigne
de cépage UGNI blanc (483.333.EM.263), au prix dûment payé de 888€.
Ces vignes furent plantées par la société SNC DISTILLERIE TURCOT sur deux parcelles appartenant à l'appelante, dénommées « [Localité 6] » et « [Localité 5] », d'autres plants UGNI Blancs (481/161.49/198), achetés par l'appelante à l'EARL DE GADEVILLE le 7 mars 2016, étant utilisés pour réaliser de l'entre - plantation.
Elle a constaté, au cours de l'été 2016, que les plants achetés à la société RAFFOUX ne se développaient pas normalement.
- le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ce qui est le cas en l'espèce.
Le vendeur professionnel est réputé connaître les vices de la chose qu'il vend et il s'agit d'un moyen nouveau, recevable en vertu de l'article 563 du code de procédure civile dès lors que ce moyen tend aux mêmes fins que celles soumises au premier juge.
- c'est bien le vendeur qui a suggéré à l'appelante le porte-greffe vendu.
- il n'est pas question ici d'obligations de moyens mais d'obligations de garantie.
- l'expert [U] écrit :« ici, nous notons qu'un point commun des plants faibles ou dépérissant est la présence d'anomalies vasculaires dans les
cernes antérieures à la plantation, notamment dans le xylème de la vigne mère et de la pépinière, indiquant un stress de folletage durant la pépinière », et l'expert judiciaire approuve cette analyse.
Aucune preuve n'est rapportée d'une autre cause que ces plans défectueux, notamment d'un événement naturel extérieur, ayant les caractéristiques de la force majeure.
- s'agissant du devoir d'information et de conseil, les vignes défectueuses étaient greffées sur des porte-greffes161-49C.
Or, on retrouve en littérature des alertes émises par les experts, dès 2011,concernant le dépérissement des vignes sur les porte-greffes 161-49C, dépérissements constatés depuis 2008.
La société RAFFOUX, professionnel spécialiste des plants, ne pouvait évidemment pas ignorer ces faits, en 2016. Elle n'a jamais en outre vérifié la compatibilité des porte-greffes 161-49C avec la nature du sol des parcelles de l'appelante.
- le vendeur doit démontrer qu'il s'est acquitté de l'obligation de s'enquérir des besoins de l'acheteur (agriculteur) et de l'informer de l'aptitude du produit proposé à l'emploi qui en est prévu. La société AUBINEAU n'a jamais été mise en position de pouvoir décider si elle était prête à accepter le risque que lui faisait courir le choix, par l'intimée, des porte-greffe 161-49C, ou de choisir un autre porte greffe.
- sur les dommages, ceux-ci sont établis comme suit :
- Arrachage et replantation des vignes : 28 416€
- Frais de plantation : 23 200€
- Travaux de plantation et traitement : 10 299,74€
SOUS-TOTAL : 61 915,74€, + INFLATION (12,2% au total de 2020 à 2023) = 69 469,46€
- Perte d'exploitation : 155 342€
TOTAL : 224 811,46 €
Les propositions de l'expert judiciaire doivent être modifiées dès lors qu'il ne calcule pas sur la base des autorisations de productions réelles de l'appelante (« AP »), mais plutôt sur la base d'une AP moyenne dont on ignore la provenance. Il n'octroie en outre aucune indemnisation pour les exercices 2022 et 2023. En outre il n'établit pas la différence entre les revenus perdus et les frais non engagés.
- la perte d'exploitation pour les exercices 2018 à 2021 s'élève, en utilisant la méthodologie de l'expert avec les vrais chiffres, à la somme de 150 546€. La perte pour les exercices 2022 et 2023 s'établit à 73 217 €, soit un total de 223 763 €, dont on déduit un coût d'exploitation non exposé de 68 431 €, soit une perte d'exploitation de 155 342 €.
- il est faux de soutenir que la S.A.R.L. AUBINEAU a abandonné la culture de son vignoble.
- les pures hypothèses concernant l'existence d'autres facteurs que la défectuosité des plants ne sauraient atténuer la responsabilité de la S.A.R.L. RAFFOUX.
- comme le montrent les déclarations douanières, ce sont bien les 5000 premiers plans « RAFFOUX », tous en porte-greffes 161-49C, qui furent plantés sures 3 parcelles dénommées, et l'expert l'a d'ailleurs noté.
Les plants soumis à l'analyse du professeur [U] ont été prélevés par ministère d'huissier sur les parcelles « [Localité 6] », « [Localité 5] » et « [Localité 9] », en présence des représentants de l'intimée et ses experts.
Il s'agit bien des parcelles où furent plantées les vignes vendues par l'intimée.
- au surplus, les 600 autres plants « RAFFOUX » achetés par l'appelante étaient sur porte-greffe 333EM et leur plantation n'a rencontré aucun problème.
- le professeur [U] ainsi que l'expert judiciaire en sont arrivés à la conclusion que le vice est antérieur à la vente.
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 26/03/2024, la société S.A.R.L. RAFFOUX a présenté les demandes suivantes :
'Déclarer mal fondé l'appel de la société AUBINEAU à l'encontre de la décision rendue le 1er septembre 2022 par le tribunal de commerce de SAINTES,
Par conséquent,
Confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions,
Dire irrecevables les demandes de la société AUBINEAU fondées sur le prétendu manquement de la société RAFFOUX à son devoir de conseil,
Débouter la société AUBINEAU de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Condamner la société AUBINEAU à verser à la société RAFFOUX la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société AUBINEAU aux entiers dépens'.
A l'appui de ses prétentions, la société S.A.R.L. RAFFOUX soutient notamment que :
- il n'y a pas lieu à annulation du jugement, dès lors que les moyens et prétentions des parties y sont exposés et que ce jugement est motivé sur l'absence de garantie de la société RAFFOUX qui n'avait qu'une obligation de moyen. Il n'y a pas en outre au jugement de contradiction de motifs.
- le tribunal n'était saisi que d'une action en responsabilité contractuelle et non d'une action en garantie des vices cachés.
- ce fondement est porté pour la première fois devant la cour, alors que le chiffrage du préjudice s'en trouve modifié.
- sur la garantie des vices cachés, même en présence d'un vendeur professionnel, il appartient à celui qui invoque un vice caché de rapporter la preuve du vice qu'il invoque, antérieur à la vente et rendant la chose impropre à l'usage auquel on la destine.
- la société AUBINEAU ne précise pas le vice qu'elle allègue et ne rapporte pas la preuve d'un vice. Le constat d'huissier, le rapport de M. [U] et celui de M. [I] ne sont absolument pas probants.
- le procès-verbal de constat dressé le 27 mars 2018 par Maître [Z], huissier de justice, ne constitue pas un rapport d'expertise.
- l'expert judiciaire a indiqué que 'il s'avère très difficile, voire impossible, de conclure en l'état', même s'il indique qu'il ne s'agit pas a priori 'd'une mauvaise qualité et un mauvais travail du pépiniériste' tout en précisant que ' les plants sont d'ailleurs contrôlés et certifiés par AGRIMER'.
'En ce qui concerne l'absence ou le faible développement racinaire et foliaire, c'est un constat effectivement, mais l'éloignement à ce jour de la date de plantation (2016) rend l'analyse quasi impossible'.
- dans la rubrique 'responsabilités', l'expert procède plus par interrogation que par affirmation. Le rapport d'expertise déposé par M. [I] ne constitut un élément de preuve sur l'existence d'un vice caché affectant les plants vendus par la société RAFFOUX à la société AUBINEAU.
- s'agissant de l'avis de M. [U], les plants qu'il analyse ont été transmis consécutivement aux prélèvements effectués par l'huissier le 27 mars 2018, et pouvaient être ceux vendus par l'EARL DE GADEVILLE au nombre de 1500, sans certitude qu'ils provenaient de la société RAFFOUX.
L'analyse de M. [U] a donc porté sur 54 plants de vigne dont il
est impossible de savoir s'ils proviennent de la société RAFFOUX ou de
l'EARL DE GADEVILLE et parmi les plants de vigne cédés par la société
RAFFOUX ceux ayant le porte-greffe 161-49 de ceux ayant le porte-greffe 333 EM 263.
- parmi les plants de vigne qui ont été analysés par M. [U], une très forte proportion - les deux tiers environ - ne présente selon lui aucune anomalie, seul le tiers restant présentant des anomalies sans toutefois qu'on puisse déterminer si ces plans proviennent de la société RAFFOUX ou de l'EARL DE GADEVILLE.
- M. [U] fait une généralité qui ne peut s'autoriser du contenu de son analyse : des plants sont normaux et d'autres certes faibles mais ne
présentant pas d'anomalie anatomique. La preuve d'un vice caché, rendant les plans impropres à leur destinat,ion n'est pas rapportée.
- sur le prétendu manquement au devoir de conseil, la société AUBINEAU se dispense totalement d'invoquer à l'appui de sa prétention le moindre fondement juridique.
Or, la société AUBINEAU ne peur être considérée comme profane, disposant de connaissances à la fois théoriques et pratiques.
- sauf à se contredire au détriment de la société RAFFOUX, la société AUBINEAU ne peut donc soutenir en cause d'appel le contraire de ce qu'elle soutenait en première instance, soit : 'ce n'est pas le choix lui-même du porte greffe qui est en cause, mais la nature même des plants livrés'. Or elle soutient désormais que le porte-greffe serait en cause dans les dommages qu'elle dit avoir subis.
- la demande de dommages et intérêts formée par la société AUBINEAU sur un prétendu manquement de la société RAFFOUX à son devoir de conseil sera déclarée irrecevable et infondée.
- sur les dommages et intérêts, au titre de l'arrachage et de la replantation, la société AUBINEAU sollicite une somme de 28.416 euros, au titre des frais de plantation, la somme de 23.200 euros et au titre des travaux de plantation et de traitement, la somme de 10.299,74 euros, sans faire la distinction entre les plants sains et les plants frappés de dépérissement.
Sa perte d'exploitation n'est pas justifiée,'.
- la société AUBINEAU ne peut solliciter des dommages et intérêts destinés à réparer un préjudice dont elle est elle-même l'auteur puisque depuis 2017 elle a abandonné la culture de son vignoble alors même que la plupart des plants de vigne n'ont pas été jugés défectueux et auraient pu se développer normalement.
- rien ne permet d'établir que les plants prélevés par l'huissier et qui ont été transmis à M. [U] sont des plants issus seulement de la vente RAFFOUX du 4 mars 2016 portant 5000 plants
Il peut s'agir en effet de plants issus aussi des ventes RAFFOUX du 6 juin 2016 portant sur 600 plants porte-greffe 333 EM 263 et de l'EARL DE GADEVILLE du 7 mars 2016 portant sur 1500 plants porte-greffe 161-49.
En outre, parmi les plans analysés, certains sont qualifiés de 'plans normaux'.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.
L'ordonnance de clôture est en date du 28/04/2024.
À l'issue des débats, la cour a invité les plaideurs à faire par voie de note en délibéré contradictoire toutes observations sur le moyen, soulevé d'office, que le préjudice consécutif à un manquement au devoir de conseil a, lorsqu'il est avéré, la nature d'une perte de chance, et sur son application au présent litige.
Par note en délibéré, la société SAS AUBINEAU a indiqué le 10/05/2024 que:
- le principe de la perte de chance ne saurait intervenir qu'en ce qui concerne le gain manqué, et dans une éventualité très favorable.
- le manque à gagner serait évalué ainsi à 95 % de la somme de 103 964 € selon estimation de l'expert, et 155 342 € selon estimation de la SAS AUBINEAU, outre 44 266 € ou 51 616 € au titre de la perte subie.
La société SARL RAFFOUX a indiqué par note en délibéré transmise le 17/05/2024 d'une part que la société AUBINEAU soutient le contraire de ce qu'elle a affirmé en première instance comme quoi le choix du porte-greffe n'était pas en cause, d'autre part que c'est la seul comportement de la société
AUBINEAU qui a fait disparaître l'éventualité favorable dont elle aurait pu bénéficier, aucune pêrte de chance ne pouvant être en conséquence indemnisée.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande d'annulation du jugement :
Les moyens et prétentions des parties sont suffisamment exposés au jugement entrepris.
Celui-ci est en outre motivé en fait et en droit.
La demande d'annulation présentée par la société SAS AUBINEAU doit être en conséquence écartée.
Sur la recevabilité des demandes formées au titre du manquement au devoir de conseil :
En l'espèce, s'il apparaît que la société SAS AUBINEAU recherche au principal la garantie de la S.A.R.L. RAFFOUX au titre de la garantie des vices cachés des plants de vigne vendus, elle reste recevable, sans se contredire, à fonder ses demandes sur un manquement de son vendeur à son devoir de conseil, sous réserve d'établir ce manquement, s'agissant non d'une demande nouvelle en appel mais d'un fondement subsidiaire, toujours recevable en cause d'appel s'il est nouveau, et qui n'est pas nouveau en l'espèce, puisque par ses conclusions de première instance, elle évoquait déjà expressément à titre subsidiaire le défaut de conseil de l'entreprise RAFFOUX quant au choix du porte greffe, 'si elle estimait que celui utilisé n'était pas adéquat'.
En outre, il n'est pas démontré qu'existe en l'espèce de contradiction au détriment d'autrui dans l'argumentation de la société AUBINEAU qui a fait acquisition de plants de vigne issus de greffe, celle-ci étant inévitablement pratiquée sur des portes-greffe dont la qualité est en débat, aux termes des conclusions des avis et de l'expertise judiciaire.
La recevabilité des demandes présentées sera retenue.
Sur l'existence d'un vice caché :
L'article 1641 du code civil dispose que 'le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus'.
L'article 1642 du code civil précise : 'le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même'.
L'article 1643 indique que le vendeur 'est tenu des vices cachés, quand bien même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie'.
L'article 1644 du code civil dispose : 'Dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix'.
L'article 1645 du même code précise que 'si le vendeur connaissait les vices de la choses, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tout les dommages et intérêts envers l'acheteur.'
L'article 1646 dispose que 'si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix, et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente'.
M. [I] a établi son rapport d'expertise judiciaire en tenant compte d'une part du procès-verbal de constat dressé le 27 mars 2018 par Maître [Z], huissier de justice, et de l'avis de M. [U] fondé sur l'analyse de 54 plants transmis consécutivement aux prélèvements effectués par l'huissier le 27 mars 2018, ces pièces versées aux débats et contradictoirement débattues ayant été appréciées par l'expert judiciaire qui a indiqué : 'cette étude de laboratoire (d'un laboratoire reconnu par la profession) semble fort bien faite et ne mérite pas a priori à mon niveau d'être contestée'.
Or l'expert judiciaire relève qu'il 'est très difficile dans ces conditions de tirer des conclusions de ces désordres'.
S'il a pu indiquer : 'je pense que le principal problème, avec toutes les réserves émises ci-dessus, reste néanmoins le choix du porte-greffe, sensible à la thyllose et au folletage', il ne relève pas toutefois 'une mauvaise qualité et un mauvais travail du pépiniériste ' en précisant que ' les plants sont d'ailleurs contrôlés et certifiés par AGRIMER', mais retient seulement'un accident, un désordre interne au porte greffe 161-49 C', précisant que ce porte-greffe 'n'est pas le mieux adapté à ce sol de champagne très calcaire'.
L'analyse de M. [U], reprise par l'expert judiciaire et non démentie, lui a permis de considérer : 'ici, nous notons qu'un point commun des plants faibles ou dépérissant est la présence d'anomalies vasculaires dans les cernes antérieures à la plantation, notamment dans le xylème de la vigne mère et de la pépinière, indiquant un stress de folletage durant la pépinière'.
Toutefois, si l'analyse de M. [U] le conduit à identifier la mauvaise qualité des plants comme un facteur ayant contribué à leur mauvais développement après plantation, il indique néanmoins qu'il 'est difficile de préjuger sur la proportion des plants qui auront un développement défectueux. Il semble qu'une bonne partie des éléments notés comme faibles pourrait poursuivre son développement si la conduite est très méticuleuse. En revanche, nous émettons des réserves sur les plants notés dépérissant car ils présentent des défauts structuraux critiques. Cette analyse, faite 2 ans après
plantation, ne préjuge pas des évolutions ultérieures possibles, notamment en rapport avec le syndrome de dépérissement des jeunes vignes greffées sur 161-49C, qui se manifeste 4-8 ans après plantation.'
Cette analyse a été rendue possible par un prélèvement de 54 plants intervenus par ministère d'huissier de justice sur les parcelles où furent plantées les vignes vendues par la société RAFFOUX : la parcelle « [Localité 5] » est constituée de la parcelle cadastrée [Cadastre 10], la parcelle « [Localité 6] » est
constituée des parcelles cadastrales [Cadastre 11], [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3], et la parcelle « [Localité 9] » de la parcelle cadastrale [Cadastre 12], selon attestation des douanes et bons de livraison, les 5000 premiers plans de la S.A.R.L. RAFFOUX en porte-greffes 161-49, étant plantés sur les 3 parcelles.
Seule une partie des plants a connu un mauvais développement, d'autres de développement faible pouvant poursuivre leur croissance et d'autres ayant un développement satisfaisant, sans qu'il soit démontré faute de comptage en temps utile après plantation dans quelle proportion cette plantation était en échec.
Il résulte en outre du constat de l'expert judiciaire en date du 08/03/2019 que sur l'ensemble des 3 parcelles et en moyenne, le taux de plants manquants ou morts était de 41 %, et le taux de plants 'faibles ou en dépérissement était de 35 %.
Le taux de plants développés dits 'normaux' était estimé à hauteur de 24 %.
L'expert rappelle qu'il ne s'agissait que d'une estimation dans le cadre d'un comptage trop tardif, même s'il indique que 'à ce stade, c'est catastrophique'.
Or, pour expliquer l'état catastrophique dans lequel l'expert a trouvé son vignoble, la SAS AUBINEAU lui a indiqué qu'il lui avait été demandé en décembre 2017 par un expert d'assurance de laisser ses parcelles en l'état,ce à quoi elle avait obéi, sans jamais ensuite solliciter d'autres instructions, alors que le respect de cette consigne générait un dommage évident aux cultures.
Compte tenu des incertitudes et questions nombreuses non élucidées par l'expert, il conclut qu'il 's'avère très difficile voir impossible de conclure en l'état'.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'il n'est pas démontré avec certitude que du fait du choix du porte-greffe, les plants vendus par la S.A.R.L. RAFFOUX le 4 mars 2016 étaient atteints avant la vente d'un vice caché, rendant les plants impropres à leur développement, à leur culture et donc à leur usage.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la demanderesse de ses prétentions fondées sur la garantie des vices cachés.
Sur le manquement au devoir de conseil :
Le devoir de conseil existe entre un professionnel et un professionnel d'une autre spécialité tel qu'en l'espèce, le pépiniériste qu'est la société RAFFOUX disposant de connaissances techniques et pratiques dont ne dispose pas le viticulteur qu'est la société AUBINEAU, simple utilisateur des plants acquis.
Il incombe alors au professionnel de prouver qu'il s'est acquitté de son obligation de conseil, s'agissant en l'espèce du choix du porte- greffe le plus adapté, en tenant compte notamment de la nature du sol utilisé aux fins de plantation.
Le préjudice consécutif à un manquement au devoir de conseil a la nature d'une perte de chance, laquelle ne peut être égale au profit escompté.
En l'espèce, il ressort du n° 7 de la revue 'progrès agricole et viticole de 2011 qu'était publié un article 'le 161-49 C et le dépérissement des jeunes vignes' qui concluait que l'évolution des dépérissement est 'suffisamment inquiétant pour qu'il soit signalé à la profession (viticulteurs et pépiniéristes)' et que 'nous incitons donc à la prudence dans le choix du 161-49 C notamment dans la région [Localité 7]'.
De même, le 8 septembre 2011, la revue Vitusphère publiait un article intitulé 'porte-greffe : alerte sur le 161-49 C'.
Il ressort de ces publications dans des revues non confidentielles, dont la pertinence n'est pas discutée, que les professionnels des plants, tels le pépiniériste qu'est la société RAFFOUX, étaient alertés de façon fiable et crédible sur les contraintes, difficultés et risques spécifiques au PG-161-49C.
Partant de cette connaissance déjà ancienne des difficultés liées au choix du porte-greffe PG 161-49 C, l'expert judiciaire s'est ainsi interrogé : 'pourquoi avoir choisi le PG 161-49 C ' Alors que l'on connaît ses problèmes de thyllose et foffetage, que des 'ratés' à la plantation sont récurrents, et alors qu'à la vue des analyse, avec un PH 8,3, un taux de calcaire actif de 14,6, un IPC 200, ce PG reste limite au niveau sensibilité à la chlorose. Le 333 EM et, surtou, le Fercal auraient été mieux adaptés et ne connaissent à ce jour pas de problème particulier d'installation'.
La société SARL RAFFOUX ne démontre par aucune pièce ni ne prétend d'ailleurs véritablement avoir porté à la connaissance de sa cliente la société SAS AUBINEAU les difficultés d'utilisation et les risques du porte-greffe PG161-49 C.
Or, cette information lui incombait, même s'il est relevé par l'expert que le problème n'est pas systématique et répétitif , dans un cadre où M. [U] ne préjugeait pas des évolutions ultérieures, et où seule une partie des plants connaissait un mauvais développement, cela sans qu'un comptage précis et contradictoire ait été dressé, notamment lors du débourrement du printemps 2017 selon l'expert judiciaire.
Ainsi, l'engagement de la responsabilité de la société RAFFOUX pour manquement à son devoir de conseil doit être retenu, il n'en est résulté qu'une perte de chance limitée de parvenir par le choix d'un autre porte-greffe à une meilleure replantation, au regard du caractère seulement partiel de l'échec constaté.
En outre, le préjudice s'apprécie en tenant compte des conséquences de l'absence de soins également relevée par l'expert de la part de la SAS AUBINEAU.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société SAS AUBINEAU de l'intégralité de ses demandes, celle-ci pouvant prétendre sur le fondement subsidiaire qu'elle invoque, à l'indemnisation de sa perte de chance consécutive au manquement du pépiniériste à son devoir de conseil.
Sur le montant des dommages et intérêts :
Il convient de retenir le calcul justifié de l'expert judiciaire en ce qui concerne les frais de plantations de 23200 €, d'arrachage et de replantation du vignoble à hauteur de 5000 pieds, soit 21066 €, outre les frais de travaux de plantation et traitement chiffrés à 10 299,74 €.
S'agissant du préjudice d'exploitation, il y a lieu de retenir, faute d'éléments contraires et suffisants, le calcul de l'expert judiciaire, qui est argumenté et convaincant, soit une perte par an de 36746,67 €, cela jusqu'en 2023, dont il
y a lieu de déduire un coût d'exploitation non supporté de 12057 € par an, soit un préjudice d'exploitation total de 141 862,21 € jusqu'en 2023.
Si la perte financière de la société SAS AUBINEAU s'établit ainsi à la somme de 196 427,94 €, sa perte de chance consécutive au manque de conseil de la part de la société SARL RAFFOUX sera fixée à 15 % de cette somme.
En conséquence la société SARL RAFFOUX sera condamnée à payer à la SAS AUBINEAU la somme de 29 464, 20 € à titre de dommages et intérêts, cela avec intérêt au taux légal à compter de la signification du présent arrêt.
Sur les dépens :
Il résulte de l'article 696 du code de procédure civile que ' La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. (...).'
Compte tenu de la solution apportée au présent litige, les dépens de première instance, en ce compris les dépens de référé et les frais d'expertise, et d'appel seront fixés à la charge de la société S.A.R.L. RAFFOUX.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
Il est équitable de condamner la société S.A.R.L. RAFFOUX à payer à la société SAS AUBINEAU la somme fixée au dispositif du présent arrêt sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et en dernier ressort,
DÉBOUTE la société SAS AUBINEAU de sa demande en annulation du jugement entrepris.
DÉCLARE recevables les demandes formées subsidiairement par la société AUBINEAU au titre du manquement au devoir de conseil de la société S.A.R.L. RAFFOUX
CONFIRME le jugement en ce qu'il a débouté la SAS AUBINEAU de ses demandes fondées sur la garantie des vices cachés
INFIRME le jugement entrepris pour le surplus,
Statuant à nouveau,
DIT que la société S.A.R.L. RAFFOUX doit indemniser la société SAS AUBINEAU au titre de son manquement à son devoir de conseil.
CONDAMNE la société S.A.R.L. RAFFOUX à verser à la société SAS AUBINEAU la somme de 29 464, 20 € à titre de dommages et intérêts, cela avec intérêt au taux légal à compter de la signification du présent arrêt.
Y ajoutant,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires.
CONDAMNE la société S.A.R.L. RAFFOUX à verser à la société SAS AUBINEAU la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause de première instance et d'appel.
CONDAMNE la société S.A.R.L. RAFFOUX aux dépens de première instance, qui comprendront les dépens de référé et les frais d'expertise, et d'appel.