CJUE, 5e ch., 4 juillet 2024, n° C-70/23 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Westfälische Drahtindustrie GmbH, Westfälische Drahtindustrie Verwaltungsgesellschaft mbH & Co. KG, Pampus Industriebeteiligungen GmbH & Co. KG
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Regan
Juges :
M. Csehi (rapporteur), M. Ilešič, M. Jarukaitis, M. Gratsias
Avocat général :
M. Rantos
Avocats :
Me Duys, Me Tkatchenko
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par leur pourvoi, Westfälische Drahtindustrie GmbH (ci-après « WDI »), Westfälische Drahtindustrie Verwaltungsgesellschaft mbH & Co. KG et Pampus Industriebeteiligungen GmbH & Co. KG demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 23 novembre 2022, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission, (T‑275/20, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:723), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant, à titre principal, premièrement, à l’annulation de la lettre de la Commission européenne du 2 mars 2020 (ci-après « l’acte litigieux ») par laquelle cette dernière les a mises en demeure de lui verser la somme de 12 236 931,69 euros correspondant, selon elle, au solde restant dû de l’amende qui leur avait été infligée le 30 septembre 2010, deuxièmement, à la constatation de l’acquittement total de cette amende le 17 octobre 2019 par le versement de la somme de 18 149 636,24 euros et, troisièmement, à la condamnation de la Commission à verser à WDI la somme de 1 633 085,17 euros, majorée d’intérêts depuis cette dernière date, en raison d’un enrichissement sans cause de cette institution, ainsi que, à titre subsidiaire, à la condamnation de la Commission à leur verser la somme de 12 236 931,69 euros, réclamée par celle-ci à WDI, et une somme équivalant au montant du trop-perçu par cette institution, à concurrence de 1 633 085,17 euros, majorée d’intérêts depuis le 17 octobre 2019 jusqu’au remboursement complet de la somme due.
Le cadre juridique
2 Le règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), prévoit, à son article 23, paragraphe 2 :
« La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence :
a) elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [101] ou [102 TFUE] [...]
[...] »
3 L’article 31 de ce règlement énonce :
« La Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction sur les recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a fixé une amende ou une astreinte. Elle peut supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée. »
4 Le point 35 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2) (ci-après les « lignes directrices de 2006 »), figurant sous l’intitulé « Capacité contributive », dispose :
« Dans des circonstances exceptionnelles, la Commission peut, sur demande, tenir compte de l’absence de capacité contributive d’une entreprise dans un contexte social et économique particulier. Aucune réduction d’amende ne sera accordée à ce titre par la Commission sur la seule constatation d’une situation financière défavorable ou déficitaire. Une réduction ne pourrait être accordée que sur le fondement de preuves objectives que l’imposition d’une amende, dans les conditions fixées par les présentes Lignes directrices, mettrait irrémédiablement en danger la viabilité économique de l’entreprise concernée et conduirait à priver ses actifs de toute valeur. »
Les antécédents du litige
5 Les antécédents du litige ressortent des points 2 à 26 de l’arrêt attaqué et peuvent être résumés comme suit.
6 Par la décision C(2010) 4387 final, du 30 juin 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38344 – Acier de précontrainte), telle que modifiée par la décision C(2010) 6676 final, du 30 septembre 2010 (ci-après la « décision litigieuse »), la Commission a sanctionné plusieurs entreprises, dont les requérantes, qui sont des fournisseurs d’acier de précontrainte, en raison de leur participation à une entente sur le marché de l’acier de précontrainte. La Commission a imposé une amende de 46 550 000 euros à WDI, tandis que Westfälische Drahtindustrie Verwaltungsgesellschaft et Pampus Industriebeteiligungen ont été tenues solidairement responsables à hauteur, respectivement, de 38 855 000 euros et de 15 485 000 euros.
7 Conformément à la décision litigieuse, le paiement de l’amende devait être effectué dans un délai de trois mois à compter de la date de la notification de cette décision. À l’expiration de ce délai, des intérêts étaient automatiquement dus, calculés au taux appliqué par la Banque centrale européenne (BCE) à ses opérations principales de refinancement, majoré de 3,5 points de pourcentage. La décision litigieuse prévoyait également que, en cas d’introduction d’un recours par une des entreprises sanctionnées, celle-ci pouvait couvrir l’amende à l’échéance soit en fournissant une garantie bancaire, soit en procédant au paiement provisoire de l’amende.
8 Après avoir introduit un recours à l’occasion duquel elles ont demandé non seulement l’annulation de la décision litigieuse mais également la réduction de l’amende infligée, les requérantes ont présenté une demande en référé visant, en substance, à obtenir le sursis à l’exécution de cette décision jusqu’au prononcé de l’arrêt statuant sur ce recours.
9 Par l’ordonnance du 13 avril 2011, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission (T‑393/10 R, EU:T:2011:178), le président du Tribunal a partiellement fait droit à la demande en référé, en ordonnant le sursis à l’obligation faite aux requérantes de constituer une garantie bancaire en faveur de la Commission pour éviter le recouvrement immédiat de l’amende, à la condition qu’elles versent à cette institution, à titre provisoire, d’une part, la somme de 2 000 000 euros et, d’autre part, des mensualités de 300 000 euros jusqu’au prononcé de l’arrêt statuant sur le recours en annulation.
10 Par l’arrêt du 15 juillet 2015, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission (T‑393/10, ci-après l’« arrêt du 15 juillet 2015 », EU:T:2015:515), le Tribunal a annulé la décision litigieuse en ce qu’elle infligeait une amende aux requérantes. Il a ensuite condamné ces dernières au paiement d’une amende d’un montant identique à celui fixé dans la décision litigieuse. Pour parvenir à cette solution, le Tribunal a tout d’abord constaté que la Commission avait commis des erreurs lorsqu’elle avait apprécié la capacité contributive des requérantes. Puis, faisant usage de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal a considéré qu’il ressortait de différents indices, dont notamment la restructuration à laquelle les requérantes avaient elles-mêmes procédé, postérieurement à la date d’adoption de cette décision, que celles-ci n’étaient cependant pas fondées à prétendre à une réduction d’amende en raison de leur absence de capacité contributive.
11 L’arrêt du 15 juillet 2015 a fait l’objet d’un pourvoi formé par les requérantes, qui contestaient notamment la prise en compte par le Tribunal, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, de leur capacité contributive telle qu’elle existait en 2015, et non telle qu’elle existait en 2010. Ce pourvoi a été rejeté par l’ordonnance du 7 juillet 2016, Westfälische Drahtindustrie et Pampus Industriebeteiligungen/Commission (C‑523/15 P, EU:C:2016:541).
12 Après le prononcé de l’arrêt du 15 juillet 2015, des divergences sont apparues entre la Commission et les conseils des requérantes en ce qui concernait la date à compter de laquelle les intérêts dus sur l’amende devaient courir. Alors que ces derniers considéraient que l’amende n’était exigible qu’à compter de la date du prononcé de cet arrêt, la Commission estimait que des intérêts étaient dus à compter de la date prévue dans la décision litigieuse.
13 Dans ce contexte, après le rejet de leur pourvoi, les requérantes ont demandé au Tribunal d’interpréter l’arrêt du 15 juillet 2015 en ce sens que les intérêts appliqués au montant de l’amende imposé dans cet arrêt étaient dus à compter du prononcé de ce dernier. À titre subsidiaire, elles ont demandé au Tribunal de rectifier ou de compléter cet arrêt en précisant à compter de quelle date les intérêts commençaient à courir.
14 Par l’ordonnance du 17 mai 2018, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission (T‑393/10 INTP, EU:T:2018:293), le Tribunal a déclaré ces demandes irrecevables. S’agissant de la demande en interprétation, le Tribunal a rappelé que, pour être recevable, celle-ci devait porter sur un point tranché dans l’arrêt à interpréter. Or, la question du point de départ des intérêts de retard dus en cas de paiement différé du montant de l’amende infligée aux requérantes n’avait pas été abordée dans l’arrêt du 15 juillet 2015. Selon le Tribunal, la demande des requérantes visait à obtenir un avis sur les conséquences de l’arrêt du 15 juillet 2015, ce qui ne relevait pas d’une demande en interprétation introduite sur le fondement de l’article 168, paragraphe 1, de son règlement de procédure. S’agissant des deux autres demandes, elles ont été considérées comme étant tardives. Enfin, le Tribunal a estimé que, eu égard aux délais prévus à cet effet à l’article 164, paragraphe 2, et à l’article 165, paragraphe 2, de son règlement de procédure, les demandes, présentées à titre subsidiaire, tendant à ce que l’arrêt du 15 juillet 2015 soit rectifié ou complété devaient être considérées comme étant tardives.
15 En exécution de l’ordonnance du 13 avril 2011, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission (T‑393/10 R, EU:T:2011:178), WDI a payé à titre provisoire à la Commission une somme totale de 16 400 000 euros au cours de la période comprise entre le 29 juin 2011 et le 16 juin 2015.
16 Le 16 octobre 2019, WDI a informé la Commission, d’une part, qu’elle avait déjà payé 31 700 000 euros et, d’autre part, qu’elle entendait payer d’ores et déjà le solde de l’amende due, en capital et intérêts, qu’elle évaluait à 18 149 636,24 euros. Aux fins de ce calcul, WDI a pris en compte les intérêts échus à compter du 15 octobre 2015, soit trois mois après le prononcé de l’arrêt du 15 juillet 2015, et a appliqué un taux d’intérêt de 3,48 %.
17 Le 17 octobre 2019, WDI a versé ladite somme de 18 149 636,24 euros sur le compte bancaire de la Commission, portant ainsi le montant total des paiements effectués depuis le 29 juin 2011, en règlement de l’amende, à 49 849 636,24 euros.
18 Par l’acte litigieux, la Commission a fait part de son désaccord avec la position exprimée par WDI dans sa lettre du 16 octobre 2019. La Commission a indiqué que, conformément aux critères établis dans l’arrêt du 14 juillet 1995, CB/Commission (T‑275/94, EU:T:1995:141), les intérêts, calculés à un taux de 4,5 %, avaient commencé à courir non pas à compter de l’arrêt du 15 juillet 2015, mais à compter de la date prévue dans la décision litigieuse, soit le 4 janvier 2011. En conséquence, la Commission a mis en demeure WDI de lui verser la somme de 12 236 931,69 euros correspondant au solde restant dû, en prenant en compte la date de valeur du 31 mars 2020.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
19 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 mai 2020, les requérantes ont demandé, à titre principal, premièrement, d’annuler l’acte litigieux, deuxièmement, de constater, en conséquence, que la Commission devait imputer les paiements effectués par WDI pendant la période allant du 29 juin 2011 au 16 juin 2015 (16 400 000 euros), majorés des intérêts afférents à ce montant pendant cette période (1 420 610 euros), soit un montant total de 17 820 610 euros, sur l’amende prononcée par le Tribunal dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction dans l’arrêt du 15 juillet 2015, avec effet à cette date, et que cette amende avait été, de ce fait, totalement acquittée par le paiement effectué par WDI le 17 octobre 2019 à concurrence d’un montant de 18 149 636,24 euros, troisièmement, de condamner la Commission à verser à WDI la somme de 1 633 085,17 euros, majorée d’intérêts à compter du 17 octobre 2019 jusqu’au remboursement complet de la somme due. À titre subsidiaire, les requérantes ont demandé de condamner l’Union européenne, représentée par la Commission, d’une part, à leur verser une indemnité égale au montant réclamé dans l’acte litigieux, soit 12 236 931,69 euros, et, d’autre part, à verser à WDI la somme de 1 633 085,17 euros, majorée d’intérêts à compter du 17 octobre 2019 jusqu’au remboursement complet de la somme due.
20 Dans l’arrêt attaqué, dans le cadre de l’examen du bien-fondé des conclusions des requérantes mentionnées au point 19 du présent arrêt, le Tribunal a d’abord examiné la demande indemnitaire des requérantes, fondée sur plusieurs violations de l’article 266, premier alinéa, TFUE. À cet égard, le Tribunal a considéré que l’ensemble des violations dénoncées partait de la prémisse selon laquelle l’amende imposée par la décision litigieuse n’avait pas été « maintenue » ou « confirmée » par le Tribunal dans l’arrêt du 15 juillet 2015, mais avait été annulée et remplacée par une nouvelle amende que les requérantes dénommaient « amende juridictionnelle ».
21 Après avoir déclaré la demande indemnitaire recevable, le Tribunal a rappelé, au point 98 de l’arrêt attaqué, que, conformément à la jurisprudence issue de son arrêt du 14 juillet 1995, CB/Commission (T‑275/94, EU:T:1995:141), l’amende que le juge de l’Union fixe en exerçant sa compétence de pleine juridiction ne constitue pas une amende nouvelle, juridiquement distincte de celle imposée par la Commission. Or, la seule circonstance que le Tribunal a finalement estimé opportun de retenir, dans son arrêt du 15 juillet 2015, un montant d’amende identique à celui fixé dans la décision litigieuse ne se serait pas opposée à l’application de cette jurisprudence en l’espèce.
22 Cette appréciation n’aurait pas été davantage mise en cause par les arguments des requérantes tirés, notamment, du fait que le Tribunal avait annulé l’amende initialement infligée avant de fixer un nouveau montant sur la base d’éléments postérieurs à la décision litigieuse et que le président du Tribunal avait ordonné, par son ordonnance du 13 avril 2011, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission (T‑393/10 R, EU:T:2011:178), la suspension de l’obligation de constituer une garantie bancaire.
23 Le Tribunal a souligné, en outre, que, lorsque le juge de l’Union maintient une partie ou l’intégralité du montant de l’amende dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, l’obligation de payer des intérêts ab initio ne constitue pas une sanction s’ajoutant à l’amende initialement infligée par la Commission.
24 Eu égard à ces considérations, le Tribunal a considéré qu’il n’y avait pas de violation suffisamment caractérisée des obligations de la Commission au titre de l’article 266 TFUE et a rejeté la demande indemnitaire des requérantes. Compte tenu du fait que les autres demandes formulées par celles-ci étaient, en substance, également fondées sur la prémisse d’une violation de cette disposition par la Commission, le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité, sans examiner l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission contre la demande d’annulation de l’acte litigieux.
Les conclusions des parties
25 Les requérantes demandent à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– d’annuler l’acte litigieux ;
– par conséquent, de déclarer que la Commission doit imputer les paiements effectués par WDI au cours de la période allant du 29 juin 2011 au 16 juin 2015 pour un montant de 16 400 000 euros, majorés des intérêts compensatoires courus d’un montant total de 1 420 610 euros, soit un total de 17 820 610 euros, sur l’amende infligée de manière indépendante par le Tribunal dans l’arrêt du 15 juillet 2015 avec effet au 15 juillet 2015, et que cette amende a été éteinte en totalité par le paiement du 17 octobre 2019 d’un montant de 18 149 636,24 euros ;
– de condamner la Commission à payer à WDI un montant de 1 633 085,17 euros, majoré des intérêts compensatoires à compter du 17 octobre 2019 jusqu’au remboursement intégral du montant correspondant dû ;
– à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué et de condamner la Commission à verser aux trois requérantes des dommages-intérêts d’un montant de 12 236 931,69 euros, à compenser avec la créance invoquée par la Commission à l’encontre de WDI, par l’acte attaqué, d’un montant de 12 236 931,36 euros et à payer à WDI le montant du trop-perçu de 1 633 085,17 euros, majoré des intérêts compensatoires, à partir du 17 octobre 2019 jusqu’au remboursement intégral du montant dû ;
– à titre subsidiaire aux demandes sous les tirets 1 à 5, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin qu’il statue ;
et en tout état de cause
– de condamner la Commission aux dépens exposés en première instance et dans la procédure de pourvoi.
26 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner les requérantes aux dépens.
Sur le pourvoi
27 À l’appui de leur pourvoi, les requérantes soulèvent trois moyens.
Sur les premier et deuxième moyens
28 Par leur premier moyen, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en ne respectant pas l’arrêt du 15 juillet 2015 ainsi que d’avoir motivé de manière erronée et contradictoire l’arrêt attaqué par rapport à celui-ci. Le deuxième moyen est tiré d’une prétendue violation de l’article 266 TFUE en raison du non-respect de la règle de droit qui résulte de la combinaison de l’effet d’annulation de l’arrêt du 15 juillet 2015 et de la nature juridique substitutive de la décision adoptée dans celui-ci.
29 Cela étant, il ressort des écritures des requérantes que, par ces deux moyens, celles-ci font en substance valoir que l’exercice, par le Tribunal, de sa compétence de pleine juridiction, dans le cadre de l’arrêt du 15 juillet 2015, a conduit celui-ci à fixer une amende devant être caractérisée comme nouvelle et juridiquement distincte par rapport à celle que la Commission leur avait infligée par la décision litigieuse. En particulier, si les requérantes formulent leur premier moyen comme étant tiré, pour partie, du caractère contradictoire et erroné de la motivation, la lecture des différents arguments exposés au soutien de ce moyen démontre que, à ce titre, celles-ci entendent, en réalité, contester non pas le caractère suffisant de la motivation de l’arrêt attaqué, mais bien les conséquences juridiques que le Tribunal a tirées du fait qu’il avait exercé, dans l’arrêt du 15 juillet 2015, sa compétence de pleine juridiction. Par conséquent, il convient de traiter ensemble ces deux moyens et d’examiner tout d’abord le bien-fondé de cette prémisse.
Argumentation des parties
30 Les requérantes soutiennent que, par l’arrêt du 15 juillet 2015, le Tribunal aurait, d’une part, annulé ex tunc l’amende infligée par la Commission, ce qui a engendré une créance en leur faveur, correspondant à la somme payée par celles-ci, à titre provisoire, en exécution de l’ordonnance de référé, majorée d’intérêts, et, d’autre part, fixé une nouvelle amende distincte, avec effet à la date du prononcé de l’arrêt du 15 juillet 2015, qu’elles désignent comme l’« amende juridictionnelle », par opposition à l’« amende annulée » imposée par la Commission en 2010.
31 À cette fin, elles mettent notamment en avant la circonstance que, dans le dispositif de l’arrêt du 15 juillet 2015, le Tribunal a supprimé dans son intégralité l’article 2, point 8, de la décision litigieuse, ce qui aurait eu pour conséquence que, en vertu de l’effet d’annulation que comporte cet arrêt, l’amende infligée par la Commission a été entièrement supprimée avec effet rétroactif.
32 En outre, compte tenu de la gravité des erreurs constatées par le Tribunal dans ledit arrêt et étant donné qu’il ne semblait pas possible de fixer rétroactivement le montant d’une amende réduite en raison du caractère erroné de l’appréciation de la capacité contributive effectuée dans la décision litigieuse, le Tribunal se serait écarté de sa pratique juridictionnelle antérieure. Ainsi, au lieu de fixer directement, comme dans d’autres arrêts, le montant de l’amende annulée à un montant réduit avec effet rétroactif, il aurait décidé, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, de combiner l’annulation de cette décision avec un dispositif de condamnation des requérantes. Cette combinaison aurait permis au Tribunal, dans un premier temps, de supprimer complètement ladite décision et, dans un second temps, d’y substituer sa propre appréciation.
33 De même, serait révélateur le fait que, dans l’arrêt du 15 juillet 2015, le Tribunal s’est estimé autorisé à tenir compte des paiements déjà effectués par les requérantes sur une période de près de cinq ans et de l’amélioration de leur capacité contributive à la date du prononcé de cet arrêt.
34 Dès lors, la motivation de l’arrêt attaqué serait contradictoire puisqu’elle ne tiendrait pas compte du caractère nouveau et distinct de l’amende prononcée dans l’arrêt du 15 juillet 2015. Notamment, au point 99 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait jugé que la décision litigieuse était censée, en raison de l’effet substitutif de l’arrêt du 15 juillet 2015, avoir toujours été celle qui résultait de l’appréciation figurant dans cet arrêt. Or, selon les requérantes, le Tribunal aurait dû déterminer la portée de cet effet substitutif découlant de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction au regard du dispositif et de la motivation de l’arrêt dont il résulte un tel effet. Toutefois, en l’espèce, il résulterait du double effet de l’annulation de la décision litigieuse et de la condamnation des requérantes au paiement d’une amende qu’une nouvelle amende, juridiquement distincte de celle leur ayant été initialement infligée, aurait été adoptée. Au demeurant, sur le plan textuel, ledit effet substitutif impliquerait nécessairement à tout le moins une modification de l’amende initiale, et donc, en substance, l’adoption d’une amende nouvelle, juridiquement distincte.
35 En définitive, le dispositif de l’arrêt du 15 juillet 2015 et l’appréciation globale faite par le Tribunal dans cet arrêt montreraient que la décision litigieuse a été réformée dans son ensemble. L’effet substitutif aurait porté à la fois sur la motivation et sur le montant surévalué de l’amende. Il aurait entraîné une modification qui impose de distinguer nettement l’amende initiale annulée et l’amende juridictionnelle qui la remplace, ainsi que les conséquences juridiques qui y sont liées.
36 La Commission soutient que les premier et deuxième moyens sont dénués de tout fondement.
Appréciation de la Cour
37 D’emblée, il convient de rappeler que le système de contrôle juridictionnel des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE consiste en un contrôle de la légalité des actes des institutions établi à l’article 263 TFUE, lequel peut être complété, en application de l’article 261 TFUE, sur demande de la partie requérante, par l’exercice par le Tribunal d’une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions infligées dans ce domaine par la Commission (arrêt du 25 juillet 2018, Orange Polska/Commission, C‑123/16 P, EU:C:2018:590, point 104 et jurisprudence citée).
38 La portée du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE s’étend à l’ensemble des éléments des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE dont le Tribunal assure un contrôle approfondi, en droit comme en fait, à la lumière des moyens soulevés par la partie requérante et compte tenu de l’ensemble des éléments soumis par cette dernière. Toutefois, dans le cadre de ce contrôle, les juridictions de l’Union ne peuvent, en toute hypothèse, substituer leur propre motivation à celle de l’auteur de l’acte en cause (arrêt du 25 juillet 2018, Orange Polska/Commission, C‑123/16 P, EU:C:2018:590, point 105 et jurisprudence citée).
39 En revanche, dès lors qu’il exerce sa compétence de pleine juridiction prévue à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement no 1/2003, le juge de l’Union est habilité, au-delà du simple contrôle de la légalité de la sanction, à substituer sa propre appréciation, pour la détermination du montant de cette sanction, à celle de la Commission, auteur de l’acte dans lequel ce montant a été initialement fixé. En conséquence, le juge de l’Union peut réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, afin de supprimer, de réduire ou de majorer l’amende infligée, cette compétence étant exercée en tenant compte de toutes les circonstances de fait (arrêt du 25 juillet 2018, Orange Polska/Commission, C‑123/16 P, EU:C:2018:590, point 106 et jurisprudence citée).
40 Ainsi, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la compétence de pleine juridiction dont dispose le Tribunal sur le fondement de l’article 31 du règlement no 1/2003, laquelle lui permet de supprimer, de réduire ou de majorer l’amende infligée par la Commission, se rapporte et se limite au montant de l’amende initialement infligée par la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2022, Sony Optiarc et Sony Optiarc America/Commission, C‑698/19 P, EU:C:2022:480, point 92).
41 En outre, contrairement à ce qui ressort de l’article 23 du règlement no 1/2003, qui confère à la Commission le pouvoir d’infliger des amendes pour violation des règles de concurrence, l’article 31 de ce règlement investit le Tribunal d’une compétence de pleine juridiction qui fait partie intégrante de son pouvoir de statuer sur les recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a infligé une telle amende. Par conséquent, ce dernier article n’a pas pour objet d’habiliter le Tribunal à imposer une nouvelle amende juridiquement distincte de celle fixée par la Commission, mais il complète le contrôle juridictionnel en permettant au Tribunal de modifier le montant de celle initialement infligée.
42 Partant, il convient de mettre en exergue, à l’instar de ce qu’a fait le Tribunal au point 99 de l’arrêt attaqué, que, lorsque le juge de l’Union substitue sa propre appréciation à celle de la Commission, il remplace, au sein de la décision de la Commission, le montant initialement fixé dans cette décision par celui qui résulte de sa propre appréciation. La décision de la Commission est donc censée, en raison de l’effet substitutif de l’arrêt prononcé par le juge de l’Union, avoir toujours été celle qui résulte de l’appréciation de ce dernier.
43 En l’espèce, dans l’arrêt du 15 juillet 2015, le Tribunal a tout d’abord considéré que la Commission avait commis des erreurs dans l’appréciation de la capacité contributive des requérantes, au sens du point 35 des lignes directrices de 2006. Ensuite, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, demandé par les requérantes dès lors qu’elles avaient conclu à ce qu’il plaise au Tribunal non seulement d’annuler la décision litigieuse, mais également de réduire l’amende infligée, il a constaté, sur la base des éléments apportés par les parties au sujet de la situation financière des requérantes, telle qu’elle avait évolué après l’adoption de la décision litigieuse, que ces dernières n’étaient pas fondées à soutenir qu’une réduction de ladite amende devait leur être accordée en raison de leur absence de capacité contributive, et ce pour des motifs analogues à ceux envisagés au point 35 des lignes directrices de 2006.
44 Étant donné que, dans l’arrêt du 15 juillet 2015, le Tribunal a ainsi exercé sa compétence de pleine juridiction, c’est donc à juste titre que, au point 98 de l’arrêt attaqué, il s’est appuyé sur son arrêt du 14 juillet 1995, CB/Commission (T‑275/94, EU:T:1995:141, points 58 et 60), dont il ressort que le juge de l’Union n’a pas le pouvoir, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, de substituer à l’amende infligée par la Commission une amende nouvelle, juridiquement distincte de celle-ci, et qu’il en a déduit, au point 102 de l’arrêt attaqué, que, en l’espèce, l’amende réformée par le Tribunal dans l’arrêt du 15 juillet 2015 n’étant pas nouvelle, celle-ci était exigible depuis le 4 janvier 2011.
45 Il convient de relever à cet égard que ni la manière dont le Tribunal a fixé le montant de l’amende ni la nature des éléments que celui-ci a pris en considération lorsqu’il a substitué sa propre appréciation à celle de la Commission dans l’arrêt du 15 juillet 2015 ne peuvent conduire à considérer que cette amende, ainsi réformée, constitue une nouvelle amende juridiquement distincte de celle infligée par la Commission dans la décision litigieuse.
46 Il est vrai que le Tribunal a annulé, au point 2 du dispositif de l’arrêt du 15 juillet 2015, l’article 2, point 8, de la décision litigieuse, qui imposait une amende aux requérantes, et a fixé, aux points 4 à 6 de ce dispositif, les différents montants constitutifs de l’amende réformée, lesquels correspondaient à ceux de l’amende imposée dans la décision litigieuse. Toutefois, cette circonstance ne saurait être comprise, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 55 de ses conclusions, comme étant l’expression de la volonté du Tribunal d’infliger une nouvelle amende juridiquement distincte de celle fixée par la Commission.
47 En effet, lorsque, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le juge de l’Union substitue sa propre appréciation, pour la détermination du montant de l’amende, à celle de la Commission, en infligeant un nouveau montant, cette substitution implique nécessairement l’annulation du montant de l’amende initiale, tel que fixé par la Commission, qu’il soit ou non fait expressément état de cette annulation dans l’arrêt.
48 En conséquence, s’il serait certes préférable que, dans la mesure du possible, le Tribunal suive une pratique rédactionnelle uniforme, il n’en reste pas moins qu’aucune conséquence juridique particulière ne saurait être tirée de ce que, à l’issue de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal a choisi de faire état, dans le dispositif, non pas de ce qu’un nouveau montant de l’amende était substitué, le cas échéant à l’identique, à celui précédemment fixé, mais, tout d’abord, de ce que le montant de l’amende infligée par la Commission était annulé, puis, de ce qu’une amende du même montant était infligée aux requérantes.
49 Il ressort de ce qui précède que, la prémisse sur laquelle s’appuient les premier et deuxième moyens étant erronée, ces moyens doivent être écartés comme étant non fondés, sans qu’il soit besoin d’examiner plus en détail les différents griefs avancés par les requérantes dans le cadre desdits moyens.
Sur le troisième moyen
50 Par leur troisième moyen, les requérantes font grief au Tribunal d’avoir violé leur droit à un procès équitable.
Argumentation des parties
51 Selon les requérantes, le Tribunal aurait rejeté tous les moyens présentés devant lui en se fondant sur un seul motif, à savoir que l’amende ressortant de l’arrêt du 15 juillet 2015 n’est pas une amende « nouvelle ».
52 Tout en admettant qu’il existe un lien entre ces moyens, les requérantes soutiennent que cette circonstance n’aurait toutefois pas dû être suffisante pour permettre au Tribunal de rejeter l’ensemble desdits moyens de cette manière. Afin de garantir une protection juridictionnelle effective, le Tribunal aurait dû soumettre l’ensemble des moyens invoqués à un examen individuel et minutieux. Or, il ne ressortirait pas de la motivation de l’arrêt attaqué que le Tribunal ait procédé à un tel examen.
53 La Commission soutient que le troisième moyen est également dénué de tout fondement.
Appréciation de la Cour
54 Aux points 129 et 130 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que les deuxième à quatrième moyens présentés devant lui partaient de la prémisse, posée dans le cadre du premier moyen dont il était saisi, selon laquelle l’amende infligée par la Commission avait été annulée et remplacée par une « amende juridictionnelle ». Considérant que cette prémisse avait été infirmée dans le cadre de l’examen du premier moyen, le Tribunal a rejeté les deuxième à quatrième moyens comme étant non fondés sans examiner les arguments venant à leur soutien.
55 Ce faisant, le Tribunal n’a en rien méconnu le droit à un procès équitable ni, pour autant que les requérantes aient entendu soulever un tel grief, motivé de manière insuffisante la conclusion à laquelle il est parvenu.
56 En effet, tout comme dans le cadre du présent pourvoi, les arguments des requérantes relatifs aux deuxième à cinquième moyens présentés devant le Tribunal reposaient tous sur la prémisse selon laquelle l’amende infligée par la Commission aurait été annulée et remplacée par une « amende juridictionnelle ». Or, cette prémisse étant inexacte, ainsi qu’il a par ailleurs été confirmé dans le cadre de l’examen des premier et deuxième moyens présentés dans le cadre du présent pourvoi, il n’était aucunement nécessaire que le Tribunal motive plus en détail le fait d’écarter les deuxième à quatrième moyens invoqués devant lui.
57 Il convient de rappeler en outre que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’obligation de motiver les arrêts, qui incombe au Tribunal en vertu de l’article 36 et de l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, n’impose pas à celui-ci de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons sur lesquelles se fonde l’arrêt dont l’annulation est demandée et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 7 mars 2024, Nevinnomysskiy Azot et NAK « Azot »/Commission, C‑725/22 P, EU:C:2024:217, point 131 ainsi que jurisprudence citée).
58 Or, par l’argumentation résumée au point 52 du présent arrêt, les requérantes n’établissent ni même n’allèguent qu’elles ne pouvaient pas connaître les justifications de l’arrêt attaqué. Au contraire, cette argumentation fait apparaître que la motivation de l’arrêt attaqué a permis aux requérantes de connaître les motifs sur lesquels le Tribunal s’était fondé. Elle permet également à la Cour de disposer d’éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre de l’examen du présent pourvoi.
59 Partant, il convient d’écarter le troisième moyen comme étant non fondé.
60 Aucun des moyens invoqués par les requérantes au soutien de leur pourvoi n’ayant été accueilli, il convient de le rejeter dans son intégralité.
Sur les dépens
61 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
62 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
63 Les requérantes ayant succombé en leurs moyens et la Commission ayant conclu à leur condamnation, il y a lieu de les condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Westfälische Drahtindustrie GmbH, Westfälische Drahtindustrie Verwaltungsgesellschaft mbH & Co. KG et Pampus Industriebeteiligungen GmbH & Co. KG sont condamnées aux dépens.