Cass. com., 3 juillet 2024, n° 22-24.068
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Ora e-car (SAS)
Défendeur :
Société générale (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Schmidt
Avocat général :
M. de Monteynard
Avocats :
SCP Boullez, SCP Célice, Texidor, Périer
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 mai 2022), statuant en référé, la société Ora e-véhicules a été mise en redressement puis en liquidation judiciaire.
2. Par un jugement du 7 juillet 2017, le tribunal a arrêté un plan de cession des actifs de cette société portant notamment sur un parc de plus 6 500 véhicules faisant l'objet de contrats de crédit-bail.
3. Suivant un protocole d'accord signé le 4 juillet 2017, préparatoire au plan, les crédits-bailleurs, comptant parmi eux trois filiales de la Société générale, ont cédé les véhicules au cessionnaire, la société Ora e-car, moyennant un prix payable sur trente-six mois.
4. Le 11 décembre 2019, la société Ora e-car a obtenu l'ouverture d'une procédure de conciliation à laquelle elle a appelé l'ensemble des crédits-bailleurs.
5. Le 25 mai 2020, la Société générale a déclaré la société Ora e-car en défaut à la Banque de France. Celle-ci a dégradé le niveau de cotation de la société de 5+ à 6 dans le fichier bancaire des entreprises ("FIBEN"), jugeant que la capacité de cette entreprise à honorer ses engagements sur trois ans était passée de faible à très faible.
6. Soutenant que cette déclaration de défaut constituait un trouble manifestement illicite dès lors que la Société générale ne pouvait lui reprocher aucun arriéré ou incident de paiement, et invoquant le caractère confidentiel de l'ouverture de la procédure de conciliation, la société Ora e-car l'a assignée en référé pour obtenir, sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile, la main levée de l'inscription de défaut et la réparation, à titre provisionnel, de son préjudice.
7. La Société générale lui a opposé, qu'usant de la marge d'appréciation que lui confère le point 58 du guide d'orientation de l'Autorité bancaire européenne, elle analyse l'ouverture d'une procédure de conciliation comme un signe d'une probable absence de paiement, constitutif d'un défaut au sens de l'article 178 du Règlement UE n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement et modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 (le Règlement).
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. La société Ora e-car fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors :
« 1°/ que la confidentialité de la procédure de conciliation s'impose tant à ceux qui y sont appelés qu'aux tiers ; qu'en considérant que la Société Générale était fondée à révéler la procédure de conciliation à la Banque de France dès lors qu'elle n'y avait pas été appelée, la cour d'appel a violé l'article L. 611-15 du code de commerce ;
2°/ que la confidentialité de la procédure de conciliation s'impose au banquier du débiteur, peu important que ce dernier lui en ait révélé l'existence ; qu'en énonçant que la Société Générale était fondée à révéler la Banque de France l'ouverture d'une procédure de conciliation dès lors que la société Ora e-car l'en avait informée, la cour d'appel a violé l'article L. 611-15 du code de commerce ;
3°/ que la confidentialité de la procédure de conciliation s'attache tant à son existence qu'à son contenu ; qu'en décidant que la confidentialité de la procédure de conciliation ne s'attachait qu'à son contenu, à l'exclusion de sa seule existence que la Société Générale aurait été en droit de révéler à la Banque de France, la cour d'appel a violé l'article L. 611-15 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 611-15 du code de commerce et 873 du code de procédure civile :
9. Il résulte du premier de ces textes que la confidentialité de la procédure de conciliation couvre tant la décision d'ouverture de cette procédure et son existence que son contenu. Elle est opposable à toute personne qui, par ses fonctions, en a connaissance.
10. Selon le second, le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
11. Pour rejeter les demandes de la société Ora e-car, l'arrêt retient que la Société générale n'a pas été appelée à la procédure de conciliation mais en a été informée par le représentant légal de la société Ora e-car lui-même. Il ajoute que l'article L. 611-15 du code de commerce vise à conférer un caractère confidentiel aux informations qu'il couvre indépendamment des personnes qu'il cite et que c'est bien l'existence même d'une procédure de conciliation qui a fait l'objet d'un signalement, non le contenu de cette procédure, de sorte que la Société générale n'a pas utilisé une information qu'elle aurait dû conserver comme confidentielle.
12. En statuant ainsi, alors que l'ouverture d'une procédure de conciliation, qui n'est pas l'un des signes d'absence probable de paiement par le débiteur visés à l'article 178 du Réglement, était une information confidentielle que la Société générale ne pouvait utiliser pour justifier une déclaration de défaut, peu important que cette information lui avait été révélée par le bénéficiaire de cette procédure, de sorte qu'en procédant à une telle déclaration de défaut, la Société générale avait causé un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.